Zéro : presque

Transcription

Zéro : presque
Zéro : presque
Zéro : presque
ou
bribes d’instants exquis
ou
le laboratoire des idées qui ont périclité
ou
proposition pour l’avenir
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moi
et les
autres
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Ton charme délicieux exalte mes sens, ton parfum maritime m’enivre. Jusqu’à quand devraisje te supporter? Souvent déjà, honnie sois-tu, je t’ai imaginée mienne, me susurrant les mots
les plus tendres à l’oreille, me suçant l’oreille en guise de glace à la vanille. Oui, qu’il est loin
ce temps où nous étions heureux, où rien ne pouvait nous séparer. Tu ne m’avais même pas
remarqué et, pourtant, je n’avais rien fait pour me démarquer de cette foule immense. Ce fut
un moment intense que j’ai déjà oublié; rien ne sera jamais plus comme avant
puisqu’aujourd’hui nous nous sommes retrouvés. Quelle joie sincère de nous réconcilier en ce
jour mémorable ! Maintenant, il nous faut évoquer le futur et construire le passé, construire
notre passé, ensemble. Demeurée trop longtemps loin de moi, je n’ai pas su t’apprécier; j’ai
perdu l’image que j’avais de toi. Quel malheur ! Maintenant je ne sais plus où donner de la
tête; tant de travail à faire, tant d’heures à passer. As-tu remarqué comme je me suis amélioré?
Plus rien, chez moi, n’est à changer. Toi, au contraire, tu n’as pas changé, tu es toujours la
même; mais qu’est donc devenu ton mari? Depuis combien de temps est-il mort? Ma sœur,
elle va bien, elle vient d’enfanter son cinquante-sixième larron et tu sais combien de travail
cela nécessite. Son mari, à elle, n’est pas encore mort mais il n’en a plus pour très longtemps,
c’est une question de jours ou de mois. Enfin, pour en revenir à Nicolas, c’est vraiment un
garçon très bien; très bon élève et bien élevé, il nous apporte à Martine et à moi énormément
de satisfaction. C’est vrai, il faut bien l’admettre, la nature ne lui a pas été très favorable; son
physique n’est pas directement comparable au mien, loin s’en faut. Que va-t-il lui arriver? Ne
t’inquiète donc pas pour cela, il m’est aisé de tout refaire; c’est toujours avec un grand plaisir
que je reconstruis ce que tu casses; je n’ai jamais tant apprécié ta présence que lorsque tu es
là, auprès de moi, tout près de moi. C’est bon de pouvoir parler à quelqu’un. Manifestement,
Bernard n’est pas encore rentré; je me demande ce qu’il peut encore bien faire. A quatrevingt-dix ans il devrait arrêter de courir; un jour, on le retrouvera le nez dans une poubelle;
cela me fera bien rire. L’été, les gens vont sur les plages; c’est là que l’on peut faire des
rencontres déterminantes pour le restant de sa vie. Tenez, moi par exemple, c’est là que je me
suis retrouvé. Un jour, en marchant dans la forêt (qu’il est agréable de déambuler dans les
couloirs et de rêver), mon visage s’est reflété dans des traces. Quelle surprise ce fut pour moi !
Aujourd’hui j’ai oublié de me coiffer; peu importe, ce qu’il faut c’est perdurer. C’est une
attitude complètement ridicule et un comportement pour le moins incompréhensible de sa
part. Il va finir par se faire repérer. En buvant (cela m’arrive souvent) j’ai parfois l’impression
d’être une autre femme; parfois je me prends même pour un psychanalyste. Quel courage il
lui a fallu pour dire non. C’était pourtant un homme particulièrement séduisant qui n’avait
rien de commun avec ces pantins qui nous entourent quotidiennement. Excusez-moi un
instant, je dois satisfaire un petit besoin pressant. C’est certainement le plus heureux des deux.
Quand je pense qu’il a pu partir avec Marie à l’île Maurice, je l’envie vraiment. Ce n’est pas à
moi que cela pourrait arriver. Après avoir fait les courses, nous nous sommes soumis à ses
bonnes volontés et je me suis mis à pleurer de rire, plus rien ne pouvait m’arrêter, rien ne
pouvait me perturber. Sans doute est-ce dû à cet accident de voiture, sûrement une séquelle.
Et puis nous nous sommes assis autour d’une table et avons commencé à éructer, chacun à
notre tour, en prenant bien soin de ne pas réveiller les voisins du dessus. Ce sont ceux du
dessous qui nous ont alerté. Les pompiers sont arrivés mais, de l’usine, il ne restait déjà plus
rien. Et maintenant, que va-t-il faire? Plus rien ne l’empêche d’agir à sa guise; il est le fils au
milieu de ses parents. Il est trop vieux pour tout refaire; il ne lui reste pas suffisamment de
temps à vivre pour achever ce qu’il avait commencé, il est né, il est mort. Depuis la peinture
de Liloïe, je n’ai rien vu de si abouti, de si parfait, comme s’il n’avait rien créé. Le génie
réside dans le fait de faire comme si l’on n’avait rien créé. Vive la constipation ! Forcez sur la
contraception! Aux chiottes l’arbitre, il a fait dans sa culotte ! Mais je la vois déjà revenir, pas
moyen d’être tranquille, de vivre son intimité sans être dérangé par des va-et-vient incessants
qui ne font que retarder l’échéance, le moment fatidique. On n’a rien trouvé de mieux depuis
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l’invention de la guillotine. L’extase. Et Marcel qui pensait pouvoir y échapper, quelle
illusion ! Celui-là, il les cultive vainement. On se demande bien pourquoi il n’a pas encore
viré sa cuti. Il devrait avoir conquis son indépendance à son âge. J’en ai connu de plus
précoces. Comment se fait-il qu’il n’ait pas déjà fini de manger? Rien n’est pourtant plus
facile : quelques anicroches et le tour est joué. Prenons le cas de Jérôme. Il a beaucoup
travaillé, est fier de son cursus qu’il se fait sucer dans l’anus et sûr d’avoir un quotient
intellectuel des plus élevés. Géraldine n’a-t-elle pas réussi à intégrer une école prestigieuse?
En parallèle, elle a même suivi des cours de droit par correspondance. Plus besoin d’écrire, il
suffit de prendre d’assaut les lignes adverses et d’inscrire sur les murs : « Je suis libre de mes
mouvements de pensée ». C’est ma sœur qui doit se retourner dans sa tombe. A ce propos,
l’autre jour, en me promenant au cimetière (cela m’arrive souvent lorsque je suis dépassé par
tout ce que j’ai à faire), j’ai rencontré Gertrude; cela faisait environ dix ans que je ne l’avais
pas vue. Elle a bien changé, il n’en reste plus grand chose, tout au plus quelques choses
absolument indéfinissables par substitution. Il est étonnant de constater comme les gens
peuvent changer. Moi, par contre, je n’ai pas changé de sous-vêtements depuis trois jours; ils
commencent à sentir la pisse. Il pouvait empester tout son entourage. Cela importait peu à
partir du moment où l’on pouvait lui faire la bise; c’était le bon temps. La dernière fois que
j’ai rencontré notre Président, je n’ai même pas pu l’approcher. Ce sont les voisins de palier
qui ont sonné à notre porte les premiers. On venait pourtant juste d’arrêter. Nous nous l’étions
permis, nous nous croyions à l’abri et nous pensions tous que tout était permis. Nous nous
l’étions promis : plus aucun rot avant d’avoir fini de manger. Ils ont tout embarqué, sans dire
un mot. Vraiment, on n’est plus chez soi; il est devenu impossible de réfléchir en paix. Plus
d’intimité; plus de fraternité, que des prisonniers. Parfois il m’arrive de me demander s’il ne
vaudrait pas mieux, pour Robert et ma belle-sœur, de revenir habiter à Paris, de tout
abandonner. Plus rien ne les retient à Paris, je me demande ce qu’ils y font encore. Pour elle,
cela serait l’idéal; elle vient, en effet, de passer trois ans au vert et on ne peut pas remettre en
cause le bien-fondé de sa campagne de publicité. Elle m’a tout de même pris au vert, elle
aurait pu se passer de me prévenir; j’aurais préféré ignorer ce genre de désagrément. Enfin il
faut bien faire avec. Cela me rappelle le problème auquel Alain a été confronté. Bien sûr, cela
n’était pas évident mais il a trouvé la solution et a remporté son pari; maintenant, tous ses
amis l’ont surnommé « le diable Vauvert ». Peu importe, son souffle était suffisant pour la
propulser. Et dire que certaines personnes se demandent encore comment il fait pour concilier
toutes ses activités; ce n’est pourtant pas très difficile à expliquer. Toutes les femmes de son
acabit n’ont qu’à lever le petit doigt pour que les autres se précipitent à leurs pieds. Il n’a rien
perdu de son allant naturel et pourtant, son alantoïde est bien mal en point; c’est sans doute dû
à la bière; il devrait effectuer un stage de remise en forme pour faire le point sur sa vie de
couple avec Jacqueline. Cela ne doit pas être toujours facile à vivre, d’autant que sa bellemère est plutôt envahissante, plus encore que sa propre femme qui, la pauvre, n’est pas aidée
avec ses deux pieds dans le plâtre. Tout le monde est pauvre. Combien de temps cette
comédie va-t-elle encore durer? Il faudrait l’exterminer pour en finir une bonne fois pour
toute. Le cul de Charlotte. Vous ne connaissez pas Charlotte? Le cul de Charlotte est un
monde merveilleux, rempli de lampions; tous les lutins s’y précipitent, ils en reviennent
(même les meilleures choses ont une fin) maculés de marron parce qu’en route ils ont fait
imploser des caillots de merde, des fécalomes. Sus à l’ennemi! L’auriculaire dans le fion! Ce
chien qui n’arrête pas de le lécher à longueur de journée va finir par le rendre fou; il faudrait
qu’ils se décident à réagir et comprennent enfin que la meilleure solution consiste à le jeter
par la fenêtre, quitte à ce qu’il atterrisse sur un des représentant des amis des animaux. A la
ville nous irons danser, sans nous préoccuper du vide. Nous fondrons d’extase devant des
devantures coquines. C’est tout de même étonnant de se retourner et de ne plus le retrouver.
Où est-il passé, qu’est-elle devenue? Jamais plus je ne l’ai embrassée, elle sentait trop
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mauvais; impossible de l’éviter, impossible de s’en décoller. Le mur était trop étroit et il est
tombé. Manifestement, c’était la première fois qu’elle attendait un bébé. Moi, cela m’est déjà
arrivé de passer devant chez elle s’en m’arrêter, sans oublier qu’il n’y a rien à attendre d’elle.
Elle s’en tient toujours à ses promesses mais elle ne les réalise jamais, bien aidée en cela par
mon incapacité à réagir. Depuis cette chute, je ne suis plus le même, j’ai perdu toutes mes
facultés intellectuelles, et Dieu sait si elles étaient nombreuses. C’est en repassant devant chez
Herbert que je me suis souvenu que je devais me rendre chez le docteur, il me fallait
absolument le frapper. Depuis qu’il s’est permis de m’ausculter, je ne peux plus le supporter;
c’est pareil avec mon mari. Au moins, celui-là, il ne me donne pas des tonnes et des tonnes de
médicaments à ingurgiter. De toute façon, cela m’est égal. Plus tard, il a fallu qu’elle se
décide à l’épouser. Lequel des deux médecins choisir? L’un était beau et intelligent, l’autre
absolument laid mais intelligent. Finalement elle a opté pour Gilles, le garçon-boucher d’à
côté. Le voir assis sur son vélomoteur chaque fois qu’il se rendait chez sa concubine l’a
littéralement fait craquer. Elle ne pouvait plus se retenir; il lui fallait déféquer, décharger. Il ne
la voit plus qu’en cachette et c’est mieux ainsi. Il a participé, l’autre jour, à la fête de la
langue. Il a pu en voir de toutes les sortes : des petites et des grosses, des habiles et des
rebelles. Certaines d’entre-elles étaient spécialisées dans le léchage de vitrines, dans le
nettoyage, dans le babillage et j’en passe et des meilleures. Toutes n’étaient pas faites du
même bois; on pouvait en trouver en plâtre, en baccarat, en terre cuite et cætera. Ce qu’il l’a le
plus surpris c’est d’entendre parler de l’existence d’une sorcière qui habiterait tout près de
chez lui. Tous les soirs, elle se livrerait à des incantations maléfiques; on dit que les démons
Belzébuth et Azadiel sont ses convives les plus fidèles. Pourtant, il ne lui reste plus beaucoup
de cheveux sur la tête; je me demande bien où elle peut trouver les poux nécessaires à la
constitution de ses breuvages. Elle a certainement plus d’un paquet dans sa botte. L’année
dernière, le Père Noël n’est même pas passé; et dire que Benjamin et Ezéchielle n’attendaient
que lui. Ses deux enfants ont veillé toute la nuit, sûrs de sa venue. Quel personnage ingrat, je
ne lui reluirai plus jamais ses chaussures. Marie, qui sait maintenant que son mari est
complètement fou, a trouvé un organisme où le placer en détention. Il lui faut juste trouver un
chat égorgé. L’autre jour, en sortant du supermarché, j’ai eu l’impression d’écraser quelque
chose de mou, j’ai sûrement dû marcher sur le ventre de Rachelle. Ce n’est pas qu’elle soit
forte mais sa poitrine a un peu tendance à retomber. Il faudrait qu’elle utilise les moyens de
contraception modernes; elle devrait consulter les catalogues de vente par correspondance,
tout y est expliqué. Parfois je me demande si elle est tout à fait lucide; on croirait vraiment,
quelquefois, qu’elle n’a pas tout son esprit. Ces réactions sont souvent étonnantes et
imprévisibles, il lui arrive même de traverser la rue en se roulant par terre. Il s’agit d’un
comportement non seulement incompréhensible mais surtout des plus répréhensibles; je me
demande jusqu’à quand elle va continuer de faire l’enfant. Comme s’il ne lui suffisait pas de
jouer avec son singe, je ne le comprends pas; peut-être s’ennuie-t-il à passer ses nuits à
dormir. François-Xavier ne m’en a pas parlé, il ne m’a pas prévenu. Cette femme, je l’admire,
elle semble s’investir autant sur le trône que dans son travail; il faut vraiment être très
courageux pour se permettre de passer autant de temps dans les embouteillages, heureusement
qu’elle peut parler avec son portable. La foule grossit d’heure en heure. L’autre jour, elle lui a
acheté une laisse car il avait un peu tendance à prendre ses libertés. Rappelons, mes chers
frères, que l’Homme doit toujours garder la maîtrise des événements. Il est primordial pour lui
d’assister à ce concert où tous ses amis se rendront. Ils ont fait le pari d’y aller en soutane (ils
n’auront rien à payer); ils se sentiront, à coup sûr, beaucoup plus à l’aise. A force de ne parler
que de ce garçon, il y a de fortes chances pour qu’elle l’oublie, un de ces jours, au pressing.
Au moins, là-bas, il pourra se rendre utile. Il a en effet passé toute sa jeunesse, d’une part, à se
répandre en invectives contre les gens qui ne remettaient pas de papier dans les toilettes et,
d’autre part, à se gratter l’anus à longueur de journée; au bout de cent ans, il a finit par avoir
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des hémorroïdes. Il a beau essayer de reculer l’armoire, rien n’y fait; son chien est resté
coincé derrière la table de nuit. Pas moyen de le délivrer de cette situation pour le moins
cocasse. Combien de fois lui a-t-il dit de ne pas rouler si vite? Un jour, il ne verra pas le
panneau « stop » à côté de la boulangerie et le heurtera. Sa tête s’en retrouvera alors
sectionnée. Evidemment, beaucoup de réparations seront nécessaires pour remettre en état son
automobile. Toutes les tentatives ont échoué, nous n’avons pas réussi à lui faire retrouver
raison; maintenant, plus personne ne peut l’approcher, il s’est enfermé dans une boîte et a
fermé la porte à clef. Il faudra certainement faire appel aux gendarmes pour l’en déloger. Cela
va encore coûter cher à l’Etat; j’ai l’impression qu’il ne se rend pas réellement compte de tous
les efforts que font ses congénères à son encontre. Il est pourtant beaucoup plus facile de
manger du pain avec les pieds dans ses chaussures, je ne comprends pas ce qui l’a pris; on
dirait qu’il a agi sur un coup de tête (comme un joueur de football), c’est à ne rien y
comprendre du tout. Je me demande effectivement comment il a bien pu tremper dans cette
sale affaire de trafic d’excréments de chien. Il paraît que les grandes villes les exportent vers
les petites villes du Tiers-Monde avant que celles-ci ne les renvoient à leurs anciennes
colonies qui les recyclent sous forme de viande bovine. Enfin, c’est déjà fini; le cours de
méthodologie est terminé. Nous y avons appris, mes camarades et moi, une quantité de choses
utiles pour la bonne conduite de sa vie et des affaires du pays : comment rester assis,
comment faire son lit, se servir de ses mains pour se masturber, etc. Tu t’en souviendras? Oui
je me souviendrai d’elle; je me souviens de la raie du cul de mon voisin. Après, nous sommes
allés faire des courses en ville, nous avons parcouru un grand nombre de rues sans nous
préoccuper de tous les autobus qui nous ont éclaboussés. C’est qu’il avait beaucoup plu et
nous avons dû nous sécher sur la bouche du métropolitain. C’est là qu’il m’a déclaré qu’il
voulait m’épouser. En rentrant, nous sommes tombés nez à nez avec un cadavre; la police
était déjà sur les lieux du drame et le malheureux déjà en bière. La technique fait vraiment des
merveilles à notre époque. J’ai croisé, en revenant de la soirée, une superbe rousse. Il n’y a
pas que les enfants qui ont le droit de rêver. Je puis bien l’avouer maintenant, elle m’a fait
bander. Sa cave, garnie d’un ensemble de filets, se confond avec la caverne d’Ali Baba; on y
trouve toutes sortes de têtes empaillées ainsi qu’une bonne centaine de truies-égarées. Les
pauvres, elles n’ont pas dû manger souvent ces derniers temps et, pourtant, la mer est bleue.
Les vagues ont franchi les limites de l’acceptable, il va falloir prendre des mesures efficaces
pour mettre fin à ce tapage nocturne. A force de ramer, je lui ai assuré qu’il s’en sortirait; on
connaît tous des moments difficiles, dans chacune de nos vies. Et puis ce qui est le plus
important c’est, qu’étant encore jeune, il a toute la vie devant lui pour apprendre à marcher.
N’apprend-on pas, en tout premier lieu, à faire pipi dans ses culottes? Il n’y a vraiment pas de
quoi s’inquiéter. D’ailleurs, le pompiste est formel, il l’a vu s’arrêter puis repartir en trombe;
elle n’a pas pu aller bien loin puisqu’elle venait s’approvisionner en essence. C’est tout du
moins ce qu’en a conclu son gendre arrivé sur les lieux du crime juste après les croque-morts.
Il a eu beaucoup de mal à passer la frontière. Il faut dire qu’avec la nouvelle réglementation
sur les animaux domestiques, il est devenu très difficile de trouver des refuges qui puissent les
accueillir. Alphonsine, ma voisine, m’avait promis de garder mon chat pendant que j’aurais
essayé de réparer la robinetterie mais la pauvre femme est morte en tombant du haut des
escaliers. La moquette a dû amortir les chocs. C’est grâce à elle que les copropriétaires ont
accepté de refaire la cage d’escalier, elle y tenait beaucoup pour le confort des animaux; ce
qui est heureux dans l’histoire, c’est qu’elle aura pu en profiter au moins une fois. On a ouvert
la porte d’entrée. Juste après, on a sonné à la porte; c’était Robert, l’homme de paille, il était
en nage après sa partie de tennis. Je venais de lui raccrocher le téléphone au nez et, pourtant,
c’est son bras qui était cassé. C’est pourquoi j’ai décidé de remettre ma démission au comité.
Je suis véritablement outrée, il aurait pu me prévenir qu’il ne s’arrêterait pas sur cette aire
d’autoroute. C’est toujours la même chose avec lui; on croit qu’il va s’engager, qu’il va
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prendre des mesures énergiques afin de lutter contre les gaspillages de tous ordres mais l’on
se nourrit des illusions que l’on se fait à son sujet. Il fomente l’air ambiant. Je vous assure que
cet homme est fidèle à sa femme et à ses principes, il ne partirait jamais en voyage sans
affaires de rechange, je suis prête à le parier. De toute façon il prévoit toujours très large, il y
a toujours des restes. Un jour, nous avons dû vider l’eau de l’aquarium parce que les toilettes
étaient bouchées. Jean-Raoul, notre petit dernier, est monté sur la chaise de cuisine ce qui lui a
permis d’atteindre l’abât-jour. Encore quelques efforts et nous rentrerons au port. Finalement
Marie-Claude et Rodolphe sont restés dîner avec nous, nous étions comblés. Il paraît que
Marie-Claude a été malade le lendemain, elle ne supporte pas la plaisanterie. Ce n’est pas
faute de l’avoir encouragée à apprendre le piano; il joue au golf depuis au moins deux ans, je
me demande ce qu’elle attend pour s’y mettre. Il paraît - c’est ce que j’ai ouï dire - que c’est
un sport qui excite énormément les hôtesses de l’air. C’est une vision des choses
complètement dépassée. Entre nous, parlons ouvertement de nos maladies congénitales. Nous
vivons aujourd’hui dans un monde anthropocentrique tourné vers l’univers, prêt à accueillir
toute forme de vie extra-terrestre avec ou sans carie. C’est un monde d’auto-communication
fondé sur le principe que toute partie d’une somme de parties différentes entre elles ne peut
jamais égaler une somme de multiplications toutes différentes les unes des autres. J’ai beau
faire un tas de schémas pour l’expliquer à Marie-Sophie, elle ne comprend toujours pas. Je me
demande si elle ne le fait pas exprès, juste pour se faire remarquer. Ce cas, je l’ai très bien
analysé et appliqué à la recherche fondamentale des causes pouvant expliquer
l’indétermination chronique des individus imberbes. Elle est là, prête à bondir, et personne
n’y prête attention. A force de regarder tout le temps la mer, elle va finir par devenir folle.
J’en ai parlé à Aline, sa mère. Celle-ci m’a fait comprendre que son fils n’était plus le même
depuis qu’il s’est fait écraser la jambe par un tracteur. Au moins, cela n’engage à rien et, en
plus, cela ne lui coûtera rien. Jean-Pierre devrait finir par se décider de s’engager ou non dans
l’armée de terre. Quel con ! Marie-Antoinette a du poil à la queue et son mari a pris feu,
l’autre jour, en tombant du sixième étage; il paraît, aux dires de Mme Henriette, qu’il s’était
trompé de bouton en voulant allumer la gazinière. Et Paco qui ne revient pas; je me demande
bien où il a encore pu aller fourrer son nez celui-là; il faudra toujours qu’il trouve chaussure à
son pied. Qu’en sera-t-il lorsqu’il sera à la retraite? Cela annonce de beaux jours. Heurts et
pleurs dans mon cœur, que fait la bonne? Elle trépigne d’aise dans la mare aux canards; elle
étend ses culottes dans le placard et se met du fard. Mange ton far breton sinon tu auras droit à
une punition. Mettons un peu de fart, cela glissera mieux. Il ne fallait pas remonter jusqu’à
l’intestin grêle. Je l’avais pourtant bien prévenu. Il n’en fait qu’à sa tête; il veut toujours se
surpasser et montrer à tous ce dont il est capable. A vrai dire, Henri et Sandra n’ont plus
d’enfant à élever; le dernier se prend, en effet, pour un chien. L’avant dernier quant à lui se
pend. Il se pend, il se pend et un jour il tue plutôt que de continuer à se pendre. Il lève la patte
comme un chien, il lèche les voisins comme leur chien et dort dans une niche. A Bayonne,
nous avons rencontré nos amis Michel et Petra, ils sont inséparables. Ils sont, en outre,
extrêmement sympathiques. C’est comme la nuit et le jour, le ciel et la terre, le fil et l’aiguille,
l’Italie et la France. Albert a pourtant bien essayé de mobiliser toute son armée sur ce projet
gigantesque mais ce fut en vain : la frontière est trop longue. Quelle fournaise Simon ! En
revenant de la charcuterie, jeudi soir dernier, j’ai trouvé un bout de papier (un palimpseste je
crois) daté du jour suivant (du lendemain je crois) anonyme et apocryphe. N’était-ce pas une
lettre plutôt? Non, il s’agissait d’un papier. Tournicotons autour du tourbillon et revenons sur
nos pas. Je pense qu’il avait été dactylographié par Lionel, voici ce que j’ai pu lire :
Oh toile des mers,
Viens à moi dans mes bras.
Depuis combien de temps, déjà, ne me suis-je point soulagé?
Parfois il m’arrive de n’y plus penser,
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Mais souvent je m’assassine.
C’est une bien belle histoire
que l’histoire du poteau télégraphique
et du poteau électrique
élément d’une chaîne
élément indispensable et impensable
qui permet aux gens de communiquer
dans un monde sourd aux appels
lancés par des hommes affamés
où est passé cet été
où est passé ma Lili
allongés au pied du lit
se roulant dans son pipi
se roulant dans son vomi
jusqu’à midi, jusqu’à la nuit
ce sont toujours les mêmes
il est grand temps de se recoucher
sinon le lapin va mourir
malgré le temps et l’espace
l’homme est demeuré libre
libre d’en baver
libre d’éclater
à force de régresser qui voudra encore progresser
plus rien n’est comme avant, tout a changé
il est temps de s’arrêter, il est temps de se suicider
le monde est une obscénité obséquieuse
affolé par la fuite du temps
à la recherche du temps perdu
l’homme ne peut plus vivre
il a trop mangé
il a trop bu
il ne sait plus marcher
il ne fait plus que parler
il ne fait plus qu’agir
il ne fait plus que penser
et couvrir les chaussées de grosses ris
et il se demande pourquoi il ne tient plus debout !
Interloqué, stupéfait, abasourdi que je fus et tombai sur le cul. La sonnerie a résonné, tout a
été bousculé; à peine le temps de réagir que déjà il m’est tombé dans les bras. Il fallait s’en
douter ! Il puait. J’ai humé le fumet émanant de son anus. Plus jamais je n’ai touché à un
fleuret. Julie et Arlette ont décidé de se marier avec Jean-Jacques. Pierre est très jaloux car il
était (il est et il sera; il était sur la liste) très amoureux de Juliette, la sœur de Bernadette.
Maintenant, tout est bloqué. C’est comme le tracteur de René qui s’est arrêté en plein milieu
du champ et a laissé nos deux amis sur le carreau. « Ah (pause éternelle), putain de tracteur
de merde ! » s’est-il esclaffé. D’autres vont au bordel. Alain y était, c’est lui qui m’a tout
raconté. Ils ont commencé par crier puis se sont élancés et ont couru aussi vite que possible.
Clotilde est malade et tout le monde s’en moque. Hélène n’a pas obtenu son baccalauréat et
Benjamin s’est cassé une jambe en voulant éplucher sa pomme. C’est fou comme l’apparence
des chaises a pu évoluer. Aujourd’hui, c’est le triomphe des chaises à coussins en molleton.
Pour le moment, ce qui a été gagné en vitesse a été perdu en confort. On ne se refait pas ! Afin
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de limiter les dépenses de l’Etat, le gouvernement, en la personne du premier des ministres, a
annoncé que plus rien ne serait jamais comme avant. On en perçoit déjà les effets bénéfiques.
Au fait, comment va ton coccyx? Ça fait longtemps que nous n’en avions pas parlé. Celui de
Mathieu va bien, si cela peut te rassurer; il a bien dormi.
Ton charme délicieux exalte mes sens,
ton charme délicieux me cajole;
ton charme délicieux me caresse la crinière.
Viens donc dans ma tanière.
Où sont passés tous ces moments heureux?
Te souviens-tu de ces moments passés
à nous regarder nus sur la plage?
Comme nous étions heureux,
comme tout allait pour le mieux.
Fallait-il que cet accident arrivât?
Dieu seul le saura.
Comment as-tu fait pour perdre ce doigt?
Dis-moi tout, je te l’ordonne !
A cause de ce bout d’os et de chair,
tout est gâché.
Jamais plus nous ne revivrons ces instants d’exaltation;
quelque chose s’est rompu.
A quoi bon persister?
A quoi bon perdurer?
Il est de jours où tout va mal et tout commence bien. Parfois je me demande où tu es partie,
avec qui; c’est vrai, Médor a bien changé et le chat n’est pas rentré. Pourquoi nous as-tu
quittés? Nous étions si heureux Médor, le chat et moi. Reviens Marie, nous te manquons. Il
est facile de se faire un tas d’illusions sur la patine des murs et plus facile encore de tomber.
C’est toujours la même chose avec Claudine, elle ne veut jamais m’embrasser sur les W-C.
Faudra-t-il utiliser des moyens cœrcitifs pour lui faire courber l’échine? En tout cas, Francis
n’est pas rentré ce soir; il a dû coucher avec Jean-Marie. La mer est saine et les algues sont
sales, roulons-nous dedans afin de rester serein. Ils se sont précipités dans l’eau sans prendre
garde et l’ont vite regretté. Maurice est perdu, nous ne pouvons plus rien faire pour lui : il est
diabolique. Il est arrivé en retard à la gare où il devait venir chercher son beau-frère qui
souhaitait prendre quelques jours de congé à la campagne pour faire face à de graves
problèmes de constipation, cela n’arrange guère sa situation familiale. Sa sœur a eu un
accident de voiture en quittant l’autoroute; rassurez-vous, elle n’est brûlée que de façon très
superficielle, ces jours ne sont pas en danger. Elle est poursuivie par la chienne d’AnneMarie, l’épicière du faubourg Saint-Martin. A quoi bon toujours revenir sur ces moments
difficiles. Il est mort, a été enterré puis incinéré; c’est tout à fait normal pour son âge; ce sont
des choses qui arrivent. On se demande même, au village, pourquoi il a attendu si longtemps.
Tout le monde savait qu’Agathe était au fond du jardin sous les rhododendrons. En outre,
Toby pissait dessus tous les matins. En outre, il n’était pas du tout évident de discerner
l’ivraie du bon grain dans ce galimatias. Les ordures ont-elles été descendues ce soir? MarieAnne tient à ce que cela soit fait chaque soir; elle accorde, en effet, une grande importance à
l’hygiène de vie de notre maison; c’est pour cela que Jules se fait gifler, dorénavant, chaque
fois qu’il fait dans son froc. Plus on est gentil avec les gens et moins ils vous le rendent; c’est
pour cela que nous ne parlons jamais de philosophie chez le boucher. Mieux vaut vivre
entouré d’animaux. Il voulait absolument préparer le dîner pour faire une surprise à ses
parents; il avait mis les petits plats dans les grands et avait constitué un menu comprenant une
entrée, un plat de résistance et un dessert. Ayant consacré tout son après-midi à préparer ce
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repas, il s’attendait à un peu de reconnaissance de la part de ses pairs. Que nenni ! La maison
était piégée et tout explosa. Il ne reste plus que des cendres. Que va-t-il dire à ses parents et à
ses amis qui ne sont pas venus à la petite fête qu’il avait organisée spécialement pour eux?
Comment se remettront-ils (en selle) de ce choc psychologique? Cela risque d’avoir de graves
conséquences sur la carrière politique de son amant qui ne veut plus quitter son trou. Il a
disparu un soir d’été dans une vallée. Tous les sapeurs-pompiers ont été mobilisés pour
endiguer les feux de forêt, mais rien n’y fait. Les footballeurs français ne parviennent pas à
égaliser. Veux-tu fumer un pétard? La confection a connu des hauts et des bas noirs mais
aujourd’hui tout va bien, c’est sûrement grâce au suppositoire qu’il a introduit dans son
rectum après s’être lavé les dents. La fille de Monique arrive demain; tu sais combien cela me
coûte de t’en parler mais je ne me fais plus guère d’illusions à son sujet. Tout a été tenté. Afin
de vous dédommagez, vous avez le droit de passer à la banque centrale retirer des bons de
souscription accordés gratuitement à tous les arpenteurs ainsi qu’aux équarrisseurs de père en
fils depuis au moins trois générations. Karine était stupéfiée d’apprendre que mon poisson
rouge est mort et que je me drogue; pour ma part (et en ce qui me concerne directement) je
trouve cela tout à fait normal puisqu’il a avalé une boîte entière de barbiturique mélangé à du
beurre de baratte. On dit qu’il aurait ajouté une pincée de poivre blanc. J’aime la musique
autant que les porcs que j’aime autant que la naphtaline (nom commercial du naphtalène
impur je crois). Il a tout cassé : les remparts, les parapluies et les kiosques à journaux. Il ne
s’est pas arrêté en si bon chemin; on lui prête un avenir doré. Il meurt d’envie de devenir
conducteur d’engins mais n’a pas, pour l’instant, la qualification requise. L’obtention d’un
laissez-passer n’est plus qu’une question de quelques heures ou de quelques jours, rien ne
presse d’ailleurs. Le laiton de la boîte à crabots a du mal à se dilater et je ne comprends pas
pourquoi. Tant de choses que l’on ne comprend pas. Marcel m’avait assuré de la qualité de
son instrument. Je suis pourtant en panne d’inspiration et ne peux donc point créer une
nouvelle chanson. Où va-t-il bien pouvoir dénicher un violon et un clavecin? Je n’y
comprends rien à leurs histoires de palefreniers. Ils me parlent de palinodie, de palladium, de
palliatif, de sédatif sédentaire et de palingénésie, voire de palindrome. Esope reste ici et se
repose. Il va falloir changer tout cela sinon il n’auront plus d’argent de poche sans avoir
montré patte blanche au préalable. Il faut apprendre à se faire respecter, c’est une question
d’équité qui n’a plus besoin d’être discutée devant les enfants qui, d’ailleurs, devraient déjà
être au lit. A force de badigeonner ces enfants avec de la marmelade ils vont avoir des
boutons sur tout le corps et seront donc obligés de porter des casques. Vraiment, quel monde
décadent ! Un monde sans enfant. Arrêtés par le vent, secourus par une main inconnue, ils
sont repartis vers d’autres aventures. La couture est un savoir-faire précieux surtout pour ses
nattes bleues. Un ange passe et ma sœur trépasse. Faudra-t-il faire encore longtemps semblant
d’aimer jouer à la balançoire dans ce jardin verdoyant? Moi, j’ai tout compris de la
manutention et de la manucure. Un pas en avant et un pas en arrière, c’est la commissure des
gros dégouttants ! Le sac à main de ma tantine est plein à craquer, rempli qu’il est de papiers
de toutes sortes : papier d’identité, papier Canson, papier de soie, nattes en coton. J’admire la
queue, longue et ventrue, de ce berger allemand. Le vérin hydraulique intégré à la jambe de
Martin s’est rompu; c’est comme la tarte aux pommes de Paul qui n’est jamais suffisamment
épicée pour faire l’amour sur une plage en été. L’automne sonne à la porte et personne ne lui
ouvre. Ferme ton clapet et retourne à tes fours; l’année est déjà bien avancée sans qu’il soit
nécessaire de continuer de danser. A boire, la mer est basse ! Au fond, le goulot n’est pas
aussi laid que l’on pourrait le croire à première vue, tout est une question de transcendance.
