sergi lópez - par Imagine
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sergi lópez - par Imagine
agir Sergi López rencontre Catalan, écolo et anticapitaliste Côté pile, il y a l’acteur formidable avec plus de 60 films à son actif et une sacrée carrière sur les planches. Côté face, il y a l’autre Sergi López : un Catalan pur jus, partisan d’une indépendance « ouverte et respectueuse des différences », anticapitaliste radical et adepte du slow food. Rencontre avec un quinqua généreux, supporter du Barça et amoureux de la vie. Fils d’ouvrier « C’est vrai que le vent tourne en ma faveur depuis quelques années, alors qu’au départ je n’ai jamais rêvé de cinéma, nous dit-il presque en s’excusant. J’ai des propositions en français, en anglais, en espagnol. Je peux me permettre de choisir des projets auxquels je crois, c’est un luxe. J’ai enchaîné des succès, des essais et des 50 D.R. «O n se tutoie, hein ! ». Avec son délicieux accent franco-catalan, quatre mots suffisent à vous charmer. Il est comme ça, Sergi López : drôle, entier et spontané. En février dernier, nous l’avions manqué au Théâtre Jean Vilar où il jouait 30/40 Livingstone, une pièce truculente coécrite avec son comparse Jorge Pico. No problemo, le revoici, par Skype, depuis sa loge à Angoulême, où il poursuit sa tournée : « Ça me fait une petite récréation », nous glisset-il avec un sourire malicieux. Le sourire d’un acteur immense avec 20 ans de carrière, plus de 60 films au compteur, une flopée de bons réalisateurs derrière lui (Manuel Poirier, Stephen Frears, François Ozon, Dominik Moll…) et un César pour son rôle dans Harry, un ami qui vous veut du bien. A 50 ans, Sergi López est un acteur attachant et un militant de la cause catalane, anticapitaliste et écologiste dans l’âme. erreurs. Mais au final, je suis bien conscient de ma situation : dans le contexte social actuel, je suis un vrai privilégié. » A 50 ans, Sergi López est tout sauf un artiste rangé ou présomptueux. Originaire d’un milieu populaire, Catalan de cœur, écologiste dans l’âme, ce père de deux enfants (18 et 20 ans) vit loin du strass et des paillettes. Dans sa petite ville natale de Vilanova i la Geltru, à 45 kilomètres de Barcelone, il aime contempler la Méditerranée, faire ses courses à vélo et passer du bon temps avec les siens. « Mon père était ouvrier électricien, il a travaillé dans une usine de caoutchouc et de câbles. Il n’a pas fait d’études et à l’âge de 12 ans, il a commencé à bosser dans une boulangerie. Ma mère s’est occupée du foyer, de mon frère et de moi, ce qui n’était pas une mince affaire ! », lâche-t-il dans un grand éclat de rire. Sergi et l’école, « ce n’était pas ça ». Ou pour le dire autrement : « Je n’ai jamais lié mon bonheur aux études. Après avoir triplé ma troisième année, j’ai dit ça suffit, j’arrête, je vais imagine 116 - juillet / août 2016 travailler. » Il bourlingue beaucoup, quand le théâtre lui tombe dessus, « comme une révélation ». « Je faisais partie d’une troupe amateur au centre-ville. On avait joué El Pastoret, Le Petit Berger, une histoire drôle que tout le monde connaît en Espagne et qui tourne autour de la naissance de Jésus. » Plus tard, il enchaînera les petits rôles et croisera, début des années 90, la route de Manu Poirier, son réalisateur fétiche. Avant de poursuivre sa carrière atypique, passant du drame à la comédie, du thriller au cinéma social. Sergi López est un enfant de l’Espagne post-franquiste. « J’avais 10 ans quand Franco est mort. J’ai grandi dans une famille ouvrière et un quartier populaire où vivaient beaucoup d’immigrés venus du sud. On parlait le catalan. Mes parents avaient des valeurs mais n’étaient pas particulièrement engagés politiquement. Je me suis construit une conscience politique au fil du temps. » Aujourd’hui, c’est un homme engagé sur trois fronts : l’indépendance de la Catalogne, l’anticapitalisme et l’amour de la terre. « Chez vous, l’idée indépendantiste est liée à la droite, à la performance économique, au repli sur soi. Ce n’est pas du tout ma vision : on peut être de gauche et attaché à sa région ! Je défends une Catalogne ouverte au niveau des identités, des langues, des racines. Je défends aussi le droit, pour chaque région, à se gouverner elle-même. Ce n’est pas en opposition à ceci ou cela, mais dans une approche constructive, avec le sentiment d’appartenance à une même collectivité. » Depuis 2009, l’acteur soutient la cause catalane. En 2011, il a même poussé la liste Candidatura d’Unitat Popular, un parti de gauche indépendantiste. Sa manière à lui de s’engager aussi radicalement dans cette Espagne frappée de plein fouet par la crise financière. « On a transféré énormément d’argent public pour éviter soi-disant que les banques ne se cassent la figure et n’entraînent avec elles tout le pays. Là, la machine s’est emballée, elles engrangent à nouveau