XIII – Plus on met d`eau dans la soupe, moins elle est épaisse
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XIII – Plus on met d`eau dans la soupe, moins elle est épaisse
185 XIII – Plus on met d’eau dans la soupe, moins elle est épaisse Revue de presse. Brouillon a disparu. On mure l’ossuaire. Šebek assassiné. Denfert, le lion alors de choir. L’éditorial de B.-A. Lehry. Une découverte génétique. Les membres du jury pour le prix de l’Originalité des Unes de quotidien auraient un mal de chien à départager les ex æquo de la dernière place, en ce lundi matin. Sur cinq colonnes barrées de noir, les six journaux de la presse «!nationale!», c’est à dire ceux dont le siège social est parisien, offrent la preuve flagrante que les feuilles d’opinion ont depuis lurette cédé toute la place aux canards d’un pignon et d’un seul. Inventaire exhaustif!: «!L’HORREUR!!!» (deux fois), «!LA BARBARIE!», «!TOUT FAIRE POUR ARRÊTER L’HORREUR!!!», «!DU SANG ET DES LARMES!», «!AU-DELÀ DE L’INHUMAIN!». La presse régionale à l’unisson!: «!SCÈNES DE GUERRE À PARIS!», «!TERREUR À PARIS!», «!C’EST LA GUERRE!!!», «!MONSTRUEUX!!!», et autres «!JUSQU’AU BOUT DE L’HORREUR!». 186 «!VICTOIRE DE L’ANGLAIS SHELDON AU DANTESQUE GRAND PRIX DE SAINT-MARIN!», sous-titre!: «!Une course faussée par la main de Bombyx!?!» Ça c’est l’Équipe, lauréate du prix susmentionné. Ou l’art d’accentuer différemment un même événement. La Croix n’avait pas voulu être en reste avec son sportif confrère et titrait!: «!LE PAPE A PRIÉ POUR NOS MARTYRS DE SAINT-SULPICE.!» Premier accessit. On n’ose conjecturer quelles platitudes titreront les hebdomadaires, à partir d’après-demain. Tous les clichés des reportages photographiques, des articles et des éditoriaux transpirent de désolation. Partout le rappel de l’arithmétique pompeusement funèbre, pavé encadré, de «!la série rouge!» ou de «!la semaine sanglante de Bombyx!»!: CENT TRENTE-SEPT MORTS EN SIX JOURS!! Mardi, Épinay-Villetaneuse, treize morts. Jeudi, Paris-Trocadéro, quarante-deux morts, dont le duc de Monthéard, le général James Emprain, l’actrice Dorlote Barbie et huit policiers. Vendredi, Parc animalier de Glauzy, deux morts. Samedi, en Italie à Bologne et Imola, cinq morts, dont deux policiers locaux et un sosie de D.!B. Dimanche, Paris, église Saint-Sulpice, trente-deux morts, dont le sénateur Julien Poitevin (apparenté PS) et l’abbé Roland Nadosse. 187 Commissariat du sixième, seize morts!: le sénateur José-Pierre Groslard (PS) et quinze policiers. Paris, place Saint-Sulpice, vingt-sept morts, parmi lesquels l’académicien Patrice Beldourg, le sénateur Alain Bibirre (Les Verts) et l’éditeur nordiste Guy Jeubande. Et on y va de trois, quatre ou cinq pages sur «!le fait du jour!». Rédacteurs en chef, politologues, criminologues, psychanalystes, zoologues, astrologues, potinières et bien-informés sont sur le pont. Extraits. «!La classe politique unanime condamne.!» «!Que cherche Bombyx!? Qui est-il!? Que veut-il!? Jusqu’où ira-t-il!?!» «!Premier portrait-robot de l’Ennemi public.!» «!L’État déstabilisé!? La main de l’étranger!? DST et DGSE sur les dents.!» «!Le Président de la République s’adressera ce soir aux Français. Remaniement ministériel en vue!?!!» «!Renforcement du plan Vigipirate. Pour raisons de sécurité de la population, tous rassemblements et manifestations interdits jusqu’à nouvel ordre. Première conséquence!: le concert du groupe les Boxcar Bertha, qui devaient se produire ce soir aux Buttes Chaumont, est annulé.!» «!Paris sous haute surveillance. La troupe aux points stratégiques. Des renforts blindés attendus dans la journée. Les galeries souterraines vont être murées.!» «!Vers l’état de siège!? L’instauration du couvrefeu à l’étude.!!» 