Apparition et radiation des Angiospermes au

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Apparition et radiation des Angiospermes au
Apparition et radiation des Angiospermes au Crétacé
Laurie Bougeois, Loraine Gourbet
Lundi 15 décembre 2008
Résumé
Les Angiospermes constituent aujourd'hui le clade le plus abondant du monde végétal. Les
Angiospermes continentales, apparues au Crétacé inférieur, ont subi une radiation et une diversication (morpho-anatomique, écologique et physiologique) rapides. A partir de milieux
aquatiques ou semi-aquatiques, les Angiospermes, d'abord herbacées, ont colonisé d'autres milieux jusqu'à supplanter les Gymnospermes au Crétacé supérieur, avant la crise K-T.
Le Crétacé est marqué par des variations climatiques importantes. L'hypothèse d'un contexte
climatique "favorable" aux Angiospermes ne sut donc pas à expliquer leur explosion. Il semblerait que les mécanismes de reproduction aient joué un rôle-clef : mécanismes favorisant la
diversité génétique lors de la reproduction sexuée ; développement d'un organe reproducteur
particulier, la eur. Cette évolution des Angiospermes s'accompagne d'une coévolution avec les
insectes.
1
loppement de la phylogénie moléculaire ore une
nouvelle vision de l'origine des Angiospermes.
Le climat inuence fortement la diversité
et la répartition des Angiospermes. Les Angiospermes actuelles ou subactuelles ont permis de
construire des modèles corrélant la composition
de la ore et des paramètres climatiques comme
la température ou l'humidité. Ces modèles ont
été élaborés grâce à diérentes approches comme
la morphologie, la composition isotopique ou encore la répartition des stomates. Cependant, les
modèles actualistes sont dicilement applicables
à une ore fossile aussi ancienne que celle du
Crétacé inférieur dont la physiologie est probablement diérente de celle des végétaux actuels.
Les paléotempératures du Crétacé sont en général déduites de l'analyse de sédiments marins,
mais les données sur les conditions climatiques
continentales sont rares du fait du faible enregistrement fossile.
Au Crétacé, le climat a beaucoup alterné
entre des périodes sèches et chaudes et des
périodes plus humides et froides [2, 3]. Lors
de notre étude, nous n'utiliserons pas les Angiospermes comme indicateurs climatiques mais
nous cherchons plutôt à comprendre pourquoi,
alors qu'elles sont apparues bien plus tard que
les Gymnospermes et les Filicophytes, elles ont
irradié de la sorte et colonisé beaucoup de milieux, terrestres comme aquatiques.
Introduction
Les végétaux actuels sont largement dominés
par les Angiospermes qui forment un groupe très
diversié en termes de morphologie, d'architecture végétale, de modes de reproduction, etc. Les
Angiospermes sont des plantes à graines (Spermaphytes). La eur, organe reproducteur, et le
fruit, issu d'un ovaire et contenant les graines
(Fig. 1), sont les principaux caractères propres
aux Angiopsermes. On peut également citer la
présence de bois hétéroxylé, caractère existant
chez la majorité des Angiospermes ligneuses.
Les Angiospermes sont apparues au Crétacé
inférieur. Si l'on s'accorde généralement pour
dater leur radiation au Crétacé supérieur, on
sait fort peu de choses sur la morphologie des
Angiospermes primitives, ainsi que sur les relations phylétiques de ce groupe avec d'autres
taxons plus anciens [1]. Les paysages du Crétacé
sont souvent représentés par des forêts peuplées
d'arbres luxuriants, mais cette image est fondée
sur la comparaison directe entre des ores fossiles et des Angiospermes actuelles. La découverte, l'analyse et la comparaison de nouveaux
gisements fossiles du Crétacé inférieur a permis de préciser l'habitus (herbacées, buissons,
arbres) des premières Angiospermes, leur morphologie générale et celle de leur organes ainsi
que leur mode de reproduction. De plus, le déve1
(a) Fleur hermaphrodite
(b) Fruit simple
Figure 1 Anatomie d'une eur et d'un fruit
Bien que les fossiles de plantes puisse nous
renseigner sur les variations du climat, ou encore la composition en CO2 de l'atmosphère [4],
notre étude se concentrera sur la dynamique écologique des Angiospermes. Nous nous eorcerons de montrer quelle était l'écologie des Angiospermes primitives, et par quels moyens, écologiques, morphologiques ou encore moléculaires,
elles se sont dévelopées, petit à petit, au cours
du Crétacé, et imposées sur tous les continents.
