La reconstruction du Liban… un chantier semé d

Transcription

La reconstruction du Liban… un chantier semé d
Introduction
La reconstruction
du Liban… un chantier
semé d’embûches
Ghassan El-Ezzi
La fin de la guerre au Liban a vu s’ouvrir une période de
reconstruction transformant le pays en un immense
chantier. Mais cette reconstruction s’avère particulièrement difficile et soulève des problématiques très
complexes : ses acteurs sont nombreux et ses enjeux s’enchevêtrent entre un système international en grande
mutation et une région marquée par le règlement introuvable du conflit israélo-arabe.
L’ordre communautaire confessionnel du Liban
M
icrocosme de la société régionale, le pays du Cèdre est,
plus que tout autre pays du Moyen-Orient, le carrefour où
s’affrontent des allégeances opposées (nationalistes, religieuses ou idéologiques). La partie orientale de la Méditerranée a
toujours été une zone charnière entre trois continents (Europe, Asie et
Afrique) où se sont succédé une dizaine d’empires. Les populations
les plus diverses s’y sont mêlées, y vivant dans une alternance d’équilibre et de conflit. Vers la moitié du XIXe siècle, une âpre rivalité a
opposé trois des empires (la France, l’Angleterre et l’Empire ottoman),
qui allait marquer le destin du Liban : en 1840, puis en 1860 la
montagne libanaise s’embrasa, ébranlée par une guerre multiforme, à
la fois civile et internationale.
Né dans les affrontements et les ingérences, l’ordre communautaire
confessionnel, établi après 1860, est devenu la pierre angulaire du
Grand-Liban proclamé, le 1er septembre 1920, par le haut-commissaire
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français, le général Gouraud. Ce Liban, devenu Etat indépendant le 22
novembre 1943, va être géré par une Constitution écrite mais aussi par
un «pacte national» considéré comme une véritable Constitution non
écrite. Un cas unique dans l’histoire des Etats et des Constitutions.
Celle du Liban n’aborde dans aucune clause la question d’une religion officielle de l’Etat. Pourtant son article 95 prévoit, à titre provisoire, une représentation communautaire dans les emplois publics et
dans la composition du gouvernement.
Quoique ayant été considéré comme provisoire, la période ou la
durée de cet article 95 n’a jamais été fixée et, dans les faits, il s’est
maintenu et consolidé. Ainsi le citoyen libanais a-t-il été obligé d’appartenir fidèlement à une communauté, pour pouvoir bénéficier du
droit de postuler aux fonctions publiques dont l’une des conditions
sine qua non est l’appartenance à l’une des dix-huit confessions libanaises reconnues ; ceci a permis aux représentants de ces communautés de jouer un rôle essentiel, parfois décisif, dans la vie politique
libanaise.
Greffé sur d’autres facteurs, aussi bien endogènes (d’ordre socioéconomique), qu’exogènes (liés au système régional et international
mais surtout à la création de l’Etat hébreu et à ses retombées depuis
1948) cet ordre communautaire a eu des effets pervers se manifestant
par des crises multiformes qui ont ébranlé la vie politique libanaise en
1952, 1958, 1969, 1973 jusqu’à l’explosion retentissante de 1975.
L’accord de Taëf
Beaucoup d’encre a coulé afin d’expliquer les causes et les conséquences de cette guerre à la fois civile, régionale et internationale qui
a été «longue, coûteuse et plus grave proportionnellement que la Seconde
Guerre mondiale pour la France» d’après M. Bahige Tabbara, ministre de
la Justice dans les gouvernements Hariri. Après l’échec d’un nombre
inestimable de plans de paix et de projets de règlement, il paraissait à
la fin des années 80 que le monde s’était finalement habitué à voir se
dérouler cette machine de guerre interminable au grand dam de ce
peuple meurtri du Liban. C’est à ce moment-là que la communauté
internationale et régionale est intervenue, avec beaucoup de vigueur
et d’insistance, pour réunir les représentants des parties libanaises à
Taëf, en Arabie Saoudite, où ils ont signé le fameux accord défini
comme «le pacte de la coexistence» (le 22 novembre 1989). Sans doute,
les personnalités réunies à Taëf ont-elles assisté, à travers la télévision,
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à l’effondrement du mur de Berlin quelques jours plus tôt.
Effectivement, non seulement le Liban mais le monde entier vécut
alors un des grands bouleversements de son histoire. Bien entendu
l’Accord de Taëf a immédiatement eu le soutien de la communauté
internationale et celui de la majorité des Libanais, lassés des guerres
et des conflits. Or il maintient, voire consacre, le confessionnalisme
politique (encore une fois d’une manière provisoire, mais qui risque
de devenir permanente) qui est à l’origine des maux du pays.
