alea medical - Institut Maurice Rapin
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ALEA MEDICAL ET ASSURANCE EN RESPONSABILITE CIVILE PROFESSIONNELLE Docteur Christian SICOT Directeur Médical du Sou médical 37 rue de Bellefond 75009 PARIS 2 Fin 1997, le Groupe des Assurances Mutuelles Médicales (GAMM) - qui regroupe en coassurance le Sou Médical et la Mutuelle d'Assurances du Corps de Santé Français (MACSF) - assurait près de 118 000 médecins dont 82 000 exerçaient en libéral. D'après les dernières statistiques publiées par l'Ordre National des Médecins et la CNAM (1996), ces effectifs représentent respectivement 60 % des médecins exerçant en France et 70 % de ceux exerçant à titre libéral. En se fondant sur les déclarations d'accidents corporels adressées par les sociétaires du GAMM - toutes spécialités et tous modes d'exercice (libéral ou salarié) confondus -, la sinistralité - c'est-à-dire le nombre de déclarations d'accidents corporels par an et pour 100 sociétaires - est passée de 0,9/100 sociétaires en 1988 à 1,84/100 sociétaires en 1997, c'està-dire que la fréquence des mises en cause des médecins a doublé au cours de la dernière décennie. Ce résultat n'est qu'une moyenne et, dans certaines spécialités - comme la médecine générale - la progression dépasse 200 %. Evidemment, toutes ces déclarations ne correspondent pas à des accidents fautifs conduisant à une indemnisation des malades ou de leurs ayants droit. Parmi les 9000 dossiers clos par le Sou Médical ces 20 dernières années (1977-1997), la proportion de dossiers ayant conduit à une indemnisation des patients ou de leurs ayants droit après un accident médical reconnu fautif à la suite d'une condamnation pénale, d'une condamnation civile ou d'une transaction amiable, est égale à 24 %. A noter qu'il y a deux fois plus de patients indemnisés par transaction amiable (16 %) qu'après procédures judiciaires (8 %). 3 Dans le groupe non indemnisé, il y a environ un tiers des dossiers ne pouvant pas être l'objet d'un dédommagement notamment en raison de l'absence de préjudice individualisable, mais dans les deux autres tiers, le patient a subi un préjudice, plus ou moins grave, mais non indemnisable en l'absence de faute médicale, selon les conclusions des experts et le jugement des magistrats. Ce pourcentage correspond à ce qu'il est convenu d'appeler "l'aléa médical". L'analyse des dossiers clos par le Sou Médical au cours des 20 dernières années (19771997), des 5 dernières années (1993-1997), et des 3 dernières années (1995-1997) montre une tendance à l'augmentation des accidents non indemnisables, respectivement 76 %, 77,4 %, 78,8 %. Cette évolution est vraisemblablement due à la progression de l'aléa médical, conséquence de l'utilisation de techniques de plus en plus sophistiquées chez des malades de plus en plus graves. Si l'on compare les 5 premières (1977-1981) et les 5 dernières années (1993-1997) de la période 1977-1997, la différence est évidente : en 20 ans, les dossiers clos d'accidents médicaux ont progressé de 112 % mais le pourcentage d'accidents médicaux fautifs (donc indemnisables) a diminué de 12 % On ne peut que se réjouir de la diminution des accidents médicaux fautifs qu'expliquent l'amélioration de la formation des médecins et la plus grande fiabilité des équipements médicaux. Mais la non indemnisation des victimes ayant subi des préjudices parfois graves est évidemment insupportable et on ne peut que comprendre leurs demandes de plus en plus pressantes et la volonté de certains magistrats de juger plus en équité qu'en droit. Dès 1992, conscientes que "le risque médical s'accroît à la mesure de l'efficacité de la médecine", six organisations professionnelles de médecins (Ordre National des Médecins, CSMF, FMF, MG-France, MACSF et Sou Médical) avaient signé une déclaration commune, 4 reconnaissant aux malades le droit à une information loyale et compréhensible et à l'indemnisation du risque médical, revendiquant pour les médecins, le maintien de l'obligation de moyens (et non de résultat) fondement de la mise en cause de la responsabilité fautive, en concluant que l'indemnisation de l'aléa médical relevait de la solidarité nationale. Cette déclaration, comme beaucoup d'autres prises de position, est restée lettre morte et l'on ne compte plus le nombre de projets de lois déposés sans suite ou d'intentions gouvernementales restées au stade de discours. Parallèlement, la situation n'a fait que s'aggraver. Aujourd'hui, le constat que l'on peut porter sur les procédures d'indemnisation des victimes d'accidents médicaux est particulièrement sévère. Ces procédures sont : complexes, longues, aléatoires, inégales et insuffisantes Les raisons en sont nombreuses et bien connues : dualité des juridictions (civile et administrative); non homogénéité