Travail, emploi et droits de la personne

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Travail, emploi et droits de la personne
Travail, emploi et droits de la personne
Été 2007
Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l.
L’interdiction du dépistage antidrogue aléatoire est confirmée
Collaboration spéciale
En 2000, la décision Entrop c. Imperial Oil Ltd. 1 de la Cour d’appel de l’Ontario a créé un précédent
important en ce qui concerne le dépistage antidrogue aléatoire sans avis préalable en milieu de travail. Des
décisions plus récentes en cette matière ont suivi les principes de Entrop et soulèvent des questions à savoir
si le dépistage antidrogue aléatoire sera un jour permis en Ontario, et ce, malgré le perfectionnement des
méthodes de dépistage.
Dans l’affaire Entrop, la Cour d’appel soutenait que, si le dépistage de l’alcool, voire le dépistage de drogues
après un incident (ou pour un motif raisonnable) sont acceptables dans certains cas, le dépistage antidrogue
aléatoire et sans préavis ne l’est pas. Elle fondait en partie son raisonnement sur les techniques distinctes
utilisées pour dépister l’alcool et les drogues. La Cour estimait que le dépistage de l’alcool est acceptable
parce que la technologie de l’ivressomètre peut révéler l’état actuel d’affaiblissement des facultés, alors que
le dépistage des drogues ne l’est pas, la technique utilisée (l’analyse d’urine) ne révélant que la
consommation de drogues par l’employé (et non l’état actuel d’affaiblissement des facultés de cet employé).
Malgré les défauts techniques associés au dépistage des drogues, la Cour soulignait que celui-ci peut être
justifiable après un incident ou si on a des motifs raisonnables de soupçonner que les facultés sont affaiblies
par une drogue.
Deux ans après cette décision, la Compagnie pétrolière l’Impériale a informé ses employés qu’elle avait
rétabli sa politique de dépistage antidrogue aléatoire. À l’appui de ce changement, elle précisait que ses
experts avaient élaboré une nouvelle méthode de dépistage des drogues, soit l’écouvillonnage (prélèvement
de salive), qui pouvait révéler l’état actuel d’affaiblissement des facultés, bien que le résultat de l’analyse ne
soit disponible que plusieurs jours après. Le syndicat a contesté par voie de grief cette politique de
l’employeur.
Le 11 décembre 2006, l’arbitre ontarien Picher a accueilli2 le grief du syndicat. Il a d’abord souligné que la
question qui lui était soumise différait de celle tranchée par la Cour d’appel en 2000. Dans l’affaire Entrop,
on demandait à la Cour si le dépistage antidrogue aléatoire est acceptable à titre d’exigence professionnelle
justifiée aux termes du Code des droits de la personne 3 de l’Ontario lorsqu’un ancien alcoolique et
toxicomane reprend son poste pour lequel la sécurité est particulièrement importante. Or, dans sa décision de
2006, comme l’indique l’arbitre Picher, la question à laquelle il devait répondre, était plutôt de savoir si la
convention collective autorisait l’employeur à faire subir à ses employés un dépistage antidrogue aléatoire
même s’il n’y a pas lieu de croire que leurs facultés peuvent être affaiblies par des drogues.
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Le raisonnement de l’arbitre Picher d’accueillir le grief est fondé sur les points suivants :
1. Le prélèvement par écouvillonnage n’est pas identique à l’ivressomètre parce que ce dernier donne un
résultat immédiat et que l’employé qui obtient un résultat positif ne peut pas continuer à exercer des
fonctions critiques pour la sécurité.
2. Le prélèvement par écouvillonnage, vu le délai d’obtention du résultat, n’est pas raisonnablement
nécessaire pour assurer immédiatement la sécurité au travail. Puisqu’il ne permet pas d’atteindre cet
objectif, il porte atteinte à la vie privée sans raison.
3. En règle générale, l’employeur ne doit pas faire subir à l’employé des tests médicaux ou physiques sans
son consentement.
4. L’acceptabilité du dépistage antidrogue aléatoire dépend de deux facteurs opposés : la préoccupation de
l’employeur concernant la sécurité au lieu de travail et le droit de l’employé d’être traité avec respect et
dignité.
5. Le dépistage antidrogue est une mesure extraordinaire qui, pour être justifiable, doit viser plus que la
simple dissuasion ou la modification d’un comportement; il doit plutôt être conçu de manière à donner
suite à une croyance réelle selon laquelle la sécurité au travail est menacée dans une mesure raisonnable
ou probable.
L’arbitre a rejeté la suggestion de la Compagnie pétrolière l’Impériale voulant que le dépistage antidrogue
aléatoire soit traité comme la surveillance vidéo ou la fouille des casiers au travail, soulignant que
l’obligation de donner un échantillon de ses propres liquides corporels, que ce soit pour une analyse d’urine,
d’haleine ou de salive, constitue une procédure intrusive sur laquelle la vie privée du particulier doit avoir
priorité.
Cette récente décision enracine davantage l’opposition au dépistage antidrogue aléatoire dans la
jurisprudence en droit du travail en Ontario. Dans sa décision, l’arbitre Picher a précisé que ce ne sont pas les
défauts techniques de l’analyse qui rendent le dépistage des drogues inacceptable, mais plutôt l’atteinte qu’il
porte à la dignité de la personne. Par conséquent, l’employeur qui cherchera à défendre le dépistage
antidrogue au travail aura le fardeau de prouver que la sécurité est menacée au lieu de travail.
Au Québec, bien que la jurisprudence québécoise soit beaucoup moins abondante que celle de l’Ontario en
matière de dépistage antidrogue aléatoire, la validité de ces tests effectués au hasard semble, pour le moment,
bénéficier d’une meilleure réception. Depuis l’arrêt Entrop, certains arbitres québécois ont reconnu, en
présence de circonstances particulières, la possibilité pour un employeur d’entreprendre un test de dépistage
de drogue aléatoire envers les employés qui occupent un poste critique pour la sécurité4.
Ainsi, dans Midland Transport Ltée, l’employeur avait établi une telle politique. Or, un manutentionnaire
manipulant des matières dangereuses et opérant un chariot élévateur, avait été sélectionné au hasard pour
subir un test de dépistage. L’employé a expliqué qu’il avait consommé deux jours auparavant, de la
marijuana. Selon la politique de l’employeur, l’employé qui obtient un résultat positif au test de dépistage
doit se soumettre à une évaluation faite par un spécialiste en toxicomanie. Selon le résultat de cette
évaluation, l’employé peut, pendant la période de réhabilitation, être transféré à un autre poste qui n’est pas
critique pour la sécurité. Mais, dans cette affaire, l’employé a refusé de se soumettre à cette évaluation.
L’arbitre a donné raison à l’employeur qui l’avait congédié pour insubordination.
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1) (2000), 50 O.R. (3d) 18 (2000), 189 D.L.R. (4th) 14. Voir :
http://www.canlii.org/en/on/onca/doc/2000/2000canlii16800/2000canlii16800.html;
2) Imperial Oil Ltd. and C.E.P., Local 900 (Re), (2006) 80 C.L.A.S. 273 (M. Picher);
3) S.R.O. 1990 c. H.19;
4) Union des chauffeurs de camions, hommes d’entrepôt et autres ouvriers, Teamsters Québec, section locale 106 (F.T.Q.) et
Midland Transport ltée, D.T.E. 2004T-85 (T.A.) maintenue par la Cour supérieure 2004 Canlii 10210 (Qc. C.S.),
Autocars Orléans Express inc. et Union des employées et employés de service, section locale 800, D.T.E. 2004T-904
(T.A.)