Pyrrhon d`Elis ~-365 — ~-275 Philosophe grec né à Elis, ville du

Transcription

Pyrrhon d`Elis ~-365 — ~-275 Philosophe grec né à Elis, ville du
Pyrrhon d'Elis
~-365 — ~-275
Philosophe grec
né à Elis, ville du nord-ouest du Péloponnèse
Premier maître de l'école sceptique.
Pyrrhon d'Élis n'a laissé aucun écrit, mais selon la description de ses disciples (Timon de
Phlionte, Enésidème) Pyrrhon dit : « Tous nos efforts doivent tendre vers le doute radical et
chercher l'indifférence à la valeur des choses (adiaphorie) qu'on peut atteindre par la
suspension du jugement (épochè) qui amène la paix de l'âme (ataraxie).
Trois listes de tropes sont susceptibles de faire advenir l'épochè :
.
Les raisonnements fondés sur la relativité (tout est relatif)
.
La contradiction (l'opposition)
.
Le diallèle (conclusion circulaire)
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PROPOS SUR PYRRHON D’ÉLIS
*Pyrrhon ou l'Apparence
Par Marcel Conche
Elis était une fort belle cité, avec des gymnases, des temples, des portiques nombreux.
[...] Pyrrhon d'Elis n'a laissé aucun écrit, mais Timon, son disciple, dit que celui qui veut être
heureux a trois points à considérer : d'abord quelle est la nature des choses ; ensuite dans
quelle disposition nous devons être à leur égard ; enfin ce qui en résultera pour ceux qui sont
dans cette disposition.
Les choses, dit-il, il (Pyrrhon) les montre également indifférentes, immesurables, indécidables.
C'est pourquoi ni nos sensations, ni nos jugements, ne peuvent, ni dire vrai, ni se tromper. Par
suite, il ne faut pas leur accorder la moindre confiance, mais être sans jugement, sans
inclination d'aucun côté, inébranlable, en disant de chaque chose qu'elle n'est pas plus qu'elle
n'est pas, ou qu'elle est et n'est pas, ou qu'elle n'est ni n'est pas. Pour tous ceux qui se
trouvent dans ces dispositions, ce qui en résultera, dit Timon, c'est d'abord l'aphasie, puis
l'ataraxie...
[...] Celui qui philosophe selon Pyrrhon, est heureux surtout parce qu'il est sage, du fait de
savoir avant tout que rien n'est par lui saisi (compris) de façon ferme ; et des choses qu'il
saurait, il lui appartient, en sa propre qualité de Pyrrhonien, de ne leur donner son assentiment
pas plus par l'affirmation que par la négation.
[...] Les philosophes qui suivent Pyrrhon sont aporétiques et libres de toute affirmation
arrêtée. Aucun d'eux absolument n'a dit que toutes choses sont incompréhensibles, ni
compréhensibles, mais qu'elles ne sont pas plus (ouden mallon) l'un que l'autre, ou qu'elles
sont tantôt compréhensibles et tantôt non, ou compréhensibles pour celui-ci, non
compréhensibles pour un autre, et, pour un autre encore, ne sont pas du tout; ni que toutes
ensembles, ou certaines d'entre elles, sont attingibles, ou qu'elles sont non attingibles, mais
qu'elles ne sont pas plus attingibles que non attingibles, ou que tantôt elles sont attingibles et
tantôt ne le sont plus, ou qu'elles sont attingibles à l'un et non à l'autre.
Et certes, il n'y a ni vrai ni faux, ni probable ni improbable, ni étant ni non-étant, mais le même,
pour ainsi dire, n'est pas plus vrai que faux, probable qu'improbable, étant que non étant, ou
tantôt ceci et tantôt cela, ou tel pour l'un et non tel pour l'autre. Car d'une manière générale, le
Pyrrhonien ne détermine rien, et pas même ceci que rien n'est déterminé ; mais, dit-il, c'est
sans avoir de quoi exprimer notre conception que nous parlons.
*Extrait de Pyrrhon ou l'Apparence, Marcel Conche, édition PUF, 1994.
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Pyrrhon impassible dans la tempête
*Pyrrhon et le scepticisme primitif
Par Victor Brochard
Épochè, ou suspension du jugement, et adiaphorie, ou indifférence complète, voilà les deux
mots que toute l'école pyrrhonienne répétera : voilà ce qui tient lieu de science et de morale.
[… ] Les disciples de Pyrrhon se donnent le nom de zététiques parce qu'ils cherchent toujours
la vérité ; de sceptiques, parce qu'ils examinent toujours sans jamais trouver ; d'éphectiques,
parce qu'ils suspendent toujours leur jugement ; d'aporétiques, parce qu'ils sont toujours
incertains, n'ayant pas trouvé la vérité.
