Le développement spirituel en éducation

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Le développement spirituel en éducation
Le développement spirituel
en éducation
Analyse des actes du colloque
tenu à Québec, les 11 et 12 novembre 2003
André Doyon
Décembre 2004
TRAVAIL RÉALISÉ POUR LE
COMITÉ SUR LES AFFAIRES RELIGIEUSES
TABLE DES MATIÈRES
Avant-propos …………………………………………
1
Première partie :
Analyse ………………………………………………… 3
Deuxième partie :
Observations et tendances ……………………… 29
Conclusion ……………………………………………. 40
AVANT-PROPOS
Le présent travail a pour objet de rendre compte des actes
du colloque tenu à Québec, les 11 et 12 novembre 2003,
sous le thème « Le développement spirituel en éducation ».
Ce compte rendu se veut une analyse des différentes
conférences prononcées au cours de ce colloque, en fonction
d’un certain nombre de questions regroupées autour des
points suivants : la spiritualité et le rôle de l’école au regard
du développement spirituel de l’élève. On trouvera, en
annexe, l’énoncé précis de ces questions.
Dans la première partie, il s’agira d’analyser chacune des
conférences à partir des questions évoquées précédemment.
La deuxième partie s’attachera à faire état des tendances
qui se dégagent quant à la conception de la spiritualité et au
rôle de l’école concernant le développement spirituel de
l’élève.
1
Première partie
Analyse
3
I Jean Bédard (p. 7-16)
« Le commencement de tous les chemins »
La spiritualité
L’auteur ne donne pas de définition de la spiritualité et ne traite pas du
rapport entre la spiritualité et la religion.
Pour parler de sa conception de la vie spirituelle, il aime utiliser le
mode allégorique. Ainsi, il compare la personne engagée dans un
cheminement spirituel au « saumon qui remonte la rivière afin de
trouver le lieu de son origine, le commencement de tous ses
chemins ». On comprend par là que le développement de la vie
spirituelle passe par la prise de conscience et la remontée des courants
descendants qui entraînent vers le bas.
Les courants descendants sont, pour lui, toutes ces formes de
déracinement de l’être humain qu’amène la société d’aujourd’hui :
déracinements culturels (par exemple, par la promotion obsessionnelle
du nouveau et du moderne) et déracinements de l’être (par la
surexploitation de la rationalité instrumentale, la mise en avant d’une
conception de la liberté volage dissociée du sens des responsabilités,
etc.). Pour lui, si l’éducation ou le développement de la vie spirituelle 1
a un sens, c’est d’assister le jeune dans sa remontée des courants
descendants, c’est de l’habiliter à nager à contre-courant afin de
parvenir à la source de son être, à la source de la docte ignorance, de
l’espérance, de la confiance et de la vitalité créatrice.
Empruntant sa conception de la vie spirituelle à la pensée mystique de
Maître Eckhart, aux grandes traditions religieuses et à la pensée
philosophique de Kant, Jean Bédard situe la vie spirituelle au niveau de
la conscience transcendantale, qui est présence immédiate, attentive
et émerveillée à l’être dans sa totalité (comme en est capable
l’enfant), par opposition à la conscience intentionnelle, typique de la
culture moderne2, portée à réduire l’être en divers objets de
connaissance à étudier ou à analyser par des sujets connaissants.
1
2
De façon générale, Jean Bédard semble faire une équivalence directe entre
éduquer un jeune et développer sa vie spirituelle. À son point de vue, l’éducation
doit viser l’épanouissement de l’esprit dans l’apprentissage de la liberté en vue
d’assumer la dignité humaine et de réaliser une démocratie viable.
« Une culture qui explose dans la multitude des savoirs perd sa vie spirituelle,
explique tout, mais ne trouve aucun sens à rien. [….] L’école elle-même a éclaté
en mille savoirs. »
5
Le développement spirituel en milieu scolaire
Pour l’auteur, il ne fait aucun doute que l’école a une responsabilité à
l’égard du développement spirituel de l’élève. Il affirme que « si l’école
est le fondement de la démocratie (comme aiment à le souligner
certains documents ministériels), elle a pour mission le développement
de l’esprit et cela suppose logiquement qu’elle assume son rôle vis-àvis du développement spirituel de l’élève ».
L’auteur ajoute que la vie spirituelle ne s’enseigne pas, mais qu’elle
peut être favorisée par de meilleures conditions de vie humaine. À cet
égard, il livre huit petits conseils d’hygiène spirituelle, qui pourraient
constituer la base d’un plan d’action en cinq dimensions pour
l’établissement d’une école « qui remonte le courant ». Il s’agit d’une
école écologique pour vivre, d’une école hygiénique pour croître, d’une
école droite pour penser, d’une école politique pour agir et d’une école
inspirée pour créer.
D’autre part, il soutient que le développement de la vie spirituelle du
jeune à l’école est possible dans la mesure où les éducateurs sont euxmêmes engagés dans le développement de leur propre vie spirituelle.
Enfin, signalons une mise en garde qu’il sert à l’école : si celle-ci n’est
pas capable d’une autre forme de conscience que la conscience
intentionnelle (avec sa tendance à tout vouloir réduire en objets de
connaissance), si elle ne laisse pas de place à la conscience
transcendantale, il serait préférable alors qu’elle ne s’occupe pas de la
vie spirituelle des enfants.
L’auteur ne parle pas du
d’engagement communautaire.
service
d’animation
spirituelle
et
6
II Robert Mager (p. 19-36)
« Le souffle du portageur.
L’intérêt pour la spiritualité dans le monde contemporain »
La spiritualité
Selon l’auteur, l’intérêt actuel pour la spiritualité trahit la difficulté
croissante de l’homme contemporain à se réaliser comme être humain
dans le monde d’aujourd’hui (celui-ci étant perçu comme inhabitable,
menaçant, déréglé et insensé) et la conviction qu’il faut trouver
« ailleurs » un lieu de réalisation personnelle. Cet « ailleurs » se
situerait soit dans l’intériorité (spiritualité « intimiste »), soit dans un
autre monde au-delà du réel (spiritualité « angélique »).
L’auteur critique ces deux conceptions de la spiritualité, en raison du
caractère de « repli sur soi » de la première et du caractère désincarné
de la seconde. Pour l’auteur, la spiritualité ne peut faire abstraction de
la dimension relationnelle et sociale de l’être humain, de son
appartenance au monde3, inhérente au processus de constitution de la
personne (étant entendu que l’être humain conserve toujours cette
faculté de prendre ses distances par rapport au monde).
En conséquence, l’auteur voit la spiritualité comme cette dynamique
de l’esprit selon laquelle l’être humain se réalise par l’expérience
concrète de l’altérité, expérience de décentrement et de dépassement
de soi. De ce point de vue, les questions sociopolitiques ont quelque
chose à voir avec la spiritualité, en raison du lien intrinsèque qui existe
entre le devenir personnel et le devenir du monde. Ce qui amène
l’auteur à dire : « la présente crise spirituelle est dans une grande
mesure une crise politique, c’est-à-dire une crise qui concerne
l’aménagement du monde ».
Cette conception de l’auteur est rigoureusement anthropologique, en
ce sens qu’elle voit l’être humain comme un projet d’existence qui
suppose nécessairement le rapport à l’altérité, le rapport au monde.
Cette façon de voir la spiritualité permet d’intégrer l’expérience
proprement religieuse, sans la supposer nécessairement.
3
Par monde, l’auteur entend « tout ce qui s’offre à l’expérience, c’est-à-dire à la
fois la nature, l’artifice humain et l’univers social (la culture), y compris, donc, les
autres êtres humains rencontrés au quotidien ».
7
Le développement spirituel en milieu scolaire
Sans le dire explicitement, l’auteur accepte volontiers l’idée que l’école
ait pour rôle de faciliter le cheminement spirituel de l’élève, pour la
bonne raison que l’éducation est elle-même entreprise spirituelle.
Pour lui, toute la dynamique de l’éducation se joue entre les deux
pôles de l’expérience humaine elle-même :
l’appartenance corporelle au monde, monde que l’éducation
scolaire a pour mission de « présenter4 » aux élèves;
le maintien d’une distance appropriée par rapport à ce monde
extérieur et d’un espace de liberté personnelle.
À cet égard, l’auteur utilise la comparaison du « portageur », qui doit
porter son canot entre les lacs pour voyager : l’enjeu, pour lui, n’est
pas d’échapper à l’eau et à la terre, mais d’avoir le souffle nécessaire
pour aller plus loin, en portant avec lui tout ce qui l’a porté jusqu’alors.
C’est par l’accompagnement de l’élève que l’école et les éducateurs
scolaires peuvent contribuer à son développement spirituel : il s’agit
d’aider l’élève à accéder à lui-même (l’élève représentant un potentiel
de renouvellement et donc la possibilité d’un avenir), ce qui implique
un respect de sa liberté en devenir. Une condition importante : les
éducateurs doivent être eux-mêmes en route, en devenir et prendre
part au processus d’interrogation auquel ils convient leurs élèves.
