Le médecin Tant-pis allait voir un malade Que visitait aussi son

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Le médecin Tant-pis allait voir un malade Que visitait aussi son
Les médecins
Documents
A – Jean de La Fontaine, « Les médecins », Fables, livre V, 12, 1668.
B – Cyrano de Bergerac, « Contre les médecins », Œuvres diverses
de M. Cyrano de Bergerac, Lettres satiriques, 1654.
C – Molière, L’Amour médecin, acte III, scène 1, 1665.
D – Jules Romains, Knock, acte II, scène 2, 1923.
m Comparez les différentes images des médecins que
proposent ces textes.
Après avoir répondu à cette question, les candidats devront traiter au choix
un des trois sujets nos 95, 96 ou 97.
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Les médecins
Le médecin Tant-pis allait voir un malade
Que visitait aussi son confrère Tant-mieux ;
Ce dernier espérait, quoique son camarade
Soutînt que le gisant1 irait voir ses aïeux.
Tous deux s’étant trouvés différents pour la cure2,
Leur malade paya le tribut à Nature3,
Après qu’en ses conseils Tant-pis eut été cru.
Ils triomphaient encor sur4 cette maladie.
L’un disait : « Il est mort ; je l’avais bien prévu.
– S’il m’eût cru, disait l’autre, il serait plein de vie. »
Jean de La Fontaine, Fables, livre V, 1668.
1. Celui qui était couché.
2. La façon de soigner.
3. Mourir.
4. Au sujet de.
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Contre les médecins
Monsieur,
Puisque je suis condamné (mais ce n’est que du Médecin, dont
j’appellerai plus aisément1 que d’un arrêt prévôtal), vous voulez
bien que de même que les criminels qui prêchent le peuple quand
ils sont sur l’échelle, moi qui suis entre les mains du Bourreau, je
fasse aussi des remontrances à la jeunesse. La Fièvre et le Drogueur2
me tiennent le poignard sur la gorge avec tant de rigueur, que
j’espère d’eux qu’ils ne souffriront pas que mon discours vous
puisse ennuyer. Il ne laisse pas, Monsieur le gradué3, de me dire
que ce ne sera rien, et proteste cependant à tout le monde, que sans
miracle je n’en puis relever. Leurs présages toutefois, encore que
funestes, ne m’alarment guère, car je connais assez que la souplesse4
de leur art les oblige de condamner tous leurs Malades à la mort,
afin que si quelqu’un en échappe, on attribue la guérison aux puissants remèdes qu’ils ont ; et s’il meurt, chacun s’écrie que c’est un
habile homme, et qu’il l’avait bien dit. Mais admirez l’effronterie
de mon Bourreau : plus je sens empirer le mal qu’il me cause par
ses remèdes, et plus je me plains d’un nouvel accident, plus il
témoigne s’en réjouir, et ne me panse d’autre chose que d’un
« Tant mieux » ! Quand je lui raconte que je suis tombé dans une
syncope léthargique, qui m’a duré près d’une heure, il répond que
c’est bon signe. Quand il me voit entre les ongles d’un flux de
sang5 qui me déchire : « Bon ! dit-il, cela vaudra une saignée ! »
Quand je m’attriste de sentir comme un glaçon qui me gagne
toutes les extrémités, il rit en m’assurant qu’il le savait bien, que ses
remèdes éteindraient ce grand feu. Quelquefois même que, semblable à la Mort, je ne puis parler, je l’entends s’écrier aux miens
qui pleurent de me voir à l’extrémité : « Pauvres nigauds que vous
êtes, ne voyez-vous pas que c’est la fièvre qui tire aux abois6 ? »
Voilà comme ce traître me berce ; et cependant, à force de me bien
porter, je me meurs. Je n’ignore pas que j’ai grand tort d’avoir
réclamé mes ennemis à mon secours : mais quoi ? Pouvais-je
deviner que ceux dont la science fait profession de guérir l’emploieraient tout entière à me tuer ? Car hélas ! c’est ici la première fois
que je suis tombé dans la fosse, et vous le devez croire puisque si j’y
avais passé quelque autre fois, je ne serais plus en état de m’en
plaindre. Pour moi, je conseille aux faibles lutteurs, afin de se
venger de ceux qui les ont renversés, de se faire médecins ; car je les
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assure qu’ils mettront en terre ceux qui les y avaient mis. En vérité,
je pense que de songer seulement, quand on dort, qu’on rencontre
un médecin, est capable de donner la fièvre. [...]
Cyrano de Bergerac, Œuvres diverses de M. Cyrano de Bergerac,
Lettres satiriques, 1654.
1. Dont je contesterai le jugement plus aisément qu’une décision de justice.
2. Le médecin.
3. Monsieur le médecin ne cesse pas...
4. Ruse, fourberie.
5. En proie à une hémorragie.
6. La fièvre qui tombe.
Document C
Sganarelle ne veut pas que sa fille Lucinde se marie. Celle-ci feint alors
d’être malade. Plusieurs médecins convoqués se disputent sur le traitement à adopter. Le docteur Filerin tente de leur faire entendre raison.
