Des familles d`ici pour les ados jetés sur les chemins de l`exil

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Des familles d`ici pour les ados jetés sur les chemins de l`exil
Jeudi 5 janvier 2017 | Postcode 1 JA 1000 LAUSANNE 1 | No 3-1 | Fr. 3.80 (TVA 2,5% incluse) | France * 3.45
PATRICK MARTIN
GABRIEL SASSOON
En attendant la
neige, St-Cergue
tente de sauver
ses téléskis
Végane trop
énervante pour
obtenir le passeport
à croix blanche
En Suisse, la
vitamine D est
sans danger
pour les bébés
Vaud, page 18
Suisse, page 4
Suisse,
S
uisse, pa
page 4
Roi du placement
devant les cages
adverses, l’attaquant
du LHC Sven Ryser
est un véritable
cauchemar pour
les gardiens.
VANESSA CARDOSO
Page 13
Des familles d’ici pour les ados
jetés sur les chemins de l’exil
Des requérants mineurs arrivés en Suisse sans leurs parents sont parrainés par des Vaudois
Des dizaines de familles vaudoises ont
répondu à l’appel lancé début 2016 par
les Eglises, des associations et des ONG
pour venir en aide à des adolescents en
exil arrivés en Suisse sans leurs parents.
Sur 271 mineurs non accompagnés hébergés dans des foyers du canton, quaranteneuf sont parrainés et vingt-neuf sur le
point de l’être. A la veille de Noël, 24 heures s’est rendu dans deux familles qui se
sont lancées dans l’aventure.
Dans la maison des Theeten-Geerts, à
Penthalaz, Yunis, 17 ans, est accueilli
comme un grand frère par trois garçons
aux cheveux blonds. L’adolescent a fui
Mandera, une ville à cheval entre le Ke-
nya, la Somalie et l’Ethiopie. Depuis l’été
dernier, il vient toutes les deux semaines
chez les Theeten-Geerts. Foot, basket,
piscine ou patinage dans le village, il partage de nombreuses activités avec la fratrie. L’échange se joue aussi sur le terrain
scolaire. «Je lui ai expliqué la géométrie.
En même temps, ça me permet de réviser
ce que j’ai appris», sourit l’aîné, 12 ans.
Chez les Vial, à Lausanne, la présence
deux fois par semaine d’Abed, 14 ans,
venu d’Afghanistan, a redistribué les rôles des enfants. «Depuis qu’il est là, on fait
moins de bêtises», constatent les deux
garçons de 9 et 11 ans. La petite sœur
confirme: les disputes sont plus rares.
Point fort, page 3
Mode d’emploi Ce qu’implique le
parrainage d’un requérant mineur
Positif Dans la plupart des cas, les
parrainages se passent très bien
Dix jours dans la vie secrète des tout-petits
Conseil fédéral
Les priorités de
Berne pour 2017
Le gouvernement s’est fixé pas moins de
16 objectifs pour l’année qui vient de démarrer. Tour d’horizon des dossiers prioritaires. Page 5
Etats-Unis
Trump fait plier Ford
sur sa stratégie
Le géant automobile renonce à délocaliser une usine au Mexique et annonce la
création de 700 emplois dans le Michigan. Donald Trump jubile. Page 9
Vaud
Le sort d’un chat
mobilise la justice
La Cour d’appel cantonale a acquitté une
dame qui avait été condamnée en première instance pour le vol de son propre
chat. Explications. Page 15
Vaud
Voir la taxation d’un
tiers est moins facile
Depuis le 1er janvier, pour avoir accès à la
taxation d’un tiers, l’anonymat n’est plus
permis. Il faut en outre payer 60 francs,
contre 50 francs jusque-là. Page 17
Documentaire Quel parent n’a pas rêvé d’être une mouche pour observer le comportement de sa progéniture à la garderie ou à l’école enfantine?
Reprenant un concept anglo-saxon, la société de production française Zodiak Fiction Doc a fait vivre six filles et six garçons de 4 à 5 ans sous l’œil des
caméras durant dix jours. La Lausannoise Solange Denervaud, doctorante en neurosciences, a été invitée avec deux autres spécialistes à décrypter leur
comportement. Le résultat est à découvrir dans La vie secrète des enfants, dont le premier volet est diffusé le 8 janvier sur TF1. Page 26 DAVID MERLE/TF1
L’éditorial 2 Courrier 2 Jeux 10 Décès 24-25 Cinéma, Agenda 27 Météo 28
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Point fort 3
24 heures | Jeudi 5 janvier 2017
Parrainages
«J’ai laissé mes frères là-bas,
mais j’en ai trouvé d’autres»
Des familles viennent en aide à des migrants mineurs vivant sans leurs parents en
Suisse. Elles disent y gagner énormément en retour. Reportage chez deux d’entre elles
Stéphanie Arboit Textes
Chantal Dervey Photo
E
n cette matinée de décembre,
un brouillard glacial recouvre
la campagne environnante.
