Lettres - Eki-Lib

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Vous venez me demander de perde du poids, de vous faire maigrir. Vous me
dites que vous avez tout essayé, que je suis votre dernière chance. Il est vrai que
vous avez connu tous les circuits classiques. La dictature des calories et des
régimes restrictifs, la grande tentation des régimes magiques et dissociés,
l’infantilisation des thérapies de groupes. Plus récemment vous avez cédé à la
tentation comportementaliste : manger assise, à table, avec un couvert, une nappe
et des fleurs ; tout consigner sur un carnet, faire ses courses le ventre plein. Je ne
peux qu’approuver ces conseils de bon sens. Pourtant, sérieuses ou désinvoltes,
rigoureuses ou fantaisistes, toutes ces méthodes vous ont amenée à des succès…
partiels, et surtout éphémères. Vous n’êtes certes pas revenue à votre poids idéal
(est-ce possible, est-ce souhaitable ?), vous n’avez pas même conservé l’immense
satisfaction de mincir et, pourtant, vous continuez de clamer : « Je veux maigrir. »
Maigrir, maigrir, maigrir. Nous entendons cette litanie si souvent qu’il nous
arrive,
à
nous
aussi,
médecins
nutritionnistes,
de
rêver.
Maigrir,
étymologiquement, c’est perdre de la masse maigre, c’est-à-dire du muscle, ce qui
se produit inévitablement quand on perd du poids. Notre but cependant consiste à
limiter au mieux cette perte musculaire, source de fatigue et de reprise de poids.
Nous verrons plus loin comment y parvenir.
Mais dans ce « Je veux maigrir », nous rêvons comme vous de tous les
fantasmes que vous caressez : la plage, la mer, les cocotiers ; un corps svelte
bruni par le soleil qui sort de l’eau en monokini.
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Le regard, les regards que vous pouvez croiser, soutenir, sans vous
précipiter dans de grandes serviettes ou d’immenses capes. Finies les corvées de
vêtements à jeter ou à ranger jusqu’au prochain régime. Finis les regards
discrètement méprisants des vendeuses qui évaluent votre corpulence en termes
de manque à gagner. « Il y a des boutiques spécialisées, madame ! » Que
d’humiliations ! Mais ne nous attardons pas tout cela vous le connaissez.
Il y a quelques années, une de mes collègues psychologue dialoguait avec
une patiente en colère qui lui répétait elle aussi « Je veux maigrir ! » La patiente
était furieuse et la psychologue à l’écoute. Scénario classique et pourtant, cette
fois, la psychologue entendit nettement la revendication profonde de l’intéressée :
« Je veux m’aigrir », entendit-elle, comme si sa violence, sa revendication, son
avidité n’apparaissaient pas suffisamment dans son ton tyrannique et désespéré.
S’aigrir, devenir plus dure, méchante même. En finir avec cette éternelle prise en
charge de soi et des autres. Que personne ne manque de rien et je serai bonne
fille, bonne mère, bonne épouse. Sans doute avait-elle programmé toute sa vie sur
ce mode qu’en psychanalyse en qualifie d’« oral ». Besoin d’incorporer, parfois
avec avidité, les objets et les gens qui vous entourent, besoin de donner à tous
ceux qui en ont besoin, besoin de réparer des fautes inexpiables qu’habituellement
vous n’avez pas commises et, en même temps, besoin impérieux de soumettre
l’autre à votre dictature de la bonté, de la générosité.
Je donne et je tiens, je piège l’autre sans le savoir vraiment moi-même.
S’aigrir, serait-ce renoncer, au moins partiellement, à un comportement oral,
devenir plus adulte, plus égoïste, mieux s’aimer ?
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Pour aimer les autres, il faut s’aimer soi-même, dit-on. Comment pourriezvous accepter l’amour d’un homme qui vous aimerait telle que vous êtes? Et la
honte du déshabillage ! Quel corps à aimer ? Celui-là, incapable à vos yeux de
provoquer un authentique émoi, ou l’autre, ce corps idéalisé, cette fillette
androgyne qui vous fait rêver devant les magazines ? Il me revient à l’esprit cette
réplique de Groucho Marx : « Jamais je n’accepterais d’appartenir à un club qui
voudrait m’accepter comme membre. » Vous ne pouvez donc pas être aimée telle
que vous êtes, puisque ainsi, vous n’êtes pas aimable. Mais la médaille à son
revers : vous ne pouvez pas être aimée telle que vous n’êtes pas, vous êtes
condamnée au désamour – et, comme l’a dit Henry Bonnier1, du désamour à la
délinquance, il n’y a qu’un pas. Pour vous, ce sera la délinquance alimentaire, la
plus douce-amère des transgressions, la plus pernicieuse aussi.