Transcender le fonds et ne marchons pas à reculons sinon la tige de fer attachée à son torse
sera infrangible. C’est toujours ce que me dit Claude à propos du facteur; il ne faut pas
l’énerver sinon il mord, mais rien ne l’empêche de l’exciter, bien au contraire. L’altercation
entre mes amis n’avait d’autre cause qu’une exaltation soudaine et inopinée due à un
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refroidissement du circuit interne. Les oignons sont cuits et bien cuits et les asperges au
placard. C’est une façon de parler, comprenons-nous bien; il n’est absolument pas nécessaire
de remonter à l’époque de Charlemagne pour assimiler les fondements de la littérature
pratique du XXème siècle. Parfois pourtant, Rantanplan fait preuve d’une dextérité pour le
moins surprenante qui n’a rien à voir avec celle de ma cousine. Celle-là, une fois qu’elle s’est
ouverte, on ne peut plus la refermer; c’est un peu comme une porte à tambour. Ouvre donc les
battants, fais rentrer la chaleur à l’intérieur; plus rien n’est comme avant ! Les flots l’ont
recouverte, mais elle a jailli, tel l’obélisque de la Place de la Concorde fendant le ciel azuré tel
le phallus de contrefaçon. J’ai sûrement franchi les limites tolérables, j’ai outre-passé les
bonnes mœurs, j’ai dépassé les gnomes, j’ai fessé les nonnes. Plus rien n’a jamais manqué.
Au fait, j’espère que tes affaires vont mieux. J’ai appris que la terre ne constitue pas, en ce
moment, le meilleur placement. Pauvre frère Jacques ! A quoi bon semer du grain si c’est
pour se laver les mains? Demain la récolte doit être terminée. Estimons-nous heureux de ne
pas avoir à travailler; de nos jours, c’est une chance inespérée bien plus que de saupoudrer un
dos musqué avec du paprika. Son peignoir lui va comme un gant. Une brindille de sapin s’est
fourrée dans son oreille; elle n’a pas pu l’éviter. Son vagin est bourré d’un tas de choses
étonnantes : des écrous, des bouts de caoutchouc, des mégots, des avions en carton... Tout est
à recommencer maintenant qu’il l’a quitté. L’autre jour, Romain a creusé un trou dans la forêt
entre deux chênes et y a découvert une baleine en hibernation. Je le lui avais bien dit : les
promenades en nature sont pleines de surprises; elles ont le goût de la noix de coco. C’est un
beau salaud, c’est acquis. La houppe est un mammifère marin géant de vingt mètres de long.
J’ai honte de tout raconter à Cécile; ce sont des histoires qui ne se racontent pas. J’en suis
néanmoins déjà passé par là. Ce bouquet me rappelle Virginie, la gaillarde. Un soir, elle et
moi étions partis en trimaran sur la mer Egée. Ce n’est pas qu’elle était lourde mais nous
avions coulé; nous fûmes sauvés par un corsaire esseulé. C’est dans ce genre de situation que
l’on se sent ridicule mais cela ne dure pas très longtemps; il faut relativiser tout de suite. Non,
c’est vrai, la concierge n’est pas si laide; peut-être que peinte en vert et mieux éclairée elle
rendrait mieux. Qui sait? Les goûts et les couleurs, cela ne se discute pas. Te souviendras-tu
de cet après-midi passé sur la plage à creuser, à construire un avenir encore instable? Je te
voyais, je t’observais sans en avoir l’air. Est-ce qu’il a bien tout mangé le toutou à sa
mémère? Quoi qu’il en soit, il ne pourra pas rester dans une telle situation ad vitam æternam.
Et ta sœur, elle pue toujours? Non, il lui faut réagir énergiquement dans un brouhaha digne de
lui. Je propose que nous marquions cet événement d’une pierre blanche, l’avantage étant que
nous pourrons toujours la repeindre par la suite au gré de nos afflictions et de nos
tempéraments. Aristobut s’est assis à côté de la bouche à égouts; il a posé son derrière
déchiqueté sur le gazon interdit. Ensuite, nous nous sommes promenés mais son anus l’a
beaucoup démangé. Comme il est difficile de faire la part des choses ! L’autre jour encore,
j’ai été confronté à un problème ardu (ou un ardu problème qui m’a troué le trou du cul, je ne
sais plus). Afin d’être bref, je vais tenter de résumer cette histoire en tachant de ne pas
occulter un argument de choix. Il s’agissait d’un problème de rotule liée à un vilebrequin
défaillant. Autant dire que je ne m’en suis pas sorti tout seul. J’eus recours à l’aide précieuse
et opportune de mon ami Sacha (l’acrobate). En deux temps trois mouvements toutes les
larmes avaient disparu de son visage. Les migraines sont l’ennemi de l’homme puis
l’interprète s’est tu. J’ai déposé, ces jours derniers, un avis de tempête sur la fenêtre, rien n’est
survenu. Je me demande donc à quoi peuvent bien servir tous mes efforts réitérés et
inventoriés car calculés avec une marge d’erreur de cinq pour cent ce qui, vous en
conviendrez je l’espère volontiers, est bien peu pour un vieil argenteur comme moi.
Finalement, le mari de ma sœur n’est pas mort; il se serait (il faut absolument employer le
conditionnel dans de telles circonstances) fait mordre par un chien. Oh Charlotte ! que j’aime
ta culotte à fleurs irisées et indestructible à la fois. Je fonce vers toi et tu résistes; que ta
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puissance est grande, impromptue Charlotte ! Fais-moi mordre ta culotte que je devine des
espaces infinis et fragiles. L’ire est un remède conseillé par mon docteur, cela facilite le
transit intestinal et tu sais combien je suis sensible sur ce point. Oh Charlotte ! Point n’est
besoin de te regarder pour t’aimer, adorable Charlotte; il suffit de se concentrer sur ta culotte
pour te faire revivre, te faire sortir de tombe, te faire rompre la glace. Si j’avais deux têtes. Si
j’avais deux têtes, je les glisserais dans les bonnets de ton soutien-gorge et humerais les
empreintes de ton corps délicat et de ton âme charnue. Ô adorable Charlotte. Ô que ta bouche
est grasse et tes bras graciles. Ah c’est vrai, j’avais oublié de vous en parler; il n’a rien de
commun avec tous les autres hommes que j’ai pu rencontrer. Lui, au moins, a su me parler en
m’adressant des crocs acérés et des propos acerbes; je lui ai serré la main et l’ai remercié
avant de le congédier. J’ai jeté un œil distrait sur son phallus puis suis parti sans perdre une
minute de plus. Son attitude à son poste de travail était devenue, en effet, intolérable. A peine
avais-je le dos tourné qu’il en profitait pour proférer un tas de menaces facilement
intercheangables. Le disjoncteur a sauté; il n’en pouvait plus le pauvre, soumis qu’il était à la
pression atmosphérique. C’est un peu la même chose avec Ernest puisque son ventre a éclaté
juste avant d’aller à la messe, dimanche dernier. Trop d’air, trop de soucis, plus assez d’envies
: les causes sont multiples et toutes interdépendantes les unes des autres. Il lui arrivait souvent
de courir le ventre bronzé à l’air. Le vent s’est levé et a tout emporté : mes regrets, mes
souvenirs et les chaussettes de ma concubine. En allant au cinéma avec Amy, nous avons
rencontré Jean et sa mère. Bien que ne voulant pas passer pour un rabat-joie, il me tarde de
conserver l’avance sur nos ennemis directs; il est trop facile de se faire rattraper puis dépasser
et enfin écraser comme une mouche qui pond sur de la viande. Simon n’a pas toujours bien
agi envers ces deux personnages cyniques. Il n’avait pas besoin, en plus, d’en rajouter. Je ne
comprends toujours pas pourquoi il n’est pas allé les trouver pour leur parler de ses ennuis liés
aux prévisions météorologiques qui, selon les spécialistes eux-mêmes, étaient très mauvaises.
Nous nous sommes tout de même accordés sur une date de rencontre entre partisans et
opposants de chaque camp afin de régler nos différends aux poings. C’est sans doute la
meilleure initiative qu’ait prise Michel depuis une bonne dizaine d’années. Il ne parvient
même plus à compter. Il n’est pas bon de rester trop longtemps à ne rien faire, aussi, avec
Arthur, nous avons décidé d’aller à la pêche pour tâter de la canne. S’il n’est pas facile de
bien tenir l’instrument, il est bien difficile de sauter en marchant. En marchant le long de cette
rivière je me suis aperçu que mon profil se reflétait dans l’eau, c’est là que j’ai vu que
quelqu’un me suivait. A peine étais-je sorti de la cuisine que le voleur tenta de se saisir de ma
fourchette, alors, plutôt que de la perdre à tout jamais, je l’ai lancée à Josette, ma femme de
chambre, qui l’a récupérée, in extremis, sur son bateau en l’attrapant au vol. Tu ne peux pas
t’imaginer, je pense, comme ce fut exaltant. Nous nous sommes élancés à trois de front et puis
tout s’est effondré sans que l’on sache pourquoi. Les mystères des chambres plongées dans la
pénombre sont insupportables. L’autre jour, Caroline n’en crut pas ses yeux lorsqu’un
gendarme l’arrêta sur le bord de la route nationale; il tenait en effet par la main une petite fille
qui avait perdu sa maman (à moins d’être abandonné par sa mère). Enfin, toujours est-il que
Clotilde trouva ce gendarme en train d’uriner au bord de la route alors que la petite fille (elle
ne devait pas avoir plus de cinq ans) pleurait toutes les larmes de son cœur. Camille prit son
courage à deux mains et le gifla. Il s’agissait d’une erreur de stratégie. Elle n’avait pas analysé
les tenants et aboutissants du vit dans le beurre. Elle en prit conscience juste après, lorsque le
jeune homme qui la poursuivait en voiture, un voleur, s’arrêta lui aussi au même endroit pour
se reposer. Elle n’osa plus bouger et se jeta devant la première voiture qui arrivait. Sa tête fut
sectionnée et la petite fille mourut d’une crise cardiaque. Sa mère qui, depuis sa voiture, avait
assisté à tout ce spectacle en perdit la tête et, pendant ce temps, le gendarme et le voleur en
profitèrent pour conclure un accord de partenariat devant sauver des milliers d’emplois.
Comme quoi le sacrifice de quelques-uns n’est pas toujours vain. Vain est l’appel, par contre,
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lancé dans le vide et ma jambe droite plus courte que ma gauche est bien là pour le prouver.
La malpighie m’a plongé dans un état second et, malgré tous les efforts de Charlotte, je n’ai
pas pu assister au mariage de l’oncle Henry avec la tante Marcelle. Ce n’est que partie remise
comme s’est plu à le crier notre oncle qui compte bien remettre ça l’année prochaine. Il a
encore un peu de temps devant lui puisqu’on lui a assuré qu’il ne mourrait pas avant trois ans
et quatre-vingt sept jours. C’est la meilleure nouvelle de la journée que je me suis empressé de
communiquer à toute la famille encore en vie en Phrygie. As-tu oublié tous ces moments
passés à danser?
Oh Marie-Lou grosse canaille,
tu me fais mal !
Viens, viens avec moi au bal,
tu me fais mal;
ton ombre se reflète dans le vitrail,
Vive, vive les victuailles,
et mort au chacal.
Saute, saute encore plus haut,
exécute un bon prodigieux !
Oh là, oh là
cela me fait mal.
Il paraît que les Bertier
ce soir vont danser
et qu’en cette belle soirée
d’été
il vaudrait mieux en profiter
pour faire une randonnée.
Il fallait m’écouter
et cela ne serait point arrivé;
à force de chanter
ses bras se sont disloqués.
Il n’y a plus rien à manger
par trop festoyer.
Ah non, pas dans la salle à manger !
Aller faire ça à côté,
on ne voit plus la télé.
Maintenant rien ne t’oblige à me regarder,
je ne serai point gêné
s’il te venait à l’idée
de te gratter le nez,
de te le récurer,
quel ignoble curé!
Et en plus, il ne fait que ronfler
lorsqu’il dort sur son mauvais côté;
Prête-lui donc ton oreiller!
Quels nouveaux principes fonder
pour sauver la société
et ce jeune homme adulé?
A n’en pas douter,
Miguel a échoué;
ce n’est pourtant pas bien compliqué
le vol a main armée;
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il faudra recommencer.
Et ta sœur, cette beauté
Où est-elle donc passée?
je ne l’ai pas vue à la rentrée.
Rentre chez toi malotru!
Attendons le soir venu pour mettre nos ventres à nu. A manger et à boire, à vivre et à mourir,
de bois et de fer, de mille et en galère, aspire les senteurs de vipère et d’adultère. Soliloques
des abîmes, j’interfère pour vous. Il faut toujours se retenir. Marchant d’un pas déterminé vers
un destin tout tracé, la belle Rébécca n’avait pas vu l’été s’en aller et l’automne arriver; c’est
du moins ce que Liliane a essayé de me faire croire toute la journée. Samedi dernier, nous
n’avons pas cessé de parler de tout et de rien avec Fabien et en particulier de la réincarnation.
A peine croit-on que l’on peut se sortir d’un mauvais pas que l’on doit faire face à de
nouveaux problèmes toujours plus compliqués à résoudre. L’art de cuisiner est bien difficile;
la sauce à la vanille, il la rate à chaque fois. A peine étions-nous sortis du cinéma que la
foudre tomba; il s’en fallu de peu pour qu’Alphonse se noyât. Il est vrai que tout va bien, tout
va mieux qu’hier et tout ira mieux que demain. Le vin nous a bien réchauffé et, s’il nous
l’avait demandé, nous ne nous serions pas fait prier pour lui emboîter le pas mais, faute de
boîte de conserve en réserve, nous avons dû nous contenter de pain rassis. « C’est sûr » ,
s’exlama-t-il, et qu’il s’allongea sur la table de salon de jardin. Un bain de soleil au petit
déjeuner permet de ne pas se laisser aller et de gagner honnêtement sa vie, contrairement à
une opinion bien ancrée dans l’inconscient collectif tenant l’aristocratie pour une vieille peau
desséchée. L’effort consenti est important et fut apprécié à sa juste valeur mais les moulesfrites, c’est quand même autre chose ! Je me délecte de cette voix si parfaite; mes oreilles sont
transportées par des sons que je ne connaissais pas jusque-là, tout mon être est en émoi.
Pourtant, quel froid ! As-tu songé à brancher le chauffage car l’hiver se rapproche à grands
pas, et il n’y a plus de bois. Il faudra aller en chercher chez le voisin que j’ai rencontré hier à
la course des garçons de café. C’est toujours étonnant de constater un tel succès populaire,
cela fait plaisir à voir. Cela a réchauffé mon cœur et celui de Samantha. Pourriez-vous enfin
apporter, s’il vous plaît, le café au lait que nous attendons depuis si longtemps? Comment se
fait-il que des mesures énergiques, aptes à renouveler l’esprit d’équipe, n’aient pas encore été
adoptées à la majorité absolue? C’est un procédé très astucieux mais déjà dépassé, il aurait été
plus sérieux de s’en préoccuper plus tôt. A force de tergiverser nous n’avons pas su profiter de
l’occasion qui se présentait à nous, c’est véritablement dommage (je pèse mes mots). Je suis
tout à fait conscient de la portée de mes propos et cela serait fort mal me connaître que de ne
point me croire. Où est passé cet enfant qui jouait au ballon devant la maison? Je ne l’ai pas
revu depuis qu’il s’est fait écraser par un bulldozer; peut-être pourrions-nous aller le voir au
cimetière. Il paraît qu’on lui a aménagé un petit coin fort sympathique. Je suis littéralement
tombé en admiration devant le buste de Géraldine et me demande quel peut être l’auteur de
cette œuvre majeure. Mais oui, il s’agit effectivement du livre passionnant dont je voulais te
parler. Il a fait couler beaucoup d’encre, je n’ai plus de quoi écrire et, comme les magasins
sont fermés, les conséquences risquent d’être très graves, aussi bien pour lui que pour moi.
Combien de fois, je te le demande, ne lui ai-je pas conseillé de faire des stocks de
marchandises de première nécessité? Il ne m’écoute jamais; il apprendra à ses dépens que j’ai
toujours raison et que l’on ne se moque pas de moi impunément. Sa quiétude apparente ne
tiendra plus très longtemps, c’est un engagement que je prends, devant vous, ce soir même. Je
ne vais certainement pas m’arrêter en si bon chemin et si près du but. La mayonnaise prend !
Vite, allez chercher de l’argent ! Encore deux kilomètres et nous serons arrivés. Imaginezvous devant le foyer vous réchauffant le visage avant d’aller vous coucher. N’est-ce pas
agréable? En attendant, il est préférable de savoir ce que vous voulez. Attention, une truie
fonce sur vous ! Et vos bottes qui sont pleines de boue. Voici une flaque d’eau, roulez-vous
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donc dedans et tout resplendira de nouveau. Le plus étonnant dans tout cela c’est que je
n’avais pas fermé l’œil de la nuit. Comme quoi, il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas
d’avis; comme nous le savons tous, je suis loin d’être un imbécile et je crois même pouvoir
affirmer, haut et fort en couleur, que je suis un être doué d’un savoir-faire tout particulier
lorsqu’il s’agit de roucouler. Ma perruche s’est mordue la queue hier, vers minuit, alors que
nous nous apprêtions à nous coucher. Nous avons tout essayé et avons tout retourné dans la
maison. Je suis au regret de vous annoncer que nous ne l’avons pas retrouvé. Il était pourtant
bon et généreux. Sa valeur vénale n’est pas seule en cause, cela n’a même rien à voir avec le
sujet que le professeur Dubry a abordé lors de la dernière conférence sur la synthèse des
molécules H2O. Ce fut une explosion terrible, le ciel était en feu et une fumée dense envahit
mes poumons; j’avais du mal à respirer, comme lorsque vous mangez trop; la nuit s’est
arrêtée. Il a eu beau résister de toutes ses forces, il n’est pas parvenu à rester parallèle à cette
base. Il n’est pourtant pas passé très loin de l’exploit; sa mère était en larmes. J’enfile mon
justaucorps et te rejoins de suite, mémorable Charlotte. J’enfile les témoins de mes tourments.
Qu’importe, le plus dur est à venir et son patron sera sans pitié; d’ailleurs, il ne lui a accordé
aucun répit suite à cette chute de cheval. Je ne comprends vraiment pas, et je crois ne pas être
le seul dans ce cas; pourquoi cette pauvre Jessica continue-t-elle de sortir avec cet homme-là?
Il faudrait qu’elle en change, il est plein de poux. La cloche a sonné. Le curé est rentré. La
liane a sonné. Anthony, mange ton gâteau ! La vie s’est arrêtée pour lui; Anthony et Jessica
s’aiment bien. Elle voudrait bien tout avouer. Il voudrait bien s’en aller. Quel voyage
merveilleux ! Comme tout cela est langoureux ! La Normandie est un bien beau pays. As-tu
fait la vaisselle? Quel chenapan! Le voleur s’est échappé. Bon vent. Au revoir. Bons baisés de
Paris. Ne touche pas à ce vase. Tu vas tout casser. Tu casses tout ce que tu touches. La valise
est trop lourde. Le chemin est sinueux. La route est barrée. Les travaux reprendront demain.
Le train a déraillé. Ils ont déjanté. Pas de panique. Il maîtrise tout. Elle est très intelligente.
Elle lui est bien supérieure. Regarde le gros monsieur, là-bas. Oh, mais c’est un premier
ministre ! J’admire son tact. Le télétravail se développera. Les magasins sont bondés. La
souris a été mangée par ton chat. Elle ne veut plus partir. Elle ne peut s’en départir. Quelle
tristesse. Ce regard langoureux m’exaspère. C’est un fin tacticien. Il ne nous dit pas tout. Tu
veux une sucette? Lave tes chaussettes. Qu’elle est mignonne ! C’est une musique
enchanteresse. Reconnais-tu cette déesse? J’ai la même en miniature. Protège-moi contre les
intempéries. La sauce à l’estragon. Les routes à la française. Le discours de Bayeux. Le
discours de ta sœur. Illustration très attique. Propos acerbes. Propos déplacés. Ce refrain
mélodieux. Un jour en été. C’est passé trop vite. Attends-moi à la gare. Reviens quand tu
peux. La nuit est tombée et son frère s’est couché. Reviens quand tu veux. Il lisait son
magazine préféré lorsque cela est arrivé. Ils ont ouvert la porte et tous se sont précipités à
l’intérieur. Nous ne les avons jamais invités compte tenu de leur comportement pour le moins
incongru. Ton chat est-il revenu? Et ta chatte, comment se porte-t-elle? Ainsi, tout va pour le
mieux dans le meilleur des mondes. J’irai bien faire un tour en Bavière pour voir nos amis
allemands. Viendras-tu avec moi le moment venu? Je compte sur ton soutien à la fois moral et
financier sans lequel je ne suis plus rien. Attends-moi demain au même endroit, je viendrai
avec Bob. « La vie tient a peu de choses » : c’était la conclusion du dernier roman que j’ai lu
et, ma foi, cela me laisse pantois. Quelles étaient réellement ses intentions? Nul ne le savait.
Néanmoins, la possibilité d’envisager un nouveau rapport de force entre ces deux entités parût
lui ôter la plupart de ses soucis. Nul ne savait combien il lui était difficile, combien il lui était
désagréable de revenir sur ces événements. Comment le parti avait-il bien pu accepter une
telle situation? Sa femme se réveilla soudainement. Il la découvrit dans sa chemise de nuit
bleu pâle, elle avait conservé ses bigoudis toute la nuit; qu’elle était sexy ! Au milieu de la
matinée, tout était déjà oublié; allongée sur un canapé soyeux, Jeannette ne savait où donner
de la tête : à gauche, à droite, elle essayait de suivre les mouvements de cet homme loquace
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qui ne la quittait pas des yeux. A peine eut-il bu son café qu’il se décida à rentrer chez elle.
Tout n’était pas encore prêt. Plus loin il trouva deux autres membres acquis à sa cause. Il était
sûr, maintenant, de pouvoir lutter à armes égales avec le commandant. Son fils piqua une crise
et s’en alla bien tranquillement dans sa chambre pour y retrouver ses petits amis avec lesquels
il jouait sans s’appesantir sur leurs atermoiements. Ce qu’il fit le remplit d’espoir et l’eau
faillit déborder du lavabo qu’il s’était pourtant juré de déplacer car son emplacement d’alors
était, d’un point de vue pratique, inadéquat. Le discobole. Cela favorisait son élocution
difficile et éveillait sa réflexion. L’avenir allait lui sourire ! Il se regarda dans la glace qui
reposait contre la porte des W-C (il n’y avait plus de verrou) et s’imagina coiffé d’un béret,
défilant sur la plus longue avenue du monde. Quel triomphe ! Les femmes se prosternaient à
ses pieds mais il dut revenir à la réalité (qu’est-ce qu’elle fait comme bruit cette chasse d’eau)
et le miroir se brisa. Il entama derechef son discours : « Françaises, Français, Mes Chers
Compatriotes, Mes Chers Camarades (des jeux nombreux et variés vous seront proposés à
l’entracte), Mes Chères Amies, c’est aujourd’hui un jour particulièrement important et vous
me voyez ravi de vous voir ici tous réunis (premiers applaudissements durant lesquels il en
profita pour s’absenter quelques instants et alla faire pipi). Aujourd’hui, aujourd’hui, nous
allons, ensemble, montrer au monde entier que nous formons un peuple déterminé à lutter
contre les pires difficultés et il n’est pas utile, je crois, de vous les rappelez parce que c’est
ensemble que nous pourrons construire un monde meilleur, plus juste, dans lequel chacun de
vous aura sa place. C’est vrai, il faut le reconnaître, et je suis le premier à le faire, nous avons
commis quelques erreurs dans le passé mais à partir de maintenant, ensemble, nous vaincrons
les principaux fléaux auxquels doit faire face notre pays et ce, qu’ils soient d’ordre :
économique, politique, juridique, social, médical, commercial, estival ou international ! Oui,
je vous le répète, ensemble, nous prenons ensemble notre destin en main et nous allons
triompher ! Il est utile, cependant, de rappeler, je le crois, les principales causes de la crise
économique actuelle. C’est ensemble que nous ferons reculer le chômage. Il faut d’abord
noter la concurrence des pays à bas salaires, pays d’ailleurs dépourvus de toute protection
sociale; c’est pourquoi il nous faut produire des biens à haute valeur ajoutée et donc investir
afin de renouveler notre outil de production. Il s’agit d’une proposition concrète et tout à fait
réaliste. J’entrevois déjà, pourtant, les remarques toutes sarcastiques de nos adversaires
politiques qui sont parfois dans mon propre camp mais certainement pas dans notre propre
camp car comment autoriser de tels personnages qui s’opposent, en réalité, à la politique
qu’ensemble nous voulons ériger pour affronter les marées et les solstices d’été répétés (son
plus grand défaut était de s’emporter parfois un peu trop facilement), à employer l’adjectif
possessif de la première personne du pluriel. Il est vrai, également, que les infirmières ont le
droit à toute notre estime et je dirais même à toute notre admiration, et je ne comprends pas
pourquoi certaines personnes s’évertuent à les vouer à la vindicte populaire et à faire d’elles
les bouc-émissaires de toutes nos difficultés. Non, je ne comprends vraiment pas pourquoi.
Afin de lutter efficacement contre le chômage, nous vous proposons, mes amis du parti et
moi, de réduire les impôts directs et indirects de vingt-cinq pour-cent sur deux ans. Ceci, cette
mesure, constitue le premier axe de développement d’une politique de réformes sur le long
terme mais dont le maximum d’effets devra se faire sentir le plus tôt possible et ce, pour le
bien et la vitalité - à propos, faites des enfants - de notre pays dont nous serons fiers, dans dix
ans (il en prend l’engagement), de constater les progrès énormes qu’il aura accompli grâce
aux efforts conjugués de tous ! Sur le plan international, nous nous engageons, je m’engage, à
assurer un retentissement énorme à la voix de notre (beau et grand) pays dans le concert des
nations. Nous renforcerons - avec votre aide et il est important d’insister sur ce point - nos
rapports avec nos alliés de l’AFM (personne n’a jamais réellement connu la signification
exacte de cet acronyme barbare. Alphonse vient donc boire un coup !). Toujours est-il que
nous n’accepterons aucune atteinte à l’intégrité de notre territoire ni d’ailleurs aux principes
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qui ont fondé notre société (ou les principes sur lesquels s’est fondée notre société) il y a
maintenant des milliards et des milliards d’années. Afin de respecter scrupuleusement, ou à la
lettre si vous préférez ou si cela peut faire plaisir à quelques-uns, les principes éthiques que
nous nous sommes imposés, je vous demande d’observer maintenant une minute de silence.
Vous connaissant, je sais, d’expérience, que je peux compter sur votre coopération et sur votre
dévouement entier mais je crois très sincèrement que l’avenir sera meilleur. Vive notre pays
! ». C’est, tout ému, qu’il rentra chez lui le soir. As-tu reçu des nouvelles d’Amérique? On dit
que les Indiens y ont été massacrés. Mais cela est à coup sûr un mensonge orchestré par le
docteur Griboux et sa bande de crasseux. Il ne fallait pas se fier à sa figure gaillarde. Prends
donc la main qu’Alain te tends; il est venu, oui il est vraiment venu le temps de prendre sa
main pour apprendre à marcher sur la lune. Il fait soleil ce soir et ma sœur a avalé son
peignoir mais, ne t’en fais pas, il est venu et repartira; à force de l’aimer il s’est senti protégé
et rassasié mais, c’est vrai, il ne peut plus se coucher sur le côté gauche. Elle s’est approchée
de lui et l’a embrassé : il s’est affolé parce qu’il voulait lui montrer toute sa reconnaissance.
La rue est pleine à craquer. Il n’y a plus de place pour sa garer; où vas-tu ranger tes affaires?
Tu laisses toujours tout traîner; cela ne lui ressemble guère d’abandonner une partie
lorsqu’elle tourne à son avantage. « Nous tenions absolument à vous remercier
chaleureusement et pompeusement de nous avoir accompagnés dans notre projet très
ambitieux car il est évident et frappant que des soutiens de la part de personnages de votre
envergure nous sont pratiquement indispensables pour mener à bien notre initiative
médiatique. Nous avons su profiter pleinement de nos partenaires ce qui nous permettra, à
l’avenir, de réitérer ce type d’expérience sur des cobayes polytraumatisés ». Fin de partie.
« J’ai envie de pisser alors je te laisse un instant » me dit-elle alors que cela ruisselait déjà sur
son entrecuisse. Je fus profondément choqué par ses propos, cela me causa par la suite une
affreuse migraine et m’empêcha d’aller me coucher. Pour une fois, Nadine n’avait pas parlé
pour rien ! Enfin une parole pleine de sens (cela faisait du sens, elle faisait pipi (cela faisait du
bruit, il faisait froid) et je buvais son pipi), des propos chargés d’histoire dont la portée ne sera
appréciée à sa juste valeur que dans cinq ou dix siècles, au mieux. Ensuite, elle laissa tomber
sa culotte, caressant ses cuisses, laquelle heurta le carrelage de la cuisine; la populace n’en
crut pas ses yeux et fut ébahie. Des cris stridents rompirent l’harmonie naissante. Plus tard,
dans la nuit, alors que nous déféquions le long du canal, un enfant cria à la fenêtre d’un
appartement, il implorait le pardon et priait ses parents de faire rentrer sa tête à l’intérieur et
de la rendre à nouveau solidaire du reste de son corps. Une chouette venait juste de se poser
sur lui. Quelle horreur ! Tant de chiens sont écrasés, sur nos routes, par des automobilistes
imprudents qui sont souvent, en fin de compte, des ivrognes. On dit que la scarlatine a
certaines vertus, notamment celle de favoriser le transit bucco-dentaire. Mamouchka est
rentrée le sac de provisions plein de bonnes choses : du papier toilette, du savon, des
insecticides, je ne me souviens pas du reste. Qu’importe d’ailleurs, surtout pour un homme en
pleine possession de ses moyens. Je ne parviens pas à retrouver où j’ai bien pu voir ce visage,
il me dit quelque chose. Peut-être l’avais-je vu dans la foule anonyme du métropolitain, à
moins que je ne me porte caution. C’est tout ce que l’on a pu lui tirer du nez. La prochaine
fois je mettrai de l’eau dans mon vin avant que la police ne s’en mêle. Il n’y a plus rien à
attendre de sa part. La pauvre Nathalie est bien à plaindre. Pauvre mari ! A qui la faute? A ce
faux-jeton? A ce chien posté aux portes de l’enfer? Non, vraiment, le malheur touche parfois
de pauvres gens qui n’ont pas assez de soucis comme ça et qui se croient obligés de se briser
une ou deux jambes en descendant quatre à quatre les escaliers du clocher. Elle devait
plonger. Il y a vraiment, de notre temps, beaucoup trop d’extrémistes, de fondamentalistes de
la pensée oisive. A qui irions-nous lorsque la chance nous aura lâchés? C’est pourtant une
question fondamentale mais Alexandre n’y prête pas la moindre attention. Patrick l’a frappé
avec sa grosse trique (ou son gros bâton); je supputais la violence de cet homme qui, depuis,
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n’a jamais hésité à faire couler le sang surtout lorsqu’il souffre de déshydratation. Serait-ce
Tantale ? C’est un être cruel et charnel qui n’a point fait vœux de chasteté. Quel gros
dégoûtant ! Il a renversé le plat sur son pantalon tout propre et sa cravate a trempé dans la
confiture de pêche. « A la queue leu leu » pérora-t-il de façon à bien se faire entendre de tous
les convives assoiffés (son argumentation dura facilement quinze minutes). Assis sur le
perron, il discourait devant sa bonne de la nécessité de l’engagement en faveur de la patrie;
celle-ci l’écoutait d’une oreille distraite et reportait toute son attention sur le fondement du
bonhomme allongé dans le jardin. Qu’il était sale ce salon ! Elle ne me parla même pas des
conséquences que pourraient avoir un tel comportement sur un veuf si jeune. Les gens, à notre
époque, ne saisissent pas, me semble-t-il et Monique peut se tromper en la matière,
l’importance de la relation intra-utérine qui peut être établie au niveau de la muqueuse. C’est
un point déterminant qu’il lui faudra absolument développer dans son ouvrage s’il veut
recueillir les fruits de son changement de comportement envers les nonnes. Au fait, nous
n’avons pas parlé de ton amant. Comment ça va? Combien de temps va-t-il encore rester
dormir à la maison? Il faudrait que je parte demain mais, de toute façon, je ne serai plus là
dans deux jours, c’est promis. J’ai craché dans le caniveau. En y regardant de plus près, je me
suis aperçu qu’il avait une truie sous lui. Heureusement que Delphine était là (elle vous avait
accompagnée au cinéma) pour m’aider à me baisser sinon je crois que j’y serais encore. Le
plus dur a été de tout lui avouer. C’est toujours difficile d’annoncer à son fiancé que l’on a
l’intention de le quitter (on ne sait jamais de qui il s’agit); mais je pense qu’il n’a pas
tellement souffert. Il faut dire que je l’avais ménagé; depuis trois jours il ne faisait plus rien :
il est au chômage. Quel entêté ! Et dire qu’il a failli les abandonner; je ne donnerais pas cher
de sa peau bien qu’elle soit très douce surtout lorsqu’elle est mouillée. Maintenant, tout est
terminé entre eux, c’est la dure loi du genre. Il a vraiment été impitoyable je crois; en plus il
ne s’est même pas essuyé les pieds avant de rentrer, Dieu sait dans quoi il a bien pu marcher
ou même sauter, étant donné qu’il progresse le plus souvent par bonds. Bond en avant et bond
en arrière, la prêtrise n’a plus de secret pour lui. Elle occupe, au sein du conseil municipal,
une place très inconfortable. A chaque réunion elle se sent obligée de changer de place tant
son siège est archaïque. Ce n’est rien comparé aux ennuis de Florent. Actuellement il est pris
dans une affaire politico-juridique des plus complexes. Une quinte de toux le tiraille depuis
bientôt dix ans, à croire que les docteurs n’existent pas. Elle fait mine de les ignorer à chaque
fois qu’elle en rencontre un. Elle s’est entichée d’un acteur à la petite semaine; il n’y a
vraiment pas de quoi s’inquiéter pour son sort, il est entre de bonnes mains. Rien, dans sa
démarche, ne ferait croire que c’est un handicapé; et pourtant, croyez-le si vous le voulez, il
n’est plus comme avant, quelque chose a changé, une histoire s’est déroulée et un tapis est
passé (ou quelque chose comme cela). Afin de tirer toute cette affaire inextricable au clair, il
s’est lancé à la poursuite du meurtrier qui, à cette heure, court toujours. Aujourd’hui nous
assistons à la transformation de notre langue. Ce n’est pas la première fois que cela arrive.
Ceux qui résistent ont alors l’impression que tout le monde dit n’importe quoi. Je ne
comprends pas ce qui s’est passé dans la vie de Mathilde. La maîtresse de maison est fière
d’elle; sacré sacristain ! Elle a marché toute la journée (comme c’est rigolo) avec Margot.
Nadège l’a rattrapé; il tentait de s’enfuir à la dérobée puis elle l’a bordé après l’avoir dorloté
comme elle avait l’habitude de le faire chaque soir après le dîner. Une fois, en passant devant
chez lui, je l’ai rencontré; nous ne nous sommes même pas salués, cela n’en valait pas la
peine. Et pourtant, qu’est-ce que nous avions pu déconner tous les trois. Encore une fois, la
porte s’est refermée sans qu’il ne la retienne; nous voilà bien avancés. Que va-t-il se passer ?