des expertises; non homogénéité des jugements; absence d'indemnisation des accidents médicaux non fautifs... Les solutions jurisprudentielles qui tendent à alourdir peu à peu la responsabilité des professionnels de santé - défaut de consentement éclairé et surtout obligation de sécurité résultat - risquent d'aboutir au développement d'une médecine défensive et à l'inassurabilité de certaines spécialités médico-chirurgicales particulièrement exposées. Il est urgent que le législateur apporte l'indispensable solution à l'indemnisation des victimes des accidents médicaux individuels non fautifs graves, à l'indemnisation des accidents médicaux sériels ("catastrophes médicales"), comme à l'amélioration des procédures d'indemnisation des accidents médicaux fautifs. 5 QUE PROPOSER ? L'exceptionnelle ampleur des accidents sériels (exemple : contaminations transfusionnelles par le virus de l'hépatite C) justifie des mesures exceptionnelles d'indemnisation relevant des pouvoirs publics, solution qui a été déjà retenue lors des précédentes catastrophes médicales comme les contaminations transfusionnelles par le VIH et la maladie de Creutzfeld-Jakob transmise par l'hormone de croissance extractive. En ce qui concerne l'indemnisation des accidents médicaux fautifs et non fautifs, il faut : 1- en l'absence d'une unicité de juridiction - souhaitable mais inenvisageable -, harmoniser, en matière d'accidents médicaux, les jurisprudences, les modalités d'accès et de fonctionnement et surtout les délais de prescription des juridictions civiles et administratives. Ces derniers devraient, par exemple, être unifiés à un niveau moyen de 10 ans. 2- instituer une médiation pour l'information des victimes (nombre de plaintes sont déposées pour savoir ce qui s'est passé), le développement de la conciliation et l'accélération des délais de procédures. 3- Réformer l'expertise pour gommer les inégalités entre les victimes comme entre les praticiens. Les experts doivent être choisis par les magistrats mais sur des listes établies à partir de critères médicaux. Cette sélection pourrait être confiée aux sociétés savantes. Il serait souhaitable que les experts soient en activité, appartiennent à la spécialité dont relève le praticien poursuivi et/ou pratiquent la technique mise en cause et qu'ils respectent leur mission (convocation des parties, respect du contradictoire, rédaction du rapport d'expertise ...). L'expertise (en cas de faute) doit être à la charge de l'assureur du médecin (et non de la victime). 6 MAIS, 4- La faute prouvée - dans le cadre d'une obligation de moyens - doit rester l'unique fondement de la responsabilité des praticiens, comme des établissements. 5- Le financement de l'indemnisation des accidents médicaux non fautifs doit faire appel à un mécanisme de solidarité nationale ou d'assurance généralisée (et non de responsabilité). Il pourrait comporter un plafond d'indemnisation. Ses seuils d'intervention devraient être raisonnables. Ces deux recommandations ayant pour objectif d'indemniser un maximum de victimes, compte tenu que les ressources financières du fond d'indemnisation ne seront pas illimitées. En conclusion, les propositions du GAMM (tableau I) consisteraient en la création d'une commission de médiation présidée par un ancien magistrat et qui ferait appel à des experts choisis sur une liste établie à partir de critères médicaux. Si cette commission saisie par une personne victime d'un préjudice à la suite d'un acte médical estime qu'il s'agit d'un accident médical non fautif, le dossier est transmis à la commission d'indemnisation. Si la commission de médiation estime qu'il s'agit d'un accident médical fautif, elle pourrait transmettre le dossier à la juridiction compétente, éventuellement en demandant au fond d'indemnisation d'accorder une indemnité prévisionnelle afin de ne pas créer un déséquilibre entre les victimes d'accidents fautifs et non fautifs. Mais, il serait préférable qu'au préalable, l'assureur du médecin reconnu responsable soit averti pour qu'il puisse proposer à la victime une transaction amiable, comme le fait le GAMM depuis plus de 20 ans avec un succès lié à la simplicité et à la rapidité de ce processus d'indemnisation. Ce n'est que l'échec de cette 7 transaction amiable - relativement rare actuellement dans l'expérience du GAMM - qui déclencherait une procédure judiciaire. Il est sûr que la pierre d'achoppement de ce mécanisme d'indemnisation des accidents médicaux est la constitution d'un fond d'indemnisation pour les accidents médicaux non fautifs. Mais il ne faudrait pas que les difficultés rencontrées actuellement pour le constituer, fasse renoncer à ce qui est immédiatement possible et qui constituerait déjà une avancée très significative pour un grand nombre de victimes d'accidents médicaux.