1
Bonnier H., 1983
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Vous êtes boulimique. Depuis sept ans déjà, vous vous livrez à cette activité
solitaire, honteuse, cachée. Comme les alcooliques, les toxicomanes, dites-vous.
Vous êtes une « toxico de la bouffe » et vous êtes prête à tout pour trouver une
parade à cette activité qui vous isole, vous désocialise et fait de votre vie un enfer.
Pourtant, vous n’avez guère demandé d’aide jusqu’ici. Vous avez préféré la
clandestinité, le naufrage solitaire. La honte, toujours la honte et pourtant, au fond
de vous, la crainte et même l’angoisse qu’une solution ne soit trouvée et vous isole
de votre précieux symptôme. Je vous fais rire ! Vous donneriez n’importe quoi pour
retrouver votre dignité. Je vous crois sincère, mais je m’étonne du plaisir secret
que vous procure le martyre que vous faites subir à votre propre corps. Et
l’argent, vous ne pouvez pas, vous ne voulez pas investir les sommes
astronomiques que vous réclament les psychothérapeutes de tous poils, mais
vous reconnaissez que vos boulimies vous coûtent parfois très cher. Il est vrai
qu’en période de disette, deux baguettes de pain peuvent suffire à votre plaisir. Je
vous choque ? Je parle encore de plaisir. Devrais-je me contenter, en bon médecin,
de parler de la libération d’une tension irrépressible ?
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Au fond, notre désaccord n’est pas si profond, Sander Radö parlait déjà en
1920 « d’orgasme alimentaire2 » - l’orgasme ne naît-il pas de la libération d’une
tension ? D’ailleurs, vous êtes frigide, ou presque. Votre attitude narcissique vous
pousse à nier. C’Est vrai, vous avez beaucoup de succès et de nombreux amants.
Un peu nympho, alors ? En attendant, toujours celui qui saura vous libérer de vos
« mauvaises habitudes » - c’est ainsi qu’on qualifiait la masturbation il n’y a pas si
longtemps. La libération sexuelle, même freinée par les « années sida », n’a pas
réussi à déculpabiliser la bouffe et le terrorisme de la minceur. C’est là que réside
le véritable tabou, et c’est celui-là qu’il faut transgresser. En quelques décennies,
on a assisté à un renversement des interdits. Freud annonçait déjà que « le buccal
est l’emblème régressé du sexuel » et Gaston Bachelard précisait qu’ « aucune des
valeurs qui s’attachent à la bouche n’est refoulée, la bouche, les lèvres, voilà le
terrain du premier bonheur sensitif et précis, celui de la sensualité permise3 ».
Qu’en est-il aujourd’hui ? La sensualité fait place à la sexualité, trop souvent
traitée en termes de sexologie. Bref, comme ailleurs, on est devenu des techniciens
ou des technocrates de la relation sexuelle. Quel appauvrissement !
Mais j’oublie l’essentiel. Vous êtes confrontée au vide, au manque que rien
ne peut combler, car vous êtes devenue un tonneau des Danaïques, un trou, prêt à
tout avaler, un trou sans bords, sans limites, qu’il faut remplir et remplir pour
lutter contre l’angoisse de n’être rien, anéantie. En fait, vous redoutez plus que
tout l’angoisse qui vous envahit si vous ne cédez pas au « passage à l’acte ». Le
monde bascule alors et c’est un avant-goût de la mort.