188 «!Minute de silence au Sénat et sous la Coupole pour les victimes piétinées.!» «!Le Premier ministre, accompagné des ministres de l’Intérieur, de la Culture, de l’Environnement, s’est précipité dans la soirée sur les lieux du drame.!» «!Trouillard est-il l’homme de la situation!? Coup de balai dans ses services!: son adjoint chargé du Renseignement est limogé.!» «!Les huit policiers tués au Trocadéro et les quinze de Saint-Sulpice seront nominés (sic) chevaliers de la Légion d’honneur à titre posthume.!» «!C’est le portrait-robot de Bombyx qui a sauvé le poète Alain Joufflu!: J’étais au quai des Orfèvres, j’ai annulé pour cela une signature de mes œuvres au Marché de la poésie.!» «!Notre confrère L’Équipe est sans nouvelles de son envoyé spécial au G.P. d’Imola, Denis Brouillon. Son compte-rendu de la course n’est jamais parvenu à la rédaction. Ses proches s’inquiètent.!» Et enfin, l’éditorial du quotidien d’extrême droite!: «!Comme toujours, l’immigration est synonyme d’insécurité. Le lobby humaniste peut encore larmoyer tout son soûl, mais le fait est là!: ces animaux venus de l’étranger, ils ne sont pas comme nous, voyez leur trompe. Et ce n’est pas être raciste que de dire cela. Odeur, bruits, culture en sont aux antipodes des bœufs, des porcelets, des baudets de chez nous. Même folle, jamais une vache ne tue de Français. La patrie est menacée par des hordes de bêtes ethniques!? Expulsons-les du sol national!!!» 189 Décidément, Présent n’a rien à offrir. * * * Le juke-box laser diffusait Java Rave. J’ai du sang plein les noisettes Je chiale sur mon lavabo ‘Y a des rats sous la moquette Du cyanure à l’apéro Au petit bal des gisquettes Mouillées jusqu’au blanc des os J’en ai gros dans la braguette La vie ne fait pas d’ cadeau J’ai tronché toutes les minettes Ma purée dans leurs naseaux C’est toujours toi dans ma tête Qui torgnole ma libido… Debout au zinc, P’tit Marcel, à cette heure presque encore matinale, entrechoqua son ballon de Bordeaux à celui de Grand Gégé. – À la bonne mienne. – Et réciproquement. Claquement de langues. – Je me d’mande, «!grand cru de Médoc!», ‘y a pas une contrepèterie, là!? – Meuh non. 190 – Ça r’ssemble, pourtant. – T’as raison, ça r’ssemble, mais ‘y a pas de contrepèterie. – Ouais, mais quand même… – Ah, commence pas à m’ les brouter. Puisque j’ te dis qu’y en a pas. – Bon, ça va, t’excite pas. ‘Y en pas et c’est marre. – Qu’est-ce qu’y viennent foutre, ceux-là!? Par la baie du Rendez-vous, on voyait un camion militaire vomir une bordée de bérets verts, casque léger au ceinturon et mitraillette à la main. Alignement serré devant la rue de Grancey. – Caporal Douville de base!? – Présent. – Prenez vos distances. Section, garde à vous!! Repos!! Garde à vous!! Au rapport!! Considérant d’un œil hiérarchique sa collection de treillis à deux pattes, l’adjudant Petchanatz beuglait ses instructions. – Trois hommes avec le caporal devant le lion!! Deux pour garder l’entrée du bâtiment!! Quatre avec moi pour accompagner les civils!! Les autres peuvent buller au camion!! Relève dans deux heures!! Rompez les rangs!! Les «!civils!» étaient, casques de chantier au crâne et rouleaux de plans sous le bras, deux inspecteurs généraux des Carrières. Une poignée de maçons, contremaîtres, ouvriers et manœuvres, s’employait à transbahuter des parpaings 191 et des sacs de béton, qui allaient s’empiler devant l’ancien octroi de la barrière d’Enfer. – Mais… Y vont murer l’Ossuaire, ces sagouins!! – Ben oui, rapport à Bombyx. T’as pas lu les journaux!? – Pourquoi, y veut voler les crânes et les tibias, c’t’!homme-là!? – Mais non, tête