Aucune référence n’est faite au service d’animation spirituelle et
d’engagement communautaire.
4
L’auteur reprend ici le point de vue de la philosophe Hannah Arendt, pour qui la
mission essentielle de l’école est de « décentrer les élèves d’eux-mêmes et de leur
présenter le monde ». Présenter le monde dans un triple sens :
Présenter au sens de le faire découvrir et connaître en permettant ainsi
d’élargir les horizons des enfants;
Présenter au sens que le monde est un « présent », un don, un cadeau reçu,
dont ils sont maintenant responsables et qu’ils légueront à leur tour;
Présenter au sens que le monde en question, c’est le monde « présent »,
actuel, tel que le passé l’a livré et qui recèle tout un ensemble de possibles
pour l’avenir.
8
III François Nault (p. 37-48)
« La spiritualité relève-t-elle (de) la religion
dans un monde désenchanté? »
La spiritualité
L’auteur ne donne pas de définition personnelle de la spiritualité.
Pour lui, la spiritualité qui ne s’inscrit pas dans un tissu symbolique (un
référent culturel, un héritage religieux, un langage, un monde narratif
ou rituel, etc.) enferme le sujet qu’elle prétend libérer, le repliant sur
lui-même, dans l’anomie et la confusion. C’est trop souvent alors le
« grand n’importe quoi » qui ne promet rien, qui vient simplement
meubler l’espace créé par la désinstitutionnalisation et son inévitable
effet : la désymbolisation des individus.
En faisant appel à un modèle opératoire5 élaboré par Jacques Lacan,
psychanalyste français, l’auteur analyse un texte de Guy Côté intitulé
Éthique, spiritualité et religion au cégep. Pour Nault, le réseau
conceptuel utilisé par Guy Côté est représentatif d’une manière
générale de parler du rapport existant entre la spiritualité et la religion
où l’on pose la réalité de l’expérience spirituelle comme précédant celle
de l’expérience religieuse6. À cet égard, le titre même de la conférence
situe bien la question.
Pour l’auteur, puisque la spiritualité authentique ne peut se vivre sans
inscription symbolique, c’est elle qui dépend ou relève de la religion.
Car, ce qui distingue la spiritualité de la religion, ce n’est pas tant la
référence ou la non-référence à Dieu, mais le fait que la première
appartient trop souvent à l’ordre imaginaire, coupé de toute
acculturation (et, alors, aliénant), tandis que la religion (par son
univers de croyances, de rites, de liens communautaires,
d’institutions) appartient à l’ordre symbolique, qui permet le vivreensemble.
5
6
Modèle où sont distingués « le réel » (ce qui est toujours déjà là), « l’imaginaire »
(l’ordre du sujet centré sur lui-même et qui contemple son image à la manière de
Narcisse et « le symbolique » (l’ordre du symbole, du langage ou du signe comme
élément médiateur).
Par exemple, Guy Côté affirmant que l’expérience spirituelle, lorsqu’on y fait
référence à Dieu, prend alors une connotation religieuse, laissant entendre par là
qu’un second sens s’ajoute à un premier sens.
9
Le développement spirituel en milieu scolaire
L’auteur ne traite pas, comme tel, du développement spirituel en
milieu scolaire. Toutefois, il dit s’inquiéter, comme plusieurs, des effets
possibles de la réduction de la transmission du symbolique à l’école.
IV Richard Bergeron (p. 49-60)
« Cheminement spirituel et religion »
La spiritualité
L’auteur définit la vie spirituelle comme l’« entreprise par laquelle
l’être humain, en tant qu’homo spiritualis, tend à la réalisation de soi
par le recentrement et l’unification de tout son être autour d’un sens et
d’un système de valeurs, dans le dépassement7 ».
D’après l’auteur, on est appelé à vivre une vie spirituelle, non pas
parce qu’on est chrétien ou hindou, mais tout simplement parce qu’on
est être humain. C’est donc sur des fondements anthropologiques qu’il
appuie sa conception du spirituel. Pour lui, le spirituel n’est pas un
fragment, une partie ou un élément constitutif de l’être humain, mais
plutôt la dimension ultime, insaisissable de l’être tout entier, ce par
quoi l’être humain est le plus lui-même, ce qui le distingue de tous les
autres êtres en ce monde. Plus qu’animal rationale, l’homme est
animal spirituale, c’est-à-dire source et principe de liberté,
d’autonomie et de transcendance.
L’auteur traite abondamment du rapport entre la spiritualité et la
religion. Il souligne entre autres choses :
Que c’est une « exigence » de nature pour l’être humain
d’advenir comme sujet spirituel, tandis que l’« advenue »
comme sujet religieux est une « possibilité » innée qu’il peut ou
non réaliser;
7
Chacun des éléments importants de cette définition est commenté dans le
paragraphe central de la page 53 des actes du colloque.
10
Que le sujet spirituel, c’est l’être humain en tant qu’essence qui
cherche à se réaliser par l’effort et le dépassement, comme si
tout dépendait de lui, alors que le sujet religieux désigne l’être
humain en tant que créature, émanation ou fragment du divin,
qui cherche à s’épanouir en se mettant en rapport avec le divin;
Que si, par le passé, spiritualité et religion formaient un tandem
indissociable au point de faire un tout, aujourd’hui ces deux
réalités sont très souvent perçues et vécues comme détachées
l’une de l’autre et même en situation conflictuelle;
L’importance d’établir entre la spiritualité et la religion des
relations autres que celles de la méfiance, de la dénonciation, de
l’exclusion et d’engager un dialogue critique, puisque ces deux
réalités poursuivent une entreprise identique (la réalisation de
l’humain intégral, individuel et communautaire), tout en
apportant des contributions différentes et sans doute
complémentaires :
1. la spiritualité présente un côté plus subjectif, plus
intériorisé, plus dynamisant, alors que la religion se
distingue par son caractère plus objectif (offre d’un univers
de sens, d’un système de valeurs précis et d’un ensemble
de pratiques et de rites);
2. la spiritualité a comme fonction de rappeler qu’il en va de
la dignité de l’humain de ne pas se laisser enfermer dans
le biologique, le mécanique, le système, les normes et les
pratiques; tandis que la religion a pour fonction de
rappeler que l’humain ne peut être ultimement assuré
qu’en s’ouvrant au mystère, à un « Au-delà de luimême », à un non-lieu imprescriptible qui reçoit autant de
noms qu’il y a de religions;
Le devoir de vigilance qui incombe aux religions, constamment
tentées de faire triompher l’objectivité sur la subjectivité et
d’étouffer, par le fait même, le spirituel en elles et autour d’elles.
Le développement spirituel en milieu scolaire
L’auteur n’aborde pas ce sujet.
11
V François Lefebvre (p. 63-77)
« En quoi la psychologie éclaire-t-elle la spiritualité
contemporaine? »
L’auteur parle davantage de religion que de spiritualité, dont il ne
donne d’ailleurs aucune définition personnelle.
Après avoir souligné que la religion continue d’être présentée soit
comme épanouissante8, soit comme aliénante par des approches
psychologiques qui s’y intéressent, l’auteur emploie 60 % de son texte
à explorer l’expérience religieuse sous un double point de vue
psychologique. Point de vue d’ordre cognitif s’intéressant à la
« compréhension » qu’ont l’enfant et l’adolescent de leur relation à
l’Absolu ou au divin et point de vue d’ordre affectif qui tente de cerner
l’« image » qu’ils s’en font et son processus de façonnement à partir
de leur expérience affective, dès le début de leur vie. Il ressort de
cela :
Que, sur le plan cognitif, la compréhension que l’enfant ou
l’adolescent peut avoir de sa relation au divin est à la fois fondée
et limitée par son niveau de développement cognitif (caractérisé
par l’émergence progressive de la différenciation entre sujet et
objet et le passage d’une pensée concrète à une pensée
abstraite);
Que, sur le plan affectif, les figures parentales et les modes
d’attachement des enfants à leurs parents ont certainement
quelque chose à voir avec l’image qu’ils se font de Dieu : un
Dieu sécurisant ou distant ou inconsistant.
Évidemment, cette exploration de l’expérience religieuse à laquelle se
livre l’auteur repose sur des fondements d’ordre psychologique et rend
compte, pour l’aspect cognitif, des travaux de Piaget, Erikson, Fowler,
Oser et Gmünder.
8
Parmi les différentes approches psychologiques qui s’intéressent à la religion, il y
a le « courant descriptif » qui voit la religion comme potentiellement
épanouissante pour l’être humain. Ce courant considère la religion comme une
dimension intrinsèque à l’être humain et respecte les traditions religieuses.
12
La spiritualité
Selon l’auteur, les expressions spirituelles tendraient à se distinguer
des expressions religieuses par leurs dimensions internes, affectives,
spontanées et privées, alors que les expressions religieuses
présenteraient
des
dimensions
externes,
cognitives,
comportementales, rituelles et publiques. Ces expressions peuvent
être complémentaires, mais il est aussi possible d’être religieux sans
être spirituel et d’être spirituel sans être religieux.
