1 Empreinte sur le parquet Le sol de la salle de bain est trempé

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1 Empreinte sur le parquet Le sol de la salle de bain est trempé
Empreinte sur le parquet
Le sol de la salle de bain est trempé. Jean a pris sa douche avant de partir ce matin. Il se
fait beau depuis que Nathalie est arrivée dans son service. Nathalie, c’est la nouvelle stagiaire.
C’est vrai qu’elle est jolie. Jean n’arrête pas de regarder ses photos sur internet. Je marche dans
les flaques d’eau tiède laissées sur le carrelage de la salle de bain. J’aime bien l’eau. Sauf quand
il y en a trop. Je préfère avoir pied. Ça m’angoisse de ne pas avoir pied. Jean, il se moque de
moi. Il croit que je ne sais pas nager. Je pense qu’il croit que je suis bête, Jean.
10 h 27. Je fais les cent pas dans l’appartement. Je m’ennuie. Terriblement. J’ai laissé
de l’eau sur mon passage en marchant sur le parquet. Il y a plein d’empreintes partout. Pas
grave. Ça va sécher. De toute façon, Jean ne rentre que dans huit heures. Un peu plus, s’il va
au bar avec Mathieu après le travail. Mathieu, c’est son collègue et son meilleur ami. Je crois
qu’il ne m’aime pas. Il doit être jaloux que Jean et moi cohabitions. Il est moche Mathieu. Il est
poilu. Il est grand l’appartement. Plus grand que celui de Paris. J’aime pas Paris. Trop bruyant.
Je suis sensible au bruit, moi. Ici, c’est bien. C’est calme. On a même un tout petit jardin. Jean
laisse la fenêtre ouverte pour que je puisse prendre le soleil dans la journée. Il est gentil, Jean.
Tiens, il a un peu plu dans la nuit. Ah ! L’eau dans le jardin est beaucoup plus fraîche que dans
la salle de bain. Je rentre, je vais grignoter. Oups, j’ai laissé des empreintes partout sur le
parquet. Sauf que cette fois, c’est plein de terre. C’est tout sale. Il ne va pas être content, Jean.
Il aime que tout soit propre, Jean. Il est comme ça, Jean. Toujours très ordonné et soigné. C’est
bon pour ses nerfs, il dit. Il va m’engueuler, Jean. Quand il s’énerve j’ai beau essayer de le
calmer, de le raisonner, de lui parler. Mais il ne m’entend pas. Il me dit : « Ferme ta gueule ».
Mis à part quand il s’énerve, il est gentil, Jean.
11 h 38. Ça m’ennuie ces empreintes sur le parquet. Je n’arrête pas d’y penser. Il s’est
déjà énervé hier soir à cause de moi. J’ai renversé le pot de fleurs, sur la table basse du salon.
Je n’ai pas fait exprès. Il dit que je n’arrête pas de faire des conneries. Il dit que ce n’est pas
possible que je sois si bête et maladroit. C’est vrai que je suis maladroit. Mais je ne suis pas
bête. Je crois qu’il pense vraiment que je suis bête, Jean. Tant pis pour les empreintes de terre
sur le parquet. Il croira peut-être que c’est lui. Il est parti précipitamment, ce matin. J’espère
qu’il a eu son bus.
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12 h 54. J’ai bien mangé. Il me laisse toujours à manger, Jean. Tous les midis. Et il
rentre toujours me faire à manger le soir. Il ne varie pas beaucoup les repas. Tant pis. Il est
gentil, Jean. Les traces d’eau ont séché mais il y a toujours les empreintes de terre. En plus, je
viens de me rendre compte que j’ai marché sur la lettre importante qu’il devait absolument
envoyer aujourd’hui. Il l’avait mise devant la porte « pour ne pas l’oublier ». Il l’a oubliée. Elle
est toute sale aussi. Surtout que la terre se voit encore plus sur le papier blanc que sur le parquet.
Il va s’énerver Jean quand il va voir qu’il a oublié sa lettre. Il y a quand même une belle trace
sur l’enveloppe. Elle est bien nette. On voit bien mon empreinte. Je ne pense pas qu’il croira
que c’est lui qui a laissé des empreintes partout dans la maison. Il a des grands pieds, Jean. Il
est très grand, Jean. Et il est gentil.