Toutefois il établit un partage «plus équitable» du pouvoir entre les
communautés et envisage, en même temps, une déconfessionnalisation politique progressive selon des modalités définies. Aujourd’hui,
quatorze ans ont passé et cette déconfessionnalisation promise se fait
toujours attendre.
En tout cas les armes se sont tues à partir de 1990 et précisément
après l’attaque syrienne contre le bastion du général Aoun à Baabda.
L’invasion irakienne du Koweït fut, en quelque sorte, une aubaine
pour Damas qui a su négocier avec les Américains le prix de sa participation militaire, bien que symbolique, à la coalition internationale
contre Saddam Hussein. L’éviction de Michel Aoun ouvrira la voie à
la Syrie désormais seul maître de l’échiquier libanais avec, à l’appui,
le consentement de l’hyper puissance américaine.
A la suite de l’effondrement du cours de la livre libanaise, en mai
1992, une révolte populaire contraint le gouvernement Karamé à la
démission. Quelques jours plus tards le richissime homme d’affaire
Rafic Hariri, connu depuis la guerre pour sa participation à des
œuvres caritatives et en tant qu’émissaire saoudien, effectua une
entrée triomphale à la tête du gouvernement. Celui-ci annonce alors,
dans une ambiance d’optimisme et d’espoir, le déclenchement du
processus de reconstruction du pays et promet le retour à son âge d’or,
quand le Liban était assimilé à la Suisse de l’Orient.
Les obstacles au processus de reconstruction
La politique volontariste de M. Hariri va transformer le pays en un
immense chantier. Réhabilitations et constructions s’y font à un
rythme accéléré mais à un coût exorbitant. Par ailleurs le chemin de la
reconstruction d’après-guerre s’est avéré semé d’embûches. Les
problématiques sont très complexes : les acteurs, internes et externes,
sont nombreux et les enjeux s’enchevêtrent entre un système international en grande mutation et une région qui ne cesse de s’enliser dans
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les filets d’un règlement introuvable du conflit israélo-arabe.
Une économie chancelante
Il faut souligner tout abord une évidence : la reconstruction ne veut
pas uniquement dire réhabilitation, réparation des dégâts matériels,
rénovation de l’équipement ou construction de nouvelles infrastructures, mais aussi, et surtout, recomposition de la société et de l’Etat
qui ont été durement affectés par des décennies de dévastations. Or
force est de constater, plus de dix ans après le lancement de ce chantier, que le plus gros reste à faire sur tous les plans et dans tous les
secteurs, au point que certains analystes soulignent la persistance de
presque tous les ingrédients d’une déflagration générale et s’interrogent, quoique avec un certain goût pour l’exagération, sur la réalité de
la paix libanaise.
En effet, le processus de reconstruction est confronté à une paupérisation continue de la société. Une étude réalisée par l’ESCWA
(Economic and Social Committee for West Asia) estime que 28% des
familles libanaises (c’est-à-dire environ un million de personnes)
vivent bien au-dessous du seuil de la pauvreté, 250 000 personnes
étant «extrêmement pauvres». La classe moyenne, autour de laquelle
se structure le socle socio-économique du pays, est fortement atteinte
par la crise, car ses revenus ont subi le contrecoup de la chute de la
monnaie nationale.
Il est vrai que l’absence de statistiques fiables empêche de mesurer,
avec précision, l’ampleur de la crise, mais il est aisé de remarquer le
fossé qui s’élargit entre les classes sociales, surtout celle des hommes
d’affaires entrés en politique pour tenir les commandes du pays et
celle de la majorité des habitants, dont des diplômés et des intellectuels, vivant dans la frustration et l’inquiétude. Un autre fossé se
creuse entre un centre qui ressemble, en apparence, aux centres-villes
des capitales occidentales et un «Liban périphérique» se situant au
sud, au nord de la Bekaa ou encore dans la plaine d’Akkar sans, bien
entendu, oublier les quartiers pauvres de l’agglomération de
Beyrouth où s’entassent plus d’un million et demi de personnes. Le
salaire minimum est de 200 dollars américains pour des prix de
consommation proches de ceux qui existent en France, et le chômage,
quant à lui, touche plus du tiers de la population active, ce qui
constitue un bon terreau pour les mouvements extrémistes.