Vue de cette façon, la spiritualité se situe en ligne directe avec la
sensibilité moderne qui privilégie le subjectivisme, l’accomplissement
de soi et le centrage sur l’expérience individuelle. Sensibilité moderne
qui, au dire de Charles Taylor, relève d’une culture d’authenticité où
« chacun d’entre nous a une façon originale d’être humain 9 ». D’après
l’auteur, cette conception moderne de la spiritualité, à cause de son
caractère individualiste et habituellement désengagé d’un point de vue
social, peut mener à des dérives conduisant tout droit à une confusion
identitaire.
Le développement spirituel en milieu scolaire
L’auteur ne se prononce pas explicitement quant à savoir s’il est
essentiel pour l’école de faciliter le développement spirituel de l’élève.
Toutefois, en soulignant fortement le contexte de confusion où vivent
les jeunes (confusion identitaire propre à l’adolescence, confusion due
également à l’éclatement de la famille, source traditionnelle de
structuration de la personnalité, et au pluralisme et au relativisme des
idées et des valeurs promues, etc.), on imagine facilement que
l’auteur reconnaisse un rôle à l’école (qui reste indéterminé) au regard
du développement spirituel de l’élève.
On peut noter, d’autre part, que l’auteur voit positivement la présence
du service d’animation spirituelle et d’engagement communautaire
(SASEC) à l’école10, pour lequel toutefois il précise certaines conditions
d’exercice. Il importe, à son avis, que les responsables du SASEC :
9
10
Charles Taylor estime cependant que la recherche d’authenticité est féconde si
elle est ouverte à des horizons de signification et à une définition de soi dans le
dialogue, c’est-à-dire dans la relation aux autres.
La conjugaison de la dimension spirituelle et de la dimension communautaire (du
SASEC) concorde avec les aspects profonds des courants psychologiques
d’aujourd’hui : un être humain en santé psychique sait faire confiance et sait
aimer.
13
intègrent, dans leur formation, les approches du développement
psychoreligieux de la personne, sur le plan cognitif et affectif;
soient au clair quant à leur propre expérience spirituelle ou
religieuse.
VI Céline Roussin (p. 79-98)
« La place du développement spirituel
dans la construction de l’identité »
La spiritualité
L’auteure ne donne pas de définition de la spiritualité, comme telle.
Elle observe d’abord, comme plusieurs, que la spiritualité d’aujourd’hui
n’est plus tributaire d’une religion ou d’un groupe religieux, mais
qu’elle est associée de plus en plus au psychisme humain. Le
développement spirituel « séculier » devient graduellement synonyme
de développement humain11 et vise à combler, chez l’être humain, ses
métabesoins (Maslow) ou ses besoins latents (Hétu).
Considérant ensuite la spiritualité comme une expérience d’abord
subjective et donc nécessairement multiforme, elle reprend à son
compte les trois types de spiritualité (cosmique, prophétique et
mystique) définis par Richard Bergeron, pour ne retenir que le type
mystique de spiritualité (qui donne la priorité au rapport à soi, par
toutes sortes de techniques de méditation, de silence ou de solitude),
afin de discuter de la place du développement spirituel dans la
construction de l’identité.
À la suite de Jean-Luc Hétu, elle estime que le développement spirituel
s’articule autour de sept axes :
l’ouverture à l’expérience ou la connaissance de soi;
la prise en charge ou la capacité de maintenir l’intégrité
humaine, quand celle-ci est menacée;
11
D’ailleurs, l’objet de son texte est de montrer que les phénomènes liés à la
spiritualité et ceux liés au processus identitaire du développement humain ne
semblent former qu’une seule et même expérience.
14
l’altérité ou la capacité d’empathie;
le lâcher-prise ou le détachement;
la flexibilité ou la capacité d’adaptation;
la quête de sens;
l’intériorité, entendue comme capacité d’émerveillement.
La conception que défend l’auteure en ce qui a trait à la construction
de l’identité en vue du développement humain – et donc spirituel – de
l’individu s’appuie à la fois sur la perspective humaniste d’un
psychologue comme Carl R. Rogers et sur la perspective
psychodynamique d’un autre psychologue, Erik H. Erikson.
Concernant le rapport entre la spiritualité et la religion, l’auteure
semble partager le point de vue de Hétu, selon lequel la religion
représente la rampe de lancement pour l’expérience spirituelle ou
qu’elle est la pédagogie de la spiritualité. La fonction première de la
religion serait d’amener la maturité spirituelle qui consiste à devenir de
plus en plus humain.
Le développement spirituel en milieu scolaire
L’auteure n’aborde pas cette thématique.
VII Tan-Hong Nguyen (p. 99-103)
« Le cheminement spirituel chez les bouddhistes »
La spiritualité
L’auteur ne donne pas de définition de la spiritualité et ne traite pas du
rapport entre la spiritualité et la religion.
Sa conception de la spiritualité est fondée sur le bouddhisme où on
aime parler de « cheminement spirituel », lequel a été vécu et
enseigné par le Bouddha. Le point d’aboutissement de ce
cheminement est l’Éveil, c’est-à-dire la compréhension de la Réalité
ultime qui transcende toute dualité et libère définitivement le
« cheminant » du cycle des renaissances.
Entreprendre un cheminement spirituel comporte trois volets qui se
soutiennent et se complètent : la discipline éthique (les cinq préceptes
15
bouddhistes) qui crée les conditions propices au développement
spirituel et mental, la méditation et la sagesse transcendantale. Il
s’agit là du parcours spirituel typique, tel qu’il est enseigné par le
Bouddha. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’autres parcours
possibles (avec des accents particuliers) correspondant à autant
d’écoles bouddhistes différentes qui sont apparues au cours des âges.
Le développement spirituel en milieu scolaire
L’auteur ne traite pas de la responsabilité de l’école au regard du
développement spirituel de l’élève ni du service d’animation spirituelle
et d’engagement communautaire.
Sur la question du développement spirituel en milieu scolaire, il
soutient que le cheminement spirituel bouddhiste, en faisant appel à la
logique et à l’expérience personnelle, en n’exigeant pas un acte de foi
et en offrant des pratiques simples et concrètes qui apportent détente
et paix, sans violer aucun enseignement d’autres traditions, s’avère
bien adapté à des cultures et à des individus aux dispositions diverses,
peut ainsi intéresser les jeunes et leur faire grand bien, dans la
mesure où les enseignants appelés à le proposer font preuve d’une
ouverture d’esprit et ont un minimum de pratique personnelle.
VIII Christian Grondin (p. 105-116)
« L’accompagnement spirituel dans le christianisme.
Éduquer à l’autonomie spirituelle »
La spiritualité
L’auteur, qui traite le sujet dans une perspective strictement religieuse
et chrétienne, ne donne pas de définition de la spiritualité et n’aborde
pas le rapport entre la spiritualité et la religion.
Rappelant que le christianisme, à l’origine, était désigné comme « la
Voie » et que la Voie n’est nulle autre que le Christ, il conçoit la vie
spirituelle comme une marche avec et dans le Christ. Dans cette
expérience spirituelle de marche dans le Christ, le « cheminant » est
appelé à découvrir son identité de fils ou de fille de Dieu, qui
l’amènera, d’une part, à adopter la manière de penser, de juger, d’agir
16
de Dieu, telle qu’elle se manifeste en Jésus-Christ et, d’autre part, à
s’engager dans le monde pour le rendre juste et solidaire.
La conception de la spiritualité présentée ici repose donc sur des
fondements relatifs à la foi chrétienne, tout en privilégiant la
perspective mystique ignatienne (saint Ignace de Loyola).
Le développement spirituel en milieu scolaire
L’auteur ne traite pas du rôle de l’école au regard du développement
spirituel de l’élève.
Quant
au
service
d’animation
spirituelle
et
d’engagement
communautaire (SASEC), il en parle très peu, si ce n’est pour signaler
que les pratiques associées au développement de la spiritualité
ignatienne (exercices de méditation, de discernement, de relecture
anthropologique, d’ailleurs utilisés à quelques variables près dans les
traditions de sagesse antiques) peuvent être ajustées en fonction du
caractère non confessionnel de ce service complémentaire et sont donc
« transférables » dans une certaine mesure.
En outre, l’auteur présente quelques réflexions sur l’accompagnement
spirituel qui peuvent également avoir leur intérêt pour les intervenants
et les intervenantes du SASEC. Entre autres choses, il considère
comme un « impératif » que l’accompagnateur spirituel soit lui-même
engagé dans une démarche spirituelle personnelle.
IX Nicole Bouchard (p. 117-125)
« Le développement spirituel des jeunes.
Une aventure à faire et à vivre »
La spiritualité
L’auteure ne fournit pas de définition précise de la spiritualité, ni de
conception particulière de celle-ci. À travers son texte, cependant, on
perçoit qu’elle associe la spiritualité à la quête de sens, au sens ou au
non-sens de la vie, aux grandes questions entourant la vie, la mort, la
souffrance, à l’éthique, etc. Elle constate également que la mise en
route pour une quête ou une expérience de vie spirituelle s’effectue
17
souvent au moment où l’on ressent le caractère inexpliqué ou
inexplicable d’événements-choc dans la vie.
