L`agenda pour l`efficacité de l`aide au développement

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L`agenda pour l`efficacité de l`aide au développement
POLICY BRIEF
#1
Les GRAP sont des Groupes de Recherche en Appui à la Politique financés par la DGD et la CUD.
L’agenda pour
l’efficacité de l’aide
au développement
La coopération au développement avec les pays du Sud
s’est intensifiée suite aux indépendances des années
1960. A cette époque, l’aide était donnée majoritairement
sous forme de projets d’investissement. Suite à la crise
de la dette de nombreux pays dans les années 1980, le
Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale ont piloté la mise en œuvre de programmes d’ajustement structurel visant à rétablir les équilibres
macro-économiques dans de nombreux pays en développement. Ces mesures ont vite montré leurs limites et ont
parfois eu des conséquences néfastes sur les systèmes
sociaux des pays du Sud. La fin de la guerre froide et la
récession en Occident au début des années 1990 ont alors
provoqué une « fatigue de l’aide » internationale, laquelle
a fait l’objet de nombreuses remises en question.
Confrontées à des critiques pressantes et à une remise
en cause de l’efficacité voire de la légitimité de l’aide,
plusieurs agences de coopération ont lancé une vaste
offensive d’évaluations de leurs actions et modes
de fonctionnement, notamment dans le cadre du
Comité d’Aide au Développement (CAD) de l’OCDE. Ces
évaluations ont mis en avant les limites des modalités
d’intervention traditionnelles qui furent identifiées
comme réduisant l’efficacité de l’aide – comme par
exemple le manque de coordination entre les bailleurs
de fonds, le manque de cohérence de leurs interventions avec celles des gouvernements récipiendaires
d'aide ou encore les importants coûts de transaction
et les effets pervers des projets sur les institutions
nationales[1]. Face à ces constats assez consensuels,
la communauté des bailleurs de fonds a alors amorcé,
sous l’égide du CAD/OCDE, une réforme du système de
coopération internationale. En effet, pour rester légitime, l’aide au développement se doit d’être efficace
et d’obtenir des résultats.
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GRAP • Policy Brief #1
Les principes de l’efficacité de l’aide
La nouvelle vision repose sur l’idée qu’afin d’améliorer l’efficacité de l’aide, les bailleurs de fonds doivent laisser plus d’autonomie aux pays récipiendaires dans la conception et la mise
en œuvre de leurs politiques de développement et davantage
inscrire leurs actions dans une stratégie nationale cohérente
et appropriée. Plusieurs principes ont été identifiés comme
concourant à cet objectif d’efficacité de l’aide[1-3] :
célérer la cadence et propose notamment d’élargir le dialogue
au niveau des pays sur les politiques à suivre, de mettre davantage l’accent sur le renforcement des capacités nationales,
de réduire la fragmentation de l’aide, d’améliorer la transparence et la reddition de comptes, et d’augmenter la prévisibilité
de l’aide. Le quatrième Forum de Haut Niveau sur l’Efficacité
de l’Aide au Développement aura lieu à Busan (Corée) fin novembre 2011.
L’opérationnalisation de ces principes
• L’appropriation (ownership) des politiques de développement
par les autorités du pays récipiendaire, et leur leadership
dans l’élaboration de celles-ci ;
• La participation des parties prenantes nationales, y compris
la société civile, à l’élaboration des politiques et stratégies
de développement – l’hypothèse étant que la participation
favorise l’appropriation, qui à son tour favorise l’efficacité
des stratégies ;
• La cohérence des interventions des partenaires extérieurs, à
travers leur alignement sur les stratégies nationales ;
• La coordination des bailleurs de fonds sous la direction du
gouvernement récipiendaire et, pour ce qui concerne la Commission européenne et les Etats membres, la division du travail entre les agences, afin de réduire les coûts de transaction
pour les partenaires[4] ;
• La réalisation d’activités conjointes (missions, analyses, ...)
entre les bailleurs, l’harmonisation de leurs procédures de
gestion et dans la mesure du possible, l’utilisation des systèmes de gestion nationaux ;
• L’orientation vers les résultats et la réduction des conditionnalités de processus ;
• Le partenariat entre les différents acteurs et la responsabilité
mutuelle pour les résultats ;
• Une vision globale et à long terme du développement et de
la lutte contre la pauvreté.