Il débande. Ne craignez rien, ne craignez pas la mort, nous sommes des spécialistes et le taux
de réussite au baccalauréat avoisine les cent pour-cent; c’est inespéré. Il doute à ne plus
respirer; donne-lui donc une petite tape amicale dans le dos de ma part. Je pense bien lorsque
je ne fais pas pipi. J’atteins des sommets. Ma douce et tendre Charlotte, agite donc ta culotte
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que je perçoive tes senteurs baroques. Aujourd’hui, une jeune personne est venue sonner à la
porte de ses appartements. Aucune ne s’est ouverte et elle a pleuré. Que de sanglots. Ils se
sont mélangés à de la terre battue ; nous avions de la boue plein les pieds. C’est ta mère qui
était contente lorsque nous sommes rentrés. Nous en avons mis partout : sur les murs, dans la
salle à manger, dans la salle de bain et dans les lits. C’est vraiment dommage parce que
j’aimais bien la tapisserie à fleurs jaunes de la chambre d’amies. Maintenant c’est sûr, ils ne
viendront plus; il est trop tard, nous ne pouvons pas attendre une minute de plus, surtout que
chat échaudé craint l’eau froide. La discussion s’est poursuivie jusque tard dans la nuit. Tout
d’un coup, Jérôme s’est mis à bailler (pris de douleurs à l’estomac), ce fut le signal et tous
sont rentrés dans leurs tentes, les uns sur les autres et d’autres encore se sont allongés par
dessus le tout. Martin est un chic type. Lorsqu’il s’est mis à pleuvoir (je me demande toujours
pourquoi il peut bien pleuvoir) il nous a tendu son parapluie et s’est mis à nous cajoler tout en
dandinant de la tête (un vieux tic sans doute, mais qui joue un rôle déterminant dans le charme
qu’il exerce, involontairement je crois, sur son entourage et en particulier sur la petite Pétula.
Tu t’en souviens sûrement, c’est la fille du fils du jardinier. Et puis tout s’est arrangé, il s’est
calmé, la crise est passée! Je n’ai jamais aimé laver la vaisselle et encore moins la repasser
mais, de toute façon, cela me fait au moins un point commun avec Arnaud. La vie est une
seringue; lorsqu’elle est vide, il faut la remplir. Je n’ai d’ailleurs jamais rien compris à ses
formules en « si » : « si je n’étais pas pauvre je serais riche » ou « si tu n’étais pas idiot je
serais intelligent »; tout cela m’échappe. Tout cela me dépasse. Les objets volent toujours (ou
presque trop souvent) trop haut pour moi, je n’ai pas la force de m’élever et de sauter de
l’avion parce que j’ai toujours peur que le parachute ne s’ouvre pas. As-tu raison ou tort, au
fond je n’en ai cure; il lui suffirait de prendre un bain de pied pour ne plus sentir cette odeur
de renfermé, de renfrogné. Elle a tiré la chasse. Eh bien, la place était nette, plus une trace de
mégot. C’est très sophistiqué. C’est toujours ce que je dis au petit Paul, notre dernier, qui a
bien des difficultés pour suivre à l’école. Et mon toutou qui est si malade, tu vas être obligée
de l’emmener chez le vétérinaire pour le faire piquer. Cela fait tellement de saletés. N’oublie
pas de ramener les draps ! Je ne vais pas te fournir des draps propres à chaque fois. Une fois
cela va. Les uns sont partis à gauche, les autres à droite mais tous se sont retrouvés, comme
c’est heureux et inespéré, devant la porte du garage qui donne sur le cimetière privatif. As-tu
remarqué cette pierre tombale en plastique bio-dégradable; c’est du plus bel effet et j’en ai
déjà commandé une pour la mort de mon mari; on la mettra à l’église, cela sera plus gai. Je
pense qu’il faudra également boire un petit coup ; c’est toujours bon pour le moral surtout
qu’entre le tremblement de terre à Potosie (c’est en Bolivie) et l’avion qui s’est écrasé à
Pontianank (c’est à Bornéo) il n’y a pas réellement de quoi s’amuser ou même de s’envoyer
en l’air (et je ne vous parle même pas de cet aventurier, très célèbre au demeurant, qui a
percuté un arbre et s’est sectionné l’auriculaire). A choisir entre deux pots de haricots en
conserve, je préfère encore le premier, sa date de péremption étant plus éloignée. Il faut
toujours se méfier dans les supermarchés, un coup du sort est si vite arrivé que les gorilles qui
sont postés à l’entrée des discothèques n’ont même pas le temps de réagir. Les jeux de
lumière l’éblouissaient, tout comme sa beauté, et il ne pouvait la deviner dans cette foule
anonyme. Son grand désespoir. Mais soudain il reconnut son trou du cul; c’était elle, son
attente et sa recherche effrénée n’avaient point été vaines; il était sauvé. Vive le roi, vive la
reine ! Toute l’année, les gens vont au marché et c’est là que cela est arrivé. L’agence de
voyage était fermée; Marie n’a pas pu acheter son billet de train. Père Noël, je t’attends de
pied ferme ! Il s’agit d’un pays très agréable dans lequel on voit plein de seins à l’air sur les
plages, au soleil; des seins féminins mais aussi masculins. J’y suis très attaché, vous ne
pouvez pas savoir tout le bien que cela peut me faire. Une cuillerée le matin, une le midi et
deux dans l’après-midi; c’est une posologie personnalisée; le docteur me l’a dit. Aujourd’hui
il faut savoir répondre aux besoins, aux attentes spécifiques de chaque consommateur, il en va
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de l’avenir de notre planète et au-delà (car nous pourrons bientôt aller vivre ailleurs) de
l’espèce canine et en particulier des cockers d’appartement à poils courts, à oreilles très
courtes et dressées vers les étoiles qu’ils rejoindront bientôt. Il faut l’espérer pour le bien de
l’humanité et pour la grandeur de notre beau pays. Les relations avec nos voisins ne se sont
pas améliorées ces derniers temps; j’ai cru comprendre (Séverine partage mon sentiment (à
moins que cela ne soit mon intuition féminine ou mon pâté de foi, je ne sais plus et suis
perdu)) que le four était en panne. Il est vrai que les changes flottants posent un problème de
stabilité et d’inégalité dans les rapports sociaux : les pauvres sont encore plus pauvres et les
riches toujours moins riches; je me demande si cela ne risque pas de déboucher sur une sorte
de révolution qui imposerait une reprise immédiate des essais nucléaires. Les feuilles du
prunier jonchent le sol et le chat n’a même pas mangé. Ton mari a, paraît-il, annoncé la
construction de nouvelles autoroutes dans la région; tu as de la chance de bien digérer les
bananes. Ce n’est pas le cas de l’ensemble de la population mondiale (songe-y). Que diriezvous d’une partie de chasse, à moins que vous ne préfériez la pétanque. On pourrait aller se
baigner et ensuite aller danser toute la nuit. J’ai cru qu’il allait m’échapper; j’avais pourtant
collé mon revolver sur sa tempe mais sous la tente il s’est passé de drôles de choses. En
ouvrant le journal l’autre jour, la semaine dernière, vers le milieu de la semaine, je suis tombé
dessus. J’ai téléphoné mais personne n’a rappelé; j’avais sans doute perdu leur numéro, c’est
ce qu’aurait révélé l’analyse graphologique. C’est un demeuré, c’est clair comme de l’eau de
source. La projection a été interrompue au moment le plus intense et l’on ne sait toujours pas
pourquoi; d’ailleurs tu n’avais qu’à pas lui parler sur ce ton. Il l’a amplement mérité. Il ne faut
jamais juger son prochain. Raoul a reçu une lettre du déménageur, je crois qu’ils se sont liés
d’amitié ; cela réchauffe le cœur. C’est un instrument vraiment merveilleux, j’en ai souvent
joué mais, il faut l’avouer, il fait presque tout tout seul, aucune intervention humaine n’est
nécessaire. Il n’est pas utile que nous nous accordions sur ce thème avec lui puisque nous
connaissons déjà ses intentions. Attention ! la peinture est fraîche, je ne voudrais pas que vous
abîmiez votre beau chemisier ou votre belle poitrine. Frédéric a oublié la date de mariage de
son frère et de Valérie, c’est très dommage; ça l’est même davantage lorsque l’on sait que rien
ne leur a été épargné et que tout y est passé. A quand la fin de l’été? A quand la fin du siècle?
A quand le prochain été? c’est une question qui restera sans réponse. Ouf, il est parti; j’en
avais marre de la supporter à me regarder alors que tu faisais la vaisselle. Tout est mort à la
fin de l’été, ce n’est pas l’hiver qui va arranger les choses. Oh, les belles jonquilles que vous
avez dans ce beau vase; je n’aurais jamais pensé qu’une telle beauté puisse exister et pourtant
il n’est pas permis d’en douter, c’est la pure réalité dans son plus simple appareil. Passe-moi
le sel Marcel et occupe-toi de l’aspirateur qui ne fonctionne plus depuis la Noël. Grand-père a
voulu jouer avec et l’a sans doute cassé. Qui a eu l’idée de fourrer son vit dans le tube? Jeudi
soir dernier j’ai rencontré ton beau-frère dans le square, près de la maison; il n’y avait rien à
voir à la télévision alors j’avais décidé d’aller lire sur un banc au clair de lune. J’avais
emporté avec moi ma lampe de poche jaune. J’ai bu un petit coup de vin rouge et je crois que
cela t’a obligé à tourner de l’œil ; tu n’as pas arrêté d’éructer ou de parler (mais cela revient
au même) toute la soirée; cela faisait vraiment désordre. Ils e sont donnés le mot, sinon ce
n’est pas possible.Depuis cet événement tout a changé; on ne peut plus aller dehors sans être
observé par une caméra de surveillance, tout est épié. Ce soir, il n’est pas impossible que la
patron ne vienne dîner à la maison avec son homme; il faudrait mettre les petits plats dans les
grands, je tiens à monter en grade. Où est passée sa bague? je ne la vois pas. Elle a dû la
perdre, d’ailleurs elle perd tout ce qu’elle touche. L’autre jour elle m’a touché et depuis je n’ai
plus aucun point de repère. Je déambule dans la ville, mes pensées me fuient et c’est en
catimini, après avoir pris un taxi, que je suis rentrée chez moi à la tombée de la nuit. Cette
voiture est vraiment formidable, son rapport prix-performances est le meilleur, toutes
catégories confondues. Elle accélère de zéro à cent kilomètres par heure en quatre secondes et
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n’en réclame que cinq pour passer de deux cent à l’arrêt si l’on sait bien doser l’effort à
appliquer sur la pédale de freins. Je viens d’entendre à la radio qu’un hold-up avait mal tourné
dans une joaillerie du Bedfordshire. Sans doute un coup des frères Evison qui vivent à
Dunstable, charmante bourgade anglaise. Tout s’est brouillé dans ma tête; ce coup reçu sur la
nuque a failli me tuer, heureusement que je dors sur un oreiller. Va vite te coucher, un enfant
de son âge ne peut pas rester éveillé à cette heure. Marina aime bien les jours fériés; elle se
sent réellement femme ces jours-là, je crois que je l’envie et pourtant je sais que ce n’est pas
joli joli d’éprouver de tels sentiments à l’égard d’une femme déjà mariée. A quoi bon lutter
contre ses instincts lorsqu’il s’agit de survie. Sur le calepin de Géraldine j’ai lu une citation
très intéressante : « Egratignez un altruiste et vous verrez le sang d’un hypocrite » (Ghiselin).
Si j’ai tout compris, cela veut dire qu’en s’écorchant, ton sang ne risque pas de s’infecter à
moins que cela veuille dire que plus on pense à sa maman moins on se sent en sécurité. En
tout cas je sais une chose ; cela a été confirmé par Fabien qui m’accompagnait autrefois dans
tous mes déplacements (vous connaissez son goût pour les pétasses) : Laurence a une grosse
poitrine qu’elle porte très bien. Je sais également que tu as beaucoup changé depuis que tu as
eu cet accident qui, d’ailleurs (et de passage parmi nous), t’a défiguré; est-ce que les gens se
détournent toujours sur ton passage dans les rues comme lorsque tu étais jolie? Il faut aller
traire les vaches, c’est l’heure. Comment s’est comporté Isidore pendant notre absence?
J’espère qu’il s’est bien comporté. Pour ma part, je prendrais volontiers une petite tasse de
thé, quitte à le tuer.
Viens t’abriter dans mon nid,
il y fait bien chaud
et tous mangent à leur faim.
Qu’est-il advenu de cette verrue?
Liberté je te suis fidèle.
Tu as tant à te faire pardonner;
Nous avons tant de problèmes à oublier.
Tes soucis se dissiperont,
Notre destinée est tragique.
Tel Icare fondant comme neige au soleil
Evadons-nous de cette vie sinistre.
Oraison salvatrice,
force annonciatrice,
délire rédempteur.
Il suffit.
Il suffit de tout faire exploser pour en finir.
Il suffit de savoir nager pour ne pas se noyer.
Il suffit d’obéir pour apprendre à marcher;
Il suffit d’une idée pour tout recommencer.
Que fait Bertrand dans cette tenue débraillée?
Il devra se couper les cheveux
Et le plus tôt sera le mieux.
Corsaire de mes tendres années,
Attaquez, attaquez, attaquez !
La mort est ton ennemi,
flibustier acharne-toi !
A l’assaut !
Pas de quartier !
Heureusement Germaine est morte
dans la vallée
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Elle a soufflé et la mer s’est déchaînée.
Pas de quartier !
Les navires ont chaviré
et la mer s’est retirée.
Tous étaient sauvés !
Tout est question d’opportunité.
Alea jacta est;
Et patati et patata.
Victoire sur les éléments,
Au diapason sur les mécréants,
triomphe du firmament.
A quoi bon s’y frotter si c’est pour se faire piquer?
A n’en point douter, il est de bonne humeur.
Est-ce cette brise légère qui l’a tant tourmenté?
Je n’y crois pas,
je n’y crois plus.
Et il crie vers toi, ton Dieu.
La vérité n’est plus à cacher,
la vérité c’est moi,
la vérité c’est toi,
la vérité c’est l’homme et la femme.
Ensemble, réunis pour le meilleur et pour le pire
au milieu du pire et du meilleur
en bien bonne compagnie.
Régiment d’infanterie,
Va cueillir des fleurs avant de fouler le sol
de tes pieds assoiffés de sang.
O soldat pudibond, rentre chez toi,
tu n’as rien à faire dans ces villes surpeuplées
Laisse le monde se détruire,
Nous n’avons pas besoin de tes services
et encore moins de tes caprices
N’est-ce pas François
Laisse-les manger leur pain en paix
Laisse-nous nous pourlécher
Laisse aller les pourparlers
Et que l’on en finisse avec cette guerre maudite.
Tu ne parles qu’aux hommes et jamais aux choses
tu ne parles qu’aux hommes et jamais aux chiens
les crois-tu bête à ce point?
Ma femme me tape sur les doigts
comme elle est bonne avec moi !
elle a toujours raison
même si elle ne sait pas toujours pourquoi
pourquoi
pourquoi pourquoi
Pourquoi Géraldine ne veut-elle pas sortir avec Gérard ?
Tant de questions en suspens
tant de malheur dans le monde
Tu voulais faire quelque chose de différent
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et mettre à plat tous nos différends
O bel amortisseur qui encaisse toute aspérité
sans mot dire
et lorsque tu viens à casser
il est enfin temps décharger.
Superbe suspension qui éclaire mes prisons
combien de fois m’as-tu sauvé?
Je t’en suis si reconnaissant
sans fausse pudeur
sans duperie
Ne me fuis pas, je t’en supplie
Apogée d’une ère nouvelle
j’ai vécu si longtemps enfermé
Mais que fait Camille
comme elle est triste
Ne peut-on se réconcilier?
Morbleu !
Diantre
Bordel !
Putain de bordel de merde !
L’extase enfin approchée.
C’en est trop, il faut s’en aller
et retourner à la campagne pour y dormir
Quelle belle réussite !
Où s’est-il réfugié
A quoi peut-il donc penser?
A tes amours contrariés,
A mes tendres années?
La mascarade !
La pantalonnade
repassons nos pantalons
Ce rendez-vous est d’une importance capitale
et ton charme délicieux m’excite, m’excite.
Sans suite.
Partout où stationnent les vautours
Partout où la nuit devient jour
et vice versa
Ses yeux papillotent,
Ils vont bientôt pleurer.
- Que penses-tu de ce nouveau projet?
- Il est intéressant. Mais a-t-on utilisé la technique du brainstorming?
- Oui, évidemment.
- Les résultats ont-ils été concluants? S’est-il avéré que la plus haute forme d’humanité est de
se laisser aller? En outre, comment va ta femme?
- Elle se porte mieux et cela est heureux. Notre projet consiste en l’installation d’une nouvelle
unité de production destinée à fabriquer ce nouveau produit révolutionnaire tant au niveau
technologique que sur un plan purement marketing.
- Je vois. Et de quoi s’agit-il exactement?
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- Jacques, pardonnes-moi de te dire que tu es renvoyé et ce, à partir de janvier prochain. Tu ne
fais plus partie de notre équipe de direction car tes résultats sont par trop irréguliers. C’est la
loi aujourd’hui. Bravo ! tout de même.
- Bravo, je te félicité pour cette sincérité, pour cette franchise. Enfin, tu sais, les mots n’ont
plus tellement d’importance. Je peux dire n’importe quoi maintenant.
- Souviens-toi tout de même que tu as encore onze mois à passer parmi nous, il ne faut pas te
démotiver, ni te relâcher d’ailleurs. Mais bravo pour ta simplicité.
- Je te remercie de reconnaître mes qualités. Bravo, c’est peu courant dans notre monde. Mais
Jean-Luc, je voudrais que tu te souviennes d’une chose : n’oublie jamais, s’il te plaît, que
c’est moi qui t’aie formée.
- C’est promis Jean-Pierre. Bravo pour ton courage et ta lucidité. Je sais que tu préfères la
vengeance à l’engeance mais bravo car tu restes très digne, n’est-ce pas?
- Oui, c’est une caractéristique technique à laquelle je tiens par dessus tout. La fiabilité et, pardelà ce concept, la qualité et la qualité de la qualité (mais j’oublie que je n’ai plus à te former)
est déterminante; elle permet de gagner des PDM et d’exploiter des PVD à moins que cela ne
soit le contraire; je ne sais déjà plus. D’ailleurs, quelle importance?
- Crois-tu (excuse-moi de t’interrompre) à la vie éternelle et encore bravo pour ton envolée
lyrique qui me pourfend le cœur?
- Ça dépend des jours et de mon mal de foie mais je tiens à te dire clairement que je suis
essentiellement (et par là je renvoie bien sûr au concept d’essence) matérialiste. J’ai beaucoup
lu La Mettrie, c’est tout à fait passionnant ; tu connais?
- J’en connais des vertes et des pas mûres. Prends par exemple Marie-Claude. Tu sais, c’est
une Anglaise. L’autre jour elle m’a déclaré tout de go « ce soir je mange et si la télévision et
le magnétoscope fonctionnent aussi bien que d’habitude je regarde un adult film ». Je n’en ai
pas cru mes oreilles. Il s’agissait sûrement d’une erreur, la personne présente à l’autre bout du
fil s’est excusée.
- Et il ne t’en avait jamais parlé auparavant? Je croyais pourtant qu’ils formaient un couple
parfait; c’est du moins ce qui ressortait de l’enquête que nous avions menée dans le voisinage
(des gens tous très bien, de bons citoyens du cul comme toute première impression). On ne
l’aurait jamais cru capable d’un acte si abominable.
- T’es-tu déjà oublié quelque part, loin de chez toi? T’est-il déjà arrivé de produire un fèces
saucissonné ?
- Non, jamais.
- Je m’en étais aperçu. Hier soir, où as-tu dîné ? Il ne faut plus tergiverser, il est grand temps
d’agir, de prendre une décision et de la faire voter à l’unanimité.
- Crois-tu en l’avenir des goélands? On les dit très menacés par tout cet air vicié. Mais c’est
vrai, ce T-shirt est beaucoup trop grand pour moi et en plus je n’aime pas cette couleur. Que
faut-il en conclure? Que Jean-Jacques et Jacqueline n’auraient pas dû se marier? Que la mort
de leur fils est à l’origine de tous ses déboires conjugaux? Je ne sais que penser.
- En tous cas, le gouvernement, lui, n’a pas hésité. Ils n’ont pas hésité à adopter les mesures
qui s’imposaient pour assurer le respect des bonnes mœurs dans les écoles de la République.
Ce qu’ils font dans le privé, cela ne nous regarde pas.
- Tout à fait d’accord, d’autant que cette rencontre s’est soldée par un match nul et que Omar
Dabeaubien, leur gardien de but, s’est cassé le talon. Vraiment, quelle époque ! Avant la « der
des der » c’était quand même mieux. Depuis, tout s’est détraqué : les vaches marchent de
travers, la scatologie est enseignée dès le primaire et j’en passe et des meilleures.
- Ils ont raison, il faudrait changer de système planétaire et faire exploser notre bonne vieille
planète qui n’a même plus de quoi nourrir tous ses enfants. Mathilde s’est retirée à la
campagne, on la voit moins souvent chez nous ; c’est bien dommage, d’autant qu’elle est
plutôt photogénique. De toute façon, elle a fait son temps. Je m’en remets au sort des cartes.
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- La belle s’est endormie sur son épaule mais, le lendemain matin, plus de trace du filou. Il
avait volé tout les bijoux et est allé les déposer, d’après mes informations, dans un coffre en
Suisse. Il s’est arrêté en route pour camper. Cette odeur me rappelle celle du fumier dans
lequel nous nous prélassions durant de longues journées d’été. Aurais-tu déjà oublié ces
moments privilégiés? C’est toujours par un retour sur son passé que l’on prend conscience de
tout ce que l’on a raté, mais également de toutes nos réussites. A force de s’en préoccuper ils
n’ont plus d’idée sur la question et lorsque l’on ingurgite tant de bière en si peu de temps on
ne peut pas douter du résultat sur la jeunesse de notre pays. Il faut la sauver ! Elle s’en va en
ruine. C’est un peu comme Napoléon, je n’ai jamais su ce qu’il avait derrière la tête.
- N’oublions pas trop rapidement tout ce qu’ils ont fait pour nous. Il serait particulièrement
maladroit de ta part de te laisser aller au désespoir dans un moment pareil. Il écrit si lentement
qu’il a des crampes dans les doigts de pied; je trouve qu’il pousse la farce un peu trop loin. Va
donc faire un tour au rayon accastillage, tu trouveras certainement ce qu’il te faut.
- Non, ce n’est pas vrai, il n’a jamais été bon cuisinier; c’est tout juste s’il sait faire la
différence entre une soupape d’admission et une d’échappement; c’est pourtant essentiel pour
la compréhension du fonctionnement d’un tuba. La plage était déserte et je me suis approchée
de lui; il m’a dit qu’il chassait la baleine et, comme je ne le croyais pas, il m’a donné un coup
de pied dans le ventre. J’ai beaucoup souffert,
- On t’a hospitalisé (dans la nuit) (et)
- et puis tout est rentré dans l’ordre progressivement. Je me suis fait rembourser (mettre quoi)
et puis tout est rentré dans l’ordre progressivement.
- Sauf ces maux de tête.
- C’est vrai, il a fallu changer de mode de vie. Au début j’ai beaucoup souffert mais tout est
rentré dans l’ordre progressivement.
- Oui, tout est rentré dans l’ordre progressivement, à force d’entêtement et de volonté
créatrice. J’aime bien les truffes. Et toi, que penses-tu de cet assassinat? C’est horrible, n’estce pas?
- Oui, tout est rentré dans l’ordre progressivement, pas à pas il s’est remis à marcher; petit à
petit, tout est rentré dans l’ordre progressivement.
- Ce qu’il y a de plus révoltant c’est de voir tous ces prisonniers politiques dans nos prisons
modèles qui n’attendent plus que la sentence définitive. Et que vont donc penser les enfants?
C’est une situation paradoxale et je sais que tu aimes ça. Espèce de saligaud. Il pratique le
prosélytisme à outrance ; on ne sait pas quand penser. Habile, séducteur, aboulique,
frénétique; nul ne le connaît réellement. Ce n’est pas de sa faute si le portail s’est refermé, il
n’avait qu’à enlever ses doigts; je ne puis être responsable de toute la misère du monde et
Dieu sait si elle me pèse, si elle envahit mes journées et mes nuits, me chahutant dans mon
sommeil, m’accompagnant dans mes sorties nocturnes les jours de pleine lune. Faut-il s’en
indigner? Ma foi, je ne le crois pas. C’est là une manifestation normale du processus de
développement de reconnaissance des signaux érotiques. Pourquoi avoir toujours quelque
chose à lui reprocher? Toujours en train de me chercher des noix? Occupez-vous donc de
votre intérieur si cosy.
- Cela y est, j’ai fini. J’en ai terminé avec ce travail harassant. Je n’en pouvais plus, je n’aurais
pas tenu une minute de plus malgré l’absorption d’amphétamines. Le métabolisme de Lucie
est complètement déréglé; elle affirme avoir des spasmes à l’estomac et est persuadée que son
intestin grêle est bouché par un excrément dont la circonférence serait trop importante. Je lui
ai expliqué, avec le docteur, que cela était tout simplement impossible mais elle ne nous croit
pas. Pourrais-tu nous venir en aide car, de notre côté, avec Sylvie, nous sommes désespérés.
Vous avez tout essayé et rien n’a fonctionné. Nous l’avons lubrifié en particulier au niveau du
carter sec et puis, la décision d’entreprendre un tel chantier était une erreur grave qui aura des
répercussions négatives sur les générations futures. Le vieillissement de la population est
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d’ailleurs le souci principal de nos démocraties. Pourra-t-on un jour envoyer des êtres vivants
sur la Lune? Cette fois-ci il ne faudrait pas se louper. Donne-lui un pistolet chargé. N’oublie
pas de frotter le carrelage avant de t’évader. Nous entretenons avec eux des relations de très
bon voisinage. Ils sont charmants même s’ils sont beaucoup moins intelligents que nous.
- Cette femme a de la suite dans les idées, c’est une qualité très recherchée à notre époque.
Elle ne s’en laisse pas compter; il s’est jeté dans le pif-paf à une allure qui dépasse
l’entendement. Il s’est laissé envoûter par le son du moteur et est tombé à la renverse. Cela lui
apprendra à regarder les jambes des filles. Le petit jésus l’a puni.
- Au secours, au secours !
- Tais-toi, arrête de t’agiter; tu vois bien qu’il ne s’agit que d’un feu de paille, d’un peu
d’esbroufe; c’est un incapable incontinent. Et cela ne s’est pas arrangé avec le temps ; tous les
rails ont été gagnés par les ronces et les mauvaises herbes. De plus, toutes sortes de détritus
s’amoncellent dans son panier et il n’y a plus de place dans la salle à manger. Je me demande
où ils vont placer cette chaise. Peut-être faudra-t-il déménager; en attendant, passons aux
choses sérieuses. T’es-tu occupé des vieux os de Mémé?
- Je n’ai fait que cela toute la journée.
- Tant mieux parce qu’il est temps pour moi d’aller me reposer. A force de travailler dix-huit
heures par jour, je pourrais lui tordre le cou.
Aujourd’hui j’ai oublié de me brosser les dents; je me rattraperai demain, je fais amende
honorable. O toi, fille de corsaire, viens à moi. Je ne puis respirer sans toi. Caresse-moi la
plante des pieds et emmène-moi dans ton berceau. Remontons ensemble le cours de cette eau
limpide comme la prunelle de tes beaux yeux bleus. Comme je suis amoureux de toi ma
bouchère. Mais que va dire ton mari le boucher? Ne va-t-il pas m’en vouloir, ne va-t-il pas te
tuer? Tu sais bien que tout est de ta faute, il ne fallait pas me séduire et déployer tous tes
charmes artificiels. Il ne fallait pas m’offrir ce con, sacrifié sur ce billot. C’est effectivement à
toi de payer. Malgré tous les risques que cela comportait, je me suis décidé, j’ai tout assumé et
ai gagné les W-C de l’Express. Là, c’était la désolation. Tout était sale, désordonné. Le lit
sans dessus-dessous, le réfrigérateur vide et les toilettes bouchées. Depuis combien de temps
n’as-tu pas fait le ménage? Et Arielle, que devient-elle? Je croyais qu’elle passait une fois par
mois pour te donner un coup de main, cela en toute amitié. Homme-lige, pourquoi t’es-tu
laissé aller? Toujours autant de questions. Quand y apporteras-tu donc des réponses? Ma
patience n’est pas éternelle; il faudra bien que tu te réveilles un jour ou l’autre. Venez donc
manger à la maison ce soir, nos amis d’Issoire viennent nous voir. Je vous promets que cela
(et en femme d’expérience je sais ce que cela veut dire) sera une grosse orgie. Le plus tôt sera
le mieux, je ne veux plus entendre parler de cette histoire à mon retour de voyage. Avec
Marlène nous allons en Polynésie. Le soleil brille et les corps bronzent, la neige tombe et les
corps se blessent. Vive l’équilibre ! Frotte plus fort sinon les traces ne disparaîtront jamais. Je
me souviens, ma mère me disait d’aller chez le dentiste pour qu’il me lave les dents mais je ne
voulais pas car je ne l’aimais pas. Il avait un gros nez qui coulait tout le temps. Les plaignants
se branlaient souvent dans son cabinet. Je peux parler de lui à l’imparfait puisqu’il est mort,
on m’a dit qu’il s’était suicidé en sautant du dixième étage sous les yeux de l’une de ses
patientes. La pauvre. Il aurait pu prendre ses responsabilités. Les hommes, à quatre-vingt-dix
ans, ils ne savent plus vraiment ce qu’ils font ni qui ils sont. Ils ne savent même plus bander.
C’est déplorable pour l’image de notre pays dans le tourbillon international des nations
réunies à huis-clos depuis bientôt plus de soixante-dix-huit heures dans la salle ovale de cet
édifice baroque. Marcelle, remonte donc en selle ! Les discussions s’éternisent en propos
belliqueux propres à calmer les esprits les plus échauffés par les troubles récents survenus au
dans un pays dont l’importance relative dans le poids de l’économie mondiale est si
négligeable que j’en ai oublié le nom. A cet âge avancé, ils ne sont plus capables de se retenir,
tout doit sortir, à n’importe quel moment : au beau milieu d’une sieste, en promenade au bras
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de leurs épouses respectives, au bridge, en plein tournoi de Roland Garros et j’en oublie
sûrement. Que fait le facteur ? Il est des maux dont la société ne pourra se remettre et qu’il
faut donc combattre dès leur éclosion sans quoi nous courons de grands risques (la faillite,
notre perte, la chute). Gare au Malin. C’est justement ce que Marguerite tentait de
m’expliquer hier au soir autour d’une tasse de thé. N’oublie pas de manger. Ne t’en fais pas
maman, je n’oublierai point de sortir les poubelles. Il va falloir qu’elle se mette au diapason
de la maison. Avant hier soir j’ai mangé un plat délicieux dont la sauce était composée de
cortinaires orellanus; depuis huit jours je suis constipé et la situation va en s’aggravant. S’il
s’est senti agressé, il doit répliquer, c’est une question de vie ou de mort qui dépasse
l’entendement humain et la compréhension du monde qui entoure Jacqueline. La gomme,
dans son plus simple appareil (c’est-à-dire : nue), est d’une beauté extrême à laquelle il est
difficile de ne point succomber. J’en fais les frais encore une fois; je l’ai grignotée et je l’ai
très mal digérée. C’est un peu comme le pâté de foie de morue. Le gorille est entré par la
porte d’entrée, il s’est rué sur les pâtisseries. Il les a toutes mangées et est reparti le ventre
plein; il a rapidement ressenti le besoin de se soulager. Comme le dit si bien la chanson de
Georges Brassens il faut se méfier de cet animal malin. Gare au gorille ! La gestion des
ressources humaines dans cette entreprise n’est manifestement pas encore très au point. C’est
en tout cas ce que semble me révéler un rapport, encore confidentiel, remis par une société
d’audit. Deux mots se sont emparés de lui. La vindicte populaire a bien rempli sa mission.
Notre peuple étant adulte, il sait ce qu’il doit faire et n’a que faire des remarques venues de
l’étranger qui constituent une atteinte à l’auto-détermination de notre peuple et qui remettent
en cause les fondements de notre civilisation. Le pilonnage ininterrompu des lignes ennemies
par l’artillerie lourde manifeste ouvertement notre volonté d’aboutir à une solution négociée
avec nos partenaires les plus fidèles. Stop. Ah, l’amour ! Amour toujours ! Au petit déjeuner,
au déjeuner et au dîner et encore après le dîner. A chaque fois que cela est possible, je fais un
feu de bois. Fais du feu dans la cheminée car il fait froid dehors, il est temps d’aller se
coucher. Allah’akbar ! Demain est un autre jour et nous attendons la visite de Marie-Laure et
de son coquin de mari. Il paraît que celle-ci attend un joyeux événement mais son mari ne le
sait pas encore. Quelle corrida indélébile! Quand je vois ta joie, je m’enfile. Donne-moi
encore de quoi vivre ! Fais-moi voir tes aisselles, que j’y colle mes lèvres; regarde-moi dans
les yeux, que j’y mette le feu. Apporte à ton mari chéri une canette de bière. Ce que je suis
heureux d’avoir uni ma vie à la tienne, je suis convaincu que tu penses de même; c’est
d’ailleurs ce que je sens chaque jour car ton amour pour moi est de plus en plus fort, ne me le
cache pas ! Avoue chienne galeuse ! Embarquons sur la galiote et faisons fi des intempéries.
Ah moi ! mes ancêtres. Volez à mon secours, chevauchez vos avions à réaction ! Larguez les
amarres ! Voguons sur les flots ! Adieu les amourettes, et vive le théâtre. L’union fait la force
et je peux bien vous le dire aujourd’hui : Alain trompe sa femme. Il s’est débarrassé de son
premier adversaire sans aucune difficulté mais il faudra attendre la fin de la journée pour en
savoir davantage quant à son potentiel réel. Crois-tu, de plus, qu’il aura un moral suffisant
pour résister à la pression atmosphérique? Ce garçon est complètement fou, il appuie sur
chaque bouton qu’il aperçoit et cela lui cause des douleurs à l’auriculaire. A-t-on déjà songé
aux conséquences d’un tel acte sur la répartition des richesses dans notre pays? En tout état de
cause il ne fallait pas agir de la sorte sans en informer Auguste. Sa Majesté est servie. Doit-on
dresser la tente dans ce camping municipal situé au bord de la mer ou bien attendre d’en
trouver un au pied des rochers? Je ne sais quoi faire et la nuit va bientôt tomber. Je me
demande où nous pourrons dormir ce soir si d’aventure nous ne parvenions pas à changer de
tablier. La machine à laver le linge est réparée et j’ai appris que tu aimes bien la musique
classique. Peut-être pourrions-nous aller ensemble à un concert. Cela serait du plus bel effet
car l’amitié se consomme bien vite et l’affaire est à saisir. Ce meuble en cerisier est si bon
marché qu’il ne risque pas de faire de vieux os. Je rêve de pouvoir m’offrir, un jour, un
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ordinateur de la nouvelle génération. Celle-ci est appelée à un grand avenir; voici le gâteau à
partager entre tous les invités au repas d’anniversaire. A-t-il déjà visité une prison? Alors elle
ne peut pas comprendre ce qui s’est passé; il ne faut pas lui en vouloir puisqu’elle est atteinte
d’hyper-tension artérielle. On a dit aux informations que c’est le cœur qui a lâché. Qui sait ce
que pourrait révéler son enfance tourmentée? Cette toile est magnifique, on perçoit la
sensibilité exacerbée de l’artiste qui a voulu montrer que la digestion est un pis-aller. De plus,
ce jeu des couleurs (en particulier cette association de vert, de marron et de noir), la
disproportion des traits et la forme du pied gauche accentuent encore le caractère tragique de
ce phénomène encore totalement inexpliqué et qui laisse les plus grands scientifiques du
monde entier perplexes. Ma sœur monta l’escalier... Je préfère aller à la piscine, l’odeur du
chlore m’enivre et me fait tourner la tête. J’aime également les cabines où j’ai plein de
copines mais aussi quelques copains hauts placés qui me permettent de rentrer sans payer.