D'autre part, nous avons constaté qu'une grande
partie du succès des Angiospermes est liée étroitement à l'évolution de leur biologie reproductive. Nous essaierons d'en rendre compte avec
des exemples d'acquisition précoce de caractères
morphologiques et probablement chimiques liés
à la biologie de reproduction et favorisant leur
radiation.
découverte, à l'échelle mondiale, de nouveaux gisements fossiles du Crétacé inférieur incluant des
eurs à la structure tridimensionnelle préservée,
ce qui a permis de mieux appréhender les premiers mécanismes de reproduction.
Ainsi, des assemblages fossiles découverts
dans des terrains du Crétacé inférieur en Chine
contiennent des feuilles de petite taille, découpées ou non, aux nervures bien visibles et plus
ou moins complexes ; elles ont une cuticule et des
stomates, et certaines possèdent un pétiole,qui
était probablement rattaché à l'axe reproducteur (portant les eurs) [5]. Ils contiennent également des inorescences (Fig. 2) dont les eurs
possèdent encore du pollen. Certains grains de
pollen ont des caractéristiques structurales semblables à Asteropollis. Les feuilles Les premières
Angiospermes présentent donc une complexité et
une diversité morphologiques remarquables.
2
Un précurseur pré-Crétacé ? La diversité
Apparition des Angiospermes
Une radiation et une diversication ra- des premières Angiospermes est telle qu'on peut
pide. Les marqueurs les plus anciens de l'exis- s'interroger sur une possible origine pré-Crétacé
de ce groupe. De plus, si l'on se fonde sur les
horloges moléculaires, les Angiospermes seraient
apparues bien avant le Crétacé [1, 6]. Cependant,
la technique des horloges moléculaires donne des
résultats très variables (jusqu'à 100 Ma d'écart
selon les critères utilisés).
On a longtemps cherché un précurseur des
Angiospermes, mais à ce jour aucun fossile qui
permette d'enraciner l'arbre des Angiospermes
n'a été découvert.
tence d'Angiospermes au Crétacé inférieur sont
des grains de pollen, du genre fossile Asteropollis, datés de l'Hauterivien (136 Ma) [5].
Les gisements fossiles de l'Hauterivien-Albien témoignent de l'existence d'une multitude d'espèces, aux structures complexes et élaborées
pour certaines. Au cours de cette période, l'abondance relative des Angiospermes dans les paléoores fossiles d'une part et leur diversité d'autre
part augmentent sensiblement [1]. Cette diversication et cette complexication précoces ont
d'abord été observées sur des feuilles et des
grains de pollen, puis ont été conrmées par la
Relations phylétiques entre les Angiospermes A partir de la comparaison des sé-
2
Figure 2 Inorescence de Xingxueina heilongjiangensis. Barre = 0,2 cm
physiologiques, séparant les Magnolidées, les dicotylédones et les monocotylédones. Cependant,
au cours des dernières années, la classication
des Angiospermes n'a cessé de changer car les
critères utilisés dans son établissement n'ont pas
toujours été les mêmes. L'arbre phylogénétique
présenté (Fig. 3) est un exemple, il convient donc
de rester prudent dans l'utilisation de ces classications. Il est probable que de nouvelles classications seront bientôt établies.
qences d'ADN de végétaux vivants, on peut établir des arbres phylogénétiques [1] (Fig. 3). Ils
permettent d'ordonner les caractères évolutifs
des Angiospermes et de connaître les relations
phylogénétiques entre les espèces.
D'après les études phylogénétiques les plus
récentes, la classication des Angiospermes fait
ressortir quatre "nouveaux" taxons : les Amborellacées, les Nymphéales, les Austrobaileyacées et les Hydatellacées (Fig. 3) [1]. Ces dernières constituent une petite famille de plantes
aquatiques qui ont probablement divergé tôt. Les
taxons ont été mis en évidence grâce à la phylogénie moléculaire, mais ces diérences moléculaires correspondent également à des diérences
de mode de vie : chaque taxon est spécique
d'un biotope et d'un type de structure reproductive [1]. Par exemple, les Amborellacées, angiospermes dioïques (Fig. 4), sont spéciques de la
partie sombre et basse (sous la canopée) des forêts humides de Nouvelle-Calédonie.
