Les aventures du Dre Juliette
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Les aventures du Dre Juliette
Les aventures du Dre Juliette Par Josée Boissonneault, MD [email protected] livre, l’air concentré. Il marmonne : -Sûr. Jules est au bord de la crise de nerfs. Il sonde ses questions d’examens des années antérieures et toujours rien sur l’emphytéose. Il balance ses feuilles dans sa mallette et s’éjecte de notre table pour se diriger vers la bibliothèque. L’emphytéose C’EST NOTRE DERNIÈRE ANNÉE d’externat. Il est 21 h, nous sommes en mai et il pleut des cordes. Je suis crevée et je sirote un café dans la cafétéria blafarde de l’hôpital en compagnie de mes deux amis, Alex et Jules-Étienne (Jules, pour les intimes). À l’été, nous entrerons en résidence : moi en médecine familiale et Alex en chirurgie. Jules, lui, aspire à devenir interniste. Si ça se trouve, il a des chances : je le soupçonne de porter la cravate même dans son bain. Notre vie est monacale : lorsque nous ne sommes pas en stage à crever de faim, nous étudions. Dans quelques semaines, nous gagnerons de l’argent. J’en ai vraiment besoin. Quant à Alex, issu d’un milieu ouvrier, il est en voie de se monter une faillite florissante. D’ici deux ans, ça y sera. Disons qu’il a la détente facile sur le portefeuille. C’est qu’il veut suivre Jules. Or, pour ce dernier, tout est différent. Primo, il demeure chez ses parents. Secundo, son père est orthopédiste. Et aux dernières nouvelles, c’est un métier plus lucratif qu’extracteur de minerai brut. Jules n’a donc pas à se soucier de régler le loyer ni de faire le marché. Il peut se consacrer entièrement à la médecine. Je l’aime bien, Jules. Il est désespérément snob, certes, mais rédige de superbes notes de cours. Et il est canon. Dans le genre intello à cravate et lunettes Armani. Je me présente : je me nomme Juliette Macchabée. Et malheur à celui qui rira de mon patronyme. Je suis née il y a 25 ans de l’union d’une infirmière féministe et d’un médecin misogyne. Ça n’a pas marché : le docteur s’en est allé, l’infirmière est restée. Le produit de l’accouplement, elle, sera bientôt médecin à son tour. Ces chroniques que vous lirez résument mon histoire. J’adore : jurer, rire de façon tonitruante, les chats et mon ami Alex. Je déteste : les gens présomptueux qui postillonnent, les poignées de mains mollassonnes et l’exercice. J’appréhende : le jour de mon anniversaire, l’impôt sur le revenu, les tours de garde interminables le ventre vide et la migraine. Un gémissement déchire le silence indolent de la salle à manger : - Qu’est-ce que tu dis là, Juliette? Le ton de Jules est paniqué. Ses yeux verts ravagés par l’inquiétude menacent d’exploser sous ses lunettes. Je soupire, agacée : - Ben oui, c’est à l’examen, il y a toute une partie sur l’emphytéose. Pas vrai Alex? L’interpellé garde le regard rivé à son Alex glousse. Il lève les yeux de son bouquin, un truc de psychiatrie. Le spectacle est saisissant : un futur chirurgien lisant autre chose que des prospectus de voyages. J’en profite. Entité non négligeable, Alex est aussi canon. Dans le genre charpenté. Je l’imagine sans peine tenir deux madriers d’une main, alors qu’il se dévisse une bière de l’autre. Donc, étranglé de rire, Alex me déclare : - Ce que tu peux être chiante, des fois! - Ce que tu peux être grossier, des fois! Ben quoi? Tu te rappelles pas le cas d’emphytéose? - Fais pas l’innocente… Tu le fais encore marcher. Où t’as pêché ça, emphytéose? - C’est ma mère. Elle est passée chez le notaire pour son testament. Il y était écrit emphytéotique. C’est un bail très long, comme les lots de cimetière alloués pour 99 ans. Ça m’a donné l’idée. - Combien de temps tu vas le faire marcher de même? - Jusqu’à ce qu’il ait disséminé la nouvelle à d’autres stressés comme lui. Tiens : jusqu’à ce que ça vienne aux oreilles de Bilodeau. Bilodeau* est le médecin responsable du stage de médecine interne qui s’est donné pour mission de faire pleurer toutes les étudiantes, à une exception près : moi. - Quoi?! Bilodeau va le passer au blender! T’es pas correcte, Juliette… - Qu’est-ce qui te dit que Bilodeau n’accrochera pas sur cette mystérieuse maladie? Il accorde beaucoup de crédibilité à Jules. C’est l’avantage d’avoir un père orthopédiste. Tu vas voir, il va accrocher solide, le professeur. - T’es folle. - Ben tiens. Je me lève, jette mon gobelet vide et quitte mon ami. Je dois aller me coucher. Ça urge. La journée a été rude. Prions pour ne pas attraper l’emphytéose. ⌧ L'auteure est omnipraticienne et pratique en cabinet privé à St-Hyacinthe ainsi qu'au Réseau Santé Richelieu-Yamaska, pavillon Honoré-Mercier 18 S A N T É * Ici, toute ressemblance avec une personne portant ce patronyme ne serait que pure coïncidence. Toutefois, si le chapeau sied à certains, qu’ils le portent. I N C . M A I 2 0 0 5