L’auteure affirme ne pas avoir d’idées théoriques sur le spirituel. Pour
en parler, elle préfère partir de sa pratique de recherche, qui a
débouché sur l’élaboration d’un cadre d’intervention (axé sur les rites
de passage), auprès de personnes en quête de spiritualité. Car, pour
elle, le développement spirituel des personnes passe par la
redécouverte des rites12 pour la traversée de leur vie. Elle soutient que
la voie des rites offre un lieu d’incarnation privilégié du spirituel, qui ne
peut compter que sur la seule rationalité pour s’exprimer.
Concernant la relation entre la spiritualité et la religion, l’auteure parle
de « décollement progressif » de l’une par rapport à l’autre, qui ne se
fait d’ailleurs pas sans heurts. Elle constate que beaucoup d’individus
sont de plus en plus réticents à faire appel aux intervenants religieux
pour leurs questions et préoccupations d’ordre spirituel, ou au moment
de vivre des événements importants de leur vie : naissance d’un
enfant, perte d’un emploi, deuil, etc.
Le développement spirituel en milieu scolaire
Pour l’auteure, le monde scolaire ne peut se dérober à ce
questionnement sur la place du développement spirituel au sein de
l’école, et ce questionnement lui paraît de la plus haute importance.
L’école doit s’ouvrir à la dimension symbolique et soutenir les passages
des jeunes. Ce faisant, elle aide les jeunes à devenir des faiseurs de
ponts, capables de relier les rives de leur vie, divisées par une peine
amoureuse, un échec scolaire, une difficulté à se faire des amis, la
violence inhérente aux interactions sociales.
Pour l’auteure, cependant, il ne saurait y avoir une culture de
l’expérience spirituelle dans le monde scolaire :
sans aveu de notre impuissance à tout contrôler, à tout
évaluer, à tout prescrire et proscrire;
sans cette attention au récit des jeunes;
sans risquer et mettre en jeu l’imaginaire;
sans l’intégration du corps et des sens.
12
Les rites sont un exercice d’appropriation de soi et du monde; ils permettent la
remise en jeu des passages bloqués, notamment par l’écoute des récits singuliers
des personnes et leur inscription dans une quête symbolique.
18
L’auteure ne répond pas directement à la question relative au service
d’animation spirituelle et d’engagement communautaire, mais son
texte laisse entendre qu’elle a pu compter sur la collaboration de
certains de ses responsables pour mener ses expériences en milieu
scolaire et qu’elle a donné à nombre d’entre eux des sessions de
formation orientées sur le modèle d’intervention qu’elle a élaboré.
X Xavier Gravend-Tirole (p. 127-166)
« Vers une philosophie du devenir
ou l’allégorie de la montagne »
La spiritualité
L’auteur identifie le développement spirituel d’une personne à son
« devenir existentiel » et prend à son compte la définition proposée
par Sandra Schneiders et reprise par André Charron13 :
Vivre spirituellement, c’est vivre sa condition humaine au-delà de la
banalité d’une existence qui serait réduite à une succession
d’activités sans signification capitale et déterminante. Elle peut être
définie comme « l’expérience de s’efforcer consciemment d’unifier sa
vie, en termes non pas d’isolement ni de repli sur soi, mais de
dépassement vers la valeur ultime que l’on perçoit ».
Pour mieux exprimer sa conception de la vie spirituelle, l’auteur choisit
d’utiliser une allégorie, celle de la marche en montagne ou des
chemins de montagne. Pour lui, la quête spirituelle, comme l’ascension
d’un sommet, demande une préparation, quelques connaissances et
un certain équipement pour ne pas se perdre ou abandonner la
marche.
L’allégorie est développée en fonction de quatre questions (quel est le
sommet à atteindre? par quels chemins en montagne? en accordant
quel degré de confiance à ces chemins quant à leur capacité de mener
au but? en espérant quoi, à l’arrivée?), lesquelles sont abordées sous
trois angles différents : le rapport au transcendant, le rapport au
monde et à autrui, le rapport à soi.
13
Notons que cette définition est assez souvent citée par différents auteurs.
19
Examinée sous l’angle du rapport au transcendant, la quête spirituelle
est confrontée aux multiples conceptions du sommet à atteindre (Dieu,
le non-Dieu, la Nature, le Grand Tout, Soi-même) et à la question de
la crédibilité à apporter à tous les intermédiaires disponibles (textes
sacrés, maîtres à penser, etc.). Vue sous l’angle du rapport au monde
et à autrui, la quête spirituelle est confrontée à la question de la
pertinence de s’engager dans un groupe pour atteindre le sommet.
Vue sous l’angle du rapport à soi, c’est toute la question de l’équilibre
à assurer au niveau de toutes les composantes de l’être humain.
Tout au long de son développement, on note chez l’auteur deux
insistances marquées :
il cherche à montrer l’impossibilité de parler du spirituel sans
l’inscrire dans son cadre historico-culturel et même religieux.
Tenant pour fondamentale l’idée que la spiritualité, dégagée de
toute référence à une tradition religieuse, apparaisse
extrêmement fragile, l’auteur exprime le souhait que le MEQ
accorde aux traditions religieuses un droit de cité à l’école et
permette ainsi aux élèves une saine rencontre des différentes
voies spirituelles;
il cherche à montrer l’importance, dans le développement
spirituel, d’assurer un équilibre entre les diverses dimensions de
l’être humain (y compris les dimensions corporelle et sociale).
Sous ce dernier aspect, il tente d’indiquer des pièges liés à la
marche spirituelle de la personne (comme le fondamentalisme et
le sectarisme) et des défis à relever (l’autonomie, l’authenticité,
la cohérence).
Le développement spirituel en milieu scolaire
L’auteur ne traite pas comme tel du développement spirituel en milieu
scolaire ni du service d’animation spirituelle et d’engagement
communautaire (SASEC). Toutefois, ses réflexions sur l’importance
d’un guide dans l’escalade d’une montagne portent à penser qu’il
souscrirait à l’idée que les éducateurs en milieu scolaire et, plus
particulièrement, les responsables du SASEC soient appelés à jouer un
tel rôle sur le plan spirituel : un rôle d’accompagnement des élèves,
pour les aider à atteindre le sommet visé par eux.
20
XI Victor C. Goldbloom (p. 169-171)
« La religion à l’école : le rôle de l’État »
Le texte de Victor C. Goldbloom, très court (2 pages), traite presque
exclusivement du rôle de l’État par rapport à l’enseignement religieux
scolaire donné au Québec depuis 1760. Le sujet est développé du
point de vue de la communauté juive, principalement.
En conséquence, son propos est assez éloigné des diverses questions
touchant la spiritualité et le développement spirituel en milieu scolaire,
si l’on fait exception de deux réflexions, en fin de parcours :
Ce n’est pas à l’école d’enseigner à l’enfant sa propre religion :
ce devoir incombe aux parents et aux institutions religieuses.
La diversité de la société d’aujourd’hui oblige à inculquer à
l’enfant le respect de l’appartenance religieuse de l’autre et [… à]
lui fournir une connaissance au moins minimale des religions
autres que la sienne.
XII Jocelyn Berthelot (p. 173-182)
« Le droit à l’égalité et le respect de la diversité
dans l’école laïque »
La spiritualité
Pour donner une définition du spirituel, l’auteur s’inspire d’un
document du ministère de l’Éducation14, dans lequel il est dit que le
spirituel « est relatif au sens de la vie, à l’expérience réfléchie et
responsable, aux valeurs ».
Globalement, l’auteur présente la quête de sens comme le propre de
tout être humain. Il associe également au monde spirituel la réflexion
sur les origines et sur le destin de l’humanité, les relations de l’être
humain avec la nature, les questions que posent la mort et le
caractère infini de l’univers, les réponses diversifiées apportées par les
croyances et les mythes.
14
QUÉBEC, MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION, Dans les écoles publiques du Québec :
une réponse à la diversité des attentes morales et religieuses, 2000, p. 17.
21
La conception de l’auteur repose sur une philosophie humaniste de
type laïc et sur des fondements juridiques, notamment la Loi sur
l’instruction publique (LIP) et les deux chartes canadienne et
québécoise relatives aux droits de la personne.
Dans la même ligne que la politique ministérielle en la matière,
l’auteur affirme simplement que le spirituel se distingue du religieux.
Le développement spirituel en milieu scolaire
Pour l’auteur, le respect du droit à l’égalité n’implique nullement que le
fait religieux et le développement spirituel soient exclus de l’école. Il
affirme qu’il y a consensus très large sur ces questions et que c’est
sans doute l’une des caractéristiques de la laïcité québécoise.
L’auteur reconnaît un double rôle à l’école quant au développement
spirituel en milieu scolaire : un rôle d’accompagnement de l’élève et
un
rôle
d’instruction.