Ainsi les disparités économiques datant d’avant-guerre, de 1975,
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n’ont pas été atténuées, bien au contraire. Une nouvelle catégorie de
nouveaux riches, dont la fortune est d’origine douteuse, se convertit à
la politique pour faire main basse sur le pays au grand dam du reste
de la population. Observateurs et analystes, ainsi que le patriarche
maronite Mgr Sfeir, mettent en garde contre le risque sérieux d’une
imminente «implosion sociale». Dans ces conditions (ajoutées à bien
d’autres d’ordre politique, institutionnel et régional), il n’est guère
étonnant que des Libanais prennent le chemin de l’émigration, mais le
nombre croissant de ces émigrés est inquiétant. Il atteint aujourd’hui
le chiffre de 100 000 personnes par an, en grande partie des diplômés,
visant des destinations lointaines comme l’Amérique ou l’Australie
avec l’espoir de s’y installer durablement. Cette émigration des
compétences et des cerveaux est une véritable hémorragie qui prend
une dimension alarmante pour la santé et l’avenir de la nation.
Sur le plan financier, il est vrai que le PIB a quadruplé entre 1990 et
1995 passant de 2,84 à 11 milliards de dollars puis à 16 milliards en
2003. La livre libanaise s’est également stabilisée, mais on peut se
demander à quel prix : la dette publique, interne et externe, ne fait que
grimper et avec elle l’inquiétude quant au sort du pays. Cette dette, de
l’ordre de 2,8 milliards de dollars en 1990 puis de 8 milliards en 1995,
atteint 32,6 milliards en 2003 (la dette égale 180% du PIB d’après les
chiffres annoncés par le ministère des Finances), alors que le budget
public de l’année 2003 ne dépasse pas les 6 milliards de dollars.
Surendetté l’Etat, n’arrivant pas à dégager des recettes fiscales suffisantes pour subvenir à ses besoins, multiplie taxes et impôts. Le
service de la dette et la masse salariale de la fonction publique réduisent ainsi considérablement les crédits disponibles pour les travaux
d’infrastructure, d’aménagement du territoire, de modernisation de
l’Etat et les budgets de politique sociale. Dans le même temps,
soucieux de préserver, ne serait-ce qu’artificiellement, le cours de la
livre afin d’éviter un inéluctable effondrement social, le gouvernement continue de s’endetter et entre dans un cycle devenu sans issue.
Et comme à l’habitude, on l’a vu dans de nombreux pays, les institutions financières internationales imposent leurs recettes pour sortir de
la crise. L’Etat libanais ne fait pas exception ; on lui demande de
procéder à des réformes économiques et financières telle, par
exemple, la privatisation du secteur public.
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La corruption de la classe politique…
Mais pour réussir des réformes aussi radicales, il faudrait un
consensus national et un soutien populaire au pouvoir politique, ce
qui n’existe pas. Le pouvoir reste divisé sur les dossiers les plus
importants et la «Troïka» (les trois présidences : de la République, de
la Chambre et du Conseil) se réunit plus souvent pour défendre des
intérêts personnels et partisans que pour discuter de l’intérêt national ;
le Parlement n’est qu’un «club de désunis» facile à paralyser, et l’équilibre des pouvoirs entre les représentants des communautés demeure
infiniment fragile. Les changements incessants des découpages électoraux et des modes de scrutin sont souvent contestés et ne satisfont
que ceux dans l’intérêt desquels ils ont été conçus. Quant à la corruption avec son lot de clientélisme, favoritisme, piston, confessionnalisme, népotisme, affairisme, «patrimoinisme» (terme cher à Jean
Leca), gaspillage ou mauvaise gestion, elle fait des ravages irrémédiables au sein des institutions politiques, administratives et économiques en l’absence dommageable d’un véritable Etat de droit
moderne, et d’une société civile capable de faire face à une classe de
dirigeants soucieuse de ses seuls intérêts.
Il n’est nullement rare de voir les plus hauts responsables politiques
s’accuser mutuellement, à travers les médias, de subordination à des
intérêts extérieurs, de corruption et d’abus de biens publics sans que
la justice bouge. Par contre, il est rare de voir ces mêmes responsables
politiques s’accorder sur le traitement des grands problèmes libanais.
Et à chaque nomination au sein de la haute fonction publique, la vie
politique est bloquée par une querelle opposant des membres de la
Troïka à laquelle seule une intervention de Damas peut mettre un
terme. Aussi aucune décision, même d’importance moyenne, n’estelle prise sans l’accord préalable des dirigeants syriens, ce qui se
traduit par un incessant ballet des responsables libanais entre
Beyrouth et Damas. Et la tutelle syrienne pèse ainsi sur tous les
secteurs de la vie libanaise, sans exception.
