L`art d`habiter selon Bernard Pivot

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L`art d`habiter selon Bernard Pivot
Les Acteurs de l’Immobilier
Une vie dans les livres
L’art d’habiter selon Bernard Pivot
Il vient de publier un gros livre de plus de 350 pages, «Les mots de ma vie» (Editions Albin
Michel). L’ancien animateur d’ «Apostrophes» et «Bouillon de culture» parle de littérature, de
lectures, d’amitiés, mais aussi de son rapport à l’architecture et à l’art de vivre. Ses deux endroits
fétiches: les bibliothèques et… l’entresol.
S
on monde, ce sont les livres.
Les écrivains, les poètes, les
lectures et les relectures…
Journaliste, auteur, membre de
l’Académie Goncourt, Bernard Pivot
a gardé cette qualité première qui
avait fait le succès des émissions
qu’il avait fondées, «Apostrophes»
puis «Bouillon de culture»: il est
avant tout un homme qui aime les
questions, les remises en cause, les
incertitudes créatrices. Dans Les
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mots de ma vie, il explore et réinvente son parcours en toute liberté,
surfant de sa passion pour les livres
à son goût des rencontres ainsi qu’à
sa recherche, improbable, balbutiante, d’une forme d’apaisement et
de sérénité.
Bernard Pivot vit pour les livres et,
comme les livres ouvrent à tout, il
s’intéresse à tout! Ses curiosités,
ses réflexions, ses souvenirs aussi,
proviennent ainsi aussi bien d’un
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roman que d’un essai, de la redécouverte d’un mot oublié que d’une expression saisie au vol, dans un café
ou lors d’une discussion. Amoureux
de l’instant présent, il aime passer
d’une idée à l’autre et brasser des
considérations et des envies de
toute sorte au gré de son humeur.
«Pour moi qui suis journaliste, le
plus beau mot de la langue française, c’est «aujourd’hui». Hier est
un mot d’historien; demain un mot
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La bibliothèque devrait être le centre
de la maison, où chacun peut venir
farfouiller et trouver son bonheur.
de futurologue. (…) Aujourd’hui est
le mot sur lequel, chaque matin,
s’ouvrent nos yeux et s’éveille notre
esprit. Aujourd’hui sent le café et le
pain grillé. Aujourd’hui est la seule
date qui ne demande aucun effort
de mémoire ou d’imagination».
Au coeur de ce vagabondage quotidien, la bibliothèque! Pour Bernard Pivot, c’est le centre de la
maison. C’est un lieu décentralisé,
d’ailleurs, puisque ses livres nichent non seulement dans le salon,
mais aussi dans le living, dans sa
chambre, et même aux toilettes. Ce
n’est pas l’esthétique des meubles
qui l’intéresse, mais leur contenu.
«Rien ne vaut, dans un salon ou une
salle de séjour l’alignement sur les
rayonnages de centaines de livres
d’édition courante, y compris de
poche, dont on voit bien, aux rides
de leur dos, à la patine du temps,
à une légère fatigue générale, qu’ils
ont été lus puis jugés dignes, sur
leur contenu et non leur apparence,
de rester à demeure, sous le regard
proche et reconnaissant des habitants du lieu».
Pour la chambre à coucher, Bernard
Pivot recommande toutefois une
certaine prudence. Des best-sellers
sur la table de nuit ne peuvent pas
faire de mal, mais des ouvrages plus
durs, plus profonds, risquent d’être
plus troublants. «Les livres ne sont
pas des paquets de mots inertes.
Les romans, surtout, émettent des
ondes qui se glissent dans la tête
sans défense du dormeur et se mêlent à ses rêves, quand ils ne les déclenchent pas». Comment passer la
nuit avec la veuve Couderc ou Macbeth, avec Raskolnikov ou l’abominable Thénardier?, se demande-t-il.
Pour Bernard Pivot, c’est toujours
l’immobilité qui menace. Les lieux
clos et imperméables, où le flux de
la vie devient à la fois prévisible et
répétitif. S’il cultive par-dessus tout
«Vladimir Nabokov
avait un regard
d’architecte-décorateur
et un œil de peintre.
Il donnait à voir, en
particulier les couleurs..
Entre autres mots
se rapportant aux
coloris, il aimait aussi
beaucoup bigarrure
et bigarré».
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Les romans émettent des ondes qui se
glissent dans la tête sans défense du
dormeur. Mieux vaut des ouvrages
légers sur la table de nuit...
la bibliothèque, il aime s’attarder
et rêvasser en un lieu plus étrange:
l’entresol! «L’entresol est un demi
ou un faux étage situé entre le rezde-chaussée et le premier étage,
explique-t-il. Quand il se présente
comme un étage bâtard, l’entresol
paraît bizarre, louche. Il est bas de
plafond et sombre. Ce n’est parfois
qu’une soupente, un appartement
de secours, une garçonnière, un
bureau discret, le grenier du rezde-chaussée. On n’y respire pas
l’honnêteté. Ca sent le complot,
le trafic ou la copulation tarifée.
(…) J’aime bien les personnes qui
vivent ou travaillent à l’entresol,
parce que ce sont les plus romanesques de l’immeuble».
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Il a dit romanesque? Pour Bernard
Pivot, tout est là: les murs, les escaliers, les corridors, les fenêtres,
toute la maison, en fait, doit être
une histoire! Un décor capable
d’éveiller l’imagination et de procurer le sentiment délicieux de vivre
soudain, dans sa vie, comme si l’on
était dans un roman. C’est pourquoi
la maison idéale, selon lui, c’est
celle qui dégage une certaine douceur, une tendresse enveloppante
et un peu insaisissable, comme le
plaisir d’un livre.
L’ancien
animateur
d’«Apostrophes» se rappelle aussi un triste
jour de déménagement: rupture
sentimentale, mais aussi rupture
avec un cadre de vie. «Tandis que
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les déménageurs emportaient mes
meubles et mes livres, je dialoguais avec la belle maison que nous
avions bâtie ensemble et où j’avais
été heureux. Il me semblait qu’elle
partageait mon chagrin, qu’elle ne
comprenait pas plus que moi les
raisons de mon exil. De mes yeux, je
photographiais les murs, les escaliers, les placards, les rayonnages,
la véranda, le jardin. Je chargeais
ma mémoire du plus grand nombre
possible d’images. Je me laissais
une dernière fois envahir par le génie du lieu».
Nostalgie, quand tu nous tiens… n
Jaques Rasmoulado

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