L’auteur
soutient,
en
effet,
que
l’accompagnement de l’élève dans sa quête de sens est
particulièrement important dans un contexte où la marchandisation de
toutes les activités humaines se présente comme le seul horizon
planétaire, où les sollicitations sectaires sont nombreuses et les
réponses farfelues en progression. Toutefois, cet accompagnement
spirituel doit se faire dans le cadre du projet éducatif de l’école qui doit
également respecter la liberté de conscience et de religion des élèves,
des parents et des membres du personnel de l’école (LIP, art. 37).
Enfin, l’auteur suggère de renforcer le service d’animation spirituelle et
d’engagement communautaire, en raison de ses pauvres conditions
d’exercice. Pour lui, ce service complémentaire pertinent dans le cadre
scolaire ne dispose pas des conditions suffisantes lui permettant de
contribuer pleinement au développement spirituel, personnel et social
de l’élève. Il déplore notamment le fait que, dans bien des endroits, ce
service n’est pas offert et que là où il est assuré, les responsables du
service ont des tâches trop lourdes : nombre trop grand d’écoles à
desservir et d’élèves à joindre.
22
XIII Jeanne-Paule Berger (p. 183-195)
« Rôle de la communauté éducative
au regard du développement spirituel des élèves »
La spiritualité
Pour l’auteure, le spirituel renvoie aux sphères de l’esprit, de
l’intériorité, des profondeurs de l’âme humaine, du transcendantal, du
sacré, du sens de la vie. Le spirituel a à voir avec l’au-delà du temps
et du réel, avec l’éternité, l’immortalité.
Au chapitre du rapport entre la spiritualité et la religion, elle souligne
qu’une vie spirituelle est possible en dehors d’une appartenance
religieuse et, de ce fait même, partage un point de vue ministériel :
parler du spirituel, c’est considérer l’expérience de la transcendance,
« celle d’un ordre qui dépasse la vie et lui donne sens, tout en ne se
limitant pas à l’expérience religieuse ».
À la suite de Luc Ferry15, elle considère que la modernité, caractérisée
par la technique, l’anthropocentrisme et le matérialisme, ne sonne pas
la fin des questions et des recherches concernant la spiritualité et la
transcendance, que ces deux dimensions ont toujours leur place dans
le monde contemporain, bien qu’elles doivent être traitées de façon
autonome, c’est-à-dire sans lien avec les appartenances religieuses.
On assiste, en fait, non pas à un rejet de la transcendance, mais plutôt
à un réaménagement de celle-ci, permettant la distinction entre une
spiritualité ou une transcendance « horizontale16 » (référant, par
exemple, à la solidarité entre humains traduite dans l’action
humanitaire ou aux nouvelles préoccupations morales en bioéthique)
et la transcendance « verticale », propre aux traditions religieuses.
Puisqu’elle emprunte beaucoup à Luc Ferry pour sa conception de la
spiritualité, on peut estimer que celle-ci se fonde sur une approche
humaniste de type laïc, dont on peut voir une expression intéressante
dans la note 16, en bas de page.
15
16
Luc FERRY, L’homme-Dieu ou le sens de la vie, Paris, Grasset & Fasquelle, 1996.
La transcendance horizontale : celle selon laquelle c’est l’être humain comme tel
qui constitue un appel immédiat à ma responsabilité.
23
Le développement spirituel en milieu scolaire
Pour l’auteure, il est important d’inscrire le développement spirituel de
l’élève dans les axes de la formation scolaire. Elle fonde cette
importance sur le fait que la société québécoise d’aujourd’hui, en dépit
de son caractère séculier, doit composer avec un pluralisme de
discours, de valeurs, de repères éthiques et de confessions religieuses,
et qu’il est du devoir de l’école d’aider l’élève à se situer
personnellement face à cela.
Pour que l’école puisse « faciliter le développement spirituel de
l’élève », l’auteure pose une condition fondamentale et préalable à
toute action concrète : la communauté éducative doit être au clair
quant au rapport qu’entretiennent ses membres à l’égard du spirituel,
du transcendant, du religieux et quant aux questions liées au sens de
la vie. Il est très important, pour elle, que la communauté éducative
établisse un certain consensus sur cette dimension et que ses
membres travaillent tous dans le même sens. Parmi les affirmations
qui devraient rallier l’ensemble du personnel éducatif, notons celles-ci
en particulier :
L’élève a besoin d’être accompagné dans la détermination de ses
propres valeurs et dans sa quête de sens : il est illusoire de
penser qu’il puisse être laissé à lui-même pour son
développement spirituel.
Parce que le développement spirituel de l’élève est l’affaire de
tous et de toutes, et non pas d’un seul responsable ou d’une
seule discipline, la communauté éducative doit saisir toutes les
occasions d’éveil et de formation qui s’offrent à elle dans la vie
scolaire, pour y travailler. Par exemple : les activités de
formation
intellectuelle,
les
expériences
d’engagement
communautaire menées en son sein, les actions d’intégration de
nouveaux arrivants.
Pour l’auteure, l’école dispose de nombreux points d’appui permettant
de faciliter le développement spirituel de l’élève : le projet éducatif de
l’établissement scolaire, l’ensemble des interactions personnelles et
professionnelles entre les élèves et le personnel, chacune des
disciplines scolaires17 et même les activités administratives.
17
Jeanne-Paule Berger développe avec beaucoup d’à-propos cet aspect. Partant de
la prémisse que « l’aventure intellectuelle offerte par l’institution scolaire est en
soi porteuse d’expériences spirituelles », elle montre comment chacune des
24
XIV Martin Lévesque (p. 197-202)
« Au cœur de notre action : les élèves »
La spiritualité
L’auteur ne donne pas de définition de la spiritualité et n’élabore pas
sur les rapports entre la spiritualité et la religion.
Sa conception de la spiritualité, il l’exprime par une allégorie où il est
question d’un aigle élevé par mégarde dans une basse-cour et qui n’a
jamais pris conscience de sa véritable nature et de ses possibilités de
vol, faute d’intervenant pour les lui révéler. Cette allégorie laisse
entendre qu’il y a en chaque être humain une nature profonde, des
dimensions et des ressources extraordinaires souvent insoupçonnées
et qui risquent d’être inexploitées, faute de « révélateurs ».
L’auteur appuie sa manière de voir sur des fondements d’ordre
théologique, sur sa pratique comme animateur de pastorale et
responsable du service d’animation spirituelle et d’engagement
communautaire (SASEC) dans divers milieux scolaires et hospitaliers
et sur des documents ministériels ayant trait au sujet.
Le développement spirituel en milieu scolaire
Sans indiquer explicitement s’il est essentiel pour l’école de faciliter le
cheminement spirituel de l’élève, on devine à travers l’allégorie utilisée
que l’école, par l’intermédiaire de ses divers intervenants, a un rôle à
jouer qui consiste à « révéler » au jeune son humanité profonde et
toutes ses potentialités individuelles.
Sur le SASEC, l’auteur est plus volubile. Son texte, de nature
descriptive, en précise les modalités de fonctionnement et le rôle
dévolu aux responsables. Selon l’auteur, le SASEC est là pour
« accompagner » l’élève dans des projets et des activités ayant pour
objet de faciliter sa recherche et son expérimentation en matière de
vie spirituelle et d’engagement communautaire. On y utilise la
méthode du « voir-juger-agir », traduite aujourd’hui dans les mots
« agir-relire-réinvestir ». On attend des responsables du SASEC qu’ils
témoignent aux élèves confiance et respect, en tenant pour acquis que
disciplines du curriculum peut contribuer au développement spirituel de l’élève. De
façon étonnante, cependant, elle se montre totalement muette sur le SASEC.
25
ceux-ci sont les premiers
cheminement spirituel.
artisans
et
responsables
de
leur
XV Georges Leroux (p. 205-223)
« Liberté et spiritualité. Vers un nouvel équilibre dans le projet
éducatif contemporain »
La spiritualité
Pour l’auteur, la vie spirituelle, c’est une vie libre au service du bien.
La liberté n’existe de manière souveraine que dans le choix du bien et
donc dans la reconnaissance du nécessaire dépassement spirituel du
modèle libéral actuel qui s’en tient aux valeurs démocratiques exigées
par le contexte pluraliste actuel (ambition, tolérance, respect,
justice/équité)18.
Pour l’auteur, parler d’éducation à la spiritualité, c’est parler des
moyens de produire des esprits libres, des esprits éveillés
spirituellement, capables d’assumer, de manière responsable et
ouverte, la confrontation actuelle des modèles de vie, hors de toute
hiérarchie (religieuse, métaphysique ou autre) qui voudrait s’imposer.
C’est parler des moyens de créer, au plus intime de soi-même, cet
espace intérieur de liberté (la self-reliance de Ralph Emerson) qui
permet de se dégager des aliénations, des tyrannies et des
asservissements (matériels et spirituels) qui guettent le citoyen
contemporain : l’aliénation, par exemple, des modèles de vie
dominants, des conventions et des modes, etc.