14 h 45. Je m’ennuie. Je regarde par la fenêtre. Il y a beaucoup de gens dehors. Mais si
je dois rester à la maison, c’est parce qu’il a peur pour moi, Jean. Il dit que c’est dangereux
dehors. Derrière la porte, celle que je ne dois jamais franchir, il y a des voitures qui roulent vite
et beaucoup d’autres dangers. Ah ! J’ai une idée. Je vais retourner la lettre devant la porte,
comme ça, il ne verra pas mon empreinte. Voilà une preuve que je ne suis pas bête. Jean, il croit
que je suis bête.
15 h 30. Le téléphone sonne. Qui peut bien appeler alors que Jean est au travail et que
tout le monde le sait ? On ne m’appelle jamais, moi. On a pas idée de m’appeler, moi. Ça tombe
bien. Je n’ai besoin de personne en dehors de Jean. Je suis timide, en plus. Quand je ne connais
pas, je me cache dans la maison. Mais je ne crois pas que je serai timide si Jean rentre avec
Nathalie. J’irai dire bonjour, poliment. Et si Jean rentrait avec Nathalie, ce soir ? Il a peut-être
appelé pour me prévenir qu’il venait avec Nathalie ! Et toutes ces empreintes sur le parquet !
L’appartement si sale ! Il faut que je fasse quelque chose pour éviter ça. Réfléchis, réfléchis,
réfléchis. Je suis peut-être bête. Il pense que je suis bête, Jean. Quand Jean nettoie
l’appartement, il met de l’eau sur le parquet et il passe la serpillière. Je vais essayer de mettre
de l’eau. Hop ! L’eau des fleurs. Elle n’est pas très propre mais ce n’est pas grave.
16 h 20. C’est encore pire. Les empreintes ont disparu mais la terre est restée. C’est déjà
ça. Il va vraiment s’énerver Jean. Pourtant, il est si gentil, Jean. Ce que je préfère, c’est, le soir,
regarder la télévision avec lui. Sur le canapé en cuir blanc du salon. Il est joli ce canapé. Plus
joli que celui que l’on avait à Paris. Tiens ! Je me souviens qu’après être allé dans le jardin, je
suis allé me reposer un peu sur le canapé. J’espère que je n’ai pas laissé d’empreintes aussi sur
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le canapé. C’est raté. Il y a des traces sur le cuir blanc. Je suis de plus en plus sûr que Jean va
me gronder. C’est inévitable.
17 h 10. Quand on est stressé, le temps passe plus lentement. L’aiguille sur l’horloge de
la cuisine semble ralentir. Les chiffres rouges du four restent figés longtemps. Très longtemps.
J’attends le dénouement de cette journée. Les yeux rivés sur l’heure j’essaie néanmoins de
réfléchir pour trouver une solution. Je ne peux pas me laisser abattre. Il me manque, Jean. Il est
si gentil. Jean a laissé, comme d’habitude, la radio avant de partir. « Pour que tu te sentes moins
seul », il dit. C’est vrai que c’est agréable. Ce que je préfère c’est le piano. Ah oui ! C’est vrai !
Il faut que je nettoie l’appartement avant le retour de Jean. J’avais presque oublié.
18 h 26. Désespéré, je me suis assoupi. Je me suis endormi sur le lit de Jean. Il sent bon
le lit de Jean. Je n’ai pas pu trouver de solution. Une clé a été enfoncée dans la serrure ! La
porte s’ouvre. C’est Jean. J’ai le cœur qui bat vite. Très vite. Jean est moins grand que
d’habitude. Il est tout courbé. Ses yeux sont plus brillants que d’habitude. Il a dû pleurer. Je
ressens ces choses-là. Depuis tout petit, je vis avec Jean. Il a toujours été gentil, Jean. Ça y est !
Il a vu mes empreintes sur le parquet. Il ne dit rien. Nous nous regardons dans les yeux. Il me
sourit, prend la lettre qu’il a oubliée, la retourne et regarde les traces sur le papier blanc. Jean
hausse les épaules. Il vient vers moi, tend son long bras et me tapote la tête. Maintenant, il se
laisse tomber sur le canapé et allume la télévision. Je ne bouge pas. Je reste immobile en
attendant sa prochaine réaction. Machinalement, il pose sa main sur le canapé sans quitter des
yeux l’écran qui se reflète dans ses yeux. Il veut que je vienne à côté de lui. Jean est très calme.
Je monte sur le canapé, me blottis contre lui. J’aime être contre Jean. J’ai très bien compris qu’il
était triste. Dans ces cas-là, je suis toujours là pour lui. Moi, son petit chat gris.
Il est gentil, Jean.
Mémou
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