La fonction Achats, levier stratégique du rendement de l`entreprise

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La fonction Achats, levier stratégique du rendement de l`entreprise
La fonction Achats, levier stratégique
du rendement de l’entreprise
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Alors que l’informatique, le marketing, ou les
ressources humaines se sont depuis longtemps
imposés dans la hiérarchie de l’entreprise, les achats
peinent toujours à valoriser leurs atouts. Si depuis
quelques années la situation évolue, la fonction Achats
rencontre toujours quelques difficultés à rendre visible
son efficacité dans les comptes.
Un marché plus que prometteur
On estime généralement que les achats, stratégiques et non
stratégiques, représentent selon le secteur d’activité de 40 à
80 % du chiffre d’affaires.
C’est ainsi que selon une étude Mc Kinsey, la part des achats
D.R.
dans le coût total des biens et des services serait de 38 %
dans la santé, 58 % dans la finance, 60 % dans l’équipement, 80 % dans l’industrie automobile et enfin, de 83
% dans la distribution et l’informatique. Eu égard aux secteurs concernés, ces quelques chiffres semblent
logiques. Mais ils confirment d’une part, l’énormité des sommes qui sont en jeu et d’autre part, les lourdes
conséquences sur les profits que peut offrir - le mot est juste - la moindre réduction des coûts d’achats.
D’après une étude du jeune cabinet français Mercuris, les achats de biens et de services non stratégiques des
grandes entreprises françaises, dont le chiffre d’affaires est supérieur à 750 millions d’euros, représenteraient à
l’horizon 2010 un montant de l’ordre de 50 milliards.
Si aujourd’hui les grandes entreprises externalisent une très faible partie de leurs achats de cette catégorie, le
ratio pourrait atteindre 20 % toujours d’ici 2010, soit un périmètre global de l’ordre de 10 milliards d’achats.
En prenant pour hypothèse que le coût global d’une fonction Achat dans un grand groupe se situe entre 1 et 1,5
% du montant des achats, le marché français annuel de l’externalisation de la fonction de ces biens et services
serait donc de l’ordre de 100 à 150 millions d’euros d’ici trois ans.
Ce marché est celui que vont se disputer nombre de cabinets spécialisés, petits ou grands, tant en conseil qu’en
externalisation de la fonction achats.
Il se pourrait de surcroît que le marché des PME/PMI vienne augmenter la part du gâteau. D’après une étude
réalisée en mars 2005 par le CDAF(1), auprès de PME dont le chiffre d’affaires moyen est de 40 millions d’euros,
celles-ci achètent en moyenne pour 19 millions d’euros chaque année, avec un service Achats composé de 3 à 4
personnes directement rattachées dans plus de 50 % des entreprises interrogées à la direction générale.
L’étude révèle l’existence d’un réel gisement d’affaires pour les cabinets, si ceux-ci savaient s’adapter aux
contraintes particulières des PME. A la question «avez-vous déjà conduit une politique d’optimisation de vos
achats ?» 79 % répondent «oui». Mais simultanément, à la question «considérez-vous que vos achats puissent
être optimisés», 89 % de ces mêmes entreprises répondent également par l’affirmative.
L’incompatibilité des deux réponses n’est qu’apparente et semblerait confirmer que la plupart des directions
générales de nombreuses PME/PMI soient en attente de performance sur leurs achats. Trouveront-elles cette
performance avec leurs propres ressources ? Rien n’est moins sûr et cette problématique vaut tout autant pour
les grandes entreprises.
Bien acheter n’est pas inné
Dans un contexte de course permanente à l’innovation, l’acheteur joue un rôle de plus en plus fondamental dans
l’entreprise. L’époque où acheter consistait uniquement à obtenir des remises ou à négocier de bons tarifs est,
on le sait, définitivement révolue.
Aujourd’hui, l’acheteur moderne doit savoir se placer, voire s’imposer, au cœur de la stratégie de son
entreprise, tout en ayant une grande conscience de l’internationalisation des échanges, des avantages et des
inconvénients des pays à bas coûts, de la prodigieuse accélération des cycles de développement et de vie des
produits…etc.
Mais l’acheteur doit aussi avoir le sens de l’éthique, travailler désormais avec les paramètres du développement
durable à l’esprit, apprécier et juger les risques du choix d’un fournisseur plutôt qu’un autre, tout en connaissant
parfaitement les exigences en matière de qualité du client final de l’entreprise… Pas simple, convenons-en !
Une position stratégique
Quoiqu’il en soit, l’importance stratégique de la fonction Achats est avérée. Elle fait aujourd’hui des responsables
des achats (de tout niveau) des acteurs incontournables et majeurs, qui devraient être placés au même niveau
que toutes les fonctions clés traditionnelles de l’entreprise que sont la finance, la gestion, la production, le
marketing, la R&D et les ressources humaines.