Mais, dans la maison des
Theeten-Geerts, à Penthalaz,
la chaleur domine près du sapin de Noël.
Là, sur le canapé, un jeune homme longiligne à la peau foncée caresse la tête d’un
chérubin blond posée sur ses genoux. Ses
yeux bienveillants rehaussés d’épais sourcils contemplent le visage de l’enfant. Un
regard et des gestes de tendresse qui ne
trompent pas: ces deux-là se sont liés d’affection.
Pourtant, tout semblerait de prime
abord séparer Ludo, ses yeux bleus et ses
8 ans, de Yunis, tout juste 17 ans, qui a fui
Mandera, ville à cheval entre le Kenya, la
Somalie et l’Ethiopie. Depuis fin 2011, le
Kenya est entré en guerre contre le groupe
terroriste islamiste Al-Shabbaab (responsable notamment de l’attentat du centre
commercial à Nairobi en 2013). Mais, des
problèmes géopolitiques de cette région,
Ludo est heureusement insouciant. Un
jour – peut-être – saura-t-il quelque chose
des raisons qui ont poussé Yunis à passer
deux ans sur les routes de l’exil. Pour
l’heure, tout ce qu’il sait et qui compte,
c’est que, depuis le mois d’août, Yunis
vient toutes les deux semaines en
moyenne jouer avec lui et ses deux frères.
Prise de conscience
Requérant d’asile mineur non accompagné, Yunis bénéficie en effet de l’Action
Parrainages (lire ci-dessous). C’est dans ce
cadre que les Theeten-Geerts l’accueillent. Avec une conviction: certes, ils
viennent en aide à Yunis, mais Yunis leur
apporte beaucoup aussi. Découverte de
l’altérité. «J’ai appris qu’on peut avoir de
si longues jambes!» admire Ludo. Qui
confesse: «J’ai eu peur lorsque Yunis
nous a raconté qu’il a été emprisonné à
un moment de son voyage. Est-ce que
cela voulait dire qu’il était méchant?»
Ludo découvre que le monde n’est pas
manichéen et que les «gentils» peuvent
aussi subir des traitements normalement
réservés aux «méchants» sur les routes
de l’exil. Prise de conscience de l’injustice.
Les trois garçons Theeten-Geerts ont
de nombreux points communs sportifs
avec Yunis. Foot, basket, mais aussi piscine ou patinage dans le village. «La première fois sur des patins à glace, c’était
bizarre, raconte Yunis: on ne peut ni marcher ni rester debout, car on glisse. Mais
c’est trop chouette!» L’échange se joue
aussi sur le terrain scolaire. «Je lui ai expliqué la géométrie. En même temps, ça me
permet de réviser ce que j’ai appris», sourit l’aîné, Nils, 12 ans, des éclats de fierté
dans les yeux.
Pour Nils, Yunis est un «grand frère»:
«Avec mes deux petits frères, je suis toujours le plus fort. C’est plus chouette pour
moi de jouer avec Yunis, qui est plus
grand. Ça me change!» «A la course des
Pères Noël à Lausanne (ndlr: la Christmas
Midnight Run), ma femme était distancée.
Yunis tenait la main de Lars – le cadet de
6 ans – et avait toujours un œil sur les
autres de peur de les perdre», dit le papa,
Kris. «De même à la piscine, il m’aide,
surtout quand Lars part dans tous les sens,
souligne Natalie, la maman. On ne veut
pas lui poser de questions sur son passé,
mais on voit bien qu’il a des réactions de
grand frère.» «J’ai laissé les miens, mais
j’en ai trouvé d’autres», sourit Yunis, alors
que Lars lui grimpe dessus.
VC4
Contrôle qualité
Yunis (à g.), 17 ans, a développé une vraie relation affective avec les enfants Theeten-Geerts, Lars, Nils et Ludo (de g. à dr.).
«J’ai eu peur lorsque
Yunis nous a raconté
qu’il a été emprisonné
à un moment de son
voyage. Est-ce que
cela voulait dire qu’il
était méchant?»
Ludo, 8 ans
Chez les Vial, à Lausanne, la présence
d’un mineur non accompagné a également
redistribué l’équilibre de la famille. Timéo,
11 ans, et Colin, 9 ans, font preuve d’une
grande maturité en décrivant leur relation
avec Abed, 14 ans, Afghan réfugié dans un
premier temps en Iran, qui vient chez les
Vial en moyenne deux fois par semaine
depuis deux mois, mais absent ce jour-là.