L’autoroute était déserte à cette heure; c’est promis, plus jamais je ne m’arrêterai sur la bande
d’arrêt d’urgence. Le feu avait pris dans l’escalier et s’était propagé jusqu’au rez-de-chaussée.
A quoi bon lutter? La campagne, en ce début d’automne, est magnifique mais rien ne peut
consoler Catherine. Ta rotule est dans un piteux état, que comptes-tu faire pour y remédier?
Le fleuriste devait t’apporter des fleurs, il a dû mourir en chemin. La typologie est
simplificatrice, à moins que cela ne soit mon propos, mon raisonnement qui l’est. J’aimerais
tant parler l’Espéranto pour aller à la découverte de ces peuples sauvages d’Amazonie. Ces
peuplades isolées peuvent sûrement nous en apprendre beaucoup sur les terres hostiles et je
voudrais être le premier à leur parler. Touch me now ! Hier soir j’ai été abordé dans la rue par
deux jeunes filles qui m’ont fait deviner leurs âges respectifs. J’ai perdu la clef. Charlotte. Sa
culotte. Il faut vite fuir, prendre nos jambes à nos coups et adopter la position du fœtus dans le
ventre de sa mère (de sa mère dans l’avenir, qui n’est jamais certain) afin d’être mieux profilé.
L’aluminium est un matériau noble qui permet de gagner en légèreté ce que l’on perd en
élasticité. Hissons le pavillon et dressons les voiles; notre petit voyage en avion nous a
réellement épuisés, tu peux en obtenir la confirmation auprès d’Eric qui n’a pas dormi de la
nuit afin de veiller sur le bébé. Elle possède une collection de timbres vraiment remarquable,
j’ai bien essayé de lui en voler un ou deux mais il y a des caméras partout et dans ce cas il est
difficile d’opérer à cœur ouvert, c’est trop risqué. Un essai supplémentaire ne devrait pas être
de trop car j’ai peur que cette couleur n’aille pas très bien avec son costume à grands carreaux
verts. Aline est très branchée, elle fréquente les bars à la mode et vient de s’acheter une brosse
à dent révolutionnaire; ce sont ses voisins qui l’ont conseillée. Elle s’en est plutôt bien tirée,
sans la moindre bosse. Il est toujours temps de changer d’avis (mais un moment je vous prie),
on vient de sonner à la porte; je suis un garçon très sollicité et j’ai peu de temps pour me
reposer. La mouette grise sur la plage; le feu s’est déclaré dans la ferme d’à côté au moment
où Mathieu fermait le dernier volet. Les pompiers ont eu un accident en venant et ils sont
donc arrivés sur les lieux du drame trop tard. Tant pis ! Jeudi dernier, Cédric m’a raconté son
voyage en Angleterre et plus particulièrement l’arrivée dans sa famille d’accueil. En fait, le
mot de famille est quelque peu usurpé puisqu’il a vécu chez une femme seule. Au bout du
compte, cette ville n’était pas si petite qu’il aurait pu le croire lorsqu’il est arrivé la première
fois mais, selon ses propres aveux, il avait quelques difficultés à évaluer la population totale.
Cette ville comptait-elle plus de cent mille habitants? C’était une éventualité qu’il préférait ne
pas prendre au sérieux. Il habitait dans une maison étroite, blanche, à un seul étage. La rue
était parallèle (à environ trois cent mètres) de l’un des axes principaux mais les magasins du
centre-ville étaient déjà éloignés de cinq bonnes minutes, à pied. Ensuite on arrivait dans la
salle de bain où il ne fallait surtout pas rater le pare-douche qui avait dû passer quelque temps
dans le jardin avant d’avoir été installé. Il fallait s’attarder sur les poils éparpillés sur une
espèce de linoléum seulement recouvert par un tapis de bain très sale disposé à égale distance
des W-C, de la baignoire et du lavabo. Enfin, derrière cette pièce, on pouvait découvrir la
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buanderie. Il ne lui fallu pas tellement de temps non plus pour comprendre qu’il devait avoir
affaire à une de ces femmes qui rit et qui parle en même temps. En arrivant en haut, il n’eut
qu’à pousser la porte face à lui pour prendre possession de sa chambre. Sa chambre donnait
sur le jardin. Tout comme la plupart des autres pièces de la maison, elle s’étirait en longueur.
Il devait se rendre dans les grands magasins avec Sylviane pour y acheter un pyjama. Je restai
un long moment allongé sur le divan. Son expérience me renvoyait ipso facto à celle que
j’avais vécue quelques années auparavant dans les mêmes circonstances d’unité de temps,
d’action et de lieu. C’était en Angleterre, toujours, mais dans une ville située au sud-est de
Londres. La maison où j’avais habité était sans doute plus propre mais de nombreux détails
me revenaient à l’esprit et, surtout, l’atmosphère semblait similaire : une femme seule, elle
aussi, mais sans doute plus âgée; un chat ou peut-être une chatte, un salon avec un canapé
installé devant la télévision, une cuisine où se trouvait la seule table de la maison, un jardinet
devant et un jardin derrière, une salle de bain (et son tapis de bain) donnant sur le jardin, et
puis, à l’étage, trois chambres. Comme c’est bizarre, tu ne trouves pas? Mais la maison dans
laquelle j’avais vécu était hantée. Chaque nuit, le mari de la veuve venait se promener et on
l’entendait tomber dans l’escalier, il n’avait jamais vraiment su marcher. Il m’empêchait de
dormir et je compris assez rapidement que le sommeil de Pat, le copain de Pam, était
également perturbé par les miaulements du chat. C’est sans doute cela qui causa cette longue
période de constipation. Un soir, alors que nous étions seuls le chat et moi, je l’ai attrapé par
la queue et l’ai fait tournoyé en l’air avant de m’entraîner au lancer de chat. La séance fut
interrompue lorsqu’il atterrit pour la troisième fois dans l’assiette du voisin. Ce dernier s’était
montré jusque-là plutôt sympathique et compréhensif mais, cette fois-là, il décida d’appeler la
police qui arriva dans la minute qui suivit. On me demanda mes papiers et, sans autre forme
de procès, on m’envoya en prison pour atteinte aux bonnes mœurs sur la place publique.
Pourtant, je crois que la voisine, de l’autre côté, ne s’était pas plainte de me voir jouer nu
(j’avais remarqué que cela accroissait mes performances), c’est en tout cas ce que j’avais pu
déduire de son sourire complice et je pense même qu’elle s’apprêtait à venir me rejoindre nue
(et me réjouir) lorsque le panier à salade anglais est passé me prendre (picked me up) au vol.
Elle mouillait la salope. Depuis j’ai souvent et longuement regretté cette folle nuit que nous
aurions sûrement passée le chat entre elle et moi ! Et à chaque fois que je me remémore ce
moment passé, mon cinquième membre défie les lois de la physique contemporaine et rebelle
et se soustrait à l’apesanteur. Le plus dur après cela c’est de revenir sur terre et d’être saoul.
Ils ont sans doute peur du froid, à moins que cela ne soit de Marion qui ne sent vraiment pas
très bon alors que les chercheurs poursuivent leurs approfondissements pour savoir de quelle
partie du corps proviennent ces flatulences. A n’en pas douter, toutes les énergies sont
mobilisées sur ce projet, ce qui fait dire à Norbert qu’il aurait mieux fait de rester au lit ce
jour-là. Il n’a toujours pas réussi à enfoncer le clou dans le morceau de bois et on commence à
la prendre, dans le quartier, pour un homosexuel. C’est aussi l’avis du psychanalyste qu’il a
consulté récemment; celui-ci lui a conseillé de pratiquer les génuflexions à raison de dix par
bras chaque matin, midi et soir. Je sais, d’expérience, qu’il suivra ces précieux et coûteux
conseils car l’argent n’a pas d’odeur et il est urgent, pour lui, de laver son slip s’il veut
converser avec sa petite amie. Moi, j’achèterais bien une Motocyclette mais Pauline n’aime
pas ça. Elle dit que cela fait trop de bruit et préférerais me voir investir dans la pierre. Je lui ai
proposé un petit cimetière ensoleillé. Pour l’instant, nous préférons cependant mettre un terme
à cet entretien fulgurant sachant que nous n’aurons pas à nous revoir avant trois ou quatre
mois. Nous allons faire baptiser le petit Nicolas. C’est encore meilleur avec un peu de
chocolat dessus. Ne va pas le crier sur le toit. En effet, en cette période de l’année, il fait très
froid et Claudia ne compte pas sur toi pour venir la chercher à l’aéroport. Aussi serait-il bon
de faire quelque effort et je sais que par le passé je n’ai pas toujours très bien rempli ma
mission. Buvons un verre de Champagne à l’occasion de l’arrivée de Christophe parmi nous.
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Et puis, ensuite, la bête s’est assagie; elle est rentrée dans sa caverne mais en est ressortie des
voleurs plein les bras. C’était une jolie prairie entourée de peupliers mais les ronces sont
partout maintenant. Quel gâchis. Un verre de gin à la main, Stéphane l’observait depuis déjà
un long moment; il aurait bien voulu lui enlever ses gants mais, avec tant de gens, c’eût été
bien imprudent. En attendant, il rongeait son frein et fumait comme un pompier fatigué de
lutter contre un incendie de forêt. Soudain, il sentit que cela était le moment de prendre son
destin dans ses bras. Il courut, bousculant quelques passants - des attardés mentaux
certainement - mais s’arrêta pour laisser passer un chien. Lorsqu’il arriva devant la boutique,
il était déjà trop tard; le rideau avait été abaissé en signe de deuil et elle devait attendre le jour
suivant pour pouvoir acheter ce parapluie tant désiré. Une fois encore, la galaxie était en
danger d’implosion. Les galbes de sa bedaine étaient si affriolants qu’elle ne put résister bien
longtemps. Elle se rua sur lui, le renversant. Le vieil homme, à terre, blessé dans sa chair, n’en
revenait pas. Il partit en courant, claquant la porte et ce fait marqua le début de nos ennuis.
Un. (pause) Deux. (pause) Trois (blanc). Comment allait-il réagir à une hémorragie? tous les
docteurs mobilisés se posaient cette même question qui demeurait - pour l’instant, le
pensaient-ils alors tout du moins - sans réponse claire et nette de la part de la direction du
groupe nous ne pourrons pas vous protéger en cas d’OPA non amicale que nous pourrions
déclencher contre votre capital de sympathie dans l’opinion publique sur la scène
internationale de l’Opéra comique. Nous vivons une époque décadente qu’il sera difficile de
faire digérer à la grande comtesse. L’histoire est clairsemée, d’ailleurs, de périodes indécises
qui ont fait beaucoup pour le progrès de l’humanité dans son ensemble car il est indéniable
que le trend général du genre humain est marqué du sceau du progrès. Que de grands travaux
accomplis depuis l’homme de Cromagnon dont on sait aujourd’hui que l’une des nombreuses
faiblesses était d’éructer en dormant. Mais tout cela appartient au passé et il faut avoir le
regard tourné vers ce qui va venir; c’est le bon sens même qui dicte un tel comportement
lorsqu’il s’agit de se déplacer, à pied, la nuit, sur une route. Le plus important est que tous
soient sains et saufs. Sauf son respect, je pense, toutefois, qu’il aurait pu faire preuve de
davantage de jugeote avant de se lancer dans une telle aventure. Maintenant que tout est
bouché, il va falloir faire venir le plombier. Cela risque d’amputer d’autant le budget
prévisionnel de l’année. Afin de ne pas rater son coup, il était déterminé à se lever dès le
premier coup de feu; pourtant il n’en fit rien, trop impressionné par ce geste courageux ; la
porte est en bois et il faudra faire attention à ne pas la briser car un miroir se casse facilement.
Cette femme charmante lui fit un signe de la main, il s’en approcha mais il s’agissait d’un
travesti, il s’en aperçut au premier coup d’œil. Le metteur en scène se mit à courir dans tous
les sens criant que son film ne serait jamais un film à succès comme il l’espérait tant car il lui
manquait un peu d’argent. En traversant la Manche je me sentis tout petit comparé à ce monde
immense fait d’océans et de volupté ; c’est à ce moment précis qu’un ou deux truands me
volèrent mes chèques de voyage ce qui, ajouté à la mayonnaise trop salée, faisait un peu
beaucoup pour une seule journée. La météo annonce une belle journée pour demain, c’est une
chance puisque je devais sortir les enfants. Et puis les vaches c’est comme les dents, plus on
en mange et plus on s’interroge sur l’avenir de la planète et sur le rôle que doit jouer
l’écologie dans la modernité. Faudra-t-il finir par en venir à de vilains jeux de main pour
pouvoir casser les tirelires des petits enfants? Faudra-t-il finir par écraser du boudin blanc
contre les murs pour en finir avec la peinture de couleur blanche? Autant de questions que
nous aborderons avec tous nos invités réunis à l’occasion de ce colloque. Comment va Cécile?
Ça y est, il est arrivé de Tokyo où il fait très beau. Ce fut un moment intense. Maude est bien
rentrée; elle n’a connu aucun désagrément malgré les embouteillages ; il faut dire que son
mari s’occupe bien d’elle. Il ne se départit jamais de son flegme dogmatique après s’être lavé
les dents; c’est très important pour l’hygiène bucco-dentaire de ses parents qu’elle n’a pas
revu depuis dix années. On dit qu’ils puent du cul; à quel sein se vouer dans de telles
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situations? C’est surtout aux enfants qu’il faut penser; ils sont bien à plaindre. Nous l’avons
déjà reprisé deux ou trois fois et il n’y a plus rien de bon à en tirer; il faudra songer à la jeter à
la casse. Passons par le vide-ordures, j’ai quelque chose à vous montrer mais, promettez-moi
de ne point crier parce que j’ai des amibes plein l’estomac; j’ai bien failli m’étrangler. Quelle
est maintenant la profession de Philippe, ton amant? J’ai un peu l’impression d’être
totalement transparente, il ne me regarde même pas. Je ne me souviens plus, d’ailleurs, de la
date de votre mariage et encore moins de celle de votre divorce, c’est très ennuyeux car je
voudrais acheter un gâteau d’anniversaire parce que le pâtissier part bientôt en retraite; ils
vont fermer. Il faut se dépêcher sinon le train de Catherine va partir sans elle, c’est le cuistot
qui va être bien déçu. Une fois n’est pas coutume, nous nous retrouvons dans un château
chargé d’histoires. C’est l’automne, les feuilles tombent des arbres hier encore multicolores et
elles sont piétinées par des passants pressés de rentrer chez eux au petit jour. Hier j’ai relu les
dissertations de philosophie que Jackie avait écrites lorsqu’il était au lycée et je me suis
aperçu qu’il était sûrement plus drôle lorsqu’il était plus jeune. Une fois sa voie trouvée, elle a
su mettre tous les atouts de son côté et est devenue carrément irrésistible, nous en parlons
souvent autour d’une table en jouant à la belote avec Maurice et Noémie. Il s’est approché
d’elle, doucement, et a passé son bras sous le sien, tendrement. Aujourd’hui ils vivent
paisiblement dans un chalet avec André et Simone, leurs parents. A l’entendre parler on
croirait volontiers qu’il a la science infuse alors qu’il ne m’arrive même pas aux épaules ! S’il
croit qu’il peut s’en tirer comme cela il se met le doigt dans l’anus et cela risque de lui faire
très mal (s’il ne s’est jamais fait sodomiser ou mettre par la cul). A moins d’aller très en avant
dans le rectum, je ne distingue pas la moindre trace, même avec une lampe de poche; la pluie
s’est mise à tomber. En tout bien tout honneur on doit pouvoir parler de pluies diluviennes qui
ont obligé les secouristes à intervenir tard dans la soirée pour sauver des vies humaines en
danger. Il ne s’est pas réveillé à l’heure ce matin car son radio-réveil n’a pas fonctionné
correctement, la ligne était en dérangement suite à des travaux effectués sur la voirie. Manque
de chance, nous avons perdu le ticket modérateur qui devait faire de ta mère et moi des
millionnaires à moindre frais. C’était sans compter sur l’aide du plombier qui a sauté sur son
Vélo-Solex et rameuté tout le quartier. En moins d’un quart d’heure elle avait réussi à réunir
une centaine de personnes autour d’elle. Tous étaient bénévoles (naturellement) et déterminés
à passer le temps nécessaire pour mener à bien les recherches déjà entamées depuis trois ou
quatre jours. Tous se sont alors précipités dans les égouts telles des bêtes sauvages
pourchassant leurs proies et ils ne les ont vu reparaître que le soir venu. Tous les acteurs de ce
drame étaient sevrés de ce qu’ils avaient vécu à des kilomètres sous terre. Certains étaient
revenus les mains pleines d’or, d’autres avaient été mordus par des rats géants et tous n’en
revenaient pas d’avoir été les témoins d’aventures si intenses; ils en avaient encore, pour la
plupart, la chaire de poule. Par la suite, ils se sont retirés dans un monastère, près d’Avignon,
qui accueille tous les quinze jours des groupes de personnes qui souhaitent apprendre à se
connaître les uns les autres afin de développer leurs aptitudes en matière de télépathie. Cela
fait longtemps que l’on n’essaie plus de s’aimer les uns les autres. C’était d’un pathétique; il
fallait les voir se rouler en boule et dévaler le Kilimanjaro (c’est le point culminant du
continent africain à cinq mille neuf cent soixante-trois mètres). Mais il ne faut pas mélanger
les torchons avec les serviettes et, en matière de chiffon, Nicolas en connaît un rayon. Son
talent est indéniable, c’est un don du ciel qu’il a su faire fructifier. Marie a fait un rêve étrange
l’autre nuit dans lequel elle se voyait volant au-dessus d’un zoo dévasté par la guerre. Ainsi en
va-t-il de la fluctuation des monnaies; au-dessous d’un certain seuil de tolérance, tout fout le
camp et Alphonsine s’approcha de sa cousine, restée dans la cuisine, pour lui demander si les
enfants avaient bien mangé. Depuis plusieurs jours, en effet, Pauline et Benjamin ne
mangeaient pas à leur faim; c’est du moins ce que pensait leur mère, entièrement dévouée à
ses enfants. Elle s’inquiétait de les voir maigrir à vue d’œil. On avait consulté un tas de
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spécialistes : des psychiatres, des psychopathes, des rhumatologues, des pédérastes, des
œnologues, des philosophes, des astrophysiciens, des ventriloques, des astrologues, des
coiffeurs, des mathématiciens, des écologistes, des communistes, des anarchistes, des
conservateurs, des libéraux, des économistes, des minéralogistes, des écoliers, des camarades,
des membres du clergé, des notaires, des fermiers, des sapeurs-pompiers, des sexologues, des
bouchers, des prostituées, des mineurs, des poètes, des chauffeurs-routiers, des
paléontologistes, des monologues et même la femme du voisin mais rien n’y faisait. La
famille avait pratiquement perdu tout espoir de retrouver le chien lorsque la neige s’est mise à
tomber à gros flocons. Le ciel illuminé remplit soudainement la maison, détruisant, en s’y
introduisant, portes et fenêtres; tous étaient montés au ciel et plus personne ne voulait
redescendre sur terre (surtout pas Pauline et Benjamin). Une fois de plus la persévérance est
récompensée par une médaille amplement méritée qui va au meilleur représentant de notre
tradition culinaire mais aussi, et surtout, au meilleur fabricant de rillettes industrielles de la
planète. Où est passé ton nez? Si, si, do, ré, mi, la, sol. Il se mit à lui parler d’un ton mièvre ce
qui fait qu’elle ne résista pas bien longtemps à son charme dévastateur et à sa voix tonitruante.
La brume s’épaissit et on ne distinguait bientôt plus la maison de campagne qu’ils avaient
héritée d’un oncle qu’ils n’avaient jamais connu. Son regard se remplit de larmes mais elle ne
pleurait pas; il voulait la soulager mais n’y parvenait pas. Il voulait l’embrasser mais elle ne le
voulait pas, elle en voulait un autre. Il voulait lui caresser les seins mais elle ne ressentait rien.
Il l’enculait, il ne bougeait pas. Ils descendirent du chariot et elle se blottit dans ses bras; il ne
comprit pas. Muet comme une carpe, il ne parla plus jamais et ne toucha plus jamais les seins
de qui que ce soit. Il avait bien un peu envie de le tuer ; il ne savait pas avec quoi. Il aurait pu
le pousser, plusieurs fois, du haut de la falaise, mais c’était trop lui demander; on ne lui avait
jamais appris cela. Et puis il y avait la police. Le carme marchait, serein, vers son destin; il se
sentait heureux. Parfois, Micheline sentait mauvais de la bouche, on aurait même pu dire, en
étant quelque peu grossier, qu’elle puait de la gueule cette grosse salope. Mais Anthony
n’était pas coutumier de tels excès, il préférait manger sa pomme dans son coin et, ce n’est
que rarement qu’il empruntait le chemin des écoliers pour rentrer le soir après les cours. Il
craignait le noir, d’autres craignent les araignées.
- Amélie est-elle rentrée?
Personne ne répondit mais la bonne, entièrement occupée par sa popote, avait bien entendu
monsieur rentrer et, c’est stupéfiée qu’elle le découvrit, une fois la préparation du dîner
achevée, mort dans la salle à manger, étendu sur le canapé. D’habitude elle se servait d’une
spatule. Celle-ci s’était rompue lorsqu’elle avait frappé monsieur à la tête mais, de là à croire
que c’était elle qui avait assassiné monsieur en le tuant d’un coup de feu, elle ne le pouvait
pas, pas plus que les policiers d’ailleurs. Où est passé ton manteau vert que tu portais si bien?
Ne t’occupe de rien, tout ira bien puisque j’ai tout prévu et qu’un bon bain de boue lui ferait le
plus grand bien. L’avion s’est écrasé juste au-dessus de notre tête, nous avons eu chaud.
- Je me souviens des cours de ponctuation; est-ce que cela a vraiment servi à Sophie?
- Oh tu sais, les hommes se comportent vraiment tous comme des gosses; le mien, il me colle
souvent et, comme j’aime bien être indépendante, parfois j’en ai marre. Je crois que JeanClaude est vraiment très efficace; j’aimerais bien travailler avec lui.
- Il y en a pour dire qu’il est plutôt mou...
- Non, pas du tout; il est très calme mais aussi très efficace. Si Jacques t’a dit cela c’est parce
qu’il est jaloux et qu’il aurait bien aimé travailler avec les Anglais.
- Tu sais, ça, cela correspond au franc symbolique, mais la valeur intrinsèque de cette société
est très élevée. Ils ont investi beaucoup d’argent dans ce projet et ont mobilisé toutes les
énergies pour redynamiser l’entreprise.
- Est-ce que tu penses que l’on peut toujours tenter une OPA sur eux à l’heure actuelle et
compte tenu des derniers développements de l’affaire?
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- Rien n’est moins sûr, il faudrait d’abord s’assurer une bonne fois pour toutes que l’on
s’occupe de nous.
Si ma voisine pouvait prendre un peu moins de place, je serai ravi. Désolé mademoiselle,
pourriez-vous mettre votre main devant la bouche lorsque que vous baillez ou lorsque vous
toussez? Mais non, je ne suis pas raciste; en tout cas, je ne le crois pas.
- Moi j’adore les enfants et les pieds de mon voisin. Tu ne t’es jamais demandée si tu pouvais
avoir un enfant avant d’en avoir un?
- Ah non. C’est vrai, je n’y avais jamais songé.
- Moi, je suis très tolérante, beaucoup plus que mon mari. De toute façon, il faut être
tolérante. Bernard est un perfectionniste, il voudrait que tout le monde soit parfait. Mais moi,
je lui dis que personne n’est parfait, pas plus lui que moi ou que n’importe qui d’autre (toi par
exemple).
- C’est typiquement français de se lever bien avant que le train ne soit arrivé en gare et
d’attendre debout dans les allées.
- Non, ça n’a rien à voir avec sa fille. Il faut bien avouer que c’est rare de voir un père qui
s’occupe autant de ses enfants; et dire que Jean-Marie lui a dit qu’il s’en occupait trop. Je ne
le comprends pas, il dit toujours n’importe quoi.
- Je ne sais pas ce que tu en penses, toi, des téléphones portables; mais moi je trouve que
c’est un formidable outil de communication; je peux joindre mon mari n’importe où et à
n’importe quel moment, même au lit.
- Oui Sophie, je crois aussi, qu’aujourd’hui, c’est devenu un outil indispensable, même s’il y a
peut-être parfois quelques abus.
Ils ont un peu trop forcé sur la dose et on les a retrouvés le lendemain matin la main dans le
panier. Comme le dit si souvent Estelle, il est bien difficile de se souvenir des différents
grades d’officiers de marine, on se demande pourquoi ce ne sont pas les mêmes que pour
l’armée de l’air; peut-être faudrait-il adopter une directive européenne qui permettrait de
clarifier le système. C’est son beau-frère que cela amuse beaucoup; à chaque fois qu’ils se
voient il lui demande quel grade il occupe et elle n’est jamais capable de lui répondre
correctement. Tout cela, de toute façon, n’est pas vraiment important. Je suis sûr que tu te
demandes ce qui s’est passé la dernière fois que nous nous sommes vus avec Myriam. Il
fallait voir la tête du bonhomme ; Saturnin se précipita à l’extérieur en bousculant deux ou
trois représentants de la force de l’ordre qui se mirent sur leur trente et un sur le champ.
Sur le champ d’honneur on compte les morts
Et dans les gynécées à l’abri des regards
Se disputent encore Melchior et Bacchus
Fadaises et regards médusés
Bon anniversaire à ma voisine
Et longue vie au roi
A chaque jour suffit sa peine
Que la bourrasque se lève et mette tout à terre
Les femmes et les enfants d’abord
Les vieillards mâles par la suite
Il n’est de bon discours que court
Car la vie est à ce point passionnante
Qu’il faut savoir en garder pour le lendemain
Et même si les matins sont pénibles
Les soirées sous un cocotier valent bien quelque corvée
Il est déjà passé par là mais ne m’y reprendra pas
Plus jamais rien ne sera comme avant
Comme avant de naître et comme avant de gésir
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Gémissements arrachés au tréfonds
Une main accrochée au treillis
multi-tubulaire
Donnez-moi une pièce d’or
Et je ne parlerai pas
De ce que j’ai vu et entendu tout au long de ce périple qui me mena de la terre au ciel bien audelà des nuages
Une fois arrivé elle se déshabilla
Et sa peau rutilante m’aveugla
Encore encore une fois pour la dernière fois
Non je ne vous montrerai pas ce que j’ai vu là-bas
N’insistez pas cela est inutile
Cela est vain
Une fois partis elle lui prit la main et la déposa délicatement sur son sein ce qui suscita chez
Alphonse un certain émoi. Et toi, et toi, enfonce-toi au plus profond de moi. Aussitôt après il
enfila une robe de chambre, un peu trop grande pour lui, qui appartenait à l’ancien mari
d’Evelyne. C’est la vie, ainsi va la vie. Chacun passe la main dans le dos de quelqu’un à un
moment ou un autre de son existence, cela fait partie des mystères de l’enfantement. La
science fait des progrès et l’humanité aussi. On peut (tout l’y autorise) se réjouir de le voir
arrêté car il a commis trop de crimes impunis et nul autre que lui ne pouvait être aussi bien
placé pour assister à ce spectacle. Autant ne pas s’étendre sur ce sujet puisqu’il fâche; je ne
voudrais pas - et toi non plus - que l’on me fasse le reproche d’avoir défendu ce prévenu.
Anne m’a fait part de ses dernières conquêtes. Je crois qu’il ferait bien de se laver les dents le
matin et le soir, une fois par jour cela n’est pas suffisant. Ce Christian est un battant, c’est un
gagneur, il ira loin; je lui prédirais bien une carrière à l’international ; il faut dire qu’il est
polyglotte et que cela lui servira certainement tôt ou tard, dans un pays ou dans un autre. Estce que Mathias a confirmé son rendez-vous avec moi? C’est très important pour eux de
décrocher ce contrat avec l’Etat, c’est leur dernier recours et Fabienne n’a pas très bien dormi
cette nuit, cela m’inquiète un peu. Depuis quelques jours elle est très irritable ce qui me fait
penser qu’elle n’a pas assez mangé. A quoi bon nourrir votre chat si vous ne l’aimez pas?
Annie était déjà très heureuse, lorsqu’elle était petite, de retrouver toutes ses copines à la
rentrée des classes; aujourd’hui, c’est toujours vrai même si ce qui la stimule c’est de savoir
qu’elle peut revoir son petit copain Vladimir à chaque nouvelle rentrée. Cela est juste, un jour
elle devra arrêter de rentrer à la même époque de l’année, il faudra lui trouver, en tout état de
cause, un produit de substitution. Attention, la loi est parfois subtile, tout n’est pas permis;
ainsi l’usage des stupéfiants est-il strictement défini par la loi et, à ce jour, en dehors de toi et
moi, personne n’est autorisé à en consommer. Ce qu’il a toujours dit : il donne la vie mais ne
la prend pas à moins que cela ne soit le contraire. Depuis quelques jours un nouveau
supermarché s’est ouvert près de chez nous, cela est tout de même bien pratique. Une fois
n’est pas coutume, nous nous sommes rencontrés au rond point des Champs Elysées à douze
heures tapantes. Il était vêtu de son pardessus vert et portait de superbes mocassins blancs. Je
lui ai pris le bras et nous avons descendu l’avenue Foch. Alors tout s’est passé en très peu de
temps. Ils ont décidé de prendre l’avion sur un coup de tête, ils ne savaient même pas où ils
allaient arriver. Une fois bien attachés à leur siège, ils ont pu se mettre à fumer comme des
pompiers et ont pleinement profité du fait que l’avion n’était qu’à moitié vide pour gambader
dans la prairie. Oh ma douce et tendre amie, j’espère chaque jour te retrouver dans mon lit
mais chaque soir le désespoir conquiert mon cœur et moi qui suis corps, esprit et cœur, je
perds une parcelle de moi. Heureusement, j’ai ta photographie dans mon portefeuille et je la
place sur mon bureau avant de me coucher. Le matin, lorsque je prends mon petit déjeuner, je
ne vois que toi et ne sens que ton odeur; j’ai, en effet, acheté un flacon de ton parfum préféré
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et je répands cette fragance sublime dans tout mon appartement (quand sera-t-il le nôtre mon
amour?). De cette façon je me sens plus près de toi et cela me rassure. Susurre-moi encore des
mots de coquine à l’oreille et qu’ils me transportent de joie ! Une passion ne s’éteint pas, la
flamme qui l’anime est trop forte. Imaginons de nouveaux modes de fonctionnement et
surtout de nouveaux rapports de force pour la société que nous souhaitons former ensemble,
demain. Il sonne et n’en démord point mais elle ne répond pas, elle ne veut plus entendre
parler de lui alors, au bout d’un moment, résigné, il s’éloigne tout doucement. C’est un garçon
très doux et la populace se demande ce qui a pu se passer entre Maxime et Flavia. Peut-être y
est-il allé trop fort l’autre soir en sortant de la discothèque où ils avaient l’habitude de se
rendre chaque mercredi soir. Un joint de culasse a lâché. Dans son domaine, Viviane est une
très grande spécialiste et est reconnue au plan international; elle n’aurait reçu aucune
formation spécifique. Elle fait du vent avec son corps et permet aux hommes d’avancer.
Combien de marins a-t-elle accompagnés sur ces océans de papier? Son pied nu s’est posé sur
le parquet d’autant plus froid que la température extérieure n’excédait pas cinq degré Celsius.
Il s’est résolu à mettre en marche le chauffage électrique et a pu s’endormir ainsi en toute
sérénité. En ouvrant le dictionnaire elle est tombée sur une image qu’elle avait trouvée
autrefois dans une tablette de chocolat et qui représentait une baleine, son animal préféré. Elle
relu attentivement la définition que le grand livre en donnait mais, décidément, rien ne
parvenait à la griser autant que cette image. En fin de matinée tout s’accéléra et on procéda à
un contrôle systématique des identités afin de faciliter la reprise de la natalité. Les chiffres
sont, en effet, inquiétants : plus aucun enfant ne naît dans notre pays et nous courons tout
droit vers une catastrophe de grande ampleur. Il sera bien difficile de s’en remettre, à moins
de boire un petit coup au comptoir avec Dédé et l’ami de Georges. Alors, on baise? Il n’est
pas nécessaire de se précipiter. Les choses faites dans la précipitation sont rarement bien faites
et je n’ai pas envie de manquer la retransmission du discours du Président à la radio. On
pourrait faire ça en même temps. Arrivés dans la salle, ils pétèrent sur les matelas et jugèrent
nécessaire de les faire remplacer le plus vite possible afin de maintenir la réputation de
l’endroit. En regardant à travers la fenêtre, il percevait les cris de la manifestation qui se
rapprochait à grandes enjambées. Encore une fois, il fallait négocier; il cherchait à se
disculper en adoptant un profil bas et cela quitte à se laisser marcher sur les pieds. J’aime bien
me rendre dans les jardins pour voir les enfants jouer avec leurs parents et les parents jouer
avec leurs enfants. Il y a même, parfois, un peu de boue due à des pluies relativement
abondantes pour nos latitudes et j’aime voir tous ces gens, petits et grands, patauger dedans.
Cela fait quelque temps que je n’ai pas vu Romain, je me demande ce qu’il devient car il ne
m’a pas adressé le moindre signe de vie, j’en suis quelque peu vexé; il ne perd rien pour
attendre, ce coquin. Ne va pas lui dire, lorsqu’il rentrera, que j’ai couché avec sa femme, cela
lui ferait du mal et, comme tu le sais, je n’aime pas faire de mal aux gens (et surtout pas à mes
amis). Mais, à l’autre, je ne lui ai fait que du bien et je suis sûr que Francis pourra également
en profiter. Il paraît que Valentine et Rodolphe ont abandonné la grand-mère maternelle de
Valentine sur une route nationale du midi de la France. La pauvre mémé s’est retrouvée seule,
en pleine nuit, sur une route désaffectée ; elle ne l’a pas supporté. Aujourd’hui, ils sont
interrogés par la P.J. et encourent la peine capitale. Heureusement que tu es arrivé à temps
pour l’empêcher de commettre un crime irréparable qui l’aurait condamné pour le restant de
ses jours. Comme il n’en a plus pour très longtemps à vivre, on s’interroge sur ses capacités à
tenir la station verticale. Comment Marcelle t’a-t-elle retrouvé? Aujourd’hui elle doit se
reposer pour reprendre des forces avant d’attaquer la dernière ligne droite qui le mènera à la
victoire finale. A la fin du repas, nous avons chanté « L’Internationale » mais Geneviève avait
un peu peur parce qu’elle ne comprend pas très bien ce que veut dire « le genre humain ». Elle
avait trop mangé, elle a rendu. Pour l’aider à avaler la pilule je lui ai fait boire un verre de
rouge et, en fin de compte, cela s’est plutôt bien passé. Puis nous sommes sortis sur le perron
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de l’Elysée et avons déclaré haut et fort, devant la presse internationale venue en nombre que,
dès le lendemain, tout le monde aurait le droit de tout faire. Ce fut une explosion de joie.