de nœud!! C’est par les galeries qu’il promène ses éléphants. – Ah!? Bon… Mais y sont pas sortis de l’auberge, les troufignons. Pas’que des galeries, sous nos arpions, en veux-tu en voilà. – Tu peux l’ dire, Elvire. C’est même marqué dans le journal. Tiens, r’garde!: mille huit cents mètres de Catacombes, sept mille sept cents sous l’ cimetière Montparno, mille huit cent quatre-vingts sous l’ Val de Grâce, mille quatre cent quarante-deux sous SainteAnne… – Tu crois que les loufs peuvent se débiner par là!? – En tout cas, c’est remblayé sous la Santé depuis la construction. Jamais trop prudents… – Y sont chtarbés, les bidasses, qu’est-ce qu’y croivent. Un éléphant, y passe pas, dans les Catacombes. ‘Y a quoi, au plafond!? – Les couilles à tonton. – Ta gueule, t’es con, toi. Je parle de la hauteur. – Eh les gars, incroyable!! ‘Y a P’tit Marcel qui parle de hauteur!! – Ferme tag’, j’ m’exprime. Alors, deux mètres, deux mètres trente!? 192 – Dans ces eaux, ouais. – Parle pas d’eau, enfoiré!! Et finis ton verre. – Remarque, plus loin, ça passe. – Qu’est-ce qui passe!? – Ben les éléphants, pardi, écoute qu’est-ce qu’on te dégoise!! ‘Y a des coins, ça monte bien à quarante mètres. – Tu l’ finis, ton verre, ou merde!? – J’ te l’ dis, ‘zont pas fini d’en baver, les mecs!! Vise un peu le taf que ça leur fait!! Sans parler des aller et retour de matos dans les escaliers!! – Y sont bons jusqu’à la nuit. Mince de chantier!! – Y ‘zont qu’à danser, plutôt. – Oh, laisse béton!! – Ça y est, y rentrent tous dans la bicoque. – Les Athéniens s’atteignirent. – Hein!? – Ça vient d’Athènes. – Ah oui!? J’ sais pas, mais moi, les gus au turbin, ça m’ donne soif. Patron, la même tournée!! * * * «!Le train est arrivé lentement gare de l’Est. Tous freins grinçants, il s’est arrêté. Šebek est sorti de son compartiment et son pied a foulé le sol parisien. «!Il n’a pas l’intention de rester longtemps ici. Il se rend en Angleterre. Il a prévu de franchir à pied le tunnel sous la Manche. 193 «!Il a descendu le boulevard de Sébastopol. «!Un étui à violon et à marionnettes, vide, se balançait au bout de son bras. «!Arrivé à la Seine, il a grommelé avec mépris!: «!– Elle est plus étroite que la Vltava à Prague. «!Il s’est assis au bord de l’eau, sur son étui à violon et à marionnettes, vide. Derrière un buisson, deux clochards l’observaient. «!– Dis voir, a dit le plus petit, un peu bossu. C’est Jean-Loup Ragondin, n’est-ce pas!? «!– Tu as raison, a dit le plus grand. C’est lui, ce Jean-Loup Ragondin qui s’est tiré avec le fric que nous avons volé à la poste!! «!– Il a bu, a dit le bosco. Et il a le vin mauvais. «!– Já mu vkydnu čúro do hrbu… «!C’était de l’argot tchèque, quelque chose comme et mon cul, c’est du poulet!? (Litt.!: Ma bite dans ta bosse). Le père du plus grand, un Tzigane, avait quitté, avant-guerre, la Bohême pour la France. «!Šebek tournait le dos au buisson. «!Quelqu’un, tout à coup, l’empoigna par l’épaule et le força à le regarder dans les yeux. «!– Salut, Jean-Loup, a dit le bosco. «!– Ça va!? a demandé le plus grand. «!– Promiňte, ale já nerozumím francouzsky, pánové. (Excusez-moi, mais je ne comprends pas le français, messieurs.) «!Et il s’alluma une cigarette. «!– Monsieur parle tchèque!? s’étonna le Tzigane. 194 «!– Cher Jean-Loup, où as-tu appris cette langue, un vieux clodo parisien lavé à l’eau de Seine comme toi!? s’étonna à son tour le bosco. «!D’un coup, une lame finnoise a étincelé dans l’obscurité. Le bosco tenait toujours l’épaule de Šebek. «!Il lui plongea le couteau dans le cœur, par derrière. Les mains de Šebek eurent une sorte de long tremblement. Dans un râle, il s’est écroulé sur le dos. Petit filet de sang à la commissure des lèvres. «!Le bosco arracha le couteau, l’essuya sur l’herbe. «!Les yeux de Šebek avaient tourné au vitreux. Quelques derniers soubresauts et il rejoignit l’éternité. «!