Cette classication se superpose à celle, toujours utilisée, fondée sur des critères morpho-
Deux "boums" écologiques. Pendant long-
temps, on a considéré que les Angiospermes
actuelles provenaient d'un lignage direct avec
les Angiospermes primitives. Par conséquent, on
se fondait essentiellement sur la ore actuelle
pour en déduire une histoire évolutive, sans tenir
compte des phénomènes de crise biologique.
Pour expliquer l'extraordinaire diversité actuelle, on a ensuite étudié les changements de
composition des assemblages fossiles au cours du
temps. La méthode la plus utilisée aujourd'hui
consiste à comparer l'âge estimé des clades non
3
Figure 3 Un exemple d'arbre phylogénétique des végétaux
lédones apétales (chêne, hêtre), possédant des
grains de pollen triaperturés (c'est à dire qu'il
y a trois "ouvertures" dans la paroi du grain qui
jouent un rôle dans la fécondation). Les Fagales
appartiennent au genre Normapolle, dont la plupart des espèces ont disparu. La comparaison des
Fagales avec des paléoores récemment découvertes montrent qu'elles se sont diversiées au
Crétacé supérieur, puis ont subi une extinction
massive lors de la crise K-T avant de donner les
Fagales actuelles.
Il n'est cependant pas toujours évident de
éteints avec leur diversité actuelle [6].
On a pu remarquer que les clades les moins
diversiés sont les plus anciens. On peut donc
faire l'hypothèse que ces clades ont subi une diversication précoce suivie d'une phase d'extinction. A l'inverse, les clades les plus riches en espèces auraient subi une diversication tardive.
Deux "boums" écologiques semblent donc constituer une hypothèse d'autant plus plausible que
l'histoire des Angiospermes est traversée par la
crise K-T (Crétacé-Tertiaire).
Par exemple, les Fagales sont des dicoty-
Figure 4 Les diérents types d'Angiospermes
4
Figure 5 Deux scénarios alternatifs pour l'âge du genre Hedysmum (de la famille des Chloranthacées). (a)
Scénario établi d'après des pollens fossiles (Astéropollis) découverts in situ sur des eurs semblables à celle du genre
moderne Hedyosmum : divergence précoce de genre. (b) Scénario, déterminé d'après des données moléculaires, la
plupart des caractéristiques de Hedyosmum sont originaires de la période Crétacé supérieur - Cénozoique : divergence
tardive du genre
etc. Connaître l'abondance relative de la forme
"arbre" parmi les premières Angiospermes, ainsi
que leur envergure et leur mode de fonctionnement, est donc un enjeu de taille. Cette forme
représentée par les Angiospermes ligneuses est
caractérisée par la présence de vaisseaux vrais
assurant une double fonction : conduction continue de sève et soutien.
Un actualisme trop poussé a longtemps introduit des interprétations erronées dans la comparaison des arbres fossiles et vivants. Bien que
la forme des premières Angiospermes ayant l'habitus "arbre" rappelle celle des arbres actuels,
leur écologie, physiologie, anatomie et morphologie étaient probablement diérentes.
Une étude détaillée [7] a récemment porté
sur les premiers arbres Angiospermes européens.
L'analyse de données disponibes sur les végétaux
ligneux, du Crétacé inférieur à la base du Crétacé supérieur, a permis de déterminer l'abondance relative (herbacé / ligneux et bois d'Angiosperme / bois de Gymnosperme) et la diversité (morphogenres) des Angiospermes.