Cette déclaration fut - quelqu’un s’en rendit compte plus tard - à l’origine d’un quiproquo tout
à fait regrettable. Au fait, est-ce un point crucial? Ce fut un bain de sang effroyable et le début
de la terreur. Zut, il n’y a plus de papier dans les toilettes ! Ca me fait chier des trucs comme
ça; il y en a marre des compromissions avec le pouvoir. Elle me chatouillait le cou avec une
plume d’oie. Dave a été très sympathique avec nous; il nous a mis dans un climat de
confiance propice à l’établissement de rapports de confiance et j’ai ouï dire que la fête n’est
pas finie. Ce n’est qu’un début, mais cela marque la volonté ferme de Solange de l’impliquer
davantage dans le processus de décision. Ma sœur m’en parlait justement hier : lorsque l’on
n’aime pas le travail pour lequel on est payé, on n’est pas performant et c’est toute la société
qui s’en ressent; en fait, le manque de motivation d’une seule personne entraîne la faillite de
la société dans son ensemble. Il faut pourtant admettre qu’il s’agit d’une responsabilité
collective, les torts sont partagés. Loin de moi (vade retro Satanas !) l’idée de lui inculquer un
sentiment de culpabilité parce que c’est bien ensemble que nous devons progresser, n’est-ce
pas Edith? J’exige - en outre et encore bravo - que tu n’emploies, à l’avenir, que des formes
positives; il nous faut bannir la négation de notre vie (et de notre mode d’expression) pour
pouvoir faire progresser l’humanité et aider les pays du Tiers-Monde à se développer. Chacun
doit apporter sa pierre à l’édifice. Et toi Urbain, que fais-tu de tout ton argent? Oui, cela est
vrai, cela gicle du tonnerre ! Je vous intime l’ordre d’éteindre la lumière et de montrer vos
derrières. Je ne sais où donner de la tête, il y a tant de bijoux à observer et tant de mets à
déguster dans ce palais. Maître Jacques a fait l’apologie du guéridon de la chambre et puis la
visite s’est achevée sur une pointe d’humour. Chacun voulait y fourrer le nez mais tous ne
passèrent pas. Nous les avions pourtant prévenu de venir avec leur plus petit nez; tous ne s’en
sont peut-être pas souvenu. La plupart ont manifestement un très gros appareil nasal ce qui
permet toujours de choper très facilement les drosophiles. Sous ce pommier nous étions à
l’abri et absolument rien ne pouvait nous arriver; pourtant, Guy et Claire nous observaient
toujours. Plus nous reculions et plus nous éprouvions le besoin d’effectuer un bond en avant,
un bond dans l’après demain. Depuis toujours, nous avions voulu être des êtres de l’avenir et,
de cette manière, être amenés à nous laver les pieds le lendemain matin. Nous étions perdus
dans le labyrinthe des pensées perdues et ne parvenions pas à prendre notre envol. Je pris
alors Thérèse dans mes bras. Qu’il est difficile de porter un tel fardeau, j’ai failli me rompre le
dos. Peut-être qu’avec un peu d’entraînement je réussirai, dans le futur, à le soulever plus haut
et à le faire valser dans les airs. Dix, vingt puis bientôt trente gardes de l’Autorité Toute
Puissante nous ont entourés. Nous ne pouvions fuir. Après nous être consultés, nous
décidâmes de prier et de nous agenouiller. Les autres firent de même et, au bout d’un long
moment, tout le monde s’endormit. Au petit matin, nous avions du mal à nous lever après une
telle fête et la mélancolie, traîtresse en habit de lumière, s’empara de nous. La nouvelle unité
de production a été construite en un temps record et les promoteurs de l’opération sont tout à
fait satisfaits du résultat obtenu parce que les objectifs fixés ont été respectés dans leur
intégralité. Bravo.
Tu es très beau.
Tu fais du bon travail.
Tu es encore vivant;
Tu n’en a plus pour très longtemps;
Tu es très efficace et très rapide.
Je t’aime bien.
Es-tu déjà allé à Odo? C’est dommage parce que tu aurais pu constater que des ouvriers
habiles y fabriquent de beaux mouchoirs. Et Madeleine, elle aime toujours autant la dentelle?
Qu’est-ce que tu es belle. Quand ta bouche se pose sur mes épaules, c’est comme si une fée
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me froissait le dos. On en revient toujours, et j’oserais presque dire « fatalement », au même
point qui consiste en cela que nous nous demandons, à tort ou à raison, si la mort existe
encore dans un monde tel que le nôtre. Hier nous avons parlé avec Rémi de la mort des autres
et du temps qu’il fait et, au cours de nos entretiens, Ghislaine s’ennuie à mourir. Il l’a cherché
partout (durant toute la matinée) mais ne l’a pas trouvé. Il se demande s’il ne s’est pas
échappé. Une fugue, cela n’a plus rien d’exceptionnel. Croyant pouvoir compter sur l’aide
d’un tiers elle ouvrit cette porte remplie d’espoir. Si Benoît apprenait cela je suis sûr qu’il
serait fâché, aussi faudrait-il garder le secret et ne le dévoiler qu’en cas de nécessité absolue.
L’orage grondait dans ce ciel d’été et l’espoir de retrouver des survivants s’amenuisait minute
après minute. Tous quittèrent la pelouse à la fin du temps réglementaire et les vainqueurs
sentaient qu’ils avaient vraiment fait tout ce qu’ils pouvaient pour éviter une telle catastrophe.
Dès demain tu retourneras à l’école et tu n’en sortiras que les pieds devant. L’argent vint
bientôt à manquer ; ils ne pouvaient plus s’acheter de vêtements. Où aller lorsque l’été se
prolonge un peu trop? Je crois que cela renvoie à la question de l’éternité. Adrienne croit tout
ce qu’on lui dit et il suffit de lui embrasser le nombril pour qu’elle se mette à pleurer, c’est
mécanique. Pauvre petite ! Ces dépenses sont inutiles, il faut économiser sans quoi nous
continueront d’accumuler les déficits et n’obtiendront pas de satisfecit. Sabine a préparé un
très bon plat mais je ne rentrerai pas ce soir, j’ai autre chose à faire; si vous voulez, nous
pouvons maintenant poursuivre votre exposé. Il a suffit à Thomas d’un peu de patience et de
savoir-faire pour tout comprendre. Maintenant qu’il sait vivre et plaire, tu lui apprendras à
déféquer. Cela fait très mal et de telles souffrances sont pratiquement insupportables mais il
faut bien vivre. Je ne te répéterai pas deux fois de l’embrasser. Camille prétendait, hier, que
c’est de la bouche que provient la vie. As-tu changé de pantalon aujourd’hui? Assise sur ses
genoux, elle croyait voir le monde. Il regardait le ciel et s’imaginait là-haut, tout là-haut, dans
les étoiles; il se croyait immortel. Bientôt la pluie commença de tomber et il fallu rentrer à la
maison. C’était une maison bourgeoise du milieu du XIXème siècle qu’il avait achetée avec
sa sœur, Emilie, pour venir se reposer à la campagne lorsqu’il ne pouvait plus supporter la
ville et sa pollution. Je rencontrai Jeanne par hasard, c’était la fille du patron. Elle n’avait
qu’un tout petit peu plus de vingt ans et avait déjà une fille. Aujourd’hui c’est rare d’avoir un
enfant à cet âge-là. Elle semblait totalement épanouie mais, d’après ce que j’avais cru
comprendre, son couple battait de l’aile et elle cherchait sans doute à se raccrocher à quelque
branche. J’étais prêt à lui tendre la mienne surtout lorsqu’elle se colla presque tout contre moi.
Marc me disait l’autre jour que les filles qui se collent à lui, cela le répugne; moi ça m’excite.
Et toi Monique, qu’est-ce que cela te fais? Quoi qu’il en soit je vous ai réunis, en ce lieu et en
ce jour symbolique, pour vous parler de cela. Il me semble que certains ne sont pas
suffisamment attentifs à mes histoires; si elles ne les intéressent pas, ils n’ont qu’à sortir. Je ne
fais pourtant que conter les histoires de l’humanité. Vous connaissez le chemin? Pas très bien
mais Gisèle va nous guider. Au revoir, merci pour tout. Vous savez, c’est bien naturel; je ne
fais qu’appliquer quelques principes qui viennent tout droit de mon arrière grand-mère. Je
t’assure que je ne me suis rendu compte d’absolument rien, tout semblait tout à fait normal
dans un monde tel que le nôtre. Fallait-il agir de la sorte? De toute façon il est trop tard
maintenant pour prendre des mesures correctrices. J’espère sincèrement que Tatania et Olivier
seront heureux toute leur vie et qu’ils auront une descendance digne d’eux. La voiture est
arrêtée devant le portail automatique qui ne s’ouvre pas, il va falloir faire venir un dépanneur
et, au prix de l’heure de main d’œuvre, cela va encore coûter cher à la copropriété. En
participant au conseil de surveillance, j’ai appris que c’est Michel qui a installé la nouvelle
antenne sur la terrasse de l’immeuble. Elle a coûté assez cher parce que c’est ce qui se fait de
mieux à l’heure actuelle et, en plus, elle est vraiment très belle. Je n’ai jamais vu d’antenne
aussi belle de ma vie. Ce matin j’ai même invité Nathalie et Norbert à venir l’admirer avec
moi. Nous avions pris une bouteille de whisky avec nous. L’escalade fut pénible et longue. Je
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tiens absolument à te faire essayer ma nouvelle acquisition. Tu ne devineras jamais. On a
passé toute la nuit dedans avec Sabine. J’ai su que la Livre Sterling a baissé. Le problème est
que je ne m’étais pas couvert et j’ai dû attraper un sale microbe qui virevoltait dans l’air.
C’est encore une de ses trouvailles. Nous n’avons cependant pas trop à nous inquiéter car il
s’arrêtera forcément - et j’emploie ce terme à dessein - un jour ou l’autre et le plus tôt sera le
mieux. Je transforme le minable et la médiocrité; je m’en inspire, je ne vis que par eux. Nos
voisins se plaignent régulièrement de ses activités diurnes. Où habites-tu ? Etant donné les
difficultés auxquelles elle devait faire face dans son couple je compris qu’elle avait un besoin
intense de tendresse. J’étais tout prêt à lui prodiguer les premiers soins lorsque le bâtiment
pris feu. Les pompiers furent sur place en moins de deux et, n’ayant écouté que mon courage,
je l’avais prise dans mes bras pour la sortir de ce brasier et y étais retourné pour sauver son
père, son frère, ses frères et ses sœurs mais on s’aperçut assez rapidement que j’avais oublié
son fils. Les pompiers qui ne faisaient que de la figuration parce qu’une équipe de tournage
qui passait par là avait décidé de filmer l’intervention, n’ont rien pu faire et n’ont ramené
qu’un petit corps inerte et calciné. Les funérailles furent épouvantables pour tous et se
terminèrent, comme d’habitude, par un petit verre de boisson aux vertus reconnues. Je n’avais
encore jamais raconté cette histoire mais vingt années se sont écoulées et je crois qu’il y a
prescription. De plus, cela fait du bien de soulager son cœur d’un tel poids en se confiant à de
vrais amis qui, j’en suis sûr, comprendront le bien fondé de notre démarche. Il s’agit, comme
vous l’avez compris, d’envoyer tout notre fourbi à des gens qui sont dans le besoin. Bien sûr,
nous prenons toutes les précautions d’usage afin que tout le barda arrive réellement à
destination et qu’il ne soit pas détourné en route par la pègre. Je voudrais aller à la pêche. Ne
m’attendez plus, j’ai changé d’avis; rien ne peut m’arrêter, pas même un somnambule. Il
faudrait que nous changions de vie aussi souvent que nous changeons de vêtements, cela n’est
malheureusement pas possible. J’ai passé l’âge de jouer à ces jeux-là. Maintenant, ce qui
m’intéresse, c’est de traire les bœufs, d’empoigner les pis de mâles viriles que j’étreindrais
comme des gants de toilette. Il faut toujours se méfier des mauvaises odeurs; elles peuvent
survenir à n’importe quel moment. Je n’ai pas changé d’automobile depuis vingt ans et cela
ne me gêne pas. La saucisse n’est pas encore assez cuite. Qui sera responsable de ce carnage?
S’il n’y prend pas garde, il pourrait bien se faire voler. Je serais sincèrement désolé. Pitié pour
moi. Beaucoup d’affiches du parti ont été déchirées pendant la nuit. Je ne voulais pas dire
cela; cela t’apprendra. En garde ! Je rêve d’être un hermaphrodite. Un homme sur des W-C.,
un homme qui chie et qui n’en peut plus de chier; chier la merde des autres, c’est un métier
éreintant. Il y en a marre des crottes de chien. Ouvrons les yeux, goûtons à tous ces mets aux
saveurs subtiles; écoutons, sentons, touchons tout ce qui passe à la portée de nos mains, de
nos pieds, de nos jambes, de nos bouches, de nos bras, de nos têtes, de nos nez (comme cela
nous sentirons mieux, nous verrons mieux, nous goûterons mieux, nous entendrons mieux).
C’est le facteur Etienne qui pédale et qui peine. Vous ne connaissez pas Etienne? C’est
dommage. Le temps s’égraine et je passe par la fenêtre, c’est plus court. Six. Un. Deux. Trois.
Pédale (Le Robert, 1993) : « 1. Touche d’un instrument de musique actionné au pied.... 2.
Organe commandé au pied... ». Pas. Non. Je ne crois pas. Et toi? Comment? Je t’aime. Je
t’aime bien. J’ai vomi. J’ai bien vomi. J’ai bien dormi. J’aime bien vomir. Sortons-nous? Fais
comme chez toi. Maman pipi. Le bleu du ciel. L’élixir de jeunesse éternelle. A quel âge?
Adam et Eve. Eve, je t’attends. Je m’impatiente. Que fais-tu? Où vas-tu? Où es-tu? Que faistu? Où vas-tu? Qui es-tu? Je prends. Il l’aime. Elle l’aime aussi. Mort. Tu y crois toi? Moi
aussi. Cela est vrai. Changé, c’est où ça? Changer. Changement. Changement d’habitude. Il
faut changer. Tu viens? Et Marie comment elle va? Cela va Nicolas? Parle-lui. C’est
dommage. C’est un comble. Ce serait un comble. C’est un con. Ce n’est pas vrai. Pas. Au
secours ! Debout ! Ensemble. Un. Deux. Trois. Seul. A deux. A trois. Tous. Allons-y. Allez-y
sans moi. Attendez, j’arrive ! Elle est belle. C’est beau. Cela est juste et bon. Pourquoi? Je le
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hais. Qu’est-ce? A bientôt. Je n’attends que ça. Qui ça? Non je ne connais pas. Encore une
fois. Un. Deux. Stop. P.G.D.C. Ensemble. Il manque un s. C’est trop. Revenez demain.
Encore. Non. Encore ! Attends. Non. Maintenant. Encore. Merde. Laisse-moi. Non. Putain.
Non. Encore. Arrête ! Tiens. C’est dommage. A demain? Je ne sais pas. Alors? Et alors?
Toujours pas. Il m’énerve. Je ne le supporte plus. Précipite-toi ! Embrasse-la. Sur le nez. Sa
bouche. Ses doigts. Dégage de là ! Excuse-moi. Excusez-moi. Je t’en supplie. Quel idiot ! Tu
m’en veux? Encore. Essentiel. C’est l’essentiel. Alors ça va? Continue. Je n’ai plus envie.
Caca. C’est sale. Juliette ! C’est bien joli tout cela mais nous voilà dans de beaux draps. C’est
une situation que l’on peut qualifier d’inextricable. Quand résoudra-t-on enfin ce problème
avec l’électricien? Il faudrait peut-être en changer. L’eau s’infiltre partout, c’est une véritable
passoire. Faites ce qu’il faut pour que cela ne se reproduise pas. J’attends votre rapport.
Chantal et Alfred sont partis en croisière en Méditerranée; c’est la saison, ils ont raison d’en
profiter. Est-ce que Léa est toujours scatophile? Est-ce qu’elle a déjà lu Anna Karénine de
Tolstoï parce que cela pourrait peut-être l’aider. La septième symphonie de Beethoven est
vraiment extraordinaire. Cela serait une bonne idée de l’encadrer, on ne va tout de même pas
le laisser dans la remise où il risque de pourrir. Est-ce qu’elle aime le gâteau au chocolat ? Je
vais demander à Anna de m’en faire un et de me l’envoyer par la poste. Une fois de plus il
s’en sort bien. Une chance qu’il eût pensé à s’essuyer. Des traces de sang étaient visibles sur
sa taie d’oreiller, il avait dû beaucoup saigner. Demain c’est l’anniversaire de Thomas et, à
cette occasion, nous organisons une petite fête en son honneur; nous serions très heureux si
nous pouvions vous compter parmi nos convives. Il y aura un peu de boissons alcoolisées, ne
vous en faites pas. Je compte sur la participation de tous pour faire de cette réunion
l’événement politique majeur de cette rentrée littéraire. Les rideaux sont déchirés et j’aperçois
son sein par le trou de la serrure. Oh mais je vois également trois mètres de pénis. C’est un
achat de raison; il est vrai que Stéphane est un garçon raisonnable, il se maîtrise parfaitement.
Après son mariage, c’est le minimum que l’on pouvait attendre de sa part. Je ne crois pas utile
de fermer la porte à clef, nous revenons de suite. D’ailleurs Véronique est perdue dans la
forêt. J’ai alerté la police et les gendarmes viennent d’entamer les recherches. Un chien a
déniché un mort dans un fossé mais c’était une femme, une veuve. Qu’est-ce que tu as
toujours à croire comme ça toi? Moi, je ne crois à rien et surtout pas en Dieu. Les sermons
c’est complètement dépassé. Ah, tu crois?
- Quel est ton métier?
- Je suis cadre dans une firme internationale et animateur de richesse d’une équipe de vente et
de gestion de données à retour automatique (sorte de technicien de surface) parce qu’il y en a
aussi qui sont sous terre et bien à plaindre, non?
- D’accord, je recule.
Une fois encore nous avons failli réussir mais, finalement, nous avons échoué. Mon chéri, astu lavé tes mains avant de t’asseoir à table? Demain, qui s’occupera des soucoupes volantes si
nous ne sommes plus là? Elle rêve nuit et jour et j’ai le bonheur d’être dans ses rêves. Libéré
de tous les carcans et du carbone quatorze je me sens beaucoup plus léger. L’horizon
s’éclaircit et la mer monte tout doucement. La route pour aller à la mer n’est pas très bonne
mais de bonnes suspensions feront l’affaire. Les calculatrices scientifiques sont très utiles.
J’en ai marre de cette thèse sur l’Antiquité. J’en ai marre de ta sœur, je ne supporte plus de
voir ses pieds. Il faut faire quelque chose pour sauver l’humanité car, si l’on n’y prend pas
garde, elle va se retourner et marcher sur ses mains. Elle pourra peut-être s’y habituer mais
c’est prendre un risque inconsidéré. Lorsqu’un projet ne se déroule pas comme vous l’aviez
souhaité, vous abandonnez ou vous persévérez? J’ai accéléré et la pédale s’est enfoncée. Pas
de panique, il suffit de freiner. Ils nous ont prévenu la veille qu’ils ne pourraient pas participer
à nos ébats et garder en même temps un œil sur les enfants. Le choix fut facile. Il n’en fut
même plus question par la suite. Le bruit est l’ennemi de l’espèce humaine. On dit souvent
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que l’homme est un animal et quelques personnes optimistes ajoutent « intelligent ». Martine,
qui a une maîtrise en lettres modernes, n’est pas du tout d’accord avec ce point de vue et elle
s’en est expliquée dans une lettre adressée au mouvement des femmes libérées. C’est la lutte
finale et après demain est un autre jour. Plus rien ne sera comme aujourd’hui. J’ouvrais le
livre à la page deux mille trois cent quarante-cinq et le paragraphe commençait ainsi : « la
notion d’habitude, d’un point de vue médical, n’est pas le même que celle définie en
philosophie. En effet, Brigitte et Bernard n’ont rien à voir ensemble... ». Il faut bien
reconnaître que l’habitude est mauvaise conseillère, elle nous empêche de tourner en rond et
de faire notre trou. Devenir peintre est très difficile parce qu’il est préférable de savoir marier
les couleurs et ce avant d’aller devant monsieur le maire. Il n’est toujours pas arrivé. Je viens
de le contacter; il me dit qu’il est bloqué dans l’ascenseur. Toujours est-il que je préfère m’en
aller. Si je reste, je risque de faire des bêtises; je pourrais me transformer en salaud devant
l’assemblée et je n’y tiens pas vraiment. Je voudrais garder mes distances avec cette fille; il ne
sent pas très bon; les odeurs remontent par la cheminée et, comme le ramoneur ne passe pas
assez souvent, elle a de la buée sur les yeux. C’est peut-être pour cela qu’elle marche tout le
temps sur les pieds des gens qu’elle approche. Une nouvelle fusée a été lancée aujourd’hui et
elle n’a pas explosé. J’aime assez les feux d’artifice. Non, je les déteste. La commune s’est
constituée partie civile dans cette affaire et nous avons bu un petit peu d’eau de vie à la source
du village. Notons, par ailleurs, que le gouvernement japonais, à travers son ministère du
commerce extérieur, encourage vivement les entreprises nationales à développer les
exportations vers les pays riches. Le service national sera bientôt supprimé, cela risque de
porter atteinte au consortium des vendeurs de bière. D’un autre côté, le marché va continuer
de se développer en ce qui concerne la vente de bière aux étudiants et aux jeunes actifs
alcooliques. Lorsque Landin est entré dans la salle des machines il n’a pu retenir sa surprise.
Un sourire radieux illuminait son visage, on aurait dit une fée. Ce qui me fascine chez lui c’est
son sens de l’émerveillement. Il est toujours émerveillé, parfois même avant d’être réveillé.
Ce n’est pas toujours facile pour elle, surtout avec les enfants. Le dernier, de plus, fait
toujours pipi au lit. Il y a tout lieu de s’inquiéter car il a déjà huit ans et c’est une attitude tout
à fait irresponsable. C’est du travail bâclé, cela ne risque pas de le défavoriser. Je veille sur lui
comme sur la prunelle de mes yeux. Le musée est déjà fermé. C’est un horaire de
fonctionnaires. Est-ce que tu t’es déjà regardée dans une glace? Y as-tu déjà vu ton gros nez
rempli de crotte (de nez). J’ai tout de même le droit de regarder dans tes narines (un monde
que l’on oublie souvent d’explorer). On s’est juré de tout partager et je n’ai pas l’intention de
me renier. Je respecte tout autant ce que je dis que ce que j’écris. Tout le monde sait qu’en ce
qui te concerne, tu ne respectes rien du tout. Cela te jouera de mauvais tours et tu t’en mordras
les doigts; à ce moment-là il ne faudra pas compter sur moi pour venir te consoler et te
câliner; je ne mange pas de ce pain-là. Il va sans dire que le traitement des eaux usagées
constitue une de mes préoccupations principales mais j’attends également une lettre
importante. Gilberte devrait déjà m’avoir répondu. Les gens à qui on envoie des lettres pour
leur écrire comment on va et leur demander comment ils vont et qui ne vous répondent pas,
c’est exapérant. C’est toujours la même histoire avec Clotilde : elle part, elle revient et il
faudrait en plus lui laver les pieds. Pour le faire cuir. Il faut compter quatre à quinze minutes
de chaque côté et si vous connaissez des petits moments de déprime, vous pouvez toujours me
téléphonez; pour vous, je suis là vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept. Le
Beaujolais nouveau est arrivé, cela va être une fête extraordinaire surtout si ses parents sont
absents. L’Asie est appelée à un grand avenir sur les plans politique et économique. C’est très
bien, cela me laisse le temps d’aller aux toilettes et d’en revenir. Il pleut et je vois ma gueule
de con dans les vitres qui pleurent tout le malheur du monde. C’est pas humain ça. Le
raccourci en question n’en était pas un et la lumière s’est éteinte. Où est passé Germain?
Cultiver ses poils constitue une activité très saine que tu ne saurais que conseiller à toute
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personne normalement constituée de la tête aux pieds. L’homme doit plus au chien qu’au
singe. Ce zoo est magnifique mais ce que je préfère, c’est prendre le bateau. Comment il s’est
rendu à cet endroit, nul ne les sait et les carcasses dépecées des animaux en rut s’agitent
encore au détour d’une rue commerçante. Les peupliers s’émancipent et coupent leurs racines;
la liberté chérie qu’ils ont tant souhaité est déjà là, elle vient juste de frapper à la porte.
Encore une seconde, j’enfile mon pantalon; demain je sortirai toute nue pour tester ma
résistance. J’aime bien le Grand Nord parce qu’il y fait froid et j’aime mieux encore les glaces
à la vanille. Parfois, il m’arrive de m’endormir sur ses genoux et de me réveiller dans les
toilettes. Ne vous inquiétez pas pour moi, faites comme bon vous semble, faites comme si je
n’existais pas, il est encore temps pour vous d’y échapper. De toute façon vous ne leur
parlerez pas de moi et votre conscience aura tôt fait d’oublier; sinon j’irai en vacances
ailleurs. Passe-moi ton tutu s’il te plaît. Je suis toujours poli avec les gens qui évoluent autour
de moi et je ne mens jamais. Félicie, iras-tu à la messe plutôt dimanche matin ou dimanche
soir? C’est un élément déterminant qui permet de mieux comprendre la formation de notre
planète. Big et Bang sont sur un bateau. Big tombe à l’eau; il crie, personne ne s’en fout et il
se noie. Bang reste seul et tu prends une grosse claque dans ma sale gueule de con. J’ai perdu
gros dans cette affaire et Charles-Henri s’est suicidé. Sais-tu pourquoi toi? Ma chandelle est
morte, je n’ai plus d’yeux; comment pourrais-je me diriger à l’avenir si tu me fais un croc-enjambe et que je tombe sur le pavé? Marchons et ne nous retournons pas, tout détour est du
temps de perdu. Raconte-moi une parole juste et un discours fallacieux; oublie vite tout ce que
tu entends à mon sujet sinon je croirais, moi aussi, que tu as les yeux bleus comme l’azur. J’ai
failli me noyer et Jacques a failli me sauver; c’est dommage pour moi mais je suis prêt à le
rembourser s’il me montre l’endroit où il a caché son trésor. La plage est déserte et le vent
souffle fort; ma tête scrute l’horizon et mon cul bat de l’aile en rythme avec les nombreuses
mouettes; il faut crier plus fort pour pouvoir entendre le bruit (que dis-je, la musique) du
ressac qui vient s’affaler sur les rochers. Elle se laisse faire la salope; heureusement il n’y a
plus de bûchers. Ton tatouage symbolise avec force et férocité ton attachement à la gent
féminine, Karine n’en demandait pas tant. Maintenant que nous sommes partis, il est bon de
s’essuyer les pieds avant de rentrer au port. La peine de mort? C’est quoi cette ineptie-là? La
chaise est vide et le ciel bas. Le petit Jean essaie de monter sur la chaise et n’y arrive pas, je
ne comprends pas. Pour tenter cette expérience nous avons besoin de la coopération de tous et
il est plus facile de se gratter les doigts que d’aller lui parler pour lui demander de se taire et
même, à la limite, de ne plus jamais ouvrir la bouche. Qu’est-ce qu’un poète? Quelqu’un qui
essaie, se trompe, écrit des choses sans intérêt et qui, parfois, touche à l’essentiel sans le
détériorer. Sa langue est sèche, il va bientôt mourir. Il est sur le point de partir et je n’ai même
pas acheté de chocolat. Que de fautes d’orthographe. Ta puissance est phénoménale mais je
ne sais pas ce que tu veux dire. Dis-moi des mots doux qui me caressent la tempe lorsque tu
ne seras plus dans mes bras. Franck est un garçon impatient qui danse beaucoup. Une chienne
est entrée et je suis sorti. La beauté n’est pas l’élément central d’une relation durable, ce qu’il
faut c’est perdurer et, à force d’abnégation, l’intestin digère tout. Je préconise une
mobilisation générale contre la crise de foie. Es-tu encore puceau? Je peux bien l’avouer, je
suis pucelle et j’excelle dans l’art du camouflage. Il est très fier de sa dernière acquisition. Le
progrès se nourrit dans le creux de ma main de détritus stomacaux qui adhèrent aux parois. Il
n’en finit pas de chanter, comment faire pour le casser? Ce rhume ne passe pas. Condamné à
vie à vivre avec lui, il faudrait le changer mais je ne m’y résous pas. A qui la faute? Le panier
est en osier et la demoiselle en dentelle. Comme elle est belle. Je voudrais la toucher mais les
enfants n’ont jamais le droit d’approcher ces choses-là. Faisons la révolution et montons sur
les caisses en carton que Berthe a stockées dans son grenier; je savais qu’elles nous auraient
servies un jour ou l’autre. Eric est un opportuniste et Lucie aussi. Yolande lave la vaisselle et
Yves l’essuie. Je n’ai plus de serviettes de table, je vais être obligé d’utiliser du papier et mon
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front brille dans tes yeux. Tu regrettes d’avoir donné naissance à Clément et je ne vois pas
pourquoi tu me demandes ce que tu dois faire; il y a trente-six solutions. Jette-le dans le feu
de l’enfer et fais attention de ne pas tomber avec; je voudrais bien te retenir. Je prépare un
dîner pour ce soir; je reçois Marthe et Bénédicte. Voulez-vous danser avec moi? Je vous ferai
tourner la tête sans vous faire boire une once de vin. Tu l’aimes depuis que tu lui a touché les
seins ou depuis que tu lui as mis la main au cul? Roger, viens voir un peu dans la salle à
manger. Le meuble est fendu et ils meurent de faim. C’est un lac bien trop grand pour une
résidence secondaire. Elle aurait dû lui parler avant qu’il ne parte pour six mois aux Antilles
parce que Léon est déjà fatigué. La soirée est encore longue mais nous ne bénéficièrent pas de
suffisamment de temps pour tout leur expliquer en long et en large. A travers cette vitre
j’aperçois le nouveau meuble que nous avons installé dans le salon. Dans le contrat, il n’était
pas prévu de passer à la télévision; elle compte en parler avec son avocat même si il est
actuellement difficilement joignable. Je n’aurais pas cru que tu étais comme cela; je suis très
surprise. La prochaine fois je regarderai dans mes rétroviseurs. Cette photographie reflète
toute la sensibilité de l’artiste et je peux même vous certifier qu’il était en érection lorsqu’il a
déclenché son appareil; c’est Frédéric qui m’a donné cette information. J’achève la biographie
de ma sœur. Ils ont eu un peu de mal à l’achever, elle était revêche. As-tu pris ton ticket avant
d’entrer? sinon tu risques d’avoir des ennuis à moins que ton cœfficient intellectuel ne
dépasse le seuil. Où se situe le seuil de tolérance? La connerie n’a pas de limite et les
montagnes de l’ère primaire doivent faire face à un phénomène que l’on appelle la calvitie. Si
quelqu’un a la moindre question d’ordre existentiel, qu’il ou qu’elle n’hésite pas à la poser.
Qu’il ou qu’elle s’en aille. Totalement crispé, il n’a pas su, ou même, n’a pas voulu négocier
le tournant de sa carrière et on l’a retrouvé à l’hôpital. Ils ont creusé un tunnel dans la vallée
pour alimenter en eau les voisins du dessous. C’est une vraie star. Messieurs, Mesdames,
parlons de la vie et des instruments à vent. Sensuelle et aguicheuse (pardon Mesdames),
maniant également avec dextérité un gros instrument (pardon Mesdames), je m’en voudrais de
tout lui révéler. Elle voudrait lui mettre des bâtons dans les roues qu’elle ne s’y prendrait pas
autrement. Le pneu est dégonflé, il n’a pas une grande capacité pulmonaire. La forêt s’épaissit
et le lait est passé par-dessus la casserole. J’en ai marre de monter les étages à pied, vivement
que l’ascenseur soit réparé. Le soleil luit pour tout le monde et dans la nuit, j’ai peur sans ma
maman. De gustibus et coloribus non disputandum. Je cherche chaque fois la maison et j’ai
peur dans la nuit. Toutes les automobiles ne sont pas bonnes à croquer. Adrien et Clément se
sont rencontrés, comme ça, par hasard, dans la rue; ils se sont serrés la main et Adrien a porté
Clément sur ses épaules jusqu’à la première boulangerie. Là, ils ont longuement parlé de leurs
années passées à l’université et des soirées interminables que l’un ou l’autre organisait en
fonction de leurs emplois du temps. Mais tout cela, c’est le passé; maintenant ils sont devenus
des hommes : ils ont une maison, un travail, des enfants, des livres, du beurre et le café n’est
pas assez sucré. Adrien a toujours beaucoup aimé le sucre. Il constituait toujours des stocks
car il craignait une guerre déclenchée par quelque maniaque; à lui seul il faisait varier les
cours. Clément, lorsqu’Adrien eut fini de lui conter son histoire, se mit à pleurer. La serveuse
lui prêta son mouchoir brodé (comme on n’en fait plus). Elle avait écouté toute l’histoire
d’une oreille attentive. Adrien ne l’avait pas reconnue mais il s’agissait pourtant bien d’une
ancienne heureuse élue. Blandine me disait qu’elle préfère la compagnie des animaux, sans
doute parce qu’elle se trouve plus proche d’eux. Indéniablement, elle n’a pas sa place dans un
tel organisme. On tente cependant de faire la part belle aux nouveaux venus, à tous ceux qui
manquent d’expérience. Cela est évident et ne se démontre pas forcément.
Ô belle du jour,
Je suis ton ami.
Ne me repousse point, je t’en supplie.
Accueille-moi à bras ouverts
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Et je me ferai tout petit, insignifiant.
Tu as toute ma confiance et toute ma reconnaissance aussi.
Parfois, lorsque j’ai mal dormi,
Je me réveille et tu trépignes.
Pourquoi me quittes-tu dans ces moments-là?
J’ai un peu peur de toi.
Et tu ne t’en doutes pas.
Tout en toi est beauté et charme et beauté
et continuité;
Je me suis toujours caché pour t’aimer.
Mais je n’en peux plus,
Je vais tout lui révéler à ce monde sans pitié.
Je n’aurai plus que mes yeux pour pleurer
et ta bouche pour me consoler.
Promets-moi de rester.
Je n’aurai plus que mes mains pour me cacher
et tes seins pour me regarder.
Promets-moi de ne pas m’abandonner.