– Qu’allons-nous faire de lui!? gronda le grand. «!Le bosco réfléchit. Il regarda tout autour et dit!: «!– Là, dans l’ancien abri antiaérien. On va le jeter dedans et l’enfouir sous des cailloux. «!Ils s’attelèrent à la besogne. «!– Jean-Loup Ragondin, requiescat in pace, dit le bosco en déversant quelques pierres. «!Le Tzigane, casquette retournée sur la nuque, épandit une couche d’argile dans la fosse et cracha. «!– Tu vois, Jean-Loup Ragondin, nous t’avons pourtant léché comme il faut!! «!L’étui à violon et à marionnettes, vide, gisait dans l’herbe, solitaire. Šebek, sous la caillasse de son caveau improvisé, resterait éternellement muet. «!Les deux mendigots s’éclipsèrent. 195 «!Quand soudain, là, à l’entrée du square, de derrière la guérite Morris, surgit un homme, barbu à grosses lunettes. «!C’était Karel Šebek, en pleine forme, qui leur barrait la route!!!» Lotfi Maurdican avait fini de lire le rapport dactylographié que lui avait posté Pavel Řezníček, détective privé à l’agence Doutník, rue Gabrielova à Prague, filatures, adultère, renseignements, espionnage industriel, enquêtes de voisinage, dans toute l’Europe et même ailleurs, devis sur commande. Un large sourire enjolivait son visage. – Impeccable!! Ça marche!! Ils vont bien finir par comprendre que l’éternité, c’est pas pour tout le temps. Il serra les feuilles en un tiroir. – Et maintenant, à l’ouvrage pour le stade suivant!: la duplication en série. * * * Vers quatorze heures, le tout dernier quotidien du soir en remit une couche. Le Monde évoquait les opérations souterraines de murage commencées sans murmures dans la matinée. Accès et issues du réseau avaient été inventoriés et gardés par des régiments d’élite. Interdiction absolue de stationner à leur aplomb. Il rendait aussi compte de la première catastrophe survenue, déjà!!, dans le cadre de ces travaux. 196 Le Lion de Denfert-Rochereau, socle et statue, s’était englouti dans le sous-sol, se morcelant en blocs épars et happant du même coup les quatre légionnaires qui y battaient la semelle. La circulation des automobiles et des rames de métro avait été aussitôt interrompue. Les immeubles de la place évacués. Les piétons déviés. Un témoin, monsieur Marcel Bolet, imprimeur au chômage, avait tout vu depuis le café voisin. «!La tête de la statue a roulé jusqu’au boulevard Arago, ses yeux dans la direction des Gobelins. Ce qui fait que maintenant, le regard de lion regarde l’Est…!» Étrangement, aucune explosion n’avait été ouïe. Tout était sage et le Lion alors de choir. Puis les cris de désespoir létal des sentinelles, très audibles dans l’écroulement des profondeurs. Le reporter n’avait pas jugé bon de reproduire la suite des propos de P’tit Marcel!: «!Puisqu’y paraît qu’y faut dire “!madame la ministre!”, y faut que vous écrivez “!le sentinelle!”!! C’est pas des gonzesses, les pioupious!!!» À l’heure de mettre sous presse, pas encore de communiqué officiel. Il s’agissait sans doute d’une cloche de fontis ayant cédé et entraîné la voûte, comme il se produit tous les vingt ans en moyenne dans le Sud parisien. Mais pourquoi pas un acte de représailles de Bombyx!? Peut-être avait-il tenté un baroud d’horreur, devant la contre-offensive d’État, en cassant du monument et de la bâtisse administrative!? 