Pascal Colrat s`est fixé pour tâche de créer des
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Pascal Colrat s`est fixé pour tâche de créer des
Pascal Colrat s’est fixé pour tâche de créer des affiches qui soient vues par le plus grand nombre, qui connaissent les tirages les plus importants et retrouvent leur r ôle originel : rencontrer le regard des autres en étant immédiatement compréhensibles. À Colrat, il importe peu de créer des affiches comme des tableaux, dont la rencontre nécessite de plonger dans les ambivalences expressives et les diverses couches de sens. À cet égard, les festivals ont donné la part belle à l’affiche-tableau, au format 120 x 160 en particulier, et jamais on n’y a vu primées des 4 x 3, symboles de la munificence publicitaire. Colrat rêve de 4 x 3 éditées à des milliers d’exemplaires, diffusées aux quatre coins de la ville, captant l’attention des passants. Mais comment un authentique affichiste, même porté par sa passion, eut-il pu affronter directement un univers devenu cloisonné, séparé, schizophrénique. Il lui fallait bien s’inscrire dans une « mouvance » (l’expression fut très usitée dans l’univers du graphisme). Certaines de ses premi ères affiches semblent de purs produits – bien que déviants dès le premier coup d’œil – du monde socioculturel français du temps de la gauche triomphante, où faire appel à son talent ne jurait en apparence pas avec l’esthétique des épigones de Grapus. Quoi qu’il en soit, dès ses premiers essais, et peu importe le parti pris, Colrat se fit remarquer par son efficacit é, par sa manière de renouer avec la tradition de l’art de l’affiche qui voulait que le message soit simple et rapide. Sa démarche impliquait un langage singulier et novateur, et il était installé dès les premières affiches, mais l’enveloppe en quelque sorte paraissait encore famili ère. Il ne voulait ni la rupture, ni la pérennisation d’un style qui n’avait jamais été le sien. Il cherchait ailleurs, malaisément, dans une position quasi intenable, et qu’il est l’un des seul en France à avoir su tenir. N’importe laquelle de ses réalisations se signale immanquablement. Peu importe le caractère utilisé, jamais le rapport entre le texte et l ’image n’est brouillé, tout au contraire. Mais, au-delà de son évidente clarté, l’œuvre de Pascal Colrat est énigmatique. Au point que ce méticuleux, ce perfectionniste laisse parfois accroire qu ’il y a un je-nesais-quoi de défaillant dans sa conception, qui empêcherait d’en être pleinement satisfait. Colrat lui-même a voulu remédier à ses soi-disant défauts, qui, dans sa position, sont autant de signes d’excellence. Il a abjuré l’autoproduction démago après avoir commis nombre de posters du genre durant les guerres en ex-Yougoslavie. Il s’est fixé comme ligne de conduite de toujours réaliser les photographies de ses affiches, refusant de travailler à partir de documents fournis. Il a cherch é à améliorer son approche de la typographie, et à cet effet il a sollicité quelques robustes polices de caractères en les employant en série pour des réalisations en tout genre. Il s’est également lancé dans l’aventure de la présentation d’affiche en galerie, que personne en France jusque-là n’avait osé perpétrer. (Il faudrait remonter peut-être à Mai 1968 et la réalisation de séries d’affiches par des peintres destinées à être vendues en galerie au profit du Mouvement pour trouver une sorte de pr écédent). La galerie RE, montée par Pierre Staudenmeyer, l’a sollicité et accueilli, ainsi que, plus récemment, le Passage de Retz. Et il a produit des séries d’images à partir de ses propres photographies et de ses propres textes, dont là également l’« enveloppe » paraît avoir une filiation directe – avec Barbara Kruger – mais dont la substance est d’une tout autre nature. On peut même penser que s’il y a pastiche de Kruger, il est parfaitement involontaire et, en somme, injustifié : Colrat ne fait que du Colrat ; il est bien incapable de faire autrement. Ces travaux destinés aux galeries lui ont d’ailleurs valu un solide tir de barrage de la profession, au sein de laquelle, jusque-là, seule l’« autoproduction qui rencontre une commande» était théorisée et tacitement autorisée. En d’autres termes, une autoproduction à la structure immuable que des commanditaires (associations, mouvements, etc.) pourraient éditer pour leur compte, leur suffisant pour cela d’y apposer leur nom et/ou d’offrir quelques moyens à sa diffusion. Des images pour la plupart ferm ées sur leurs certitudes, cadrées sur une vision du monde, destinées à des partenaires sans surprise. Malgré leur aspect propre et rigoureux – les textes sont comme sertis dans la composition –, les créations de Colrat sont ouvertes, modelables à souhait, non cloisonnées. L’expérience menée avec Act-Up est à cet égard révélatrice. Voyant le chasseur pointer son fusil vers le spectateur, l’association a immédiatement perçu le parti qu’elle pouvait tirer de cette image, grâce également au terme « suppléant » qu’y avait associé Colrat. Une affiche d’Act-Up est née, avec un texte et dans une composition différents, mais construite à partir du même visuel, selon les mêmes codes. Pascal Colrat eut le plaisir de voir son image largement diffusée dans la ville, collée par des équipes de militants, vivant une seconde existence dans la rue (une des affiches les plus vues, et les plus lacérées des dernières années). Colrat n’a pas un propos catastrophiste sur l’avenir du graphisme. Il a trop souvent entendu dire que les auteurs avaient disparu et que l’affiche était morte pour encore s ’en alarmer. À ses yeux, c’est plutôt le contraire qui se produit. Il est sans conteste parmi les pionniers de cette renaissance, à la recherche des moyens d’expression et des canaux nécessaires à son épanouissement. M.W. Extrait du catalogue de l’exposition : « Signes de la jeune création graphique en France » © Centre Pompidou / MITHRA