Les arbres fossiles sont le plus souvent incomplets. Un matériel minéralisé (comme les bois siliciés) permet de bonnes observations de struc-
corréler les données moléculaires et les données
apportées par l'étude des fossiles. Par exemple,
les Chloranthacées forment une famille très ancienne. Au sein de cette famille, le genre Hedyosmum est actuellement constitué de plantes vivant en régions subtropicales à tropicales. L'utilisation d'horloges moléculaires permet de calculer un âge de divergence de 45 Ma pour ce genre
[6]. Au contraire, la comparaison de Hedyosmum
avec des Chloranthacées fossiles donne un scénario diérent (Fig. 5). En eet, les grains de
pollen les plus anciens, d'abord dénis comme
appartenant à un genre fossile, ont été retrouvés sur des eurs fossiles possédant les mêmes
caractères que Hedyosmum. Hedyosmum aurait
donc divergé peu de temps après l'apparition des
Angiospermes et aurait conservé ses caractères
jusqu'à aujourd'hui.
Apparition des arbres au Crétacé. La
morphologie de l'appareil végétatif et l'habitus
(herbacé, buisson, arbre) ont de nombreuses implications écologiques : disponibilité en lumière
variable selon la forme adoptée par un individu, type de nutrition des faunes du Crétacé,
5
[2].
tures microscopiques ; mais les fossiles sont le
plus souvent opaques, car préservés dans des
charbons, lignites, fusains... Cependant, l'utilisation du SEM (Scanning Electronic Microscope)
et le développement des CAC (Cellulose Acetat
Casts, moules transparents et extrêment ns de
la surface d'un fossile) ont permis de pallier cet
inconvénient[7].
Les Angiospermes les plus anciennes sont dominées par des espèces non ligneuses. Les plus
vieux bois d'Angiospermes d'Europe sont datés
de l'Albien (100-110 Ma), période où les gisements d'arbres sont largement dominés par les
Gymnospermes. Il est cependant possible que
cette observation soit biaisée (meilleure résistance des Gymnospermes à la putréfaction ?). La
diversité des Angiospermes ligneuses augmente
brutalement au Cénomanien (base du Crétacé
supérieur), mais leur fréquence reste faible par
rapport aux bois de Gymnospermes. L'explosion
de la forme "arbre" a eu lieu bien après son apparition. Il est intéressant de noter que les Angiospermes ligneuses ont évolué parallèlement dans
des aires diérentes.
Les premières Angiospermes ligneuses possédaient un axe végétatif n : diamètre inférieur à
12 cm, et souvent inférieur à 5 cm pour les plus
anciennes. Cette armation doit cependant être
nuancée : les données sont rares et certains troncs
découverts aux Etats-Unis peuvent atteindre 60
cm.
3
Les variations des climats peuvent avoir une
inuence directe sur la morphologie des plantes.
Par exemple, l'augmentation de l'aridité du climat peut être corrélée avec une diminution du
diamètre des vaisseaux de xylème ainsi qu'avec
une augmentation de la densité des vaisseaux
[3]. Toutefois Haworth et McElwain (2008) [8]
montrent qu'un type de morphologie n'est pas
nécessairement relié à un type de climat précis. En eet, tandis que pendant des années
les chercheurs ont interprété les caractères xéromorphiques (cuticule épaisse, stomates enfoncés etc. : caractères minimisant la perte d'eau
par transpiration) comme des indicateurs de sécheresse, il semblerait que ces caractères peuvent
être le témoin d'un tout autre type d'environnement : ils peuvent également prévenir les plantes
d'une infection par des gaz toxiques, ou encore
servir de couverture imperméable dans des cas
de climats humides.
Colonisation des milieux par les Angiospermes. Au cours du Crétacé, les Angio-
spermes ont progressivement envahi les milieux
occupés jusque là par d'autres végétaux tels que
les Filicophytes (fougères) et les Gymnospermes
(comme les Conifères). Ainsi, dès le début du
Crétacé supérieur, les Angiospermes occupaient
déjà tous les environnements et étaient relativement plus abondants que les Gymnospermes
qui dominaient jusqu'alors. Quelle écologie des
plantes est apparue au Crétacé inférieur, permettant l'extension des Angiospermes ?