197 Car le bruit courrait que des artificiers démineurs avaient été dépêchés illico presto sous l’hôpital du Val de Grâce, sous la faculté de Droit de la rue d’Assas et sous l’école des Mines. Y aurait-il à craindre quelque explosif à retardement!? Baroud mâtiné de facétie douteuse!: miner l’école des Mines, l’infamie du calembour redondait celle de l’exaction. Par ailleurs, Le Monde rassurait les habitants de Montmartre. Si la Butte est un gruyère, plus aucun accès aux galeries n’existe depuis le XIXe siècle. C’est donc râpé pour Bombyx, dans ce secteur. Mais surtout, en Une et suite en dernière page, s’y étalait un virulent placard de Bernard-André Lehry, APPEL D’ÈRE. C’est un triple symbole qu’hier Bombyx avait dans le collimateur. L’État démocratique (le commissariat), la Religion (l’église) et la Beauté (la poésie). Se rend-on compte que c’est cette trinité qui gère l’ensemble du champ de notre vie et même au-delà!: domaine social, domaine spirituel, domaine sensible!? C’est donc à notre vie à tous qu’il en veut, au travers de ce qui lui donne une structure et un sens, de ce qui la justifie devant les autres, devant Dieu et devant nous-mêmes. Il s’avère ainsi être l’héritier résiduel de tous les ennemis passés de la Civilisation!: la populace ivrogne et bestiale de la Commune, les bandes incultes des paysans d’Ukraine, les ignobles soudards duruttiens de la guerre d’Espagne, les émeutiers barbares du tiers 198 monde, les monstrueux poseurs de bombe de la Bande à Baader. Plus généralement, de tous ceux qui, sous couvert d’émancipation, portent en eux les germes du totalitarisme. (…) La poésie, sauvagement molestée hier en son marché, est cette clarté installée en esthétique, où les mots comme les formes s’organisent en figures dont la fonction sacrée consiste à embellir et sublimer la vie réelle. Elle affirme sereinement la richesse, la subtilité et la justesse de la fin qui justifie les moyens, contre la brutalité d’un monde intérieur, tapi dans l’ombre de nos consciences et régi par l’ange du Mal. C’est elle qui scande la marche du monde, qui donne à l’existence l’idoine cadence pour aller tous ensemble vers l’évolution opiniâtre et réfléchie du système libéral. C’est elle qui nous autorise à acquiescer à ce monde, à chasser de nos âmes pécheresses celui que nous portons honteusement en nous, synonyme de déportation, de Goulag, de pandémonium. Nos poètes le savent!: la liberté, la vraie, est celle que légitiment l’autorité sociale de nos démocraties et l’autorité morale des représentants œcuméniques de Dieu sur terre. (…) Finissons-en avec le désespoir!! Depuis qu’avec la chute du mur de Berlin, nous avons fini par comprendre qu’il n’y a plus de classes sociales, plus de tyrans et plus d’idéologies, que toute révolte mène inexorablement à la dictature, c’est un avenir radieux 199 qui s’offre à nous. Où l’autorité de nos représentants élus et de nos libres entrepreneurs va de soi puisqu’elle est la seule qui satisfasse d’un même élan notre raison, notre cœur et nos relations humaines. Saint-Exupéry l’a bien dit que l’amour vrai consiste à regarder ensemble dans la même direction. Cessons de nous regarder les uns les autres — là est la source de la haine, de l’exclusion, de la libido. (…) Voilà à quoi Bombyx, le barbare absolu, s’en est pris hier, par la mort et l’abomination. Oui, aujourd’hui, nous sommes tous des bigotes écrasées, des flics suppliciés, des marchands décimés!! (…) Honni du situationnisme, ce grand spectacle, par l’assurance trompeuse de son impunité, travaille à dissimuler le caractère improbable et paradoxal de son surgissement et met en joue nos valeurs sacrées. Ne nous résignons pas au «!succès!» de Bombyx. Tout ce qui triomphe court à sa perte et il ne dérogera pas à la règle. Il n’y aura pas d’épidémie, nous y veillerons, nous nous ferons pasteurs pour