La tutelle syrienne
Pour les uns, cette tutelle est un moindre mal ; en effet ils estiment
que «la présence syrienne légale, légitime et provisoire» est nécessaire pour
maintenir la stabilité du Liban, empêcher le retour aux jours sombres
de la guerre civile et, justement, pour créer un environnement propice
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à ce gigantesque chantier de reconstruction. Pour les autres, cette
«occupation» jette un doute sur l’indépendance et la souveraineté du
pays, dissuade les investisseurs étrangers et les dissuadera tant que
persistera le conflit avec israël et la volonté manifeste des Syriens de
laisser le front du Sud-Liban en état de tension larvée ou latente. Pour
les détracteurs de la Syrie, celle-ci cherche à perpétuer son occupation
du Liban en maintenant aux commandes de l’Etat des pantins. Les
élections législatives ne seraient en fait organisées que pour faire élire
ses clients. Le Liban ne serait maître ni de son territoire ni de ses relations extérieures. Même son autonomie économique ne peut exister
que pour servir le «grand frère arabe» en accueillant ses travailleurs,
en finançant ses entrepreneurs, en absorbant ses produits et en lui
permettant de s’afficher comme puissance régionale, malgré son
extrême faiblesse économique et militaire.
La polémique inter-libanaise sur la présence syrienne continue,
alors que Damas a entrepris depuis déjà deux ans un retrait progressif
de ses troupes. Bien entendu, ce retrait n’affectera en rien son
influence car elle y gardera des cartes maîtresses comme, par exemple,
le maintien de son puissant service de sécurité et de ses alliés politiques libanais ; surtout, elle continuera de bénéficier de la complaisance américaine.
En fait malgré toutes les apparences et les menaces verbales de
Washington contre Damas, surtout lors de l’occupation américaine de
l’Irak, ces deux capitales travaillent ensemble depuis de longues
décennies et il s’est installé entre elles une sorte de «code» que nulle
autre partie ne peut déchiffrer. Cette coopération a fait ses preuves
dans les moments les plus difficiles : durant l’interminable guerre
libanaise, après le 11 septembre, lors de la deuxième guerre du Golfe,
etc. Et rien ne prouve que pour les Américains, la Syrie qui a prouvé
une aptitude exceptionnelle à mater les intégristes, à subjuguer les
insurrections et à dompter l’indomptable au Liban, ait cessé d’être un
élément stabilisateur dans la région comme elle l’a toujours été,
surtout à un moment où Washington ressent un fort besoin d’en finir
avec le Hamas et le Djihad en Palestine et le Hezbollah au Liban.
Le Sud-Liban et le Hezbollah
Lors du désarmement des milices en 1990 conformément à l’accord
de Taëf, le Hezbollah n’a pas désarmé et ceci afin de continuer à faire
face à l’occupation israélienne, en l’absence d’une armée libanaise
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puissante. Le Hezbollah a su créer autour de lui une certaine unanimité en tant que mouvement de résistance, qui s’est distingué d’autres
partis libanais qui ont pris l’Etat pour butin de guerre. Sans adhérer à
son idéologie islamiste, les Libanais, lassés des incursions répétées de
l’armée israélienne, ont soutenu et respecté «le parti de Dieu» qui a
affirmé sa supériorité militaire et stratégique contre l’armée la plus
puissante de la région, tout en restant en dehors du partage des bénéfices du pouvoir et de la corruption. Le paradoxe est qu’il a commencé
à perdre ce soutien unanime à partir de mai 2000, date du retrait précipité des troupes israéliennes du Liban en raison des faits d’armes de
cette «résistance islamique» incarnée par le Hezbollah. Celui-ci,
appuyé par la Syrie et, dans une moindre mesure par l’Iran, qui se
désengage progressivement du dossier libanais à la suite de pressions
internes et externes, continue la «résistance», quoiqu’à un rythme
mesuré, pour libérer les fermes de Chebaa demeurant sous occupation israélienne. La situation au Sud-Liban demeure sous contrôle,
mais risque de déraper à n’importe quel moment, ce qui pèse sur le
processus de reconstruction. En effet, il ne faut pas oublier que le
contentieux avec Israël alourdit considérablement la facture de la
reconstruction déjà amputée par les agressions israéliennes à répétition durant les années 90 : opération «règlement de comptes» en 1993,
«raisins de la colère» en 1996, bombardements des infrastructures en
juin 1999 et pilonnage de sous-stations électriques en février 2000,
sans compter les incursions sporadiques causant d’inestimables
dégâts humains et matériels, tout au long de ces années 90. Pour ne
citer qu’un exemple, chacune des «mini-invasions» de 1993 et 1996 a
coûté à l’Etat libanais plus de 500 millions de dollars qu’il a fallu
emprunter à l’étranger. Et que dire des massacres perpétrés durant ces
agressions, notamment à Qana, en avril 1996, où plus de cent civils
libanais, enfants, femmes et vieillards venus se réfugier sous une tente
de l’UNIFIL, ont péri sous les bombes des chasseurs-bombardiers israéliens !