L’essentiel de la communauté internationale et de nombreux
pays bénéficiaires d’aide, réunis au cours d’un Forum de Haut
Niveau organisé par le CAD/OCDE, se sont engagés à s’inscrire
dans ce nouveau paradigme en signant la Déclaration de Paris
sur l’Efficacité de l’Aide au Développement en mars 2005[5]. Elle
consacre les principes du nouveau paradigme et repose sur cinq
piliers : l’appropriation, l’harmonisation, l’alignement, l’orientation vers les résultats et la responsabilité mutuelle, dont le
respect est supposé augmenter l’efficacité de l’aide par sa meilleure intégration dans les systèmes nationaux. Ces principes
sont assortis d’une douzaine d’indicateurs de progrès accompagnés d’objectifs-cibles, mesurés régulièrement à l’échelon
national et suivis à l’échelon international par le CAD/OCDE.
Les engagements de la Déclaration de Paris ont été réitérés
dans le Programme d’Action d’Accra (Accra Agenda for Action –
AAA) entériné le 4 septembre 2008 à la fin du Troisième Forum
de Haut Niveau[6]. L’AAA entend prendre des mesures pour ac-
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La mise en œuvre des principes de l’efficacité de l’aide remet
en question les modalités traditionnelles de coopération et
demande aux bailleurs de fonds de développer de nouveaux
instruments d’intervention leur permettant de s’aligner sur
les stratégies et systèmes nationaux. Un des principaux outils
développés dans la foulée du nouveau paradigme de l’aide est
le Cadre Stratégique de Lutte contre la Pauvreté (CSLP), appelé encore Document de Stratégie de Réduction de la Pauvreté (DSRP), lancé dès 1999 par le FMI et la Banque
mondiale dans le cadre de l’initiative de réduction de la dette
en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE). Il s’agit d’un
document censé être développé de manière participative par
le gouvernement récipiendaire, basé sur une analyse approfondie de la situation et définissant les objectifs et stratégies
prioritaires pour le pays, qui sert de référence à l’ensemble
des interventions d’aide extérieure. A l’heure actuelle, la
grande majorité des pays tributaires de l’aide internationale
ont développé leur CSLP, qui est généralement reconnu par
les bailleurs du CAD/OCDE comme la référence stratégique sur
laquelle baser leur coopération dans les pays. A noter qu’alors
que la première génération de CSLP a principalement mis l’accent sur les secteurs sociaux dans le cadre de la lutte contre
la pauvreté, la seconde génération reconnaît l’importance de
la croissance comme condition nécessaire à cet objectif, et
met donc davantage l’accent sur le développement économique.
Deux autres instruments seront développés dans les prochains numéros des GRAP Policy Briefs. Le premier, à savoir
l’approche programme, est une façon de mettre en œuvre la
coopération au développement reposant sur un appui coordonné en faveur d’un programme de développement unique,
élaboré et principalement mis en œuvre par un gouvernement partenaire. Cette thématique est développée dans le
GRAP Policy Brief n° 2. Le second, à savoir l’appui budgétaire, peut être défini comme « une méthode de financement
du budget d’un pays partenaire via un transfert de ressources
d’une agence de financement externe au Trésor public du
gouvernement partenaire. Les fonds ainsi transférés sont
gérés conformément aux procédures budgétaires du pays bénéficiaire »[3]. Il sera développé dans un GRAP Policy Brief
ultérieur.
GRAP • Policy Brief #1
Les défis de la mise en œuvre
des principes de l’efficacité de l’aide
Si les principes de l’efficacité de l’aide font plus ou moins
l’unanimité sur le fond, leur mise en œuvre pratique pose d’importants défis, tant aux pays en développement qu’aux agences
de coopération. Nous en présentons quelques-uns ci-dessous.
Cette nouvelle façon de travailler n’est pas exempte de dilemmes, par exemple celui de concéder parfois à la qualité
ou à la rapidité des interventions pour respecter les processus nationaux. Mais surtout, elle se heurte à une série de
contraintes institutionnelles, légales, financières et administratives – sans oublier les contraintes politiques et le
souhait de visibilité – associées notamment aux craintes
liées à la perte de maîtrise des interventions par les bailleurs
et à la non traçabilité des fonds en cas d’appui budgétaire.