C’est juré et demain nous repartirons, ensemble, sur les routes. Je suis ton amie et je me
meurs. As-tu déjà vu une fleur de lotus ? Il en reprendrait bien encore un peu. Le Bien et le
Mal. Mon frère et ta belle-sœur. Caroline a demandé un congé à son patron pour pouvoir aller
se reposer dans le Massif Central, du côté de Rodez. Mon ami. As-tu des amis? Elle a envie
de découvrir cette région qu’elle ne connaît pas. En rentrant, ils sont passés par Epinal.
Ensuite ils sont allés chez Tatin. Comprenne qui voudra, n’est-ce pas? Il suffit. Je me
demande ce qui pourra l’obliger à s’arrêter surtout au moment où il connaît un succès énorme
propre à éveiller la jalousie de nombre de ses anciens camarades. C’est un panier à trois points
qui arrive à point nommé, juste avant de rentrer aux v e s t i a i r e s ( l a m è r e ) . Sa famille
n’est pas très grande mais j’ai remarqué qu’il est à sa place et connaît son rôle à la perfection.
Ce sont, en outre, des acteurs de tout premier plan qu’il sera cependant difficile de réutiliser
par la suite, même s’ils ont encore un bel avenir devant eux. Il est impossible de se prononcer
sur ce sujet car nous manquons d’éléments concrets pour écrire n’importe quoi.
Concrètement. Concrètement, je souhaiterais être concret. Pour être concret je vais prendre un
exemple concret. Comment être concret dans un mode concret ou plutôt comment ne pas être
concret dans un monde concret? C’est proprement concret, concrètement parlant. Ce qui
compte de toute façon c’est de rester concret. Etre concret (je suis concret, tu es concret, tu es
concrètement concrète, j’en ai fait l’expérience concrète), c’est, concrètement (il est concret,
nous sommes concrets, vous êtes concrètes, elles sont concrètes), être clair et concret,
facilement compréhensible en toute concréité par l’utilisation d’exemples concrets pour des
gens qui raisonnent concrètement. Concret ( Le Robert 1993), id est : « 2. (XVIIe) PHILO.
(opposé à abstrait) Qui exprime quelque chose de matériel, de sensible (et non une quantité,
une relation); qui désigne ou qualifie un être réel perceptible par les sens... ». Abstraitement,
cela signifie qu’est concret, concrètement, tout ce que je peux percevoir par mes sens
(j’annonce); mais concrètement, qu’est-ce que cela signifie? Concrètement, par contre, cela
signifie que Pierre, mon meilleur ami, est concret. Il est concret comme je suis concrète parce
que je peux la percevoir, comme moi je m’aperçois dans un miroir, par mes sens. Ne puis-je
pas le qualifier de concret comme je le qualifierais, par ailleurs, de matérialiste? Pierre est
matérialiste, je comprends tout à fait. Alors, comment peut-il être concret puisque cet adjectif
exprime bien quelque chose de matériellement sensible? En même temps, dire que Pierre est
concret c’est être abstrait. C’est ici qu’il faut se poser la question la plus importante : si je suis
abstrait quand j’affirme que Pierre est concret, comment puis-je affirmer que Pierre,
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concrètement, que Pierre est concret? Faut-il, pour cela, que j’utilise des termes concrets pour
pouvoir assurer que cette assertion concrètement concrète est correcte? Je ne comprends pas,
sans doute parce que je ne suis pas dans son corps. Il serait nécessaire de le découper par le
milieu puis d’enfiler sa peau; en plus, j’hériterais d’un téton supplémentaire. La chambre est
fermée à clef et nous avons perdu le trousseau, je lui avais pourtant demandé de ne pas mettre
tous les œufs dans le même panier. L’aluminium est un matériau noble qui, exposé au soleil,
rouille facilement. Les habitants de Syktyvkar sont adorables, ils nous ont très bien accueillis
lors de notre arrivée en Andalousie, pays de la parousie? Qui sait? Pas moi en tout état de
cause. Je jure de dire toute la vérité et rien que la vérité si l’on me torture, tout ce que voudrez
entendre de moi. J’ai parsemé la tête de Jeannette de paillettes et cela ne peut que l’arranger.
As-tu déjà vu cette jeune fille? Elle est vraiment très laide, n’est-ce pas ? Quel type de
journaux ou de magazines lis-tu? Tel que je te connais, je parierais cent francs français sur
Belle du bocage; il s’agit d’une sacrée jument. Même si son visage est ravagé par l’épreuve du
temps je la trouve encore très jolie. Ecrire en rouge reflète une personnalité obnubilée par le
sang et, chez les femmes, cela indique une angoisse devant la fuite en avant. Ce qui est le plus
dur c’est de changer les linges du petit si souvent; espérons qu’il ne sera pas incontinent toute
sa vie. O que ton visage est doux comme le cul de Bertrand lorsqu’il avait un an. Ta mort se
rapproche, nous en parlons souvent avec les Berranger. La mienne frappe à la porte, il faudra
qu’elle s’y prenne autrement. Le plus important est de préparer le codicille dans les temps. Il
s’arrête sur le bord du chemin, jetant son vélo dans le fossé, exténué. Pour rien au monde il
n’aurait échangé sa boîte à gants; il ne savait plus où aller, toute sa famille l’avait rejeté, lui
l’enfant prodigue. Plus la nuit avançait et plus il se demandait comment il ferait pour
continuer de vivre après avoir tant mangé. A la ferme d’à côté, on fêtait le nouvel an, on
entendait les chants et les rires très distinctement. Malgré tout son courage, des sanglots
jaillirent de ses yeux au plus mauvais moment. Il ne croyait pas en Dieu, il aurait voulu y
croire, surtout en de pareils instants mais il lui semblait qu’il était trop tard. Il estimait avoir
accumulé un retard insurmontable et ce sentiment était sans doute à l’origine de tous ses
problèmes. Il aurait pu prendre de l’avance et effacer toutes les tablettes en se suicidant, mais
Dieu ne serait sûrement pas content. Il l’avait ignoré toute sa vie durant et ne pouvait donc pas
se permettre de lui faire ce nouvel affront et ce, par pur orgueil. Les croyants ont beaucoup
plus de facilités pour se supprimer, cela n’est pas normal et pas juste. Humilié au plus profond
de son être, il se répétait sans cesse la même chose : « je n’aurais pas dû naître, j’aurais dû me
tuer bien avant ». Il se souvenait, petit enfant, comme sa mère - et même son père - le
choyaient; on lui offrait régulièrement des cadeaux des plus variés et, un jour, il reçut une
flûte enchantée. Il était déjà en retard, et n’aurait jamais cru pouvoir rattraper le temps perdu
avant de partir pour son voyage autour de la Terre. Lors de son retour toute la belle
mécanique se grippa et aucune huile ne résolue le problème. A bientôt, je repars. Il s’agit d’un
patrimoine unique en son genre. Joël et Brigitte n’avaient jamais vu de moine de leur vie.
C’est un marginal? Je veux la même robe. Et ta sœur? J’essaie de rester poli en toute
circonstance mais parfois je deviens grossier envers mes interlocuteurs qui n’y comprennent,
de toute façon, jamais rien. Seulement certains sont plus sympathiques que d’autres et la belle
mécanique s’emballa. A force de courir si vite, il a perdu un bras; nous avons dû aller à sa
recherche une bonne partie de la nuit. Nous n’avons donc pas assez dormi pour apprécier cette
œuvre à sa juste valeur. Un instant. Encore. Une fois. Non. Je ne t’aime plus. Tant pis. C’est
pire. C’est vrai. Alors? J’attends. Quoi? La vie. Non. La mort. Non. Quelqu’un. Je ne sais pas.
Pourquoi? Question. Perdu. Dans la nuit. Seul. Dans le lit. Parfois. Non, jamais. Ô. C’est si
facile. Je sais. J’ai essayé. Tout? Sans doute. Et demain? Demain? La fuite. En avant. La
chaleur. Une maison. Une assemblée. Un feu. La cheminée. La neige. Une homme. Non. Une
femme. Une porte. On a frappé? Oui. Ouvrir. Puis refermer. Vite. Encore plus vite. Parler. Ne
rien dire. Muette. Vraiment? Merde. J’en ai marre. La chance. J’ai gagné. Moi aussi. Tu as
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triché. Comme toi. Se laver les mains. Manger. Le bon repas. Une chandelle. Une flamme.
Une autre chandelle. L’une meurt plus vite que l’autre. C’est dommage. Une troisième. Même
constat. Comprends pas. C’est du même bois? Je crois. C’est con. Oui. Je vibre au rythme de
la musique mais arrête, s’il te plaît, de me chatouiller ou tu risques de me faire crever d’envie
de m’en aller vers d’autres rivages. Ça y est, ça gicle. Cette fois-ci, je ne céderai pas à la
tentation si vive de me déshabiller au milieu de cette place déserte parce que je suis
agoraphobe. J’aime mélanger les envies de marcher dans les bois. Roland a-t-il fini de
s’essuyer? Il arrive tout droit de Pontianak et ne restera ici qu’une demie journée avant de
repartir pour Teguigalpa où il doit signer un contrat. Ce décorateur est génial; Gaël a une
douleur au bras. Guillaume, ce bel enfant, a perdu toutes ses dents sur le tapis de l’entrée.
Henri ne veut plus acheter son pain et ses croissants à la boulangerie du coin parce que la
serveuse a changé d’arrondissement. Elle exerce sur lui une pression grandissante par
l’entremise de sa main; tous se demandaient s’il allait céder mais nous n’en avons jamais rien
su puisqu’au même moment une bombe a explosé et que la plupart des personnes présentes
sont mortes sur le coup de huit heure du matin. Je voudrais acheter un nouveau pantalon mais
je ne sais où aller. N’aurais-tu pas la moindre idée? D’après ce que l’on m’a dit, il a quitté la
ville depuis bientôt vingt-quatre heures et ne compte revenir que demain, en fin d’après-midi.
Vous êtes-vous déjà demandé comment on faisait un bébé? Quoi qu’il en soit, tout ce que l’on
a pu dire à ce sujet, jusqu’à présent, ne correspond en rien à la réalité, ce ne sont que des
bobards alimentés par le pouvoir en place. Il suffit, en fait, de prendre une tige de ferraille et,
selon le sexe, un entonnoir ou une bouteille en plastique (parce que c’est moins fragile qu’une
bouteille en verre et que cela a l’avantage d’être plus léger à transporter lorsqu’il faut partir en
voyage). Si vous le souhaitez, nous pouvons vous proposer un kit prêt à monter qui, en plus,
n’a pas à supporter de taxe à la valeur ajoutée. Le gouvernement fait actuellement un effort
tout particulier pour tenter de soutenir la natalité; c’est très appréciable. Un projet de loi
prévoit une cessation d’activité totale pour l’année 2055 (on a pris l’habitude de prendre les
problèmes à bras le corps et de les anticiper) afin que toutes les forces vives de la nation
puissent se consacrer à la procréation. Une nouvelle législation devrait entrer en vigueur au
premier janvier de l’an deux mille cinquante-cinq afin de faciliter la reconnaissance des
enfants fabriqués hors du cadre du mariage mais le service d’homologation devra, d’ici là,
s’être entièrement restructuré pour pouvoir faire face à la vague tant redoutée. Je me suis
répandu en invectives contre lui. Dehors et dedans, je ne sais plus où je suis et il suffit ! Ne le
bats plus à mort sinon il va mourir entre tes doigts et tu auras l’impression d’être coupable,
c’est tout de même ton gendre. De toute façon, toutes ces histoires de cul, cela ne l’intéresse
pas; il préfère le monde des livres à celui de la lune et affectionne plus particulièrement le
bord de mer lorsque sa mère venait le border tous les soirs et qu’elle l’embrassait tendrement
sur les deux joues avant d’aller se coucher. Tout le monde croyait qu’il y laisserait sa peau
mais il est toujours là à nous empêcher de tourner en rond. Tu t’embêtes, comme toujours, et
j’ai besoin de dix balles de tennis pour aller m’entraîner sur le parking. Au diable la torpeur et
vive l’avarice ! Par ton épée, je truciderai succubes, incubes et gurus nécromanciens,
j’afficherai ma gloire à tout l’univers et j’assécherai à jamais mes tubes urinifères. Un peu de
science fiction, un peu de prophétie, quelques remarques sur les bouleversements à attendre à
moyen terme. Ne t’en vas pas ! Il suffit. Une fois passé à la pompe à essence, il se dirigea vers
la grotte pour y dé-poser sa crotte. Son offrande au ventriloque. Ad hoc. C’est la bouquet
final, cela sent la fin; il a mis le paquet ! C’est vrai, je n’aurais pas dû l’aimer autant, elle m’a
usé et je n’ai plus les forces suffisantes pour me relever tout seul, abandonné de tous et puni
d’avoir trop profité sans jamais récompenser. La récompense seule suffit. Il n’y a pas besoin
de mettre du sel et du poivre dans ses pâtes, elles se suffisent à elles-mêmes. Tant de saveurs
excitent son palais, tant de richesses cachées en son cœur; il peut bien brûler, son éclat ne se
ternira point. La tête dans le panier et les fruits dans les bras, il marchait tout droit mais ne put
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éviter un réverbère placé là; la prochaine fois, il devra prendre davantage de précautions et
faire bien attention de s’alimenter en sucres lents car ce qui compte c’est de perdurer. Rien ne
sert de manger si le temps ne s’améliore pas. Sa théorie sur la mort renouvelle le genre; je
crois, de plus, qu’il souhaite te rencontrer; nous pourrions peut-être vous inviter tous les
deux, un soir, à la maison. Il n’y a plus d’espoir à l’heure qu’il est. Il s’est fait berner encore
une fois. Il s’est levé et s’est dirigé vers la porte, l’a ouverte et découvrit une femme sublime
qui allait sonner. Il se demandait pourquoi elle était là, devant cette porte, et elle se demandait
pourquoi elle était là, devant cet inconnu. Elle le prit par le bras et ils passèrent toute l’aprèsmidi assis sur un banc dans un jardin public. La queue du berger allemand s’agitait en tous
sens, on aurait dit la tête d’un pantin désarticulé et une bergeronnette hochait de la queue, elle
aussi. Arrêtés devant la vitrine d’un magasin de jouets ils ne pouvaient s’empêcher de penser
à Claude. Mort dix ans plus tôt, ils l’avaient adopté parce qu’ils ne pouvaient avoir d’enfant, à
cause d’une sombre histoire de peau de chagrin. Fallait-il recourir à la force? Chacun peut
avoir sa propre interprétation et l’on se doit de respecter toutes les convictions. Après cet
incident rien ne sera jamais plus comme avant. Tout le monde va à la plage et ma sœur court
chez le coiffeur; j’ai mal aux dents à force de trop parler. Elle se décida à lui écrire une lettre
dans laquelle elle lui dirait tout ce qu’elle a sur le cœur. Elle ouvrit le tiroir et y trouva le
papier à lettre de son oncle ainsi qu’un stylo bille comme elle les aimait tant. Aussitôt dit,
aussitôt fait; elle rédigea tout un traité sur l’amour et le temps. Les officiers se sont réunis
dans mon bureau pour décider de la tactique à adopter vis-à-vis d’un groupe si bien organisé.
La segmentation stratégique a permis à la science d’effectuer des progrès très importants dans
le domaine de l’insémination artificielle. Tout cela ne vaut pas la recherche opérationnelle. Sa
tension est très élevée, Clarisse a besoin de repos; il faudrait qu’elle reste au lit durant environ
une semaine et qu’elle ne fasse aucun mouvement brusque sinon elle risque de passer un
mauvais moment en maison de correction. Il suffit ! Toi t’es un nouveau, depuis combien de
temps es-tu mort? C’est peu en effet. Es-tu rentré ici sans problème? Moi aussi. Ils t’ont
demandé tes papiers? Tu as eu de la chance parce que dans la précipitation, beaucoup les
oublient. De toute façon, tout le monde a droit à une seconde chance et il est toujours possible
d’exiger une dérogation. Ce qui est bien c’est que l’on attend pas, c’est pas comme en haut.
Ici tout le monde s’entend bien, il n’y a pas de querelle, peut-être parce qu’il n’y a pas
d’enfants. Je suis vraiment très heureux de ma nouvelle situation; j’ai encore du mal à ne pas
dire n’importe quoi. Il faut dire que l’on prend de très mauvaises habitudes. Tiens, à l’instant
même je viens d’employer le terme « situation » qui n’a plus aucun sens ou qui, plus
justement, n’a plus lieu d’être. Il suffit. Oui, il suffit de dire n’importe quoi pour vivre. Vivre
c’est suffire mais ici on ne vit pas, on fait plus que cela. Il suffit. Il va falloir que je te quitte,
Alice, parce que j’ai encore beaucoup d’amis à aller voir et beaucoup d’autres gens à
accueillir. De toute façon, ce n’est pas fini parce qu’il suffit !
Il suffit !
Oui, assez !
Il suffit.
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Souvent lorsqu’elle embrassait Tristan, Véronique se demandait pourquoi elle ne le quitterait
pas, comme ça, sur le champ, sans autre forme de procès et avait même, la plupart du temps,
envie de partir au beau milieu de ce baiser qui s’éternisait dans le temps. Elle ne pouvait se
défaire de ses lèvres qui aspiraient toute son énergie. Lui, elle en était sûre, ne se doutait de
rien; il ne savait pas qu’elle attendait un enfant. De qui était-il? Cela était peu important. Dans
le fond se disait-elle, tout cela ne doit être qu’une histoire, assez banale, d’œstrogènes,
d’équilibre et de déséquilibre. Elle se souvenait de tous les bons moments qu’ils avaient
passés ensemble, un peu comme si elle savait qu’elle - et que lui avec elle - ne les revivraient
jamais. Une fois, pourtant, elle s’était confiée à sa meilleure amie pour lui faire part de ses
états d’âme, pour lui parler de son couple qui ne battait pas encore de l’aile car, après tout, ce
sentiment qui se développait en elle n’en était encore qu’aux balbutiements. Plutôt que
d’attendre un enfant, elle avait l’impression d’attendre l’éclosion d’un sentiment. Celle-ci se
réaliserait - c’était certain - au grand jour, devant son public; il lui faudrait, pour se libérer, la
faire exploser à la face du monde. Tout cela, elle l’avait expliqué pendant des heures à son
amie Catherine qui, elle-même, attendait un enfant. Elle riait, elle chantait, elle mangeait; la
vie, c’est épatant. Après six mois de grossesse, elle sentait ce corps en elle; elle l’avait gardé.
Ses relations avec Tristan s’étaient clarifiées et c’est lui, alors, qui paraissait plus distant; il
devait avoir pris conscience de la difficulté de devenir père. Il ne savait pas quand il devrait se
métamorphoser, il en avait une vague idée. Gabardelle, connasson, falateur, priaton, élain,
tabistier, bustre, dacture, voitiçon, calture, comassure, adrition, pantasson, foindent, voltique,
xinabène, ravoir, ravue, brabution, plotution, quidre, calpoint. Parfois, il lui arrivait de délirer.
Il ne faisait que poulcrarer sans jamais s’oscurcir sur l’aloupathe ramenancée et la rosie n’en
colturait pas moins pour autant en voucitant et en fadacutant. Son stule ne le voucitait pas du
tout parce qu’il fadacitait trop à son palin malgré tous les stolets qui intéraient à contre
maladon. La filamentière ne tartanpilait plus pour lui depuis qu’il avait intéré pour le fourdre
dans la bise molle; heureusement que le bloufiquaire était musicoté et ne tilogandait pas la
lifourmeille du vivafier. Toujours est-il qu’il en était presque venu à regretter d’avoir
rencontré Véronique, un jour dont il ne se souvenait plus très bien (sans doute parce qu’il
avait trop bu). Ce qu’il regrettait le plus, en fait, c’était d’être tombé amoureux d’elle presque
instantanément. Il n’avait pas l’habitude de tomber amoureux aussi facilement. La typologie
est simplificatrice. Je suis bon, j’appartiens à la catégorie « bon pour la mine » et toi tu fais
partie de celle des mauvais, des bons à rien. Il nous est très facile et très utile de tout classer :
les Hommes, les choses, les concepts, etc. Cela nous permet d’y voir plus clair, de nous
repérer; en fait, c’est vital. Nous ne pouvons pas faire autre chose que de raisonner par
catégories. Il y a bien la systémique, le grand fourre-tout, alibi de la modernité et fondement
de la morale - pardon, de l’éthique - moderne. Mais je me fourvoie (et toi avec moi, tout
contre moi), la morale (chrétienne, bourgeoise, et cætera) a été balayée d’un revers de la main
depuis longtemps déjà par des hommes qui ont cru faire LA révolution. D’autres les ont
relayés; la relève est assurée, inutile de s’inquiéter. Tout change, à une vitesse extraordinaire;
c’est l’ère de l’interdépendance, de l’imbrication. Un homme et une femme ne forment qu’un
seul corps mais, comme tout évolue, les couples se forment et se déforment. Le couple formé
par Véronique - certains de ses amis l’appelaient Véro - et Tristan n’est sans doute pas de
ceux-là; tous deux, même s’ils ne se l’étaient jamais dit - se le diraient-ils jamais? Combien de
temps faudrait-il encore attendre pour que l’un des deux osât aborder le sujet? L’arrivée, le
parachutage de cet enfant n’était-il pas l’occasion rêvée pour tâter du goujon -, avaient
l’intention de passer le restant de leur vie ensemble, le plus longtemps possible évidemment.
Tristan pensait que seule la mort - sous quelque forme que ce fût - aurait raison de leur
couple. Tristan n’en demeurait pas moins perplexe devant cette paternité qui allait bientôt
l’embrasser. Il ne gardait pas un souvenir mémorable de son enfance. Ses parents avaient tout
fait pour le rendre heureux mais ils avaient oublié une seule chose qui eût pu lui faire
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réellement plaisir : lui donner un frère ou une sœur. Il n’avait pas non plus l’impression
d’avoir réussi sa vie, ou du moins pas au sens où l’entendait son père. Comment se
comporterait-il, lui, avec son enfant? Serait-il capable de le prendre dans ses bras, de lui parler
sans attendre, en retour, un message compréhensible? Il appréhendait moins les risques de
conflits toujours possibles - certains les estiment même nécessaires voire naturels - lorsque
l’enfant devient adolescent que le fait de se retrouver pendant les premières années avec
quelque chose qui lui échappât complètement. Il voulait se documenter, il se documenterait
sur tout ce processus, étalé dans le temps, qui fait du bébé un être conscient. Il avait informé
Véronique de son intention, elle s’en était félicitée et l’y avait même encouragé, insistant sur
la nécessité de bien préparer l’arrivée d’un enfant. Pour elle, celle-ci ne se cantonnait pas à
quelques détails matériels (les biberons, la layette, la chambre de l’enfant), au demeurant
importants. Il fallait aller au-delà des interrogations de l’instant, il fallait toujours anticiper
pour tenter de se protéger. Elle concevait l’anticipation comme le plus sûr moyen de se
protéger; elle ne se satisfaisait pas d’un degré d’incertitude trop important. L’incertitude
l’effrayait tout autant que les combats de boxe que Tristan aimait regarder à la télévision pour,
disait-il, rire du monde. Peut-être était-il un peu pervers. Tous les hommes sont des pervers se
disait-elle et, sans se pencher sur la relation des femmes à la perversité, elle se replongeait
dans des pensées plus pragmatiques, plus concrètes. La typologie est simplificatrice mais
proprement humaine; parfois, le réveil est difficile. Regarde et admire ce magnifique système
de femme. As-tu remarqué comme ses fesses sont rebondies? Il s’agit d’un système bien
délimité avec lequel j’aimerais bien dîner ce soir, histoire de l’analyser dans sa globalité et
dans toute sa complexité. Je pense à elle comme à un ensemble. Pour le moment, nos deux
ensembles (de désirs) sont séparés. Nos éléments respectifs sont-ils en bijection?
Certainement pas. Respectons la dignité de l’Homme ! Respectons le processus de
putréfaction; respectons les femmes également. Mon propos est typologique. Aujourd’hui
nous célébrons chaque jour l’avènement de l’action (de l’agir sans délectation dans la succion
? Fossile) mais nous oublions, volontairement ou non, que toute action se fonde sur une
typologie. Sans typologie nous sommes assurés de régresser. Comment? L’action, à tout bout
de champ, est , en effet, source de progrès. Elle permet de se sentir utile. Sans doute serait-il
intéressant d’effectuer une étude ayant pour objet la comparaison de la rentabilité respective
de l’opium et de l’action dans la perspective d’un mieux-être individualisé. Que peuvent nous
apporter des gens du bout du monde? Véronique n’en était pas encore arrivée au point de
vouloir réaliser ce type d’étude mais elle ressentait profondément le besoin d’agir réellement,
ce n’était pas sa grossesse qui l’en empêcherait. Agée de vingt-cinq ans - alors que Tristan
n’en avait que vingt-trois - comme nombre des jeunes de sa génération et de son origine, elle
avait poursuivi des études supérieures dans quelque grande école mais n’avait pas encore
réellement trouvé sa voie. Elle sentait ce besoin intense (à moins que ce ne fût un intense
besoin) de prendre une part active dans la vie de la société et dans son évolution. Cela ne
pouvait passer, semblait-il, que par une activité professionnelle. Restait à trouver la forme de
cet engagement. Elle voyait la société avec ses yeux de jeune femme à la sensibilité exacerbée
et croyait en la possibilité de rendre le monde meilleur. Tristan ne partageait pas cet
optimisme qu’il qualifiait de béat. Pour lui, l’optimisme devait toujours être tempéré par une
bonne dose de pessimisme, voire par un peu de cynisme. Il savait qu’en étant pessimiste on
pouvait s’attendre, parfois, à des surprises très agréables. Il ne comprenait d’ailleurs pas que
Véronique ne le rejoignît pas sur ce point parce qu’après tout il faisait preuve d’une certaine
prudence ce qui, apparemment, caractérisait davantage Véronique. Il se demandait souvent si,
chez lui, l’optimisme prévalait sur le pessimisme. En tout cas, son entourage le considérait
véritablement comme un optimiste-né. Il lui semblait que les données du problème étaient
beaucoup plus complexes que ce à quoi ses amis - et lui même en fin de compte - voulaient
bien le réduire. Il songeait à la nécessité de réduire, de simplifier les choses pour pouvoir
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avancer. Cette idée de réduction du réel l’intéressait plus particulièrement. On parlait, le plus
souvent, de simplification de la réalité. Ce concept, il avait dû le rencontrer pour la première
fois en classe de mathématiques, au collège. Il se souvenait toujours de cette époque avec une
certaine forme de nostalgie. Le concept de réduction dépassait largement, selon lui, celui de
simplification trop marqué, peut-être, par la mathématique. Réduire la réalité cela revenait,
grosso-modo, à envisager la réalité dans son ensemble et à la ramener à une construction
intellectuelle fondée sur des éléments moins nombreux. Comme pour toute construction, il
fallait des plans; ceux-ci étaient contenus dans son cerveau, le grand ordonnateur. La
simplification, elle, n’embrassait pas la réalité. Elle constituait le commencement et la fin,
indépendante de toute réalité, de toute vérité. Il s’était entretenu de ces sujets avec un ami qui
avait poursuivi des études de philosophie à la Sorbonne. Il ne manquait pas de souligner le
manque de pertinence de la définition de la simplification que lui proposait son ami Henri. Ce
dernier lui objectait qu’il ne voyait pas comment la simplification pouvait faire abstraction de
la réalité lors même qu’elle baignait dedans. Leurs conversations n’atteignaient jamais des
sommets philosophiques, tel n’était pas le but. Comme tout étudiant de son âge, il lui arrivait
de participer, au cours de soirées plus ou moins organisées, à des conversations passionnées
sur les thèmes les plus divers. Sous l’emprise de l’alcool, il était capable de développer des
idées plus intéressantes et plus pertinentes que celles de ses camarades, qu’ils soient ou non
sous l’emprise de quelque breuvage exotique. Les rapports qu’il entretenait avec ses amis
avaient subi quelques transformations. Tout à fait conscient de celles-ci, Tristan les attribuait
à son futur statut de père de famille. C’est bien le qualificatif qui convenait à sa nouvelle
situation. Même s’il vivait en concubinage avec Véronique, avoir un enfant cela ne signifiait
pas autre chose, pour lui, que fonder une famille. L’éventualité d’un mariage ne l’avait
effleuré qu’un instant, surtout pour des raisons pratiques qu’il se refusait de considérer
comme essentielles. De toute façon, Véronique partageait son point de vue. Devenir père.
Dorénavant, lorsqu’il marchait dans les rues, son attention se portait tout spécialement sur les
enfants, sur les bébés et sur les mamans ou sur les femmes qui accompagnaient des enfants et
qu’il assimilait à leurs mères. Il lui manquait sans doute encore une certaine forme d’intuition
qui lui aurait permis de faire le tri entre les mères et les autres femmes. Il était persuadé de ne
pouvoir l’acquérir que le jour où il deviendrait père pour la première fois de sa vie. Pourrait-il
être père plusieurs fois d’ailleurs? Et Véronique, pourrait-elle, après cet enfant auquel on
n’avait toujours pas trouvé de prénom, en vouloir un autre? Aurait-elle les capacités
physiologiques d’enfanter une seconde fois? Par quel miracle cela avait-il déjà bien pu - il
pensait comme si ce premier enfant était déjà né - arriver une première fois? Tenir son enfant
en laisse, quelle stupidité ! Sa morale. Maintenant qu’on avait dépassé les deux tiers de la
grossesse, tous deux se rapprochaient. Leur amour s’en était trouvé bouleversé. Cet enfant,
c’était en finir avec les habitudes qui s’étaient déjà bien ancrées dans leur vie commune.
N’allaient-ils pas les substituer par d’autres encore plus contraignantes? Leurs proches hormis les parents et la famille - ne voyaient pas d’un très bon œil l’arrivée d’un intrus qui,
fatalement, les éloignerait de Véronique et Tristan. Ces derniers assuraient qu’ils resteraient
toujours disponibles pour ces dîners interminables auxquels ils participaient toujours avec une
joie sincère. Ils concédaient volontiers que la première année serait sans doute assez difficile
(pourquoi la première année seulement?), il fallait bien un peu de temps pour s’organiser (une
année suffisait). Un bébé, cela prend beaucoup de temps. Certains s’empressaient d’ajouter :
et beaucoup d’argent. On leur prédisait de longues soirées, d’interminables soirées, à
s’occuper de l’enfant. Serait-ce un garçon ou une fille? Ils n’auraient plus le temps de sortir :
aller voir leurs amis, aller au cinéma, au théâtre; peut-être même qu’ils n’auraient plus autant
d’argent à consacrer aux activités dites culturelles. Leur budget en la matière n’était déjà pas
très élevé, qu’allait-il en rester? Véronique voulait un garçon, Tristan était indifférent. Aucun
des deux ne voulait connaître le sexe de l’enfant avant sa naissance; leurs parents ne les
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comprenaient pas, comment pouvaient-ils ignorer - ou feindre d’ignorer - une possibilité
offerte par la modernité? Connaître le sexe de l’enfant aurait permis de préparer au mieux
l’arrivée de l’enfant. Non, décidément, ils préféraient attendre le dernier moment. Véronique
souhaitait donc devenir la mère d’un petit garçon. Et si c’était une fille, qu’adviendrait-il de
l’enfant? Bien sûr, cela ne correspondait qu’à une préférence et, si elle devait donner
naissance à une fille - la substance étant venue de la gauche - elle l’aimerait tout autant. Le
fait de ne pas vouloir connaître le sexe de cet enfant avant son enfantement était peut-être lié à
ce souhait. Il ne l’était peut-être pas non plus. C’est du moins ce que Tristan était enclin à
penser. Il éprouvait les plus grandes difficultés à déterminer les facteurs (et leurs importances
respectives) qui conduisaient à des comportements ou qui auraient pu lui permettre
d’expliquer certaines (toutes?) les prises de position des gens qu’ils connaissait plus ou moins.
La personne qu’il connaissait le plus - et le mieux - était incontestablement Véronique.
Pourtant, Dieu sait s’il la connaissait mal; Dieu sait s’il se connaissait, lui-même, très mal.
Rien que pour cela il n’était certainement pas un philosophe car, comme il l’avait lu dans
Platon, Socrate définit (Socrate est intemporel) le philosophe comme quelqu’un qui se connaît
lui-même. Il avait pris conscience depuis bien longtemps - dans son échelle de temps cela
équivalait à quatre ou cinq ans - qu’il ne connaissait et qu’il ne connaîtrait sans doute jamais
personne; d’une certaine façon cela le minait. Il croisait tant de personnes dans les rues; il eût
été plus juste de dire qu’il croisait des visages, des mains, des pieds, ces éléments étant liés
entre eux par on ne sait quel enchantement. Et puis, il pensait également - ce qui constituait la
preuve du commencement d’une réflexion une peu approfondie sur ce sujet - à tous ces gens
qu’il ne croisait même pas et ne croiserait jamais. Certains habitaient dans l’immeuble d’à
côté, d’autres à Marseille, d’autres encore à Maidstone mais également en Afrique, en Asie,
au Groënland, en Amérique du sud. Au-delà d’un rayon de quelques centaines de kilomètres,
il se sentait obligé de parler de grands ensembles géopolitiques. Son rêve le plus fou ne se
réaliserait jamais; un rêve cela ne se réalise jamais. Il aurait voulu parler à chaque être
humain, dire à tous ces hommes et à toutes ces femmes combien il les aimait, au fond.