«La clé de la performance Achats, c’est de décliner les objectifs de performance à la fois sur l’organisation
Achats proprement dite, mais aussi sur l’ensemble des clients internes des Achats, à savoir les différentes
équipes opérationnelles de l’entreprise», nous dit Grégory Kochersperger, Directeur du cabinet Oliver Wyman à
Paris, en charge pour le monde de l’activité Achats de son groupe.
Cette position stratégique ne se traduit pourtant pas toujours dans les faits et la fonction Achats est encore
rarement représentée dans les comités de direction.
On constate également que les cadres à haut potentiel commençant leur carrière dans l’entreprise font des
stages plus ou moins longs dans tous les départements (commercial, marketing, gestion, finance, ressources
humaines..etc), mais très rarement aux Achats.
Deux moyens pour améliorer la performance
En réalité, la complexité de la fonction ne semble pouvoir être traitée, si ce n’est résolue, qu’à deux conditions :
soit faire appel à un cabinet conseil spécialisé, soit améliorer les compétences de ses équipes internes, soit
encore et c’est souvent le cas, les deux à la fois.
Les cabinets spécialisées
Durant des années, seuls de grands cabinets, souvent d’origine américaine, ont occupé pratiquement à 100 % le
terrain. Qui ne connaît pas les noms de Mc Kinsey, Boston Consulting Group ou autre Accenture et Oliver
Wyman (ex. Mercer, filiale de Marsh & Lennan). Dans ce domaine comme dans de nombreux autres appartenant
à l’univers de l’entreprise, il faut bien admettre que les anglo-saxons ont souvent eu un temps d’avance.
Mais avec l’émergence du marché en Europe et bien entendu en France, naissent toujours des challengers et de
jeunes sociétés. Elles sont d’autant plus crédibles et compétentes que leurs managers et créateurs sont
généralement passés par ces «fameux» cabinets anglo-saxons.
Pourquoi faire appel à un cabinet conseil en matière d’Achats ? La question peut paraître surprenante. Elle ne
l’est pas puisque de nombreuses entreprises estiment pouvoir s’en passer. Voilà ce que nous a confié le
Directeur d’Oliver Wyman : «…si un directeur général qui a créé une direction des Achats avec une bonne équipe
considère qu’il a réglé sa problématique…il se trompe».
Outre d’apporter un regard neuf et une méthodologie, un cabinet conseil en relation directe avec une direction
générale ou une direction financière constitue un signal extrêmement puissant envoyé à tous les rouages et à
toutes les équipes de l’entreprise.
Selon Amaury Fournial, vice-président du cabinet Mercuris (filiale des Caisses d’Epargne), il faut distinguer trois
catégories d’entreprises ayant des besoins réels de conseils ou d’externalisation totale ou partielle de la fonction
Achats :
1. Celles qui n’ont pas encore de fonction Achats. Il faut donc la fonder en partant de zéro. Ces sociétés peuvent
être intéressées par les offres des cabinets spécialisés qui leur permettent de bénéficier immédiatement d’une
expertise Achats et ce, finalement, avec des équipes assez réduites en nombre, donc a priori très économiques.
2. Celles qui ont déjà une organisation Achats au niveau global, mais qui éprouvent quelques difficultés à
décliner leurs bonnes pratiques au niveau local. Ces entreprises peuvent avoir mis en place une organisation
Achats groupe ayant de très bons accords cadres, mais qui ne sont finalement jamais appliqués au niveau d’une
filiale, d’un pays ou même d’une région. Dans ce cas, les entreprises ont besoin d’une équipe clé en mains qui
reprenne la partie des achats qui ne fonctionne pas. Elles peuvent alors confier cette «petite» mission ponctuelle
ou permanente en externe, en envisageant éventuellement à terme d’étendre le périmètre d’intervention du
prestataire choisi.
3. Celles enfin qui ont une fonction Achats très mature (exemples : les constructeurs automobiles ou les
fabricants d’ordinateurs) avec des équipes souvent de plusieurs dizaines voire centaines de personnes dédiées
aux Achats, utilisant des process très rigoureux. La problématique de ces sociétés n’est pas de réaliser
rapidement des économies qu’elles font déjà. Elles sont en revanche confrontées à une problématique de
gestion des ressources humaines. Elles assument parfaitement les achats stratégiques cœur de leur métier,
mais considèrent ne pas avoir à consacrer la moindre ressource aux achats non stratégiques. Elles ont besoin
de se «débarrasser» de cette fonction, en la confiant intégralement à des équipes externalisées.
Les gisements d’économies sont parfois bien cachés
Selon le principe du «nez dans le guidon», les équipes internes ne sont pas toujours les mieux placées pour
traquer la création de valeurs. Sous la pression de la compétitivité et de la concurrence, une direction générale
ne demande souvent à son service Achats qu’une seule mission : réduire les coûts.
C’est évidemment et a priori parfaitement louable, mais trop restrictif. Tous les spécialistes et experts en
stratégie Achats prônent clairement de sortir de cette logique qui peut avoir des effets pervers et court
termistes.