L’auteur tient pour acquis qu’un projet de formation libérale sousentend d’abord de refuser de soumettre l’éducation à de pures finalités
techniques et à des idéologies du divertissement. Cela suppose aussi
de le conserver dans son intégralité, c’est-à-dire sans le dissocier de
sa dimension de liberté intérieure au service du bien et donc de le
garder lié à sa finalité spirituelle de justice et de bien.
18
Pour l’auteur, les valeurs du modèle libéral « sans leur relation avec les valeurs de
la tradition spirituelle, surtout ascétique, sont privées de fondement : la justice
sans la charité est purement utilitaire et encourage la compétition, l’ambition sans
l’humilité et le sacrifice (de soi) rend exponentielle la recherche narcissique et
interdit toute connaissance de soi ».
26
À cet égard, l’éducation spirituelle lui apparaît comme un véritable
instrument de résistance face à l’aliénation du présent (face aux
« courants descendants », dirait Jean Bédard) et l’outil d’un éveil
libérateur.
La pensée de Georges Leroux s’appuie sur une philosophie libérale
d’approche communautarienne19, qui favorise un projet éducatif
capable d’énoncer des finalités autres que celles de l’expertise et des
connaissances, qui juge possible d’y introduire la considération des
différentes formes de vie, des symbolismes, de la discussion réfléchie
et comparative des valeurs actives de la société.
En ce qui concerne le rapport entre la spiritualité et la religion, l’auteur
constate simplement que la question du spirituel n’a jamais été autant
dégagée que maintenant des traditions et des institutions (religieuses
ou autres), chargées de la poser.
Le développement spirituel en milieu scolaire
La tâche élevée qui attend l’école, alors, c’est de permettre à l’élève de
passer de (ou de rééquilibrer) la vie libre, en tant que libérale, à la vie
libre, en tant que spirituelle. En ce sens, l’auteur signale avec force
que les jeunes doivent, tôt dans leur formation (donc, à l’école) :
être engagés dans le processus de connaissance de soi et
d’amour de soi (s’accepter comme ils sont avec leurs forces et
leurs faiblesses) et qu’en consentant à leurs limites, ils
développent l’humilité, l’autre fondement de l’éducation
spirituelle avec la liberté souveraine;
être exposés à la diversité des modèles de vie et des valeurs qui
les sous-tendent, y compris ceux et celles qui relèvent de notre
héritage le plus direct, les humanismes grec et judéo-chrétien20.
19
20
Georges Leroux dit se sentir « proche » des penseurs libéraux qui adoptent une
attitude communautarienne.
L’auteur déplore qu’actuellement on ne présente aux jeunes qu’un seul modèle de
vie, celui de la domination et de la force, camouflé sous les mots vagues de
« réussir », « gagner », « performer ».
27
Voici, schématiquement présentés, quelques éléments constitutifs de
ce passage :
Axes
Vie libre, en tant que libérale
Vie libre, en tant que spirituelle
Au niveau de soi
- Idéal de réalisation de soi,
d’exploitation du potentiel
d’aptitudes;
- Triomphe de la réussite, de
l’expertise, de la domination.
Connaissance et amour de soi,
impliquant consentement à ses
forces, mais aussi à ses limites
personnelles
et
donc
aux
limites de l’ambition et du
narcissisme.
Neutralité impossible
dommageable;
Au niveau des
modèles de vie
- Neutralité à l’égard de tous
les modèles de vie autres que
le modèle libéral;
Domaine
des
valeurs
transmissibles à l’école limité
aux
valeurs
libérales
(ambition, tolérance, respect,
justice/équité).
et
- Extension du domaine des
valeurs transmissibles à l’école
à tous les modèles de vie,
présents et passés, sans les
hiérarchiser.
L’auteur dit rejoindre ainsi la pensée de la philosophe américaine
Martha Nussbaum, qui propose trois éléments pour assurer une
formation de qualité:
la connaissance de soi (ou la vie examinée): privilégier l’examen
critique de soi-même et des traditions qui sont constitutives de
notre identité;
l’ouverture à la différence : privilégier la capacité de s’élever
vers un idéal universel de l’humanité, qui appelle à concevoir le
service de l’humanité au-delà des identités et des différences;
le développement de l’imagination narrative : privilégier la
capacité de se substituer à un autre pour le comprendre et se
comprendre soi-même par effet de retour.
Il revient alors à l’école de fournir aux jeunes les moyens appropriés
pour leur permettre d’atteindre ces objectifs éducatifs.
L’auteur ne traite pas du
d’engagement communautaire.
service
d’animation
spirituelle
et
28
Deuxième partie
Observations et tendances
29
De l’analyse de ces différentes interventions se dégagent un certain
nombre d’observations et de tendances qu’il est temps maintenant de
présenter. Celles-ci peuvent être distribuées en deux sections, la
première ayant trait au concept de spiritualité, la deuxième au
développement spirituel en milieu scolaire.
La spiritualité
On observe, en premier lieu, une hésitation généralisée de la part des
conférenciers et des conférencières à fournir une définition de la
spiritualité. Cette hésitation est perceptible à partir de deux indices :
La très grande majorité d’entre eux préfèrent s’en remettre à
d’autres pour définir la spiritualité.
Plusieurs utilisent l’allégorie pour traduire leur conception de la
spiritualité : celle du saumon (Bédard), de l’aigle (Lévesque), de
la montagne à escalader (Gravend-Tirole), du chemin à parcourir
(Nguyen, Grondin).
À l’évidence, le concept de spiritualité ne semble pas facile à cerner. Il
l’est d’autant moins qu’il revêt un caractère multiforme. Un auteur
comme Richard Bergeron, par exemple, distingue trois types de
spiritualité : cosmique, prophétique et mystique. De son côté, Robert
Mager se montre critique face à des types de spiritualité de
l’« ailleurs », situés soit dans l’intériorité pure, soit dans un autre
monde au-delà du réel. Enfin, l’ensemble des intervenants et des
intervenantes constatent l’émergence d’un type moderne de
spiritualité : une spiritualité séculière ou « laïque », coupée de tout
lien avec la religion.
On peut ajouter à cela la question du rapport entre la spiritualité et la
religion qui pose également problème. S’il est assuré que ces deux
dimensions sont distinctes et possiblement complémentaires, peut-on
alors parler, dans ce dernier cas, d’une antériorité ou d’une
dépendance de l’une par rapport à l’autre? Les points de vue sont
partagés là-dessus.
On comprend, dans les circonstances, la difficulté d’établir un
dénominateur commun à toutes ces manifestations du spirituel pour
en dégager une définition universelle. Certains s’y emploient. Mais, en
règle générale, les conférencières et les conférenciers du colloque se
montrent très prudents et n’osent pas trop s’aventurer sur ce terrain.
31
Une première tendance : un accueil majoritairement positif à une
spiritualité de type séculier ou « laïc »
LA TENDANCE MAJORITAIRE
La grande majorité des auteurs ou des auteures, en effet, font le
constat que le concept de spiritualité a beaucoup évolué au cours des
dernières décennies. Il semble communément admis aujourd’hui que
le spirituel, sur le plan pratique et théorique, ne s’identifie plus à la
religion (comme ce pouvait être le cas dans le passé) et que des
personnes peuvent avoir une vie spirituelle sans appartenance
religieuse. À cet égard, l’intervention de Nicole Bouchard est
significative : celle-ci apporte des témoignages concrets de personnes
et d’institutions désireuses de vivre ou de faire vivre spirituellement
des expériences de vie (naissance d’un enfant, épreuves, deuil, etc.),
en dehors de toute relation avec le religieux.
Aux yeux de plusieurs auteurs, l’autonomie du spirituel face au
religieux se défend très bien : l’être humain, selon Richard Bergeron,
est spirituel non pas parce qu’il est hindou ou chrétien, mais tout
simplement parce qu’il est être humain. Il parle même d’une exigence
de nature pour l’être humain d’advenir comme sujet spirituel, tandis
que l’« advenue » comme sujet religieux est une possibilité innée qu’il
peut ou non réaliser.
Dans le même ordre d’idée, le développement spirituel s’apparente au
développement humain intégral, à l’actualisation du potentiel humain
ou, tout simplement, à l’éducation. Le champ du spirituel comprend
alors les réalités et les activités immédiatement associées au
spécifique de l’esprit humain, c’est-à-dire cette capacité de
« réflexion », d’introspection ou de retour sur soi (l’intériorité de l’être
humain) qui lui permet de s’interroger sur les grandes questions
existentielles, sur sa place dans l’univers et son projet de vie en
société, sur le bien et le mal, etc. En somme, tout ce qui touche à la
quête de sens et aux valeurs humaines.
À cet égard, on peut rapporter une définition de la spiritualité (Sandra
Schneiders, reprise par André Charron), caractéristique de ce type de
spiritualité et souvent citée par les auteurs :
32
Vivre spirituellement, c’est vivre sa condition humaine au-delà de la
banalité d’une existence réduite à une succession d’activités sans
signification capitale et déterminante. Elle (la spiritualité) peut être
définie comme « l’expérience de s’efforcer consciemment d’unifier sa
vie, en termes non pas d’isolement ni de repli sur soi, mais de
dépassement vers la valeur ultime que l’on perçoit ».