2
3
Radö S., 1956
Bachelard G., 1942
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Pourtant, je peux beaucoup pour vous, mais il faut pour cela que vous
laissiez votre honte au vestiaire, que vous renonciez à séduire par ce personnage
plus digne d’Antigone que d’une jeune fille d’aujourd’hui et surtout, que vous
abandonniez l’obsession du poids qui pérennise le cercle vicieux. Jonesco se
plaisait à dire : « Caressez un cercle, il devient vicieux » ; c’est absurde et
surréaliste direz-vous, alors changez de cercle et cessez de caresser des projets
ambitieux et irréalistes qui ne font que vous détruire. Nous sommes quelques-uns
à pouvoir vous venir en aide. Aidez-nous à vous aider ! Prenez le risque d’aller
mieux ! Après tout, se sentir bien n’est pas si dangereux.
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Vous avez déjà perdu 300 kg au moins ! Vous ne croyez plus aux vertus du
régime ! Moi non plus : nous sommes peut-être faits pour nous entendre.
Je sais, vous avez toujours été grosse. Dès la naissance, à l’école, à la
puberté. C’est au moment de votre mariage que vous avez atteint votre poids le
plus bas. Hélas, vous n’avez pu vous maintenir,, ne pouvant indéfiniment vivre
d’amour et d’eau fraîche, et les grossesses ont chacune abouti à un solde positif
de 15 à 20 kg. Bien sûr, vous avez mangé ! Pas tant que ça d’ailleurs, et moins que
d’autres. Mais, vous le savez, chaque bouchée vous profite d’autant plus que vous
bougez de moins en moins. Il est vrai que vous lever, vous déplacer, réclame une
énergie considérable. Il faut également reconnaître que vous avez dû affronter des
difficultés, deuils des parents, réparations conjugales et que « vous avez tout pris
sur vous », comme vous dites, et ça se voit. Il a fallu faire contrepoids aux
ambitions déçues, il a fallu ravaler vos aspirations et vos désirs, simplement pour
assumer un quotidien de plus en plus lourd.
Je sais, votre vie est un roman misérabiliste : c’est pourquoi je n’insisterai
pas sur cette succession de malheurs qui vous ont si durement frappée. Vous
n’avez pas eu de chance. Cependant, reconnaissez que, sans le vouloir, vous vous
êtes vous-même masquée derrière ce gros corps rassurant, hors du champ du
désir, trompe la mort.
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En bonne vivante, vous vous êtes laissée grossir, alternant des jours de
jeûne et des bacchanales gargantuesques, ne sachant jamais refuser ce qui est
bon, ne sachant jamais dire NON, ne percevant aucune limite.
Je sais, il a fallu tuer le temps, annuler presque jour après jour les années
maussades ou misérables que vous avez tant bien que mal affrontées. C’est
aujourd’hui que vous comprenez que l’alimentation est devenue pour vous une
véritable perfusion, un sérum de survie au service de votre chronophagie. Oui, il
vous faut du continu, du plein, du gras, tout ou rien. L’entre-deux ne vous convient
pas, il renvoie trop durement au vide, à la mort, au deuil impossible.
Derrière cette enveloppe, grasse et rassurante, il y a ce que vous redoutez
le plus, l’explosion de votre violence, de votre haine que vous percevez sauvage et
destructrice. Mieux vaut mordre des aliments que bouffer l’autre, tellement votre
avidité est grande ! Vous redoutez votre cannibalisme, et vous avez raison. Mais
attention ! Faute d’exploser, vous êtes aujourd’hui au bord de l’implosion à la
frontière d’une maladie physique redoutable et vous le savez. Il est encore temps
de vous aider, certes sans l’ambition folle de vous faire perdre 50 ou 100 kg mais à
petits pas, de ramener un peu d’élan, un peu de ces pulsions de vie si fortes
autrefois et aujourd’hui reléguées.
Je sais qu’au fond, tout ça est une histoire d’amour qui a mal tourné. Ça a
mal commencé, ça s’est mal poursuivi et nous sommes là tous les deux, au bord du
gouffre. Souvenez-vous de ce qu’Émile Ajar faisait dire au petit Mohammed,
parlant de madame Rosa dans La vie devant soi :
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« Je me souviens que je lui ai dit cela très franchement. Il faut maigrir pour
manger moins. Mais c’est très dur pour une vieille femme qui est seule au monde.
Quand on n’a plus personne pour vous aimer, autour, ça devient de la graisse. »
MÉDIAGRAPHIE
WAYSFELD, Bernard, Le poids et le moi (2003), édition Armand Colin, p.312
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