Pour répondre à cette question, Coiard et
al. (2007) [2] utilisent le principe de parcimonie de Wagner qui est une méthode de regroupement utilisée en phylogénie pour montrer les
relations entre les paléobiocénoses et les paléoenvironnements. Grâce à cette méthode Coiard et
al. ont pu montrer que les Angiospermes avaient
déjà un éventail écologique important à l'Albien supérieur - Cénomanien. Ils ont également
montré qu'auparavant, pendant le Barrémien, les
fougères formaient une végétation semblable à
la savane d'aujourd'hui, pendant que les Angiospermes composaient la végétation aquatique des
eaux douces. Puis, pendant l'Aptien supépieur,
durant la phase humide, les Conifères se sont développés, tandis que les fougères du genre Matoniaceous ont décliné reétant une fermeture de
la végétation (formation de la canopée dans les
Contexte climatique et radiation des Angiospermes
Evolution des climats et inuence sur la
morphologie des plantes. La succession des
climats au Crétacé dans l'Ouest de l'Europe
n'est pas simple. Au Barrémien, la présence
d'évaporites souligne une phase de sécheresse
se terminant à l'Aptien moyen. Elle est suivie
d'une chute de la température des océans de 5C
(d'après des enregistrements sur des sédiments
détritiques du Bassin Vocontien et des données
isotopiques). Le climat est alors globalement plus
froid et plus humide. Dès le début de l'Albien,
un climat plus sec et semi-aride avec une saisonnalité marquée envahi l'Europe. Les données
isotopiques provenant de foraminifères du Nord
de l'Atlantique nous indiquent un réchauement
des océans de 10C. Le pic de chaleur se poursuit
jusque dans le Crétacé Supérieur, au Campanien
6
Figure 6 Evolution de la composition isotopique en Oxygène. OAE=évènements anoxiques océaniques
ronnements ombragés, typiquement dans les sous
étages des forêts humides (understoreys). La colonisation d'un tel milieu a été réalisée grâce à la
stratégie écologique de tolérance au stress. Avant
le Cénomanien, les Angiospermes ont peu colonisé les environnements uviatiles. Ainsi, la stratégie écologique rudérale n'est apparue que plus
tard dans leur évolution [2].
forêts humides). À partir de l'Albien (conditions
plus sèches et plus chaudes), on observe la réaparition des fougères Matoniaceous pet un développement des Angiospermes dans les plaines
innondées (Fig. 7)[2].
Pendant le Crétacé inférieur (Barrémien - Albien) les Angiospermes ont montré une large
adaptativité de leur écologie : d'une présence
exclusiement aquatique au Barrémien, ils colonisent ensuite tous les types d'environnements
comme en témoignent les enregistrements du Cenomanien (début Crétacé supérieur).
La colonisation de ces environnements variés a été permise grâce à des stratégies écologiques diérentes. Trois stratégies historiques
ont pu être discernées [2]. La stratégie rudérale aurait permis de coloniser les environnements localisés en bordure des chenaux uviatiles ou des habitats sujets à des inondations, à
des feux etc. Les environnements humides caractérisés par des eaux riches en nutriments et des
températures optimales (typiquement, les environnements stables comme les plaine inondées)
ont pu être colonisés par les espèces ayant une
stratégie compétitive. Enn la stratégie de tolérance au stress a permis de coloniser des environnements de type marécages, les marais salés et les habitats suboptimaux à la croissance.
Les Angiospermes à stratégie écologique compétitive ont colonisé au Crétacé inférieur les milieux aquatiques et les plaines inondées, et ce
durant l'Aptien-Albien, y compris pour les végétaux ligneux (Fig. 7). Durant l'Aptien, les Angiospermes sont également apparues dans les envi-
4
Evolution des Angiospermes
au cours du Crétacé
Evolution de la morphologie des pièces
orales. Dans les années 1940, en paléobota-
nique, l'analyse de l'évolution des Angiospermes
était principalement fondée sur l'observation des
feuilles et pollens fossiles. A partir de ces observations, les paléobotanistes ont réussi à diérencier des genres ou morphogenres chez les Angiospermes. Aujourd'hui, les chercheurs reprennent
les enregistrements fossiles étudiés il y a plus de
50 ans avec une tout autre approche. En eet, il
semblerait que la morphologie et l'évolution des
organes sexués et asexués de la eur des Angiospermes soient des précurseurs à la radiation de
ces plantes [9].