Cette distinction moderne du spirituel d’avec le religieux paraît
particulièrement pertinente, si l’on évoque la réalité du monde scolaire
québécois.
Dans
une
école
publique
qui
se
veut
« déconfessionnalisée » dans ses structures – et peut-être bientôt
dans ses services? –, qui se veut laïque ou neutre par rapport aux
convictions religieuses, il apparaît manifeste qu’on ne peut plus retenir
la vieille équivalence entre développement spirituel et développement
d’une foi religieuse et confessionnelle.
D’autre part, si ces deux concepts ont besoin d’être distingués pour
expliquer, en partie, le contexte actuel, cela n’empêche qu’ils peuvent
se recouper et s’intégrer dans le contexte d’une foi religieuse
spécifique et, plus particulièrement – pour demeurer dans le cadre
scolaire – dans l’univers des écoles privées21.
En somme, la distinction des concepts de spiritualité et de religion
paraît appropriée et bienvenue, à la fois pour rendre compte du
caractère laïc de la société québécoise et de son école publique, mais
21
Faut-il rappeler, ici, qu’il existe au Québec tout un réseau d’écoles privées,
encadré par une législation gouvernementale bien définie, dans lequel le
gouvernement québécois investit annuellement et de manière récurrente 350 M$
et qui rejoint pas moins de 10 % de la clientèle scolaire. Or, bon nombre de ces
écoles privées affichent un caractère « confessionnel » nettement établi
(catholique, protestant, juif, musulman, etc.), aussi bien dans leur structure
administrative que dans leur projet éducatif et dans les services rendus aux
élèves.
Dans ce contexte d’écoles privées, il est bien évident que le développement
spirituel des élèves comprend la dimension religieuse et, souvent, s’identifie
purement et simplement à celle-ci. La religion confessée n’y est donc plus une
simple hypothèse parmi d’autres offertes aux élèves pour éclairer leur quête de
sens (comme ce peut être le cas dans les écoles publiques), mais la réponse
privilégiée mise en avant pour assurer le développement spirituel des élèves, sans
être exclusive cependant.
33
aussi, a contrario, pour bien mettre en lumière d’autres expériences
individuelles et collectives comme l’univers de l’école privée.
UNE TENDANCE MINORITAIRE
D’autre part, cet accueil sympathique à l’idée de distinguer le spirituel
du religieux n’est pas le fait de tous. Un certain nombre d’auteurs, en
effet, se montrent critiques quant au caractère autonome du spirituel
face au religieux22.
Xavier Gravend-Tirole, par exemple, considère comme impossible de
parler du spirituel sans l’inscrire dans son cadre historico-culturel et
même religieux : « Je tiens pour fondamentale l’idée que la
spiritualité, dégagée de toute référence à une tradition religieuse,
apparaisse extrêmement fragile » (actes du colloque, p. 162).
Robert Mager cite volontiers le philosophe Marc Renault qui conteste
cette conception d’une spiritualité relevant essentiellement de l’être
humain et qui ne voit d’issue que dans une ouverture religieuse à une
transcendance venant « d’en haut » (actes du colloque, p. 31, note
27).
François Nault soutient que le spirituel, coupé de son tissu symbolique
(que représentent notamment les grandes traditions religieuses),
risque de devenir un « grand n’importe quoi » aliénant. S’opposant à
l’idée que le religieux puisse ajouter une plus-value à l’expérience
spirituelle (comme le laissent supposer certains auteurs), il pose
carrément la question : « Et si c’était le spirituel qui relevait ou
dépendait de la religion? » (voir le titre de sa conférence).
Dans la même foulée, on peut citer Georges Leroux pour qui les
valeurs du modèle libéral « sans leur relation avec les valeurs de la
tradition spirituelle, surtout ascétique, sont privées de fondement : la
justice sans la charité est purement utilitaire et encourage la
compétition… ».
Sur cette question, donc, de la distinction moderne entre la spiritualité
et la religion, on remarque deux écoles de pensée : la première,
majoritaire, qui soutient l’autonomie complète de la spiritualité et la
22
Notons, par ailleurs, que 3 des 15 conférenciers ou conférencières (Grondin,
Nguyen, Lévesque) ont choisi d’emblée une approche « confessionnelle », dans
laquelle développement spirituel et développement de la foi religieuse paraissent
s’équivaloir. Ce qui ne signifie pas qu’ils nient le bien-fondé de cette distinction.
34
seconde, qui souligne la nécessité pour la spiritualité d’être inscrite
dans un contexte symbolique (une tradition philosophique ou
religieuse) pour la rendre pleinement signifiante.
Une deuxième tendance : reconnaissance de deux
essentielles à la vie spirituelle, l’intériorité et l’altérité
dimensions
L’INTÉRIORITÉ
L’intériorité, c’est le mouvement ad intra de la vie spirituelle, sa
dimension subjective, privée, intime, par laquelle l’individu entre en
lui-même, à la recherche de l’unité et du dépassement de son être.
Richard Bergeron s’exprime ainsi là-dessus : « Marcher dans la vie
spirituelle, c’est s’intérioriser, c’est-à-dire non pas se fermer sur soimême, mais s’abreuver au-dedans, boire à sa propre source, se
déterminer de l’intérieur, en un mot faire que tout dans sa vie dérive
du noyau intime de la liberté. »
Cette dimension d’intériorité/subjectivité, qui explique en bonne partie
le caractère multiforme de la spiritualité, est mise en relief par bon
nombre d’auteurs comme :
Georges Leroux, lorsqu’il parle d’espace intérieur de la liberté ou
de la nécessaire connaissance de soi pour accéder à la liberté
souveraine, laquelle, combinée à l’humilité, constitue le
fondement de la spiritualité;
Jean Bédard, pour qui la spiritualité relève de l’éveil, de la
conscience lucide, de la conscience transcendantale qui est
qualité de présence et d’attention à soi et aux choses, qui est
vigilance à ne pas perdre le sentier de l’être originel, « là où
commencent tous les chemins de conscience, de connaissance,
de création et de fécondation »;
Jean
Grondin
et
Tan-Hong
Nguyen
qui
présentent
respectivement la spiritualité chrétienne et la spiritualité
bouddhiste comme des expériences de vie intérieure permettant
la rencontre et la marche avec le Christ ressuscité ou
l’illumination à la manière de Bouddha;
François Lefebvre, psychologue, qui observe que les diverses
expressions spirituelles tendent à être internes, affectives,
35
spontanées et privées, tandis que les expressions religieuses
présentent des caractéristiques souvent contraires.
Remarquons, finalement, que l’ensemble des intervenants ne
manquent pas de rappeler que la vie spirituelle, sous peine d’être
entraînée dans des dérives désastreuses, doit comprendre une autre
dimension, l’altérité.
L’ALTÉRITÉ
Conscients qu’une spiritualité mal comprise (par exemple, de type
intimiste ou angélique) peut entraîner des dérapages malheureux,
plusieurs auteurs insistent sur le fait que l’expérience spirituelle ne
peut faire abstraction de la dimension relationnelle et sociale de l’être
humain, de son appartenance au monde.
La vie spirituelle est alors comprise comme une expérience de
décentrement et de dépassement de soi, d’ouverture sur le monde,
une expérience de l’altérité. Cette expérience de l’altérité, qui peut
privilégier le rapport au cosmos, les relations avec autrui ou même le
rapport à soi (au-delà de l’ego), permet aussi d’intégrer l’expérience
proprement religieuse, sans la supposer nécessairement. L’altérité
apparaît alors comme le mouvement ad extra de la vie spirituelle, sa
dimension publique et objective.
Parmi les auteurs particulièrement sensibles à cette dimension de
l’altérité, on peut citer principalement Robert Mager pour qui le
devenir du monde est au cœur des enjeux concernant la spiritualité et
qui fait remarquer que les sept axes de la spiritualité ciblés par JeanLuc Hétu (auxquels se réfère également Céline Roussin) engagent ou
supposent le rapport au monde.
D’autres auteurs s’expriment dans la même veine :
Xavier
Gravend-Tirole
souligne
l’importance,
dans
le
développement spirituel, d’assurer un équilibre entre les diverses
dimensions de l’être humain, notamment les dimensions sociale
et corporelle;
Georges Leroux définit la vie spirituelle comme une vie libre au
service du bien et fait observer que la liberté souveraine doit
toujours se développer « sur l’horizon d’une société »;
36
Jeanne-Paule Berger, à la suite de Luc Ferry, considère la
spiritualité « laïque » comme porteuse d’une transcendance
horizontale, se référant ainsi à l’action humanitaire et à la
solidarité entre humains;
François Lefebvre, psychologue, selon qui la conjugaison de la
dimension spirituelle et de la dimension communautaire (telle
qu’elle apparaît dans le SASEC) concorde avec les aspects
profonds des courants psychologiques d’aujourd’hui;
Richard Bergeron pour qui l’intériorité vraie se déploie autant sur
la place publique que dans les alcôves du cœur.