L’exemple classique est de perdre un bon fournisseur ou sous-traitant à la suite d’une négociation trop rude. Il
aura accepté sur l’instant mais elle lui fait perdre de l’argent (avec un risque de faillite) ou risque à terme de le
pousser à réduire progressivement la qualité de son produit ou de sa prestation. Après avoir subi quelques
revers en ce domaine, l’industrie automobile est revenue de ce type de pratiques.
Un bon acheteur doit donc connaître parfaitement le métier de son fournisseur. Il peut même aller, nous dit
François Bories, associé du cabinet Corporate Value Associate, jusqu’à lui proposer d’étudier avec lui la façon de
réduire son prix de vente tout en protégeant sa marge. Cette mission ne semble pas évidente à assumer seul et
l’appel à un cabinet conseil peut là aussi se justifier.
Parmi les créations de valeur bien cachées, on peut distinguer par exemple le coût total de possession. Exemple
: à quoi sert d’acheter une machine dont le prix est de 20 % inférieur à une autre, si elle génère des frais de
maintenance deux fois supérieurs chaque année ?
On comprend vite que l’économie dans ce cas n’est qu’apparente et même fictive, car elle peut même être
négative sur l’échelle de trois ou cinq ans.
Autre exemple qui nous est fourni également par François Bories : la libération de temps et la création de
disponibilités. Les calculs seront certainement difficiles à faire avec précision, mais que vaut une heure de temps
libérée d’une équipe de production dans un atelier ou une journée d’un vendeur sur le terrain. Dans le premier
cas, ce sera une machine au tarif plus élevé mais mieux conçue. Dans le second, ce sera par exemple un
contrat avec un loueur de véhicules en longue durée dont le responsable Achat aura pris soin de prendre l’option
de mise à disposition d’une voiture dans les deux heures en cas de panne.
Les écoles ou organismes de formation
L’entreprise peut mettre à la disposition de ses équipes d’Achats les meilleurs systèmes et logiciels
informatiques ou les outils de veille les plus performants, elle peut développer les outils collaboratifs les plus
sophistiqués, elle peut structurer intelligemment ses services… tout cela touchera vite la limite de l’efficacité si
les responsables et leurs équipes ne sont pas de vrais professionnels des achats.
L’augmentation des compétences est assurément le deuxième levier pour assurer professionnellement la
mission de plus en plus complexe confiée aux responsables des achats.
Ce n’est pas l’objet de ce dossier, mais rappelons simplement que pour les juniors souhaitant faire des études
bac + 4 ou 5, la plupart des écoles de commerce proposent désormais des cursus Achats aboutissant à un
Master.
Pour les professionnels, il existe deux grandes façons d’augmenter leurs compétences :
1. Les formations non diplômantes
• les séminaires inter entreprises : ils sont proposés par des organismes de formation agréés (Cegos, Demos,
Centor Idep… etc). Ces organismes possèdent généralement un catalogue et une panoplie complète de
formations sur l’ensemble des compétences requises pour les achats et selon les niveaux du personnel concerné.
• Les séminaires intra entreprises : ils sont généralement délivrés par les mêmes organismes, mais aussi par
quelques écoles de commerce privées. Les intra sont dédiés et adaptés à chaque entreprise.
Notons que ces types de formations sont très segmentés. Elles développent sur 3 à 5 jours des compétences
très précises liées aux achats.
2. Les formations diplômantes
Réservées aux professionnels ayant au minimum 7 à 10 ans d’expérience, nous sommes là dans l’univers du
troisième cycle, aboutissant à l’obtention d’un Master ou même d’un MBA.
Ce type de formation suppose un accord entre le cadre salarié et son entreprise qui la finance dans 90 % des
cas. Les sessions en temps partagé sont bâties sur le modèle 1 semaine par mois sur 15 ou 18 mois. Certaines
universités ont créé des pôles dédiés, comme par exemple l’IMA (Ingénierie et Management des Achats) sous
l’égide du pôle universitaire Léonard de Vinci à Paris La Défense.
A Bordeaux, il existe le MAI (Management de l’Achat Industriel), essentiellement dédié aux juniors, mais qui
propose des sessions pour les professionnels.
En France, le seul MBA Achats agréé par l’AMBA(3), est celui de l’EIPM (European Institute of Purchasing
Management) à Archamps, à cinq minutes du centre de Genève. L’EIPM présente l’originalité d’être une école
créée par de très grands groupes internationaux et exclusivement dédiée aux achats. Elle délivre également des
Masters of Science, avec quatre niveaux de compétences.
Notons enfin que dans les entreprises anglo-saxonnes, toute fonction Achats ne peut être assumée que par des
personnes ayant les qualifications officielles ad hoc. Il n’est pas impossible que ce type de contrainte arrive
progressivement en France. Ne doutons pas que cela accélérerait la reconnaissance définitive d’un métier
complexe, désormais reconnu comme un des grands leviers du rendement de toute entreprise.
Par Richard Gram
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