éradiquer cette rage. Il y a au fond de l’homme un sentiment de la catastrophe, qui nous obsède comme l’écho lointain de pulsions à très longue portée qui doivent être, coûte que coûte, tenues en laisse et dotées d’inaltérables muselières. L’ordre du jour est de conjurer cet Inconnu malfaisant, n’est-ce pas là le rôle supérieur des États et des grandes religions, épaulés sous roche par l’Art!? Boucle-la, bouche d’ombre!! Haro sur les grandes exaltations!! Ne voyez-vous pas qu’elles nourrissent en 200 leurs entrailles jalouses, fécondé par Lucifer (le «!porteur de lumière!»!!), l’assommoir hideux des génocides!? Philosophe de la modernité, je fais profession de combattre activement cette étrange énergie, seule force humaine à vouloir donner du lyrisme à la mort. J’appelle à la plus étroite collaboration artistes, universitaires, industriels, scientifiques, élus du peuple, forces de l’ordre, clercs et promoteurs, pour en finir avec cet espace incontrôlable où naissent et se meuvent les nuisibles de l’espèce de Bombyx. Certes, l’être humain est naturellement mauvais. Nous le savons tous depuis que nous avons été chassés d’Éden. Comme une litanie maladive, nous ont interdit de l’oublier Sade, le diabolique marquis, puis Stirner, Lacenaire, Ducasse, Ravachol, Freud, Landru, Bonnie et Clyde. S’il faut la trique pour contraindre l’homme à la bonté, qu’on la lui donne!! Et plutôt deux fois qu’une!! Ma place et ma parole dans la Pensée du nouveau millénaire n’ont pas d’autre justification. Bernard-André Lehry Comme à son habitude, Lehry n’avait pas eu recours à un nègre. À quoi bon!? Lorsqu’il suffit d’ouvrir un livre et d’en recopier, soigneusement mixés, de larges extraits!! Ici, titre et plagiats étaient sans vergogne pompés sur un pamphlet d’Annie Le Brun!1, dont il avait pris 1 A. LE BRUN!: Appel d’air, Librairie Plon, Paris 1988. 201 systématiquement le contre-pied argumentaire et qu’il avait agrémentés de corollaires tout de son cru. Que risquait-il!? Plus d’une plainte portée contre lui s’était soldée, dans le passé, par des ordonnances de non-lieu, faute d’éléments de preuve flagrante. Remarquons que, pour la plupart, elles émanaient d’auteurs inconnus, dont les manuscrits ponctionnés avaient été, curieusement, rejetés après lecture par la maison d’édition dont Lehry était directeur littéraire… * * * En page scientifique, une brève passa relativement inaperçue. L’analyse des marqueurs phénotypiques — en confrontant les groupes AB0, Rh, MNS et HLA du système sanguin — permettait l’identification humaine avec une fiabilité d’environ 99,99!%. Depuis la publication en 1993 de la carte du génome humain, on sait étudier les minisatellites par la technique des sondes multilocus de Jeffrey, ce qui ramène le risque théorique d’erreur à un pour un milliard. C’est à dire que, sur l’ensemble de la population planétaire, nous aurions statistiquement cinq ou six sosies génétiques chacun. Mais l’observation empirique de cette conclusion n’avait jamais été constatée. 202 C’est chose faite depuis hier. Les laboratoires des polices criminelles française et italienne, travaillant de conserve dans les circonstances tragiques que l’on sait, ont établi que l’actrice décédée Dorlote Barbie et la jeune victime — qui n’a toujours pas été identifiée — de la bombe du parking d’Imola possédaient l’exact même patrimoine génétique. Il reste à déterminer si là se loge l’origine de la ressemblance physique entre les deux femmes qui avait frappé tous les témoins. La chose hélas sera impossible dans le cas présent, la tête de la victime ayant été volatilisée dans l’attentat. * * * – Mais pourquoi Champs-Élysées!? se demande Maï Fang.