Il importe de remarquer que le doute sceptique ne porte pas sur les apparences ou
phénomènes, qui sont évidents mais uniquement sur les choses obscures ou cachées. Aucun
sceptique ne doute de sa propre pensée. Le sceptique avoue qu'il fait jour, qu'il vit, qu'il voit
clair. Il ne conteste pas que tel objet lui paraisse blanc, ou que le miel lui paraisse doux. Mais
le miel est-il doux ? L'objet est-il blanc ? Voilà ce qu'il ne sait pas. Il ignore tout ce qui
n'apparaît pas aux sens : il ne nie pas la vision, mais ignore comment elle s'accomplit : il sent
que le feu brûle, mais ne sait s'il est dans sa nature de brûler. Un homme est en mouvement,
ou il meurt : le sceptique l'accorde. Comment cela se fait-il ? Il l'ignore. Si on dit qu'un tableau
présente des reliefs, on exprime les apparences ; si on dit qu'il n'a pas de relief, on ne se tient
plus à l'apparence, on exprime autre chose.
Nul doute, on le voit, que Pyrrhon n'ait fait une distinction entre les phénomènes et la réalité :
c'est à peu près la même que nous faisons entre le subjectif et l'objectif. De là ce vers de
Timon : « L'apparence est reine partout où elle se présente » ; et Aenésidème disait, dans le
premier livre de ses Discours Pyrrhoniens : « Pyrrhon n'affirmait jamais rien dogmatiquement, à
cause de l'équivalence des raisons contraires : il s'en tenait aux phénomènes. »
[...] Quel est maintenant l'enseignement moral de Pyrrhon ? Sur ce point encore nous avons
peu de documents. Il soutenait, dit Diogène, « que rien n'est honnête ni honteux, juste ni
injuste, et de même pour tout le reste ; que rien n'existe réellement et en vérité, mais qu'en
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toutes choses les hommes se gouvernent d'après la loi et la coutume : car une chose n'est pas
plutôt ceci que cela ». En dehors de cette formule toute négative, nous savons seulement que
Pyrrhon considérait l'aphasie et l'ataraxie, et suivant une expression qui paraît lui avoir été plus
familière, l'indifférence comme le dernier terme auquel doivent tendre tous nos efforts. N'avoir
d'opinion ni sur le bien, ni sur le mal, voilà le moyen d'éviter toutes les causes de trouble. La
plupart du temps, les hommes se rendent malheureux par leur faute : ils souffrent parce qu'ils
sont privés de ce qu'ils croient être un bien, ou que, le possédant, ils craignent de le perdre, ou
parce qu'ils endurent ce qu'ils croient être un mal. Supprimez toute croyance de ce genre : et
tous les maux disparaissent ; le doute est le vrai bien : la tranquillité l'accompagne, comme
l'ombre suit le corps. Il restera sans doute ces douleurs qu'on ne peut éviter, parce qu'elles
tiennent à notre nature, le froid, la faim, la maladie : mais ces douleurs mêmes seront rendues
moins vives si on y attache peu d'importance : et le sage Pyrrhonien aura du moins la
consolation d'avoir ôté à la douleur tout ce qu'on peut lui enlever par prévoyance et par
réflexion.
Pratiquement, il vivra comme tout le monde, se conformant aux lois, aux coutumes, à la
religion de son pays. S'en, tenir au sens commun, et faire comme les autres, voilà la règle
qu'après Pyrrhon tous les sceptiques ont adoptée. C'est par une étrange ironie de la destinée
que leur doctrine a été si souvent combattue et raillée au nom du sens commun : une de leurs
principales préoccupations était au contraire de ne pas heurter le sens commun. « Nous ne
sortons pas de la coutume », disait déjà Timon. Peut être n'avaient-ils pas tout à fait tort : le
sens commun fait-il autre chose que de s'en tenir aux apparences ?
Tel fut l'enseignement de Pyrrhon d'après la tradition sceptique. [...]
Extrait de l’article de la Revue philosophique de la France et de l’Etranger,
6ème année, 1885, pages 517-532
A lire
Pyrrhon ou l'apparence, Marcel Conche , PUF., 1994
Pyrrhon et le scepticisme grec, Léon Robin, PUF, 1944.
Esquisses pyrrhoniennes, Sextus Empiricus, trad. Pellegrin, Ed. du Seuil, 1997.
Les Philosophes hellénistiques (1986), t. I : Pyrrhon, l'épicurisme, trad. Anthony A. Long et
David N. Sedley, Garnier-Flammarion, 1997.
Les Sceptiques grecs, Victor Brochard, Livre de Poche, 2002.
Le scepticisme et le phénomène, Jean-Paul Dumont, Vrin, 2° éd. 1985.
Yavana, Patrick Carré, Ed. Phoebus, 1991.
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