«Quand il est là, on s’éclate»
«Depuis qu’il est là, on fait moins de bêtises», affirme Timéo. Zoé, 7 ans, explique:
au lieu que le grand se chamaille avec les
deux cadets, «on joue à deux et deux ou
tous les quatre». «Ce n’est ni un frère ni un
copain: je n’ai pas les mots, mais c’est
exceptionnel», lâche Colin. «Quand il est
là, je ne vois pas le temps passer, embraie
Timéo. J’ai besoin de lui pour vivre parce
que, quand on se voit, on s’éclate. C’est
bien que ce ne soit pas tout le temps, sinon
ce serait peut-être moins précieux.»
Les enfants sont fiers de ce qu’ils ont
appris: «En Iran, ce n’est pas la même
année qu’ici! Il mange piquant et, en farsi,
il écrit de droite à gauche! Mais en Iran des
enfants ne peuvent pas aller à l’école suivant leur origine. Ça fait mal au cœur et
c’est du grand n’importe quoi!»
Foot, basket, trampoline, les activités
ne sont pas exclusivement sportives.
«Abed dessine superbien et j’apprends en
le regardant car je suis en train de créer
une BD», explique Colin. «On prend plus
de temps pour faire des jeux de société en
famille, constate Carole, la maman. On
partage du quotidien, sans créer de l’événementiel quand il vient: ce ne serait juste
ni pour lui ni pour nos enfants.»
«On ne sera jamais ses parents, souligne Guillaume, le père. On veut juste qu’il
puisse avoir un avenir et une formation,
d’autant qu’il aime apprendre. Accueillir
un enfant ainsi n’est pas surnaturel: c’est
juste partager des moments de vie.» Par
exemple se retrouver au Nouvel-An, pour
monter comme tant d’autres familles à la
Cité et voir ensemble la cathédrale s’embraser.
Comment ça marche
Les mineurs non accompagnés
(MNA) sont sous la responsabilité de
l’Office des tutelles et curatelles
professionnelles et logent dans les foyers
de l’EVAM.
Les jeunes à parrainer ont en général
entre 14 et 17 ans. Le but premier d’un
parrainage MNA est d’offrir à un jeune un
contact avec un environnement familial,
de créer des liens d’amitié et quelques
repères dans une période de profond
bouleversement et de ruptures.
Sont recherchés en priorité des
familles avec petits ou grands enfants,
ou des couples ayant eu des enfants.
Les personnes désirant parrainer un
jeune reçoivent à domicile la visite d’un
représentant de l’Action Parrainages
pour discuter des conditions-cadres.
Contact Envoyer un courriel à
[email protected]
«Dans la très grande majorité des cas, cela se passe très bien»
U Chez les Vial, la mère est éducatrice et
le père informaticien. Chez les TheetenGeerts, la mère est au foyer et le père
directeur marketing dans une entreprise
pharmaceutique.
Il n’y a pas de profil type des familles
qui parrainent des requérants mineurs
non accompagnés, présents en Suisse
sans leurs parents (MNA). «Il y a de tout:
des employés de banque, des fonctionnaires, des gens très investis pour l’asile
et d’autres pas», constate Antoinette
Steiner, pasteure chargée du volet MNA
de l’Action Parrainages. Pour rappel,
l’initiative (ne concernant pas l’hébergement mais l’accompagnement d’un
migrant dans la société, au minimum
deux fois par mois) a démarré début
2016 et les premiers parrainages ont été
lancés en avril.
L’action est organisée conjointement
par les Eglises et des associations
ou ONG. Ils étaient 11 MNA parrainés
en juin, actuellement 49 parrainages
sont en cours et 29 en attente (pour
271 MNA dans le canton).
«Dans la grande majorité des cas, cela
se passe très bien, relate Antoinette
Steiner. Seules quelques situations se
sont arrêtées. Ces rencontres sont
souvent pour les jeunes la seule
possibilité de s’ancrer. Ils font des
progrès très rapides en français. Cela
leur ouvre des réseaux, par exemple
pour trouver un apprentissage.»
Les enfants sont connectés avec
les familles par centres d’intérêt.
«Il faut axer sur les activités, notamment sportives, car on ne peut pas
partager simplement un repas d’entrée
de jeu, vu les tabous alimentaires de
certains.»
Les MNA ont été au centre de la
manifestation silencieuse organisée par
le Conseil œcuménique des Eglises pour
les réfugiés, le 24 décembre dernier.
Parce que la naissance de Jésus n’est pas
qu’une image d’Epinal, ont rappelé les
organisateurs: «On oublie que Jésus a dû,
comme tant d’autres enfants, fuir sur les
routes de l’exil pour tenter d’échapper
à la persécution et à la mort.»

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