des bénéfices. Ont-elles imagine 116 - juillet / août 2016 pour autant reversé aux Etats l’argent dû ? Evidemment que non ! Pendant ce temps-là, on applique des politiques d’austérité et les gens sont au chômage ! », s’emporte l’artiste. Qui voit le système capitaliste comme « une idée totalement immature qui consiste à nous faire croire que l’on peut grandir sans fin, que le bonheur c’est l’éternelle croissance ». Cette même crise financière a plongé son pays dans une grande précarité. « Du jour au lendemain, des gens qui avaient un métier, une maison, une situation ont complètement plongé. Dans le quartier, on se disait : lui, il ne perdra jamais son boulot. Eh bien si, et sa femme aussi ! Cette crise a juste eu ceci de bon : elle a permis de démocratiser la douleur, de montrer à toute l’Espagne que personne n’est à l’abri de la pauvreté. » « Cette Europe me fait honte » Pendant ce temps, la démocratie espagnole trinquait, elle aussi, minée par les discours populistes, la corruption, le désenchantement citoyen… « C’est terrible de voir à quel point la fonction politique s’est dégradée, combien le niveau éthique a baissé. Face à la corruption, j’ai entendu des copains me dire : “Si j’étais à leur place, j’aurais fait pareil.” Au final, ça renforce le chacun-pour-soi. Fort heureusement, il y a eu un grand sursaut collectif. Les Indignés, Podemos, d’autres mouvements citoyens… Une majorité de gens n’ont plus envie de laisser la politique aux mains des élites et des seuls spécialistes. Ils veulent faire valoir leurs droits, faire entendre leur voix. » Il pense notamment à la jeune génération : « Ils s’informent, se posent des questions, s’interrogent sur comment s’organiser collectivement. Ils sont créatifs. Et en même temps, ils sont fragiles, super exposés, matraqués de pub vantant les mérites de mon corps ou ma bagnole. Avec l’idée de possession, de propriété privée, toutes ces conneries. Mais ils sont porteurs d’espoir », insiste le comédien. En même temps, il s’inquiète de l’état du monde, et plus particulièrement de l’Europe : « On essaye de nous vendre un conte de fées. C’est un grand marché économique où chaque Etat vise avant tout ses intérêts personnels. Qu’on arrête avec cette idée bucolique d’Union ! On est tous ensemble ? Où ça ?! Quand les candidats réfugiés arrivent de Syrie, on les repousse, on ergote sur leur nombre, on fait du troc avec la Turquie. L’Europe me fait doucement rigoler ou plutôt elle me fait honte, s’insurge Sergi. En plus de ça, les gens d’en bas n’ont rien à dire. C’est la grande arnaque démocratique. » Le Catalan est également très critique à l’égard de cet Occident « gendarme du monde » : « On nous dit que tout se passe ici, qu’on est la référence, le centre du monde. Il faut sortir de cette vision ethnocentrée. Ecouter, lire, s’informer, se remettre en question, sortir de son petit confort et se mettre à la place des autres. » Il s’inquiète aussi des attentats perpétrés à nos portes, « ignominieux, bien sûr, mais qui ne sont en rien le fait du hasard ou de la malchance : les bombardements, les alliances cachées, les ventes d’armes, les intérêts économiques, ça fait tout même un bout de temps que ça dure ! » Son autre combat est davantage écologique : « C’est tellement évident qu’il faut se battre pour éviter que la planète n’explose d’ici 50 ans. Mais j’ai peur des grands discours. Le réchauffement de la planète, ça m’échappe, c’est tellement énorme, je me sens impuissant. Je crois beaucoup à l’action individuelle, dans une dynamique collective, en évitant le formatage idéologique. Garder un esprit critique face à un marché qui récupère tout, faire des choix éclairés de consommation. » Avec deux copains, Sergi López a tenté d’aller un pas plus loin en créant, il y a quelques années, un restaurant slow food : « Il s’agissait de réhabiliter des variétés de légumes de chez nous et de saison, de soutenir des producteurs locaux qui se battent pour une nourriture plus saine et écologique, mais pas forcément plus chère. On s’est cassé la gueule, mais ce n’est pas grave, on l’a fait », sourit l’acteur. Entre deux sorties de films, une nouvelle création théâtrale en chantier, des scénarios à lire, l’enfant de Vilanova jettera un œil sur l’Euro après avoir savouré la victoire du Barça, son club fétiche, en Ligue des champions face à l’Atlético Madrid : « Autrefois, j’allais au stade, j’étais associé au club. A un moment, j’ai décidé d’arrêter, j’en avais marre de la marque Barça / Qatar Airways, un truc qui ne veut plus rien dire. Je continue à regarder les matches, à vouloir qu’ils gagnent tout, mais j’ai arrêté de payer. » Après ça, Sergi poursuivra sa route. Pour défendre des films et des pièces « qui parlent du monde et nous aident à réfléchir ». Et continuer à nous émouvoir avec son regard malicieux et sa révolte contenue. — Hugues Dorzée 51