Depuis le retrait israélien de la «zone de sécurité», un certain «équilibre de la terreur» s’est installé entre le Hezbollah d’une part, qui s’est
déployé au sud, avec armes et «catiouchas», et menace de répliquer à
toute agression, et l’aviation israélienne, d’autre part, qui viole quotidiennement l’espace aérien libanais. Cette situation, portant les
germes d’un dérapage à tout instant, creuse le fossé entre les Libanais :
ceux qui croient que cet «équilibre de la terreur» protège le pays des
visées israéliennes et avancent comme preuve la récupération par
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La reconstruction du Liban
Beyrouth d’une partie des eaux du Wazzani sans que le Premier
ministre israélien, Ariel Sharon, puisse mettre ses menaces à exécution, et ceux qui ironisent sur le dit «équilibre» et veulent en finir avec
cette interminable tension au sud qui ne sert que les intérêts syriens.
Le statu quo risque, en fait, de se perpétuer en l’absence d’un règlement israélo-syrien ; règlement que la «feuille de route» omet en
attendant celui du dossier israélo-palestinien qui, malheureusement,
ne donne pas encore de signes prometteurs. De plus, il apparaît
aujourd’hui que les Américains qui pataugent dans le marécage
irakien, ne seront vraisemblablement pas capables de mettre en œuvre
la «recomposition du Moyen-orient» tant promise par leur secrétaire
d’Etat, Colin Powell.
Les réfugiés palestiniens
Le Liban, en pleine reconstruction, ne peut qu’endurer cet état de
fait qui le dépasse. La feuille de route ne promet pas aux réfugiés
palestiniens de bénéficier du droit de retour accordé par les Nations
Unies. Ceux-ci, au nombre de 300 à 400 000, sont cantonnés dans des
camps disséminés à travers le pays dans une situation socio-économique lamentable, constituant ainsi une bombe à retardement, un
véritable brûlot, pour un Liban fragilisé de tous bords et de tous côtés.
La naturalisation des Palestiniens pose le problème du fragile équilibre entre les communautés, c’est pourquoi la Constitution libanaise
et l’accord de Taëf refusent leur implantation. D’ailleurs les Libanais,
toutes confessions confondues, ne voient pas pourquoi ils devraient
payer le prix (par ailleurs trop cher) d’un problème créé par Israël qui
continue à dédaigner les résolutions de l’ONU en la matière.
N’oublions pas non plus que la présence palestinienne au Liban a joué
le rôle de détonateur de la terrible explosion du 13 avril 1975.
Ainsi le chemin de la reconstruction du Liban reste parsemé d’obstacles en tous genres. La géopolitique veut que tant que la région ne
connaîtra pas une paix juste et durable, le pays du Cèdre devra le
payer au prix lourd. Bon gré mal gré, les Libanais l’ont fait et le feront,
tout en gardant un dynamisme exceptionnel et un goût prononcé
pour la liberté et le débat. Et comme l’a souligné Bahige Tabbara «le
mérite du Liban est d’être sorti d’une guerre aussi terrible tout en restant
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démocratique», bien que l’ancien Premier ministre Salim Hoss considère qu’«au Liban il y a beaucoup de liberté mais peu de démocratie». Ce
débat, inépuisable d’ailleurs, continue au sein de l’intelligentsia et de
la classe politique libanaise dans une ambiance jalousée mais quelquefois tendue.
Dans un rapport publié en 1997 par une délégation de la
Commission des lois du Sénat français, qui s’est rendue au Liban, on
lit : «Le Liban peut-il renaître ? (…) Les Libanais forment un peuple dynamique, persévérant, dont le courage ne s’est jamais démenti tout au long de
son passé. Il revient aujourd’hui à l’ensemble des Libanais d’apporter la
preuve que les vicissitudes internationales ne sauraient empêcher la renaissance de la nation libanaise fondée essentiellement sur le pluralisme politique
et la tolérance religieuse».
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