Combien il s’aimait bien. En même temps, il se sentait bien incapable de dire à chaque
personne qu’il aurait rencontrée qu’il l’aimait; il ne le disait même pas à celles qu’il
connaissait. S’était-il d’ailleurs déjà déclaré à quelqu’un? Oui, à Véronique; mais cela ne
comptait pas, cela n’avait rien à voir. A sa mère? Oui, évidemment - lorsqu’il était enfant et
encore inconscient de sa conscience inconsciente - mais là encore cela ne relevait pas du tout
du même sentiment. Il lui paraissait impossible de dire à un inconnu qu’il l’aimait, que, sans
lui, il n’existerait pas, que, sans lui, il ne serait jamais né; il aurait voulu l’en remercier car,
malgré tout, la vie le fascinait. Lui, étudiant de vingt-trois ans, bientôt père, était fasciné par la
vie de tout ce monde, de tous ces gens, de tous ces peuples. Qui l’aurait deviné? Parfois,
auprès des gens qui ne connaissaient de lui que les parties de son corps qu’il dévoilait ou qui
en demeuraient à une forme d’attitude qu’il tenait justement vis-à-vis d’eux, il passait pour un
hypocondriaque. Véronique ne vit jamais en lui un être terne et sans vie; c’est sans doute pour
cela qu’il l’aimait. Il ne croyait pas à cette théorie captieuse qui fait qu’à chaque être
correspond un unique autrui capable de former un couple avec le premier. Dans cette
perspective, il préférait que son rêve ne se réalisât pas sinon il aurait pu se retrouver devant un
choix cornélien une fois trouvée une seconde femme avec laquelle il aurait pu passer toute sa
vie. Si le cas se présentait, il se consolerait en arguant du fait que Véronique disposait au
moins d’un avantage déterminant : elle parlait la même langue que lui (il excluait ainsi la
possibilité de rencontrer une autre femme parlant le Français ce qui, de fait, ruinait tous ses
efforts pour faire de Véronique, en fin de compte, le femme de sa vie). Il était définitivement
conformiste. Il prit en compte l’histoire du couple qu’il formait avec Véronique depuis bientôt
cinq ans. Nulle autre femme ne pouvait revendiquer un tel acquis, là résidait la clef de son
histoire d’amour avec Véronique, elle était et demeurerait le femme qu’il avait choisie
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d’élever au rang de « femme de ma vie ». Avait-il quelqu’un dans sa vie? Oui, évidemment :
lui. Je suis dans ma vie et toi, tu entres - tu essaies d’entrer - dans la mienne. Moi, je me
contente de la mienne. Il se savait lui-même l’homme de la vie de Véronique et, pour
l’instant, cela suffisait à son bonheur. Comment qualifierait-elle alors l’enfant qui allait naître,
grandir, devenir, avec une probabilité d’environ un sur deux, un homme. Une femme ne
pouvait avoir deux hommes dans sa vie; il disposait, de toute façon, d’un peu de temps devant
lui avant que ce bébé, peut-être de sexe masculin, ne devînt un homme. Cela lui laissait le
temps de réfléchir. Ce n’est pas pour autant qu’il souhait avoir une fille; en effet, la situation
serait alors inversée et il demeurait incapable de déterminer les sentiments qu’il pourrait
éprouver envers sa fille. De tout cela, il n’en parlait jamais. Tellement de choses dont on ne
parle jamais. Sait-on jamais quelle pourrait être sa réaction à tel ou tel événement? Il admirait
tout particulièrement ces religieuses, quelle que fût leur congrégation, qui se dévouaient
entièrement aux pauvres et étaient toujours capables de dire « je t’aime » à n’importe qui. Il
était épris de préjugés. Etant jeune, il avait reçu une éducation catholique dont il s’était
affranchi petit à petit. Cependant, toute sa vie, toutes ses décisions fleuraient l’héritage
chrétien voire judéo-chrétien comme il se plaisait, de temps à autre, à le souligner. La plupart
de ses amis se trouvaient dans une situation analogue mais tous ne voulaient pas le
reconnaître. Ils essayaient de se débarrasser de toute influence liée à cette religion et certains
croyaient même y parvenir alors qu’il n’en était rien. Tristan constatait même que plus on
tentait de se défaire de cette éducation plus on en devenait dépendant, lui-même l’avait
expérimenté. Au fond, il reconnaissait volontiers être plutôt satisfait d’avoir été baptisé : être
un enfant de Dieu, être membre de l’Eglise (il y a toujours des membres qui fonctionnent
moins bien que d’autres), cela lui semblait remarquable. Le concept lui apparaissait comme
quelque chose de merveilleux, bien au-dessus de tout autre concept. D’un point de vue
esthétique, il s’agissait du seul véritable chef d’œuvre qui vaille; il n’en faisait aucun doute. Il
pensait ne plus croire en Dieu parce que sa raison avait pris le pas sur la part d’irrationnel
présente en lui. Il savait qu’il croyait son imagination sans limite alors que le propre d’une
personne gagnée par la foi est justement de n’avoir aucune imagination, ou encore, et pour
être, peut-être, plus précis, de disposer d’une imagination qu’elle sait plus ou moins étendue
mais qu’elle sait surtout limitée, condamnée à plus ou moins long terme et qui finit par
tourner en rond avant de se décomposer en même temps que l’être qui la constitue. Comme
nous l’avons déjà vu, Tristan aurait voulu embrasser le monde entier, connaître chaque être
vivant. Il se sentait dépassé par les événements car la mort faussait le jeu et ne lui laisserait
pas le temps de découvrir tous ces gens. En fait, elle le servait peut-être. En effet, il savait
qu’on évaluait à environ quatre-vingt milliards le nombre d’êtres humains étant nés des
origines à nos jours; la mort lui facilitait la tâche; tous étaient complices. Il y avait encore
autre chose qui le perturbait intellectuellement. Etait-il fou, schizophrène? Nous sommes tous
des schizophrènes. Il lui arrivait de le croire. Lorsqu’il s’attelait à quelque activité et que,
subitement, il marquait un temps d’arrêt ou de repos et se mettait à cogiter ou, lorsqu’il
pensait et, soudainement, s’en rendant compte a posteriori, digraissait; il se demandait parfois
ce que, au moment précis où il s’interrogeait, pouvaient bien faire tous les autres, ceux qu’il
connaissait un peu et ceux qu’il ne connaissait pas du tout (ne pas connaître du tout...). Il
éprouvait un mal fou à pouvoir se représenter des personnes inconnues exerçant une activité,
quelle qu’elle fût. Comme ses pérégrinations encéphaliques pouvaient le malmener ! Dans ces
moments de déstabilisation psychologique - car c’est bien ce dont il s’agissait - il se détachait
totalement de son corps, il évoluait et déambulait dans un monde autoritaire et sans pitié, celui
des idées. Il s’enfermait dans la sphère des idées mais il s’imposait ce châtiment presque
malgré lui, la tentation de l’expérimenter étant trop forte. Essayer de lutter contre cette
inclination revenait à se réduire au néant ce à quoi, de toute évidence, il ne pouvait se
résoudre parce que trop amoureux de son être. La différence entre les moments où il se
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retrouvait dans un tel état et ceux où il matait ses pensées était la même que celle pouvant
exister entre un anarchiste et un cénobite. Ses réflexions ontologiques ne l’emmenaient jamais
bien loin et rarement au-delà de ce dont Descartes avait fait état dans ces différents ouvrages.
Comme vous l’aurez noté, Tristan était typiquement dualiste. Tristan ne savait pas de quoi il
parlait; il ne savait pas non plus ce qu’il pensait, pourquoi il pensait, comment il pensait. Il
faisait une différence entre les choses du corps et celles de l’esprit; il ne croyait pas au
concept d’âme. Il existait une différence sensible entre la notion d’esprit et celle d’âme;
quelque part, il était très fier d’avoir pu l’appréhender. Il s’attardait également parfois sur les
notions de cœur et d’esprit. Il visitait leurs sensibilités. Le fait d’être dualiste faisait de lui un
individu terriblement normal, voire banal, et c’est ce dernier qualificatif qui le gênait parce
qu’il se voulait, malgré tout, différent des autres et sans doute supérieur à tous ces autres
individus qui l’entouraient. Il y a des êtres à qui l’on s’attache sans trop savoir pourquoi et il y
a des lieux communs que l’on aime à se répéter, sans doute pour se rassurer. Cher lecteur, je
ne voudrais pas vous importunez mais reconnaissez que je m’efforce de ne pas trop vous
éparpiller et que, de ce point de vue, je fais des progrès qui valent la peine d’être soulignés.
Non, je n’ai pas l’intention de vous perdre à nouveau (pas pour l’instant) et je doute,
d’ailleurs, que vous soyez encore nombreux; mais après avoir été moi-même victime de la
sélection naturelle, j’ai décidé, à mon tour, d’en reprendre les principes avec mon lectorat.
Sachez tout de même, et je vous laisserai alors en paix - je l’espère pour vous - avec votre
âme que tout ce que j’écris est faux, archi-faux comme... Revenons-en, si vous le permettez, à
ce jeune homme attachant sans quoi vous risqueriez de m’en tenir rigueur et... Tristan, un
dualiste? Oui, en effet. C’était un fardeau, plus particulièrement lorsqu’il était amené (est-on
jamais amené?) à s’entretenir de ce type de sujet avec son ami Henri. Il aimait bien Henri, il
lui enviait son savoir philosophique; ce sentiment était d’autant plus fort qu’il lui semblait
qu’Henri n’en fît pas bon usage. A sa place - il se mettait le plus rarement possible à la place
des gens parce que cela lui donnait la migraine - il aurait sûrement déjà écrit un livre. Bien
qu’il n’ait jamais été tenté par des études littéraires il avait bien ressenti une fois ou deux le
besoin d’écrire un roman ou, peut-être plus justement, des nouvelles. En effet, on écrit un
roman et, pour obtenir un poids équivalent, il faut écrire plusieurs nouvelles. Tristan, le cas
échéant, n’aurait voulu écrire qu’une ou deux nouvelles; cela était de toute évidence
largement insuffisant. Cela explique, en partie, ses atermoiements. Il n’avait pas, de plus, pour
le moment, suffisamment de temps à consacrer à l’écriture; bref, il n’était pas encore devenu
dépendant. L’idée de tenir un journal lui était également venue, cela aurait pu constituer un
début mais Véronique pratiquait déjà la chose; en faire un également procédait davantage, lui
semblait il, du plagiat que d’autre chose. Tristan affectionnait les moments durant lesquels il
oubliait son futur statut de père. Le fait d’accéder à la paternité allait-il le rendre plus libre?
Pour lui, tout avait toujours une conséquence. Cela voulait-il dire que tout avait une cause,
qu’il se comportait en déterministe? Il ne le pensait pas. Son ami Henri pourfendait ce qu’il
définissait comme l’ère de l’incohérence. Il ne dépassait jamais le stade de l’envie (de tuer).
Henry savait pertinemment que l’Homme est incohérent, il s’en félicitait même. Il affirmait
cependant que l’on devait tendre à davantage de cohérence et, en l’interrogeant un peu sur ce
qu’il entendait réellement, on découvrait qu’il établissait un lien étroit entre les notions de
cohérence et de conscience. Si l’Homme s’efforçait d’être bien plus conscient de ses actes et
de ses pensées - et là, cela se compliquait évidemment - il ne pouvait en résulter que des
comportements plus cohérents. Par-là, l’Homme serait devenu meilleur, toute l’humanité s’en
serait trouvée transformée. Il définissait ce bouleversement comme une révolution intime et
sans effusion de sang. Tristan demeurait difficile à convaincre; tout cela restait dans le flou et
il demeurait sceptique quant aux effets positifs espérés, d’autant qu’Henry n’avait encore
jamais défini ce qu’il considérait comme des effets positifs. Tristan remarquait, non sans à
propos, que l’incohérence des comportements humains contribuait pour une part très
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importante à la création de chefs d’œuvre. Peut-être fallait-il renoncer à l’esthétique - il lui
arrivait de passer du coq à l’âne - pour être meilleur? Pour sa part, Il n’y était pas du tout prêt.
C’est sur ce point que Tristan s’opposait avec le plus de véhémence à la « théorie d’Henry »
comme il la qualifiait de façon ironique. L’intéressé s’en rendait compte sans pour autant lui
en tenir grief. Tristan n’attribuait donc pas une grande importance au fait qu’Henry n’eût pas
défini ce que fût pour lui le Bien et le Mal - c’est bien de cela dont il s’agissait en fin de
compte (il faut toujours aller jusqu’au « fin de compte », cela aide) - car Tristan estimait
qu’une majorité écrasante des gens s’entendait, sur le fond, sur ce qu’étaient précisément le
Bien et le Mal. Au final, on n’avançait pas tellement et ce n’était pas pour déplaire à Henry;
Tristan s’en fichait, il allait bientôt devenir le père d’un superbe petit garçon ou d’une jolie
petite fille. Sa femme deviendrait mère et, plus tard, peut-être, grand-mère. Quel changement,
quel bouleversement dans sa vie, dans leurs vies. Ils avaient fini par s’habituer à vivre tous les
deux. Véronique aurait pu se faire avorter; ils n’envisagèrent jamais cette possibilité. Tristan
ne se comportait pas à proprement parler en déterministe, croyant davantage en la
conséquence qu’en la cause. Comment se peut-il? Chacune de ses attitudes impliquait un
certain nombre de conséquences pour lui et pour le reste du monde; il essayait d’envisager
toutes les conséquences pouvant résulter d’un certain comportement. Mais, lorsqu’il ne
pratiquait pas cette ascèse et, qu’a posteriori, il constatait une situation, il se trouvait bien
incapable d’envisager toutes les causes possibles, cela était à sens unique; il ne revenait
jamais en arrière. Son déterminisme à sens unique s’organisait toujours autour de lui; le
monde, dans son ensemble, n’était soumis à aucune forme de déterminisme, fût-elle à sens
unique. Beaucoup de ses amis trouvaient son raisonnement paradoxal; cela peut se
comprendre. Véronique, pour sa part, voyait les choses d’une façon tout à fait différente; elle
l’aimait. Tristan n’avait jusqu’alors jamais eu mal aux dents. Tristan pensait souvent - depuis
que le destin avait fait de lui un père en puissance - à ces enfants qui hurlent des jours et des
nuits durant parce qu’ils ont mal aux dents. En fait, lui aussi avait dû en passer par là, il avait
donc déjà eu mal aux dents. Tous les enfants, qu’ils soient noirs ou blancs, pleurent parce
qu’ils ont mal aux dents et tous les parents, qu’ils soient bons ou mauvais, qu’ils soient très
intelligents ou pas tellement, partageraient volontiers ces souffrances avec leurs enfants. Pan !
Pan ! Pan ! Tristan s’imaginait retomber en enfance avec l’arrivée de cet enfant. Il jouerait
aux petites voitures avec lui, il jouerait également au football mais il ne parvenait pas à
s’imaginer jouant à la poupée; peut-être Véronique pourrait-elle lui faire goûter à ces jeux
inconnus. Quel rôle occuperait-il dans l’éducation de cet enfant? Véronique lui donnerait-elle
le sein? Comment allaient-ils l’appeler? Si c’est une fille, cela sera Marie et si c’est un
garçon, cela sera Jean (si c’est un nain on l’appellera petit Jean, cela n’aura rien de péjoratif
mais il en restera marqué à vie). Comment langer un enfant? Allait-il le gifler (souvent)?
Gifle-t-on un petit garçon comme on gifle une petite fille? A quel âge faut-il se préoccuper de
l’éducation sexuelle des enfants? A quel âge faut-il préparer son testament? Faut-il oui ou non
réserver un emplacement au cimetière pour éviter des complications aux enfants? Pendant
combien de temps s’occupe-t-on de la tombe d’un parent? Faut-il se faire enterrer ou
incinérer? Faut-il se faire brûler ou se faire bouffer? Tout est question de temps, il y en a qui
n’ont pas le temps, même après la mort. Tristan se ferait enterrer. Et Véronique? Et Marie? Et
Jean? Et si c’était Marie avant Véronique? Et si c’était Véronique avant Tristan. Et si c’était
en même temps? Et si l’enfant était mort-né? Qu’est-ce que l’on donne à manger à un
nourrisson? A quel âge commence-t-on à marcher? Comme tu portes mal ton enfant ! Il
faudra l’emmener aux manèges pour lui montrer comme le monde est différent lorsqu’on a la
tête qui tourne. Qu’est-ce qu’il fera lorsqu’il sera grand? Voudra-t-il être pompier comme tous
les enfants? Que voulaient faire les enfants dans le temps, lorsque les pompiers n’existaient
pas? (Que voudront faire les enfants chinois une fois qu’ils seront devenus grands?) Les
enfants, dans un siècle, seront-ils tous conçus dans des éprouvettes? Combien faudra-t-il
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payer? Combien de temps cela va-t-il encore durer toutes ces histoires? Cela fait du bien
parfois. Tristan n’aimait pas la grossièreté mais, parfois, il lui arrivait de s’y adonner; il jurait.
Il ne jurait jamais. Tant d’autres questions que Tristan ne s’était pas encore posées; peut-être
Véronique y avait-elle songées. Fistucier, jagondin, galagondre, talsin, falou, valière,
armituble, plinuseur, fauchoir, verre à dent, étranglement, palimpseste en chantant, rescision,
charron, réquisitoire, chattemite, formalité, acroléïne, jouvence, prince, vodka, dogme,
domicile, calisteur, malitre, maroteur, galfraudir, plouraster, mirrer, kalkaler, fadoucir,
balinder, ferdre, cachindre, maloir, discontancer, dodeliner, grandir, maronner, parer, ramager.
Flapir l’aloupathe et effroter l’hitre. Jijanter une fiducelle et ourtir la filicratie. Alichater une
macie et hirdre l’ouvre. Avoir de la morue dans les yeux et se les moucher. C’est un vilain
crapaud. Ragréer un visage féminin de ses mains. La tempête a emporté un enfant, elle va le
maltraiter et puis l’abandonner sur quelque rivage, mort. La biologie est la science de la vie.
Le vin blanc est le secours de le science. Le vin blanc est diurétique, le thé également. Les
enfants sont si mignons lorsqu’ils sont petits. Une roseraie d’impériales nous barre le chemin.
Parfois Tristan délirait, au beau milieu d’une rue déserte ou dans une ruelle très encombrée. Et
si son enfant héritait de ce fardeau? Tristan, lorsqu’il était seul, chez lui, s’imaginait quelque
endroit extraordinaire ou tout à fait banal. Il s’agissait la plupart du temps de lieux où il n’était
encore jamais allé; il lui arrivait même de les fabriquer de toutes pièces. C’est dans ces
moments-là qu’une certaine forme de satisfaction l’envahissait. La vie l’avait conduit ici ou
là, ses envies ou son travail l’amenaient à visiter telle ou telle ville, telle ou telle région, à
rentrer dans tel ou tel immeuble, à pénétrer dans telle ou telle pièce. Son champ d’exploration
lui paraissait illimité. Chaque nouvel endroit découvert constituait une étape supplémentaire
dans sa conquête du monde, dans l’inventaire qu’il comptait en faire; en même temps, il
régulait lui-même ce besoin de conquérir le monde afin qu’il ne se transformât point en une
forme plus ou moins vertueuse de frénésie. Après chaque nouvelle place conquise, il faisait le
point, le soir, dans son lit, seul. Il s’estimait heureux de pouvoir afficher une place de plus à
son tableau de chasse. Ce qui l’exaltait au plus haut point c’était de penser à toutes ces
personnes qui s’étaient emparées bien avant lui des places qu’il avait lui même conquises
durant ces vingt-trois premières années ou qui ne connaîtraient jamais tel ou tel lieu dont lui
s’était rendu maître. Le fait est que bien des endroits lui restaient encore inconnus; la volonté
de vivre s’expliquait, sans doute en partie, par son besoin (sa curiosité?) d’accaparer le monde
entier, de le pénétrer tout entier. Tant de choses dont on ne parle jamais, même avec ses
meilleurs amis; tant de choses auxquelles on ne pense jamais; tant de choses auxquelles on ne
veut point réfléchir. Tout chez ce jeune homme fleurait bon la lucidité. Il entretenait avec les
lieux le même type de rapport qu’un Chrétien entretient avec les églises. Sa tâche se révélait
donc extrêmement ardue. Il percevait dans chaque édifice l’intelligence de l’Homme, non pas
de ce qui fait ou ne fait pas sa grandeur mais ce qui le différencie des autres êtres vivants. Une
porte seule ne l’aurait jamais émue; en revanche, la même porte dans un appartement vide, en
vente, repeint en blanc pour toucher une clientèle la plus large possible, suscitait en lui une
émotion intense. Celle-ci se muait lorsqu’il n’envisageait non plus la porte d’un édifice
particulier qu’il s’était approprié en le visitant - il ne rentrait jamais dans un magasin, dans un
appartement ou dans une gare mais il les visitait de sa présence en leur existence - mais
l’édifice tout entier; il suffoquait alors mais s’efforçait de n’en rien laisser paraître. Lorsqu’il
se retrouvait seul, il se laissait alors aller et tout son être-intérieur se trouvait en ébullition, nul
ne pouvait l’approcher sans le déranger, pas même Véronique. Beaucoup même, lorsqu’ils
s’adressaient à lui dans ces moments-là, parvenaient à l’offenser; il essayait de ne point réagir
aux attaques dont il était la victime. Son appropriation de la nature aboutissait à des effets
similaires. Tristan ne parvenait pas à s’expliquer ses attitudes et ses réactions par rapport au
monde, c’est sans doute pour cela que son probable futur statut de père lui pesait tant.
Pourtant, depuis le moment où Véronique lui avait annoncé qu’elle attendait un enfant -
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privilège de la mère et cause de tant de souffrances - dont il serait le père après en avoir été
l’un des géniteurs, il avait appris à accepter cette transformation profonde de sa vie qui
intervenait alors qu’il n’était encore qu’un simple étudiant, qu’un adolescent. Au fond de lui,
il se jugeait effectivement toujours comme un adolescent. Quitte à ne pas être un adulte statut qu’il n’enviait guère d’ailleurs - il aurait préféré se voir en enfant. La sexualité, sa
sexualité révélée, l’en empêchait. Il haïssait au plus haut point cette période charnière entre
l’enfance et le monde adulte, entre l’enfance et l’indépendance, entre l’enfance et la quasi
indépendance, entre l’enfance et la nonchalance, entre l’enfance et un simulacre
d’indépendance. Cet enfant allait l’aider à quitter ce monde de camaraderie plongé dans les
illusions et qui, régulièrement, a besoin de se révolter. Beaucoup de ses actes ou de ses
comportements prouvaient, s’il en avait été besoin, qu’il appartenait viscéralement à cette
catégorie. Tous ses amis en convenaient : Tristan ne s’estimait pas suffisamment; cette
remarque qu’ils lui adressaient régulièrement s’apparentait, en fait, à un reproche; ils
fustigeaient ainsi le défaut de Tristan qu’ils tenaient ouvertement pour le plus important :
Tristan ne se montrait pas assez reconnaissant envers ses amis, trop distant; il le reconnaissait
lui-même, bien qu’il ne considérât point ce défaut au même titre que ses amis. Avec
Véronique ses rapports étaient nettement plus limpides; dans les moments d’intimité, il se
livrait tout entier, à tel point qu’en y réfléchissant il se trouvait totalement dépouillé mais
également, dans ces instants-là, parfaitement heureux : c’était le plus important. A Marie et à
Jean, à Marie ou à Jean, il y pensait de plus en plus souvent; ils occupaient même maintenant
la majeure partie de ses journées. Il regrettait presque de ne pas être le futur père de jumeaux;
c’eût été, pourtant, en même temps, multiplier tous les risques par deux. Les problèmes de
coût liés à l’arrivée d’une troisième personne dans le ménage passaient souvent au second
plan. Ni Véronique ni Tristan ne travaillaient. Les premiers temps seraient difficiles, Tristan
en était conscient et il comptait bien sur l’aide des parents de Véronique et des siens.
Véronique voulait consacrer au moins deux années à l’éducation de son enfant; Tristan et
leurs parents respectifs l’approuvait. Cet enfant allait encore accroître la dépendance
financière de Véronique et Tristan par rapport à leurs familles. Tristan qui finissait ses études
d’ingénieur n’allait pas tarder à trouver un emploi et espérait bien gagner sa vie. Son avenir
professionnel demeurait, comme pour la plupart des étudiants de son âge, dans un flou certain.
Cependant son ambition dévorante le poussait à aller de l’avant et à entraîner la société dans
son sillage. La solitude, en fin de compte, ne lui réussissait guère car elle l’obligeait à réaliser
son autocritique qui débouchait toujours sur une remise en cause de la société beaucoup
moins féroce que la sienne propre. Est-ce le propre de tout égoïste ou seulement d’un altruiste
enterré ? On pourrait estimer, à juste titre, que ses manifestations freinaient son ambition. Au
milieu d’un groupe, en revanche, son ambition éclatait aux yeux de tous; il en avait au moins
pour quatre ou cinq personnes normalement constituées. Le rassemblement d’individus pose à
un moment ou un autre des problèmes d’organisation. Tristan se sentait capable d’organiser à
peu près n’importe quoi dans un cadre professionnel. Nous avons vu que ce n’était pas
vraiment le cas pour sa vie de couple. Toujours est-il qu’il aspirait aux plus hautes fonctions
dans les plus grandes entreprises car, en plus de sa capacité à mener des hommes, le fait
d’assumer des responsabilités de tout premier plan ne le désarçonnait pas du tout. Son objectif
en terme de carrière était donc tout à fait clair mais le parcours lui semblait moins évident et
c’est à cause de cela qu’il estimait son avenir plus ou moins incertain. Ce à quoi il croit. Il
croit être un individu libre d’aller et de venir comme bon lui semble dans le passé et l’avenir.
Il est libre, en effet, de brailler au milieu d’un concert de musique sacrée. La liberté
transfigure l’homme qui ne sait pas toujours qu’il en est, certes, le garant mais également le
gérant. L’Homme n’est ni naturellement bon ou méchant mais naturellement libre et c’est la
liberté de chaque individu qui corrompt la société. L’important avec les illusions, c’est de les
tuer dans l’œuf mais de bien prendre soin d’épargner quelques germes sans quoi cela
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s’appelle de l’auto-destruction et Tristan ne la pratique pas. La liberté ne réside pas dans la
possibilité de tout faire car elle serait alors illusoire mais dans la contrainte d’envisager un
ensemble de possibles à partir desquels on procède à une sélection plus ou moins consciente
et plus ou moins déterminée. Il existe en effet un lien entre l’état de conscience d’un individu
et sa sensibilité à un pseudo-déterminisme qu’il n’a jamais cherché à expliquer. Il croit que
Véronique l’aime, qu’il aime Véronique et qu’il s’aime. Il croit également que Véronique va
enfanter et qu’il se prépare à devenir le père de cet enfant. Il croit que le concept d’un produit
fait partie intégrante de ce dernier et qu’il n’est donc pas dissociable du produit; il établit,
pour bien se faire comprendre, un parallèle avec l’être humain, par nature corporel, mais
disposant d’un esprit lui-même indissociable du corps; il oublie qu’un produit peut être
dupliqué à l’infini (ou presque). Cette comparaison est peut-être en avance sur son temps. Il
croit en l’autonomie de ce qu’il appelle l’esprit par rapport au corps. Souvent, au volant de sa
voiture, il lui est arrivé d’avoir la tête ailleurs et de négocier en même temps une courbe;
rétrospectivement cela lui donne froid dans le dos mais, paradoxalement, cela le rassure de se
savoir si supérieur à l’animal et de prendre conscience que l’Homme n’est pas qu’un animal
qui pense. L’Homme n’est pas un animal qui, pour accroître ses possibilités de déplacement,
aurait adopté la station verticale, ce qui aurait permis le développement de son cerveau. Il
croit être plus grand que Véronique parce qu’à maintes reprises il a pu le constater. Il croit
que la société de consommation a encore de beaux jours devant elle et, qu’aujourd’hui, les
pays en voie de développement ont intérêt à suivre le modèle des pays riches mais que, d’ici
un siècle, un autre type de société risque d’émerger; il faut déjà s’y préparer. Il ne croit pas en
la résurrection pas plus qu’en la métempsycose ou en l’astrologie. Il ne croit pas non plus que
l’espèce humaine se rapproche de son extinction; d’ici cinquante à soixante ans, il le croira
peut-être. Il ne croit pas que ses parents ont eu un rôle primordial, une influence considérable
sur ce qu’il est devenu et sur ce qu’il deviendra. Il ne croit pas être un fils de la Bible. Et il
croit tout ce qu’il ne croit pas. La pluie tombe et son regard est triste parce qu’il n’est pas de
ce monde; le sien est plus gai, il ne pleure jamais. Il pleut et la terre est féconde, la sienne est
aride, on y meurt. Un monde sans pluie est un monde sans vague. Un monde sans pluie est un
monde qui ne vieillit pas. Un monde sans pluie ne meurt pas. Un mariage pluvieux est un
mariage heureux parce que la mort guette, sournoise. S’il ne pleut plus, ce n’est pas la peine
de vivre à deux. Il ne croit pas que, d’ici à un siècle, chaque jour, le nombre de morts
dépassera celui des naissances parce que le meurtre sera devenu un droit inaliénable de
l’individu. Il croit que c’est le soleil qui tourne autour de la Terre et non l’inverse de même
qu’il est tout à fait certain de l’existence d’autres formes de vie dans l’univers, probablement
différentes de l’espèce humaine. Il ne craint point les extra-terrestres, ils aimerait pouvoir les
approcher et essayer de communiquer avec eux pour leur dire que l’Homme est bon et que la
vie est merveilleuse parce qu’il attend un enfant. Tristan se substituait presque à Véronique
assurant, devant tous ces amis, qu’il attendait un enfant. Véronique le trouvait encore plus
séduisant. Il savait que son charme s’était révélé comme son meilleur atout dans la conquête
de Véronique. Ils s’étaient rencontrés à l’occasion d’une soirée; ils avaient un peu bu et
s’étaient séduits. Avant de connaître Véronique, Tristan s’attachait à séduire toutes les filles
lui paraissant digne d’intérêt. De telles personnes ne pouvaient être ni laides ni idiotes, il
fallait seulement qu’elles l’attirassent davantage qu’elles ne le repoussassent. Malgré ce que
l’on aurait pu croire, elles étaient légion. Son attirance envers une représentante du sexe faible
reposait-elle sur des critères purement sexuels? Il se savait sensible, par exemple, à une
poitrine légèrement disproportionnée par rapport au fessier. Il ne réduisait pas tout au sexe;
lui-même s’estimait être bien autre chose qu’une verge en érection. Il se demandait parfois
comment pouvait fonctionner un homosexuel et il trouvait son interrogation légitime puisqu’il
examinait souvent sa propre situation - son propre statut ? - d’hétérosexuel. Devant Véronique
il ne se sentait pas du tout honteux de se déshabiller. Avant elle, il avait eu quelques
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expériences qui s’étaient soldées par autant d’échecs; il souhaitait établir une relation durable
avec une femme. Avec les autres, son don était purement sexuel et cela ne lui suffisait pas; il
enviait les hommes capables de se satisfaire de ce type de relation parce qu’il les imaginait
beaucoup plus libre que lui. Aurait-il quelques aventures? Véronique le comblait. Il ne s’était
jamais éloigné d’elle; il ne voulait pas s’éloigner d’eux. Il aimait regarder les belles filles en
jupes courtes, il ne s’en cachait pas. Seulement, personne n’aurait imaginé qu’il utilisait tous
les subterfuges pour pouvoir apercevoir leurs culottes. Il savait se montrer discret; les autres
femmes n’étaient que des objets sexuels. Trop nombreux sont ceux qui ne se doutent de rien.
Tristan se savait un assassin en puissance; nous sommes tous des assassins en puissance. Qui
sont tous ces gens qui se montrent extrêmement surpris par les activités lubriques de leurs
voisins? Où vont-ils en vacances? Comment occupent-ils leur temps libre? A quoi pensent-ils
lorsqu’ils font l’amour? Sont-ils entièrement concentrés sur leur sujet? S’arrêtent-ils en plein
milieu du va et vient? Ne se sont-ils jamais trouvé dans la situation d’un homme tenté par le
vol? Pauvres gens qui ne vont pas au fond des choses et qui ne s’y prélassent donc pas
quelques instants avant de revenir au monde. Tristan aimait voyager mais les moyens
financiers dont ils disposaient, avec Véronique, ne leur permettaient guère de réaliser de
nombreux déplacements. Ils essayaient de découvrir à la fois des pays étrangers et les régions
françaises qu’ils connaissaient peu. Il maîtrisait la géographie française dans les grandes
lignes mais ignorait pratiquement tout des grandes traditions et de la culture des régions. Il
pensait que le meilleur moyen de les découvrir était de se rendre sur place. Chaque fois qu’il
visitait une région pour la première fois, il avait l’impression de se sentir plus libre qu’à Paris
ou que dans sa région d’origine. Il éprouvait un profond sentiment de respect vis-à-vis des
autochtones et, par exemple, il prenait davantage de temps avant de réagir à des
comportements qu’il estimait ne pas être les bons; habituellement, il intervenait très
facilement pour montrer sa réprobation ou pour faire des remarques plus ou moins acerbes
que ses interlocuteurs d’un court instant ne comprenaient que très rarement. De façon très
naturelle, Tristan, avec les jeunes femmes, avait toujours le sel attique et beaucoup, même de
celles qu’il n’avait pas du tout envie de séduire, se délectaient de sa compagnie lors des
soirées auxquelles il se rendait avec Véronique. Tout cela allait changer comme le lui avaient
fait remarquer leurs meilleurs amis. L’arrivée de l’enfant devait tout bouleverser. Lorsque
l’on fait un premier enfant on ne peut qu’essayer d’en avoir un second à plus ou moins longue
échéance. Pour Véronique et Tristan, un enfant unique ne pouvait que souffrir de l’absence
d’un frère ou d’une sœur et, généralement, d’après ce qu’ils avaient pu observer autour d’eux,
ces enfants tournaient assez mal. Ce statut d’enfant unique entraînait presque
automatiquement, à l’âge adulte, une forme d’égocentrisme caractéristique. Parfois Ils
pensaient également aux conséquences que pourraient avoir la disparition de l’un d’eux.
Tristan assurait qu’un garçon privé de l’autorité paternelle ne pouvait être qu’une lavette
(auquel cas le fils de ce garçon avait de fortes chances d’en être une lui-même). Il n’avait par
contre d’avis ni sur les conséquences de l’absence d’un père pour une fille ni sur l’absence
d’une mère soit pour une fille soit pour un garçon. Il semble que Véronique et Tristan ne se
posaient guère les questions que de futurs parents (normaux) auraient pu se poser dans
pareille situation. Tristan se demandait souvent, d’ailleurs, s’il était tout à fait normal. S’il
estimait que ce n’était pas le cas, il voyait très mal comment il pourrait se révéler un père
normal et, par là même, former avec Véronique, un couple de parent normal. Il se sentait
souvent anormal et cela le gênait. Jamais il n’essayait de tirer quelque sentiment de supériorité
par rapport à ses congénères. Il avait appris à marcher et à parler beaucoup plus tôt que tous
ses petits camarades. Toute sa logique, ou du moins une grande partie, était fondée sur le
concept de moyenne. Ses études, sans la statistique, perdaient entièrement leur raison d’être.
C’est seulement dans l’intimité qu’il ne se montrait pas réduit à penser qu’en fonction de la
moyenne. Et encore ! Il souffrait en fait de ne pas se considérer lui-même comme un être
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moyen; le concept de moyenne avait donc également envahi son intimité. Parfois il reprenait
espoir. Il se souvenait qu’une bonne partie de notre perception de l’espace repose sur le
postulat euclidien selon lequel par un point donné de l’espace il ne passe qu’une droite
strictement parallèle à une autre; dans ce postulat fondateur il ne voyait rien qui puisse le
rapprocher de la notion de moyenne (il se demandait - il pensait être le premier à y avoir
songé mais il ignorait que Diogène Laërce l’avait sans doute envisagé avant lui - si à deux
éléments de l’ensemble des nombres réels compris entre zéro et un tels que leur somme fût
égale à un et à laquelle on aurait retranché l’un des deux nombres on retrouvait exactement le
complément de l’autre et réciproquement). Il ne savait pas si des recherches avaient été
entreprises à partir de cette idée qui lui semblait aussi révolutionnaire et novatrice que celle
consistant à affirmer que par un point de l’espace et par rapport à une droite donnée il ne
puisse passer aucune droite parallèle à la première ou bien - et il ne savait laquelle des
propositions étaient la plus déraisonnable - une infinité de droites, toutes parallèles à la
première. Il aimait les mathématiques et ne comprenait pas pourquoi cette matière suscitait
souvent tant d’appréhension aussi bien chez les élèves que chez les parents. Tristan se jugeait
désespérément raisonnable. S’il se disait athée, c’était parce que son esprit était absolument et
définitivement fermé à toute forme de déraison. Il considérait toute forme de croyance comme
une preuve de folie. Il se montrait tout à fait hostile à toute assertion non issue d’un
raisonnement logique. Certaines manifestations de sa propre folie poignaient parfois dans ses
études ou dans sa vie intime - il n’osait pas encore parler de sa vie familiale et se demandait
s’il oserait un jour - mais, généralement, il se ressaisissait rapidement. Il ne voulait pas se
laisser envahir par elle car, pour lui, elle n’était jamais qu’un premier pas vers la dépression.