Les Angiospermes actuelles bénécient de
mécanismes et de vecteurs favorisant l'hétérozygotie, c'est-à-dire la capacité à posséder plusieurs allèles diérents pour un même gène. En
eet, lors de la reproduction sexuée des Angiospermes, diérents mécanismes amènent à favoriser la fécondation croisée, c'est-à-dire la fécondation entre deux organismes diérents. En se
7
Figure 7 Composition orale dans divers environnements au Crétacé
fondant sur les enregistrements fossiles étudiés
par Stebbins dans les années 1950, Dilcher [9]
a montré que des organes oraux des Angiospermes ont très rapidement développé une morphologie permettant la fécondation croisée.
Le carpelle, pièce fertile femelle, est un caractère majeur qui sépare les Angiospermes des
autres plantes vascularisées à graine. Cette pièce
foliaire s'enroule sur elle même et délimite ainsi
une partie renée et close : l'ovaire, surmontée
d'une partie elée, le style, terminée par le stigmate (Fig. 1). La fermeture du carpelle interdit
la sortie des ovules non fertilisées dans l'environnement extérieur. Cette fermeture très précoce [9] pourrait être corrélée à l'apparition de la
eur hermaphrodite (c'est à dire qui contient les
pièces fertiles mâles et femelles) et serait un obstacle à l'autofécondation (mode de reproduction
sexuée par union des gamètes mâles et femelles
issus d'une même plante).
Les Angiospermes ont également développé
des barrières biochimiques empêchant l'autofécondation (phénomènes d'incompatibilité empê-
chant la croissance du tube pollinique jusqu'à
l'ovaire [13]) qui s'ajoutent à la fermeture du
carpelle et qui peuvent également être présentes
chez les plantes où le carpelle reste ouvert [9].
En plus de la fermeture du carpelle, l'addition ou la perte de sépales, pétales ou étamines
peuvent avoir été des événements importants assurant la fécondation croisée [9]. En eet le développement d'organes colorés attractifs et des
nectares, le regroupement des organes mâle et
femelle sur un même axe ont permis d'augmenter l'ecacité de la pollinisation par les Insectes
(entomogamie).
Les Angiospermes peuvent êtres composées
de eurs unisexuées (ne contiennent que les
pièces fertiles mâles ou femelles) comme de eurs
hermaphrodites. Aujourd'hui, nous ne sommes
pas capable d'armer quel type de eur est apparu en premier. Les premières eurs fossiles apparaissent comme ayant une soudure entre l'androcée et le gynécée mais certains genres (comme
les Platanoides) semblent n'avoir jamais eu d'ancêtres hermaphrodites. Selon Dilcher, les lignées
8
par des animaux, par le vent et par l'eau) est
probablement une des raisons qui leur a permis
de "traverser" les crises écologiques [11]. Ainsi
à la suite de la crise K-T, la pollinisation des
Angiospermes par les divers vecteurs a permis à
ces plantes de continuer à se disséminer. C'est
en partie par cette voie que les Angiospermes
ont pu rebondir très rapidement après la crise
K-T et coloniser de manière radicale tous les environnements dès le début du Tertiaire. L'élaboration du fruit, organe protégeant les graines
et qui joue aujourd'hui un rôle majeur dans la
dissémination des espèces, a sans doute été très
importante dans la colonisation des milieux ; cependant, notre étude n'a pas porté sur ce phénomène.
ancestrales des Angiospermes étaient vraisemblablement unisexuées mais lorsque l'ecacité
et la disponibilité des Insectes pollinisateurs ont
augmenté, les eurs hermaphrodites se sont développées [9].
Une coévolution Insectes-Angiospermes.
Chez les plantes pollinisées par les Insectes, la
présentation orale est cruciale. De nombreux
phénomènes de mimétisme orientent le vol d'approche des Insectes pollinisateurs. Ces repères visuels se trouvent typiquement chez des plantes
avec un périanthe coloré et de grande taille. Par
exemple, la eur Orchis abeille porte des taches
colorées très ressemblantes à celles trouvées sur
l'abdomen de l'abeille femelle. Ces tâches attirent le faux bourdon qui vient polliniser cette
eur plutôt qu'une autre.
