JEAN VAUTRIN LES MAINS SALES ET LES CŒURS PROPRES

Transcription

JEAN VAUTRIN LES MAINS SALES ET LES CŒURS PROPRES
JEAN VAUTRIN
EXTRAIT DU LIVRE « LE CRI DU PEUPLE »
EDITION GRASSET
LE LIVRE DE POCHE 15007
LES MAINS SALES ET LES CŒURS PROPRES
La barricade de la place Blanche vient d'être prise. Les Amazones ont été
massacrées pour la plupart. Louise Michel secondée par Elisabeth Dmitrieff
y a animé jusqu'au bout la résistance.
La « Vierge rouge » épuisée par les combats, à demi assommée, s'écroule
dans une tranchée de la chaussée Clignancourt. On la laisse pour morte.
A ses compagnes capturées, la foule cruelle et lâche, ignoble et versatile
envoie des injures, des quolibets. Les enfants surtout s'acharnent sur elles et
ternir jettent des pierres.
Prisonnière, Adélaïde Fontieu!
Elle marche dans le troupeau épuisé des combattantes qu'on vient de
capturer. Elle a baissé son petit d'amazone sur les yeux. Elle ne fixe
personne. Une concierge de la rue Girardon la reconnaît. La poissarde quitte
sa loge. Elle traverse la rué.. S'avance, pleine de curiosité malsaine. Elle
arrache brutalement la coiffure d'Adélaïde.
Elle gueule :
— Marmite ! Putain ! Fusillez-la! Fusillez-la! C'est une catin !
Une crosse de fusil dans les reins fait avancer la malheureuse.
Les survivantes de la place Blanche tentent de résister à l'entrée du
boulevard Magenta. Délogées de nouveau par la ligne, pas une ne survivra.
Morte Jeanne Couerbe, une balle en plein front.
Mortes sur le même rang, le fusil au creux de l'épaule, Léonce et sa fille
Marion.
Morte Blanche, la gantière.
Morte, aussi, la mère de Guillaume Tironneau, morte en tablier.
Palmyre, seule survivante de la tuerie des Batignolles, claque des dents. La
honte lui monte au visage. Recroquevillée dans une petite niche de pavés
entassés où un soldat rigolard l'a enfermée, elle pense à Tarpagnan. Elle
essaye de se défaire du collier de chien que le soudard lui a passé autour du
cou. Elle essuie les crachats sur son front.
Mais comment donc s'appelle l'amour, lorsqu'on est si petite ?
Rue Lepic, les versaillais gravissent la Butte. A midi, un des leurs hisse le
drapeau tricolore sur la tour Solférino. Les canons du 18 mars, les
centaines de pièces du champ Polonais n'ont servi à rien. Faute de servants.
Faute de munitions, ils sont restés, muets.
A treize heures, La Cécilia, entouré d'une centaine d'hommes qui tiraillent
encore abrités derrière les fragiles levées d'une terre remuée pied à pied par
k tumulte des assauts, fait sonner la retraite.
La mairie de Montmartre est occupée. L'état major versaillais s'installe sur
M
sab
la Butte. Les massacres de masse vont commencer.
Fusillés gratis, les premiers suppliciés !
Fusillés à genoux : quarante-trois hommes, trois femmes et quatre
enfants.
Fusillés, 6, rue des Rosiers, au fond du jardin. A la santé du général
Lecomte !
Passés par les armes les communards, les sympathisants, les suspects.
Dos au poteau ceux qui ont les mains noires, ceux qui ne déclinent pas
assez vite leur identité.
Butés vifs ceux qui croyaient à Blanqui, ceux qui croyaient aux fables de la
liberté, à l'égalité des chances, à la conquête d'un salaire décent.
Au falot ceux qui ont faim, ceux qui arborent une cocarde, ceux qui ont
des balles dans les poches.
Criblés tous ! les femmes, les gosses, les chnoques, les hommes qui
sentent le vin.
Criblés dans le cimetière de Montmartre, au parc Monceau, au ChâteauRouge.
A l'abattoir !
Matés !
Et puis, chasse aux rouges ! Aux socialistes ! A l'Internationale ! Taïaut sur
les déserteurs ! Partout, la lie des pourvoyeurs de peloton d'exécution fait
son sale travail.
Les victimes détroussées gisent dans les rues, sur les trottoirs, dans les
échoppes.
Fusillés les défenseurs des Batignolles, fusillé celui qui passait par là,
fusillée Adélaïde Fontieu, la jolie marmite aux yeux bleus.
Levées ses jupes par des matrones salaces. Fouillé son ventre par des
bignoles en folie.
L'horloge est folle! L'horloge est folle!
Déc
om