À cette liste d’intervenants et d’intervenantes, on pourrait également
ajouter d’autres auteurs qui relèvent l’importance d’une spiritualité
incarnée (à travers la redécouverte des rites, pour Nicole Bouchard),
acculturée ou inscrite dans un tissu symbolique (selon François Nault).
Cette intégration de la dimension « altérité » dans l’expérience
spirituelle paraît d’autant plus pertinente et importante qu’elle va,
selon le psychologue Lefebvre, à contre-courant de la sensibilité
moderne où dominent le subjectivisme, l’accomplissement de soi,
l’authenticité personnelle.
Le développement spirituel en milieu scolaire
Soulignons au départ que, pour ceux et celles qui élaborent sur cette
question23, la responsabilité de l’école au regard du développement
spirituel de l’élève ne fait aucun doute. On signale, par exemple, que
l’éducation est par elle-même une entreprise spirituelle (Mager) ou
que « l’aventure intellectuelle offerte par l’institution scolaire est en soi
porteuse d’expériences spirituelles (Berger) ».
23
Notons que 5 des 15 conférenciers ou conférencières n’ont pas traité de cette
question. Parmi les 10 autres qui en ont parlé, 5 seulement l’ont abordée
franchement, alors que les 5 autres l’ont fait de manière indirecte.
37
Une troisième tendance : l’assignation à l’école d’un double rôle
d’accompagnement de l’élève dans son cheminement spirituel et de
présentation des différents « modèles de vie24 ».
UN RÔLE D’ACCOMPAGNEMENT
Voici, à titre d’exemples, quelques formulations utilisées par les
auteurs ou auteures, pour exprimer cette idée d’accompagnement :
Aider l’élève à accéder à lui-même…, ce qui implique le respect
de sa liberté en devenir (Mager);
Fournir aux jeunes les moyens de s’engager dans un réel
processus de connaissance d’eux-mêmes, en vue de les amener
à développer leur liberté souveraine (Leroux);
Assister le jeune dans sa « remontée des courants
descendants » (allégorie du saumon), pour rejoindre son être
intérieur (Bédard);
Aider le jeune à se situer personnellement face au pluralisme
actuel des discours, des valeurs, des repères éthiques, des
confessions religieuses, etc. (Berger);
Assister le jeune dans une recherche de sens qui lui permette de
sortir de la confusion identitaire (Lefebvre), de prendre du recul
par rapport au contexte actuel marqué par la marchandisation
de toutes les activités humaines et la prolifération des
sollicitations sectaires (Berthelot).
L’accompagnement dont il est question ici doit se réaliser dans un
climat de confiance et de respect de l’élève. Il doit faire en sorte que
celui-ci comprenne bien qu’il est de sa responsabilité première de
s’engager sur le chemin de son développement spirituel, alors que
l’accompagnement offert par l’école consiste à le guider sur ce chemin,
à l’aider à faire ses propres choix quand survient un carrefour et
finalement, à s’effacer graduellement pour lui permettre de créer son
propre pas, de suivre son propre rythme.
24
Pour reprendre l’expression de Georges Leroux.
38
Dans ce contexte, le service d’animation spirituelle et d’engagement
communautaire25 apparaît comme un moyen concret à la disposition
de l’école pour jouer, du moins en partie, son rôle d’accompagnement
spirituel.
Mais, soulignent quelques auteurs (Grondin, Berger, Nguyen, Leroux),
pour que l’accompagnement soit valable et efficace, certaines
exigences s’imposent :
Au niveau de la communauté éducative : celle-ci doit être au
clair quant au rapport qu’entretiennent ses membres face au
spirituel en général et au développement spirituel de l’élève, en
particulier. Un certain consensus est nécessaire qui devrait être
détectable, par exemple, au cœur du projet éducatif de l’école ou
dans la qualité des relations interpersonnelles, pédagogiques et
professionnelles entre les divers intervenants et les élèves;
Au niveau de chacun des intervenants immédiats : un minimum
de « pratique » personnelle sur le plan de la vie spirituelle.
UN RÔLE DE PRÉSENTATION DES DIFFÉRENTS « MODÈLES DE VIE »
Plusieurs intervenants traitent de l’importance d’« exposer » les jeunes
aux grandes traditions religieuses et aux grands courants de pensée
philosophique pour les aider à progresser dans leur cheminement
spirituel.
Georges Leroux, pour un, considère de la plus haute nécessité de
fournir aux jeunes les moyens de réfléchir sur les modèles de vie
présents et passés (sans exclusion et sans les limiter aux modèles
actuels dominants), en vue de les amener à la liberté souveraine. Pour
lui, en effet, former à la liberté, c’est faire en sorte que chacun
assume, de manière responsable et ouverte, la confrontation actuelle
des modèles de vie, hors de toute hiérarchie. Et le seul moyen pour
cela, c’est la connaissance de soi, l’examen de soi, à travers les formes
passées et présentes de la culture.
Plusieurs autres auteurs partagent des vues semblables. Xavier
Gravend-Tirole exprime le souhait que le ministère de l’Éducation du
Québec accorde aux traditions religieuses un droit de cité à l’école et
25
Même si seulement trois conférenciers traitent explicitement du SASEC (Lefebvre,
Berthelot et Lévesque), ceux-ci soulignent la pertinence du service et les bienfaits
qu’il peut apporter aux élèves.
39
permette ainsi aux élèves une saine rencontre des différentes voies
spirituelles.
Jocelyn Berthelot, connu pour son militantisme laïc, avance que le
respect du droit à l’égalité n’implique nullement que le fait religieux et
le développement spirituel soient exclus de l’école. Il affirme qu’il y a
un consensus très large sur ces questions et que c’est sans doute une
des caractéristiques de la laïcité québécoise.
Victor C. Goldbloom va dans le même sens quand il soutient que la
diversité de la société d’aujourd’hui oblige à inculquer à l’enfant le
respect de l’appartenance religieuse de l’autre et à lui fournir une
connaissance au moins minimale des religions autres que la sienne.
La perspective qui sous-tend cette exposition des jeunes aux modèles
de vie est bien exprimée par Georges Leroux : « La liberté est l’idéal
ultime de l’individualité, mais elle ne sera une richesse que si
l’éducation permet de dégager cette liberté de l’individualisme libéral
moderne qui en est le contraire, pour la relier aux sources spirituelles
de la culture. Ces sources donneront accès, le moment venu, aux
conceptions du monde, aux représentations du surnaturel, aux vertus
qui rendent possibles pour chacun l’appropriation du symbolisme
universel et la réinterprétation de son héritage, quel qu’il soit. »
Conclusion
Au terme de ce travail, une conclusion semble s’imposer. Si l’école
veut s’acquitter de son mandat de faciliter le cheminement spirituel de
l’élève, elle doit mettre en place les mesures appropriées permettant
aux jeunes l’accès à deux ordres d’activités :
des activités immédiatement associées à cette
« réflexion », d’introspection ou de retour sur soi
qui permet à l’être humain de s’interroger sur
questions existentielles, sur sa place dans l’univers
de vie en société, sur les valeurs humaines. C’est
plus subjective de la spiritualité;
capacité de
(l’intériorité)
les grandes
et son projet
la dimension
des activités associées à la présentation des différents « modèles
de vie » (traditions religieuses, systèmes de pensée, etc.)
présents et passés, lesquels seraient soumis aux élèves à titre
d’hypothèses susceptibles d’apporter des éléments de réponse à
40
leurs interrogations et à leur quête de sens. C’est la dimension
plus objective de la spiritualité.
Déjà, dans le cadre de la législation scolaire actuelle, certaines
mesures sont prévues (cours d’enseignement religieux, SASEC, etc.)
et peuvent avoir un impact sur la vie spirituelle des jeunes. Rien
n’empêche, cependant, une communauté scolaire d’être créative dans
ce domaine et de démontrer la volonté de ses membres de faire vivre
une école qui sait « remonter le courant ».
41
ANNEXE
ANALYSE DES ACTES DU COLLOQUE
SUR LE DÉVELOPPEMENT SPIRITUEL EN ÉDUCATION
1.
La spiritualité
1.1
L’auteur donne-t-il une définition de la spiritualité?
Si oui, laquelle?
1.2
Quelle conception l’auteur se fait-il de la spiritualité
(implicitement ou explicitement)?
1.3
Sur quels fondements théoriques cette conception
s’appuie-t-elle
(anthropologique,
philosophique,
psychologique, sociologique, théologique, religiologique,
éthique)?
1.4
L’auteur traite-t-il du rapport entre la spiritualité et la
religion?
2.
Le développement spirituel en milieu scolaire
2.1
Pour l’auteur, est-il essentiel que
cheminement spirituel de l’élève?
Si oui, pourquoi?
Si non, pourquoi?
l’école
facilite
le
2.2
Quelles possibilités et quelles limites l’auteur assigne-t-il
au rôle de l’école au regard du cheminement spirituel de
l’élève?
2.3
Quelles possibilités et quelles limites l’auteur assigne-t-il
au service d’animation spirituelle et d’engagement
communautaire au regard du cheminement spirituel de
l’élève?
42