Tristan la craignait. Il craignait par dessus tout la chiasse.
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Qu’est-ce que la vie? Chaque matin, j’ai l’impression de sortir de tombe. Il lui faut faire des
efforts surhumains pour continuer de vivre. Une main s’est tendue dans la nuit pour demander
un bout de pain. L’espèce humaine poursuit son chemin. Vous l’aimez, sans doute, mais pour
combien de temps encore? J’ai envie de fonder un foyer et de m’installer à la campagne pour
entendre les chants des oiseaux, le matin, en sortant de tombe. Quelle récompense peut-on
espérer? C’est la fin des vacances, il faut tout remballer. Le changement m’irrite et la
monotonie m’exaspère. Je ne vis que de différences et je croîs sur des différends. Une plus
grande compassion n’y changerait rien. Comment pourrais-je vous convaincre et, d’ailleurs,
pourquoi devrais-je le faire? Nous essayons de nous aimer mais nous n’y arrivons jamais
parce que je suis trop fier, parce que je suis égoïste parce que je suis athée et de sexe et du
putain d’être et du cœur et des cieux. Je ne sais vivre que seul et vous ne me croyez point
lorsque je vous assure détester les simagrées. Une sorte de frénésie te gagne et tu t’enfermes
dans un mutisme productif. Tu hais toute convention et tu te délectes dans la fange. Moi aussi.
N’oublie pas notre serment de fidélité scellé dans les pires difficultés; malgré l’amélioration
de nos situations respectives, nous devons l’honorer. Un homme mange à sa faim seulement
lorsqu’il sait que d’autres meurent de faim. La beauté naît de l’horreur, de l’opposition, mais
l’horreur ne peut jamais engendrer une quelconque forme de beauté. Et si la beauté est source
de beauté, ce n’est jamais que par le plus grand des hasards. Tu ne me connais pas et,
pourtant, tu as tout essayé pour parvenir à mieux me cerner; tu aurais aimé pouvoir t’immiscer
dans ma vie afin de la rendre plus attrayante; tu pensais en être capable. Quelle présomption !
Tu es le seul être qui compte dans ma vie, dans la vie. Toute autre créature peut bien
disparaître, je n’en ferai pas de cas, pourvu que tu puisses continuer de vivre. Je n’ai pas de
regret, je ne regrette rien. Je n’aspire à aucune fonction particulière parce que je ne crois pas
en la raison. Tous mes efforts pour devenir un être raisonnable sont vains, je n’y comprends
rien. A toi et à moi, à corps et à cris. Il faut tourner la page des nuits passées à attendre, et le
pli de la mort disparaîtra. La vie n’est pas celle que l’on croit ni celle que l’on croise dans les
rues, chaque jour de nos élucubrations ténébreuses; il s’en est fallu de peu pour qu’un homme
sans vergogne ne me pende haut et court. Un
poème sur le lit :
Allongé sur le lit
Allongée sur le lit
Allongée sur mon
I
Je ris et je jouis
Elle rit et elle jouit
Ils pleurent dans la nuit.
A la source du dépit coule des désirs contrits et des souhaits de mari comblé. Une fois dans
ma vie il me faudra reprendre l’ouvrage de rires infinis.
L’appareil aspire
vies remplies,
soirées d’automne,
ventres dodus et comédies bouffonnes
mais nos cœurs ne sont point aigris car il n’existe que peu d’instants bénis par la fleur de
l’oubli qui se fane à l’ombre de nos préjugés. Jamais plus la fange ne s’égosillera en cris
perdus dans la foule que j’accapare. Il suinte presque continuellement des chants sacrés parce
qu’il veut sauver des mondes entiers. Plongeons dans l’éloge funèbre d’un avenir sans
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histoire. Il est grand temps - prisonniers de hautes montagnes - de repartir à l’assaut de la
masure et de nous évader des tertres funéraires qui surplombent l’ennui. De la tristesse en
particulier et de la joie en filigrane; j’y pense et j’y crois quoi qu’il m’arrive, quoi qu’il en soit
et quoi qu’il advienne. Je pense autour de moi et tu penses à toi sans me voir dans ton miroir
d’encens qui ne se brise pas. Tu facilites nos échanges en chevauchant ma colonne vertébrale
car je me courbe et suis à même de lécher les traces que mes prédécesseurs ont laissées sur le
sol. Je vous observe, vous êtes les miroirs ardents qui enflamment mon cœur, vous êtes des
miroirs ardents pour une éternité durant. Penser réussir à oublier et ne pas se répéter. Ne pas
se répéter. NE JAMAIS SE REPETER. En avoir assez. Un brouillon que l’on ne finit pas; le
travail d’une vie entière, inachevé et délabré à force d’être manipulé. A la messe nous irons
danser, de joyeuses complaintes nous chanterons. Le désert s’étend à perte de vue, il n’en faut
pas davantage pour le rendre affable. Le désert; un monde de sable s’offre à moi. Des grains
que l’on visite, des grains qui fuient, et des monticules d’émail de sang. Le désert s’éveille et
les pas lents des voyageurs égarés résonnent dans la cage d’un albatros empaillé. Une feuille
morte sur laquelle des milliers de pieds passent et repassent, quand cesseront-ils? Ils n’ont pas
compris que la terre, le feu, l’eau et l’air ne constituent pas un mélange équimoléculaire. Ta
bite en cire et mon pénis en sang. A votre suite je veux me pendre pour que vous me traîniez
sur les chemins perdus de votre activisme frénétique. La politique que vous prônez - ne vous
méprenez point - ne changera que la surface des tics ataviques. Moi, la politique, je la crains;
elle fond dans mes mains trop brûlantes d’espoirs futiles. Qu’en sera-t-il de la veuve et de
l’orphelin dans les limbes de nos illusions? Je vois le Christ qui revient, il me tend la main :
« Donne-moi ta main et tu seras sauvé »; malheureusement, on m’a appris à me méfier des
messieurs qui tendent leurs mains à des enfants crédules. Des voix crécelles qui transpercent
mes tympans, est-ce permis de martyriser les gens? Crécerelles qui stationnent sur des platesformes, reliquats de villes détruites, et attendent des rats qui n’en reviennent pas. Revenez
donc parmi nous, ne vous éloignez pas de la maison ou les adultes pratiquent la fellation et le
cunnilingus sur des mets exquis. Cette histoire qui suit, ne la racontez pas. Je vous en supplie.
Il s’agit d’un jeune homme à qui l’on scie un bras. Pris en flagrant délit d’adultère dans un
pays que personne ne connaît, il se retrouva devant les autorités militaires d’un pays en
guerre. A tricher sans raison on triomphe sans savoir. Le chef de la junte, un homme fort
respectable, édicta un règlement à la mesure du délit; la décision fut prise à l’unanimité de la
représentation poutchiste et l’on voulut punir à titre d’exemple. Le jeune homme, exemplaire
lui aussi, ne cria même pas et, faute d’avoir deux bras, il n’en eut plus qu’un. Tu voudrais
façonner les âmes comme tu façonnes les cœurs mais tu n’y parviens pas; il est temps de
passer à autre chose, de changer de registre de cordes vocales. Ô fleur flétrie, je t’ai attendue
toute l’année pour qu’au seuil du nouveau commencement je puisse justifier de mes délires
primaux. Une pause pour titiller l’instant, une pause pour remplir le temps, une pause pour se
jouer des vivants, moi qui ne suis qu’un être de trop. Tout arrêter pour ne plus être tenté et
pour apprécier, dès le recommencement, la splendide tentation de fuir. Se laisser emporter par
le tourbillon des idées; des I.D. plein la tête et des sourires sur des visages figés. Non, le
progrès ne tue pas l’argent. Non, le progrès ne tue pas l’argent. NON, LE PROGRES NE
TUE PAS L’ARGENT. C’est une idée fausse qu’il faut combattre. Je suis un combattant, je
me bats contre les idées, c’est pourquoi, jamais, vous ne me verrez défiler. J’évolue dans la
pénombre de mon logis et je vois tout sous un jour différent. A force de taltissier les
madarhômes de son falstucier qui badinque dans la gibucelle des fourtres mal fondés je
n’entiche plus de ma moure ces ritunances atanyques. Voledons à pertes et à gains du kalatia
de nos visunes duphaliques. La phune de nos hivres se rapeille de blandins tuniers et je
croâsse encore. L’habitude se mange-t-elle? J’ai l’habitude de me lever chaque matin. J’ai
l’habitude d’aimer ces mains et ces pieds. J’ai l’habitude de me cacher derrière des simagrées
et de me moquer de tous ceux que je déteste. « A l’habitude de » celui qui ne se voit pas et ne
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s’apitoie pas sur son sort. J’irai au bout du monde pour voir si j’y suis aussi et essayer de te
découvrir. Où est le bout du monde? Ils sont sûrement très nombreux. Où sont les bouts du
monde? Je voudrais étirer ce monde dans tous les sens pour le faire souffrir et lui rendre le
centuple de ce que j’endure. Quelle forme aurait-il après ce traitement? Qui le reconnaîtrait?
Je ne sais pas nager, je vais me noyer. Bientôt, on fêtera les deux mille ans de la pilule (déjà
vingt ans que l’on ne fait plus d’enfants comme avant). Qu’est-ce que l’habitude? Je ne crois
pas aux nuits féériques. J’ai passé l’âge de jouer au train électrique et l’ours de peluche de
mes nuits d’enfant hante toujours mes cauchemars. Je n’ai pas froid aux yeux, et je suis
frileux. A l’arrière de mes souvenirs froissés s’entassent des hallucinations visitées par la
mort. Et je dérive. Fallait-il manger la pomme? Et moi dans tout cela? Et vous, comment
allez-vous? Bien, comme moi. Il aurait fallu éviter de s’étendre sur ce banc blanc, cela porte
malheur. Fuyez les fascinations, vous éviterez les illusions. Il n’est de propos que puériles et
d’instants que fragiles. Arrivé au bout du monde, que m’arrivera-t-il? Le bout du monde est ce
néant présent en chacun de nous et qui gagne chaque instant du terrain. Le bout du monde
paraît si loin. La terre à cultiver, qu’il faut malaxer pour former des êtres à notre image; tous
se dissolvent. La plus grande conquête de l’homme c’est la guerre. La plus grande misère de
l’homme c’est la guerre. La plus grande aporie de l’homme c’est la liberté. « Les hommes
naissent et demeurent libres et égaux en droit ». De la contamination du tout par une partie (et
réciproquement) : tel est l’énoncé de ma vie. A charge de revanche ! Toujours, toujours la
liberté. Pourquoi parle-t-on toujours d’origine de l’humanité et jamais de fondement? La
flottille s’engagea dans le détroit et l’océan se referma sur elle. Du triomphe de la médecine
dans le monde moderne. La rapine. Nous ne savons plus accueillir la mort; apprenons à
apprendre. La plus grande dextérité est nécessaire pour explorer une femme. Les femmes sont
moins obsédées que les hommes qui focalisent leur attention sur les jambes, les fesses, les
seins... Les femmes, elles, se jettent sur nos mains, nos yeux; elles s’approprient nos regards
et, bien entendu, cela n’a absolument rien de sexuel. Mon sexe au fond du sien, immobile.
Mon pénis au fond de son cul, immobile. C’est ainsi que nous vivons, c’est ainsi que nous
mourrons. Nous sommes inséparables. Ma vie s’est perdue au fond de son vagin; j’ai cessé
d’être pour l’éternité. Elle se glisse sous les draps, le corps couché auprès d’elle est celui d’un
mort; mon corps est aussi froid que celui d’un mort. Je ne suis pas comme vous, je suis
différent. Je veux me marier avec une femme noire sachant jouer du piano. La marche funèbre
résonne encore dans ce palais de sang, dans ce sanctuaire de larmes. Qu’il est beau ce sourire,
un petit air de fête dans la tempête. Une fois le couvercle des douleurs refermé sur les pleurs,
les femmes se donnent à d’autres visages rabougris par les années d’attente. Elles ne font que
ça : se vendre et attendre. Et les hommes, assoiffés d’esbroufe et de frivolité, s’allongent sur
les taras de la conscience vaincue. Un air de printemps qui virevolte dans le temps, un air de
froment qui annonce la récolte, celle des années d’innocence que l’on arrache des cœurs
d’enfants. Un air sincère qui ne s’en cache point, un air frisquet qui pénètre nos viscères
d’orang-outan. Nos rictus nous sauveront-ils de l’hébétude fatale? nous permettront-ils
d’effacer les traces de la guerre intestine que se livrent les êtres qui s’aiment? L’amour nous
abrite sous son parapluie transparent et nous offre ainsi le spectacle débile de la vie. Marchons
sur les sables mouvants qui s’enfoncent sous le poids de nos carcasses alourdies par nos
convictions. La terre s’arrête quelque part, à l’ouest de ces sables mouvants, au nord de nos
tourments. Comme la vie m’enivre de ses sables mouvants ! J’ai marché toutes les nuits de
mes vies successives, parfois je rencontrais quelque compagnon pour m’accompagner sur les
routes qui bordent mes rêves d’adolescent. Oui, moi aussi je suis passé par cet âge ingrat. Moi
aussi, j’ai voulu transformer, de la cave au grenier, cette maison de l’humanité, mais j’étais
stérile. Il se précipite sur la dépouille de sa femme définitivement frigide. Des relents
d’amertume ternie par la volonté de survivre l’empêchent d’en finir sur le champ. J’aimais la
vie et l’argent, pas les femmes. Il vénère la vie et les femmes, pas l’argent. Le premier est
61
misanthrope et le second philanthrope; tous deux sont mes amis mais, dans l’intimité, ce sont
mes ennemis. Ce qui rend morne la vie d’un minable c’est de n’avoir que des adversaires et
aucun ennemi (et vice versa). Funambules des estuaires sacrés, ils vénèrent des dieux insensés
et fondent d’extase devant les manifestations incertaines des maléfices divins. Qu’est-ce que
la paix? Une momie. A mort révolutionnaires et tortionnaires ! Vive les beaux parleurs ! A
bas les beaux parleurs ! Vive les hypocondriaques silencieux ! Je m’exprime comme
quelqu’un qui ne croit pas? Pardonnez-moi. Je m’apparente au sel de mer : on peut me
côtoyer sans soupçonner mon existence et, si l’on me goûte - volontairement ou non - on est
vite dégoûté. Je suis bien plus qu’un peu de sel de mer, je suis la mer. L’homme qui marche
tranquillement dans la rue et celui qui viole une femme au coin d’une rue, sont-ce les mêmes?
Est-ce moi ? Je crains que oui. Avez-vous déjà eu envie de tuer un homme? Avez-vous déjà
eu envie de violer une femme? La différence entre la possibilité et l’envie réside dans le fait
que la possibilité n’est pas forcément réalisée (elle n’est qu’envisagée) alors que l’envie l’est
toujours. Avoir des possibles c’est être libre, avoir des envies c’est être soumis. C’est lorsque
l’on a plus que des envies (ou que des « je n’ai pas envie de ») que l’on bascule dans l’abject.
Mieux vaut ne pas développer car nous nous apercevrions que tout cela est faux. Aux sources
de l’éternité, je bois les eaux de la mort.
Dans tes yeux se perdent :
les chants des enfants
les chacals hurlant
les grabataires vociférant
contre leurs parents
mais aussi
une lance d’argent
les placebos du temps
les marâtres du vent
et encore
les puceaux fiévreux
les incantations immanentes
les couleurs ternies
les visages glabres
les découvertes macabres
Dans ta bouche se perdent :
le goût de l’argent
toutes les substances spongieuses
les êtres de chair et de sang
Mes désirs sont la proie de tes épanchements, ô sphex grabataire.
Je me dilate au gré de tes sauts d’humeurs et me soumets à tes exigences croissantes; je me
déforme sous le poids de mes responsabilités. Je recherche la compagnie des chiens parce
qu’ils me permettent de me transcender. Je recherche la compagnie des humains parce qu’ils
me permettent de m’admirer. Tout le monde ne peut pas être un génie, une longue maturation
est nécessaire. La fornication. Je m’en vais. Ne reviens jamais. J’y compte bien. Comment
t’appelles-tu? Où habites-tu? Je me nourris de terre. J’habite un tertre. J’habite les rigoles de
sang. Je voyage sans argent. Je voyage dans le vent. Je ne reviens pas souvent. Je suis bien,
ailleurs. Tu resplendis chaque jour davantage. Comment ai-je pu t’aimer hier? Le désert, le
sable. Les dunes. Les sédentaires. Le dromadaire. Le dôme à l’air. Le ventre à terre. Puis-je
me pencher en avant sans tomber, la tête la première? La première fois que l’on ment en riant.
La dernière fois que l’on meure en riant. Je suis mort si souvent. J’aperçois le fondement du
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monde, c’est un volcan. Tout vient du trou, de l’abîme : le monde jaillit du trou noir, l’enfant
se développe dans une fosse, le désespoir dans l’encéphale et la mort dans mon corps. Ce dont
je suis capable. Ce dont vous êtes capable ! Une seule exception : le plaisir, qui naît dans un
couloir. Dieu, prends-moi sous ton ombrelle ! Un ventriloque que l’on pend. Une paysanne en
culottes courtes. Ses jambes sont fines, n’en déplaise aux vilains. Les maladies résident en des
lieux où l’amour ne peut que rester au pas de la porte. Bien sûr, cela ne fut pas facile la
première fois. Bien sûr, j’aurais aimé pouvoir recommencer. Bien sûr, je ne te laisserai jamais
tomber. Bien sûr, c’est évident. Bien sûr, je ne m’y attendais pas. Bien sûr, il faudra tout
refaire. En êtes-vous bien sûr? Dialogue impossible. Une femme me dit : « Sois un peu
enthousiaste ! ». Est-ce que je la prie de se taire lorsqu’elle m’importune? J’ai trop marché, je
suis fatigué; fatigué d’écraser les bouteilles en plastique, fatigué de me regarder dans un
miroir, fatigué d’affronter le blizzard. Un bébé dans une poussette, n’ayant pour seul horizon
qu’une porte de fer, une porte en fête, s’ouvrant et se refermant sans cesse. A crier sans
relâche mon cœur s’est détaché des instants arrachés au passé. Je vis encore. Je crie encore.
Arpenter des couloirs étriqués est chose bien compliquée pour qui n’a pas appris à pardonner.
A l’ombre de son âme, je repose en paix. Les soldats s’en vont à la guerre, qui les relèvera?
Cela ne sert plus à rien de raconter des histoires, plus personne n’y croit. Cela va mal. Le
stupre s’éparpille dans les rivières salées et personne ne semble être concerné. Le givre gagne
les cœurs d’adolescents, ces êtres qui n’ont jamais froid. A la source des plis de ton corps, je
puise les effluves de ravissements hâtifs. J’observe la faune et la flore qui m’attaque jour et
nuit dans mes rêves d’en finir. En finir avec les bœufs et les moutons; en finir, surtout, avec
les chiens. En courant, il m’arrive de m’emmêler les pieds dans les bribes de nos espoirs
édulcorés. C’est dangereux, c’est fatigant, c’est affligeant. La route est longue qui mène vers
l’amant. Non, l’argent ne tue pas le progrès. La corne des pieds
La mort au bout des pieds,
Les mains ensanglantées,
Elles ont fait couler le sang.
Assassin, victime.
Etre corné.
La mort s’effrite, là-bas;
La mort s’essouffle au bout des pieds,
La mort se renouvelle, par le bas.
Elle puise ses ressources dans la terre,
Terre cornée et être atrophié.
Etre corné, être de mort.
Jamais plus Dieu ne m’a parlé depuis que j’ai commencé de l’offenser instant après instant. Je
projette mon corps dans l’espace et je vois dans le tien les désirs que tu m’inspires. Tu
m’inspires le thon et le jasmin, l’assurance des lendemains, la fontaine d’eau vive et la célérité
des couleuvres. Il falacrute la macie de son alphute mais le vivien n’y point plus parce que sa
garbelle n’est pas diduane. Il falacrote la mocie de son ilphute mais le vuvien n’y paint plus
parce que sa gerbelle n’est pas duduane. Il falacroute la maicie de son aulphute mais le
vinvien n’y pouint plus parce que sa garbielle n’est pas doiduane. Il falancrute la macine de
son alphunte mais le vilvien n’y phoint plus parce que sa glarbelle n’est pas didulane.
Abistuquer sans farcir, la foule ne s’y faint point. Fuite. Fuir les vagabons de l’alibi et
recommencer à oursir les marelles de l’oubli. Fuir parce que l’on n’a pas le temps de
s’attarder quelques instants, parce que l’on n’a pas le temps de perdre quelques instants de
mortalité. Les instants de mortalité sont éternels et divers. Autant se faire taillader. Pièces et
chefs d’œuvre compris. Prier pour tous ces connards qui vous bousculent ou ne vous laissent
pas passer au moment d’aller communier. De toute façon - quoi qu’on en dise, quoi qu’on en
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pense, quoi que je fasse - je me crois, à ce moment-là, supérieur à eux. Je me rapproche et me
recule; j’ai déjà vu ce mouvement quelque part.
Une fois la vie passée,
Je me retrouve dans le livre de l’humanité.
Je suis ravi, médusé,
Moi qui croyais m’être trompé.
Je suis, en fin de compte, récompensé.
Récompensé d’avoir persisté, perduré, succombé
aux assauts de la chair et de l’esprit.
Il serait malvenu...
J’inachève,
Tu inachèves,
Il inachève,
Nous inachevons,
Vous archivez,
Elles inachèvent les pustules de nos pensées.
Je périclite dans la pergola où ils meurent de froid.
Je suis victime des soubresauts dans l’inconnu et d’un souffle au cœur.
Je frémis, perclus de douleurs intestines et intestinales.
Encore un soubresaut mal digéré,
Encore un soubresaut d’un verger en fleurs;
Quelques relents à malaxer
Et je me tiendrai de nouveau debout, prêt à affronter tous mes détracteurs, inconnus ou
célèbres. Dans certains beaux discours, on nous dit qu’il faut travailler ensemble pour gagner;
on oublie le(s) perdant(s); on oublie que, sans perdants, il n’y a pas de gagnants. Qu’il est
merveilleux de gagner (de l’impossibilité d’être chrétien et de vouloir gagner) ! L’homme ne
se tient bien que couché. J’envie les individus qui se vantent; j’envie les individus qui se
connaissent. C’est avec des questions que se construit l’Histoire et que se construisent les
histoires, des histoires. Le flot continu de volontés épanouies qui chaloupent dans les nuits
désœuvrées du printemps pas encore installé. Affriolé. Attiré. Alléché. Repoussé. L’ennemi.
Ventru. En costume de soirée. En costume d’apparat. Déguisé. Guindé. Emphytéotique.
Agencement des rêves. Avoir peur. Du tout ! De tout. S’élever jusqu’au dais. Ne pas aller audelà. S’affranchir et tomber de haut. Il est temps de rentrer dans nos rires atones et de nous
calfreuter. L’hiver est rude. Demain, après demain. Souvent le lendemain, rarement le jour
même. J’en connais de plus prolixes et de moins goguenards. La mer calmit, je n’ose pourtant
pas la défier. Je vais attendre encore un peu. Le défi est proprement païen. La bataille
s’engage. De toutes parts les combattants affluent, tous sont déterminés. Si je n’avance plus,
je me fais écraser; si j’avance, je me fais tuer. Ma seule solution est de tuer. Voudrais-je de
cette solution? L’armée. Je n’ai pas de munitions et n’en veux plus, et n’en veux point. Où est
mon protecteur? Je sais me taire, parler (bafouiller, vociférer) et c’est tout. That’s it. Ô dieux
fiévreux et déesses puériles; tant de découvertes insoupçonnées; la nuit, parfois, n’en revient
pas. Des idées laissées inachevées et que l’on parachève en prenant la fuite; la fuite des
individus libres devant le déferlement des idées. L’aventure des idées. La devanture où sont
exposées pêle-mêle :
idées d’intellectuels
idées d’ignares
idées saugrenues et farfelues
idées de tire-bouchon
idées à saute-mouton
idées pas folichonnes
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idées malignes
idées pratiques
idées concrètes
idées abstraites
idées prêtes à servir
idées obsolètes
idées prédicatives ou apodictiques
idées prédicatives
I
D
E
E
S
P
R
E
D
I
C
A
T
I
V
E
S
Ma tête endolorie par les idées sauvages, mon corps mutilé par les idées domestiquées; à
l’avenir, où devrai-je donner de la tête? Des idées qui s’entrechoquent et qui produisent une
fumée envahissante. Ciao. Les marées de tes humeurs ne sont plus, comme hier, autant
d’étreintes ignées mais, chaque fois, la destruction de châteaux que je construis patiemment;
nous avons changé. Tu m’as appelé, supplié, mais je suis resté impassible à tes frasques
asservissants; nous avons changé. NOUS AVONS CHANGE. Je veux re-conquérir ma
liberté; je ne veux plus t’aimer. Ainsi s’éteignent parfois les brasiers ophtalmiques qui
obstruaient nos regards. Heureusement, nous avons recouvré la vue. Toute perception visuelle
est de nouveau possible. Comme le monde est différent ! Comme le monde est tentant ! Un
poème sur le lit.
Ici,
Réjoui,
Epanoui,
Oui.
Ici,
Réjoui,
A l’envi,
Assis sur le lit.
Ici,
Réjoui,
En catimini,
Dans un nid.
Ici,
Réjoui,
A envie
D’un salmigondis !
Tout se disloque aux tréfonds de mon être sans vergogne. Je traverse des vergers marécageux
dans lesquels je découvre des lutins qui m’offrent leurs sourires malicieux; ils détiennent
certainement toute vérité. Je m’en vais leur adresser la parole, je m’enorgueillis de m’abaisser
jusqu’à eux et, en guise de reconnaissance, je ne reçois qu’une petite tape dans les jambes.
Lutins, je danserais jour et nuit avec vous si vous vouliez bien me livrer tous vos secrets.
Malheureusement, ce n’est point le cas. Je me suis égaré et suis arrivé au pays des besoins
édulcorés, quand pourra-t-on me sauver ? Je ne voudrais pas passer le restant de mes jours à
l’abri de mes ennemis. S’il leur est impossible de s’enchaîner au poteau des fables
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pusillanimes, nous ne pourrons plus jamais les regarder. Se condamner à glapir des
élucubrations et expirer dans une chaleur revivifiante. Froncer les sourcils. Expier les
tentations, qui ont jalonné l’existence, au bout d’une corde; peu importe qu’il y ait ou non un
bourreau. Ragaillardie mais toujours rachitique, telle est la réalité cruelle de mon existence.
N’écoutez pas les racontars : personne n’est jamais né et si, un jour, vous rencontrez un
premier-né, dites-vous bien que cela n’est absolument pas raisonnable. Le branle de son
sourire cause mon émoi et perturbe ma foi en l’avenir de l’homme. Si l’homme est antérieur à
la femme, nul doute qu’il disparaîtra avant elle; piètre consolation. Décidément, la femme
aura toujours eu un train de retard. A qui la faute? A moi, certainement. Un processus
irrémédiable et incontrôlé, une puce dans une forêt de poils hérissés par l’appel du vide; je
suis l’observateur d’un monde complexe qu’il m’appartient de quitter. A bientôt, j’espère.
Quoi qu’on en dise, l’Homme est foncièrement optimiste et peureux. Est-ce qu’en fin de
compte cela ne reviendrait pas au même? Je préfère le réseau dédaléen des pensées chaotiques
et intimes à celui, mièvre, des énoncés quotidiens. Mais j’aime les enfants. J’aime les petites
mains serrées, refermées, renfermant les secrets de leur croissance. Moi-même, petit,
j’égrenais mes ambitions de héros en devenir sur les chemins du bonheur trop de fois
empruntés. Quel arbre de vitalité je fus étant jeune ! Avez-vous déjà passé des heures à
attendre sur un banc, dans un jardin public? Avez-vous déjà prêté attention à toutes les
personnes qui déambulent dans ces jardins : des personnes d’un certain âge qui parlent seules
ou avec leurs chiens, des enfants avec leurs mamans qui, souvent, ont un train de retard, des
jeunes gens qui tuent le temps. Il s’agit sans doute d’un lieu privilégié pour l’attente; peut-être
est-ce d’ailleurs un lieu entièrement dédié à l’attente. Les parents attendent leurs enfants qui
jouent, qui crient, qui chahutent et attendent de devenir grands; les lecteurs, faisant mine de
passer le temps, attendent leur heure; les passants traînent leurs savates, attendant la fin des
temps. Décidément, il faut beaucoup de temps. Je n’aurai jamais suffisamment de temps. Je
n’ai jamais su attendre; je suis trop impatient. Je n’ai pas le temps
de penser
d’agir
de dormir
de manger
de boire
d’attendre
de m’étendre sur un banc pour me reposer. Supposez que la fin des temps me surprenne,
allongé sur ce banc; de quoi aurais-je l’air? d’un jeune homme récalcitrant? Je voudrais
pouvoir vivre la fin des temps, la fin du temps, ces derniers instants. J’aimerais le poignarder
dans le dos. Ma contribution serait sans doute inutile mais tout à fait symbolique de la passion
que je lui voue. Mes passions m’ont toujours plongé dans le tourment de la mort annoncée
mais sans cesse retardée, remise au jour suivant, à l’instant consécutif que je ne vivrai jamais.
Vit-on jamais un instant? Peut-être celui de la mort (et encore). Comme cela doit être
merveilleux. Je m’avance dans l’aire de l’attente, pourquoi mon être ne se fond-il point
dedans? Pourquoi ne suis-je pas resté à l’état de fœtus? La position du fœtus est ma préférée.
Pourquoi faut-il que je dépasse, que je surpasse, que je surclasse l’attente? J’aurais préféré
demeurer dans le seul plan de l’attente; il me convenait, il m’aurait suffit. Il semblait me
convenir; je ne suis pas tellement exigeant. Il a fallu que j’aille me perdre dans un second
plan. Ainsi, je deviens l’objet de mes actions, je constitue une cible potentielle. Il me faudra
bien rentrer et délaisser, sur les bas-côtés des chemins que j’emprunte, les fleurs de
l’amertume circonstanciée. Au foyer, je retrouverai toute la chaleur des silences partagés.
Nous partageons nos expériences, nos pensées, nos simagrées, nos joies, nos inquiétudes,
notre hébétude, nos peines, nos corps mais répugnons, me semble-t-il, à partager nos silences,
peut-être parce qu’ils sont d’or. Trop précieux, trop peureux de perdre nos parcelles de
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silence; nous les cachons. Elles sont la preuve de notre existence. Après, nous avons de
grandes chances de les perdre. Des femmes, je parle peu parce que je n’en suis pas. (Le
voyageur somnolent que je suis lorsqu’il m’arrive de m’attarder dans des paysages que je
fabrique de toutes pièces). J’use de la tôle comme j’use de mes jours, je la façonne, la
déforme mais fais bien attention de ne pas l’abîmer. Un homme qui marche dans une flaque
d’eau n’est pas tout à fait un homme, c’est un enfant. Une femme qui étire ses bas. Non, je ne
retirerai pas mes mains de là. Un poème sur le lit :
La nuit.
Un I.
C’est fini.
Je ne crois plus aux malheurs de l’Homme, je ne crois qu’en son incohérence, qu’en sa liberté.
Est intellectuel celui qui fait effectivement de sa pensée le centre du monde et cela, même
inconsciemment.
La fleur est fanée et son sourire flétri,
La manche du chandail est percée et ses tympans aussi.
L’assise du canapé est défoncée mais elle n’est pas aigrie.
La serrure a été forcée mais sa beauté n’en a pas souffert.
Les ravages que provoquent les accalmies sont pires que les festins interrompus par des
chants de deuils. Il n’est pas dans mon intention de mes substituer aux incubes, je ne serais
pas à leur hauteur. La colère gronde et, dans la basilique, les fidèles entonnent un Te Deum.
Lesquels se feront les plus entendre? Personne ne sait dans quel camp je suis mais j’ai
compris que, pour avoir quelque chance, il me faut monter le plus haut possible, c’est
pourquoi je m’empare du clocher et, une fois arrivé en haut, je me jette dans le vide pour
atteindre l’acmée de mes cris de joie. Personne ne me voit tomber du ciel. Je meure dans
l’anonymat d’un individu sans voix. Il ne fait pas bon traîner dehors les jours de grand froid.
Il ne fait pas bon traîner dehors les jours de sépulture; autant dire que l’on ne peut jamais
sortir. Elle porte le masque des volontés absconses et de la dextérité perdue par trop de
pensées confuses. Mais, si tu fais un signe, je serai là, n’en doutez pas. Je ne rêve jamais, je
parcours des rêves qui ne sont pas les miens mais ceux des gens que je côtoie. Si seulement je
pouvais grandir et devenir un géant, un géant de pacotille. That’s it. Non, j’en voudrais encore
de ces journées jonchées de lassitudes bigarrées par les allers et venues de mes frères
d’infortune. Il n’y aura jamais suffisamment de fêtes endiablées pour me mener en enfer, Dieu
soit loué. L’enfant n’a pas connu les pistes sinueuses des errements aphrodisiaques. A chacun
ses aphorismes. Quel bel apophtegme ! Des coups de pied, des coups de poing, des coups de
main. Des coups du sort. Des coups dans le dos. Des coups répétés, comme pour insister,
comme pour s’acharner, pour démentir le funeste destin, le funeste avenir. Faut-il être deux ou
quatre pour constituer un groupe? La meilleure solution consiste en la constitution
d’ensembles vides. Une femme pleine d’entrain, capable de déplacer des montagnes, comme
c’est vain, comme c’est excitant. Il n’arrive plus à multiplier les personnages qu’il s’était
promis de jouer. Astarelle de la bienne qui couarde hâmement les dirades de la fierne de nos
endrojades. Jamais il ne tygandra de plus flemme surambe car le daz ne se cruspe point. Tu
visites les vies comme des fermes abandonnées. Il me reste sûrement des coins de paradis
terrestre à découvrir. Je prêterais volontiers main forte à ce projet s’il était désespéré. Ses
manies miniatures m’encouragent à lui forcer la main. Autant de parfums déjà sentis, autant
d’odeurs jamais appréhendées. Mon entrain me transporte sur des rivages empestés par les
déhanchements de mes congénères. Mais la vie est belle, la vie est bonne. Il y a plus
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malheureux que moi. Je fais confiance aux marchands du Temple pour faire miroiter un
avenir insalubre. Un tourbillon de matière fécales s’abat sur moi chaque fois que je reprends
espoir. Au secours de la veuve et de l’orphelin j’irai me prosterner pour me faire pardonner
tous mes sauvetages manqués. Tous ces actes manqués dans lesquels je me prélasse sont
autant d’excuses à une vie ratée. J’affectionne tout particulièrement la luxure de ma
médiocrité. J’ai abandonné depuis longtemps la thérapie de l’effort. J’ai abandonné depuis
longtemps toute envie de guérir. Je gagne à être touché, beaucoup moins à être regardé. On a
toujours préféré les grands malades aux bien-portants, même si l’on s’en cache. Non, je ne
vous raconterai pas l’histoire du facteur Etienne.
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