En outre, elle requiert idéalement une adaptation de la
structure de gouvernance des agences de coopération qui
devrait permettre, autant que possible, la décentralisation
de la prise de décision, afin de pouvoir s’adapter aux processus et évolutions des pays partenaires.
Les défis pour les pays récipiendaires
Le nouveau paradigme de l’aide fait peser l’essentiel de la responsabilité de la conception des politiques de développement
(CSLP, programmes sectoriels, …), de leur mise en œuvre et
de leur suivi-évaluation sur les autorités des pays récipiendaires. Celles-ci sont également censées piloter la coordination
des bailleurs de fonds et des autres parties prenantes, amélioDe manière plus subtile, la mise en
rer leur système de gestion des finances
œuvre de l’agenda pour l’efficacité de
publiques (y compris les marchés puSi les principes de
l’aide signifie idéalement que les agences
blics), améliorer leur appareil statistique
l’efficacité de l’aide font
de coopération ne devraient plus endoset développer un cadre satisfaisant
d’évaluation des résultats. Ceci nécessite
plus ou moins l’unanimité ser un rôle de fournisseur de services aux
populations des pays du Sud. Elles ded’importantes capacités d’analyse, de
sur
le
fond,
leur
mise
vraient plutôt laisser ce rôle aux strucprogrammation et de gestion, dont les
tures
(étatiques ou non) des pays
administrations concernées, soumises à
en œuvre pratique pose
récipiendaires et se réorienter vers l’apdes faiblesses institutionnelles et parfois
d’importants défis
pui au renforcement des capacités instià des contextes fragiles et instables, ne
tutionnelles de celles-ci, ainsi qu’à
disposent souvent pas en quantité et en
qualité suffisantes. Les agences de coopération contribuent l’élaboration et au suivi de la mise en œuvre des politiques.
même parfois à déforcer ces administrations, en multipliant Or, l’appui au développement des capacités est un métier difleurs exigences à leur égard et en détournant leurs meilleurs férent de celui de la gestion de projets de développement, qui
cadres, tandis que leurs interventions d’appui en renforcement nécessite des compétences nouvelles dans le chef du staff des
des capacités sont la plupart du temps insuffisantes et parcel- agences de coopération (voir le GRAP Policy Brief à venir sur
l’ assistance technique).
laires.
Les défis pour les agences de coopération
En signant la Déclaration de Paris, les agences de coopération
ont pris une série d’engagements qui ont des implications
importantes sur leur façon de travailler. On peut citer en
particulier :
• Le respect du leadership des pays récipiendaires et l’alignement sur leurs politiques (globale et sectorielles) de développement ;
• L’ obligation de mieux se coordonner entre elles, avec tout
ce que cela implique en termes de réunions et de partage
d’information ;
• Dans la mesure du possible, l’utilisation des systèmes nationaux de programmation (et donc le respect du calendrier
budgétaire du pays partenaire), de financement (utilisation
des procédures nationales de gestion des finances publiques)
et de rapportage, suivi et évaluation (participation aux missions conjointes de suivi et aux revues sectorielles, utilisation des indicateurs de performance et des rapports
nationaux, évaluations conjointes).
Le mot de la fin
En conclusion, la mise en œuvre des principes de l’efficacité
de l’aide offre des perspectives très intéressantes et permet
de nourrir des espoirs légitimes, mais pose également d’importants défis aux uns et aux autres. A l’heure actuelle, la
mise en œuvre de ces principes n’est que partielle dans le
chef de nombreuses agences de coopération, l’appui au développement des capacités des pays partenaires est souvent
insuffisant, et l’arrivée de nouveaux acteurs dans le paysage
de la coopération (Chine, Inde, pays arabes, fonds globaux,
…) qui ne respectent pas ces principes risque d’anéantir les
efforts fournis par les autres. Or, c’est seulement à condition
que les comportements changent pour réellement mettre en
œuvre l’agenda pour l’efficacité de l’aide que l’on peut espérer, à terme, en obtenir des résultats.