La fermeture du carpelle et le développement
des pièces stériles (pétales, sépales, nectaires) attractives semblent être apparus en même temps,
très rapidement au cours de l'évolution des Angiospermes [9]. Il s'agit de la première adaptation marquant une coévolution entre les premières eurs et les animaux (principalement les
Insectes) pollinisateurs qui ne fera que se poursuivre. Par exemple, alors que les premières Angiospermes, pendant le Crétacé inférieur, présentaient une eur à symétrie radiale, à partir du
Crétacé supérieur, on trouve des eurs fossiles à
symétrie bilatérale. Cette évolution serait associée à l'évolution des Insectes sociaux (comme
les abeilles)[9]. De plus, très souvent, la taille
des eurs est reliée à la taille du pollinisateur. La
biologie de pollinisation des Angiospermes aurait
évolué en même temps que les Insectes pollinisateurs. Il semblerait que les plantes pollinisés
très tôt dans leur évolution seraient celles qui
auraient "subi" le plus de changements morphologiques, et seraient aujourd'hui les espèces les
plus diérentes de leurs ancêtres fossiles.
La variabilité des anthères, des surfaces stigmatiques, des nectaires, de la taille et de la disposition des organes oraux montre que les Angiospermes ont été (et sont toujours) adaptées à
de nombreux types de pollinisateurs. C'est à travers le succès de cette coévolution que les Angiospermes sont devenues les végétaux dominants
au Crétacé supérieur [10].
La faculté qu'ont développé les Angiospermes à transporter leurs pollens de diverses
manières (par des Insectes spéciques ou non,
La fécondation croisée, une réussite évolutive ? Par les diérents mécanismes acquis
au cours de leur évolution : systèmes d'incompatibilités biochimiques, eurs unisexuées, fermeture du carpelle, pollinisation par le vent, les Insectes et l'eau etc., la majorité des Angiospermes
ont développé un processus de fécondation croisée entraînant une diversication génétique. Ceci
est à l'origine d'une meilleure adaptation à une
variabilité de l'environnement. Le polyallélisme
est le fruit de mutations génétiques apparaissant
naturellement. Ces mutations peuvent être favorables, dans ce cas elles seront préservées au
cours des générations, ou alors défavorables, auquel cas le nouvel allèle ne sera pas xé dans la
population.
L'avantage de la fécondation croisée chez les
végétaux par rapport à l'autofécondation est de
favoriser les croisements génétiques et donc l'obtention d'individus cumulant des mutations favorables de manière beaucoup plus rapide (Fig.
8).
Toutefois la fécondation croisée est loin
d'être le seul mécanisme ayant permis la radiation des Angiospermes. C'est la combinaison
d'une reproduction sexuée et d'une reproduction
asexuée (multiplication végétative) chez les Angiospermes qui semble être la cause de leur réussite. En eet, la multiplication végétative est très
rapide et a un bon rendement par rapport à
la reproduction sexuée. Elle permet aux plantes
une reproduction rapide dans un milieu favorable
d'une part, et une colonisation ecace des espaces d'autre part. Son inconvénient est de freiner l'augmentation de la diversité génétique des
9
Figure 8 Cette gure montre que la reproduction sexuée permet l'accumulation de mutations favorables beaucoup plus rapidement que la reproduction asexuée
espèces. Mais un tel mécanisme est permis par la
reproduction sexuée qui permet un brassage génétique favorisant une adaptation à de nouveaux
milieux [12].
La reproduction sexuée et la multiplication
ont permis aux Angiospermes d'étendre très rapidement leur espace vital et ainsi de coloniser
des environnements éloignés les uns des autres.
5
Conclusion
Les Angiospermes continentales sont apparues au Crétacé inférieur. Bien que leur origine demeure oscure, les premières Angiospermes
étaient probablement des herbacées vivant en
eau douce.
Ce groupe a subi une véritable explosion
au Crétacé, puis une deuxième phase d'extinction/diversication au Cénozoique. Dès le début
de l'histoire des Angiospermes, des mécanismes
de reproduction complexes, tels que la fécondation croisée, ainsi que la reproduction asexuée
(multiplication végétative) ont permis la colonisation de nouveaux milieux. Chez les espèces ligneuses, la construction de vaisseaux rigides assurant la conduction ininterrompue de sève a
constitué une innovation majeure.
Ces mécanismes, ainsi qu'une grande diversité dans les modes de pollinisation, comme l'entomogamie, ont permis la réussite évolutive des
Angiospermes.
De nombreux points restent cependant à
éclairer comme l'existence possible d'un précurseur des Angiospermes avant le Crétacé.
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