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GRAP • Policy Brief #1
Références
[1]
World Bank, “Assessing Aid: What Works, What Doesn’t, and Why”, Policy Research Report, New York: Oxford University Press, 1998.
[2]
Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE), “Harmoniser l’aide pour renforcer son efficacité”, Lignes
directrices et ouvrages de référence du CAD, Paris : OCDE, 2003.
[3]
Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE), “Harmoniser l’aide pour renforcer son efficacité – Volume 2:
Le soutien budgétaire, les approches sectorielles et le développement des capacités en matière de gestion des finances publiques”,
Lignes directrices et ouvrages de référence du CAD, Paris : OCDE, 2006.
[4]
Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen, Code de conduite de l’UE sur la division du travail dans
la politique de développement (COM(2007) 72), Bruxelles, le 28 février 2007.
[5]
Forum de Haut Niveau, Déclaration de Paris sur l’Efficacité de l’Aide au Développement, 28 février – 2 mars 2005.
[6]
Troisième Forum de Haut Niveau sur l’efficacité de l’aide au développement, Programme d’Action d’Accra, 2-4 septembre 2008.
LIENS INTERNET ET AUTRES DOCUMENTS UTILES
• Groupe de recherche en appui à la politique sur la mise en œuvre de l’agenda pour l’efficacité de l’aide : http://www.grap-pa.be
• Groupe de recherche en appui à la politique sur l’approche sectorielle en santé : http://www.grap-swap.be
• Comité d’Aide au Développement de l’OCDE : http://www.oecd.org/dac
Pour contacter l'auteur de ce numéro :
Elisabeth PAUL, Université de Liège : [email protected]
La série des Policy Briefs est une initiative conjointe des trois Groupes de recherche en appui à la politique de coopération (GRAP), financés par la
Direction Générale de la Coopération au Développement (DGD) via la Commission Universitaire pour le Développement (CUD).
Elle a pour objectif de vulgariser des questions de développement à destination des acteurs de la coopération belge et de la communauté
universitaire, en lien avec les thématiques de recherche des différents GRAP.
GRAP 3A – Alimentation, Agriculture, Afrique – groupe de recherche visant à produire une expertise multidisciplinaire relative à la problématique de la sécurité alimentaire en Afrique à partir d'études réalisées principalement dans deux pays aux situations précaires mais contrastées (Niger et RDC). Il s’agit de développer,
en partenariat avec les acteurs du Sud, des réponses adéquates aux enjeux nouveaux de l’agriculture et aux
préoccupations liées à la sécurité alimentaire qui soient adaptées et adaptables, concrètes, pertinentes et
applicables, prenant en compte l’analyse des causes de l’insécurité alimentaire dans leur dimension temporelle
et distinguant les facteurs structurels et conjoncturels des crises. www.grap3a.be
GRAPAX, groupe de recherche en appui aux politiques de paix, est un réseau interuniversitaire de
recherche et d’expertise actif depuis 2004 sur les questions relatives à la paix et à la gouvernance dans
les Etats fragiles. Outre quatre partenaires académiques de Belgique francophone, il rassemble également
des ONG et des institutions de recherche —académiques ou non— en Belgique et dans les pays du Sud,
ainsi que des représentants de l’administration publique belge, autour des questions liées à l’intégration
des dimensions relatives à la paix et à la gouvernance dans les politiques de coopération au développement avec les Etats fragiles, en particulier l’Afrique de la région des Grands Lacs. www.grapax.be
GRAP-PA Santé est un groupe de recherche en appui à la politique sur la mise en oeuvre de l'agenda pour
l'efficacité de l'aide (Déclaration de Paris et Programme d'action d'Accra), qui s'intéresse en particulier au
domaine de la santé. Le groupe propose de comprendre comment les politiques internationales de coopération
et de santé influencent l’opérationnalisation des politiques de santé dans les pays en développement.
Le GRAP-PA Santé mène des recherches essentiellement dans quatre pays, à savoir le Bénin, le Mali,
la République Démocratique du Congo et le Rwanda. www.grap-pa.be
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Les opinions exprimées dans les GRAP Policy Briefs n'engagent que leurs auteurs et ne représentent pas nécessairement une position officielle de la Commission universitaire pour le Développement du CIUF.

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