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M. FILERIN. – N’avez-vous point de honte, Messieurs, de
montrer si peu de prudence, pour des gens de votre âge, et de vous
être querellés comme de jeunes étourdis ? Ne voyez-vous pas bien
quel tort ces sortes de querelles nous font parmi le monde ? et
n’est-ce pas assez que les savants voient les contrariétés et les dissensions qui sont entre nos auteurs et nos anciens maîtres, sans
découvrir encore au peuple, par nos débats et nos querelles, la
forfanterie1 de notre art ? Pour moi, je ne comprends rien du tout à
cette méchante politique de quelques-uns de nos gens ; et il faut
confesser que toutes ces contestations nous ont décriés, depuis peu,
d’une étrange manière, et que, si nous n’y prenons garde, nous
allons nous ruiner nous-mêmes. Je n’en parle pas pour mon
intérêt ; car, Dieu merci, j’ai déjà établi mes petites affaires. Qu’il
vente, qu’il pleuve, qu’il grêle, ceux qui sont morts sont morts, et
j’ai de quoi me passer des vivants ; mais enfin toutes ces disputes ne
valent rien pour la médecine. Puisque le Ciel nous fait la grâce que,
depuis tant de siècles, on demeure infatué2 de nous, ne désabusons
point les hommes avec nos cabales3 extravagantes, et profitons de
leur sottise le plus doucement que nous pourrons. Nous ne
sommes pas les seuls, comme vous savez, qui tâchons à nous préva©HATIER
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loir de la faiblesse humaine. C’est là que va l’étude de la plupart du
monde, et chacun s’efforce de prendre les hommes par leur faible,
pour en tirer quelque profit. Les flatteurs, par exemple, cherchent à
profiter de l’amour que les hommes ont pour les louanges, en leur
donnant tout le vain encens qu’ils souhaitent ; et c’est un art où
l’on fait, comme on voit, des fortunes considérables. Les alchimistes tâchent à profiter de la passion qu’on a pour les richesses, en
promettant des montagnes d’or à ceux qui les écoutent ; et les
diseurs d’horoscope, par leurs prédictions trompeuses, profitent de
la vanité et de l’ambition des crédules esprits. Mais le plus grand
faible des hommes, c’est l’amour qu’ils ont pour la vie ; et nous en
profitons, nous autres, par notre pompeux galimatias4, et savons
prendre nos avantages de cette vénération que la peur de mourir
leur donne pour notre métier. Conservons-nous donc dans le degré
d’estime où leur faiblesse nous a mis, et soyons de concert5 auprès
des malades pour nous attribuer les heureux succès de la maladie, et
rejeter sur la nature toutes les bévues de notre art. N’allons point,
dis-je, détruire sottement les heureuses préventions6 d’une erreur
qui donne du pain à tant de personnes.
Molière, L’Amour médecin, acte III, scène 1, 1665.
1. L’imposture, la fausseté ; la vantardise.
2. Content de nous.
3. Nos manœuvres secrètes.
4. Discours confus.
5. Ensemble.
6. Préjugés favorables.
Document D
M. Mousquet est le seul pharmacien à cinq lieues à la ronde et pourtant
son chiffre d’affaires est dérisoire. Le docteur Knock, nouvellement installé, lui promet que désormais tout va changer.
KNOCK. – Je pose en principe que tous les habitants du canton
sont ipso facto1 nos clients désignés.
MOUSQUET. – Tous, c’est beaucoup demander.
KNOCK. – Je dis tous.
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MOUSQUET. – Il est vrai qu’à un moment ou l’autre de sa vie,
chacun peut devenir notre client par occasion.
KNOCK. – Par occasion ? Point du tout. Client régulier, client
fidèle.
MOUSQUET. – Encore faut-il qu’il tombe malade !
KNOCK. – « Tomber malade », vieille notion qui ne tient plus
devant les données de la science actuelle. La santé n’est qu’un mot,
qu’il n’y aurait aucun inconvénient à rayer de notre vocabulaire.
Pour ma part, je ne connais que des gens plus ou moins atteints de
maladies plus ou moins nombreuses à évolution plus ou moins
rapide. Naturellement, si vous allez leur dire qu’ils se portent bien,
ils ne demandent qu’à vous croire. Mais vous les trompez. Votre
seule excuse, c’est que vous ayez déjà trop de malades à soigner
pour en prendre de nouveaux.
MOUSQUET. – En tout cas, c’est une très belle théorie.
KNOCK. – Théorie profondément moderne, monsieur Mousquet, réfléchissez-y, et toute proche parente de l’admirable idée de
la nation armée2, qui fait la force de nos États.
MOUSQUET. – Vous êtes un penseur, vous, docteur Knock, et
les matérialistes auront beau soutenir le contraire, la pensée mène le
monde.
KNOCK, il se lève. – Écoutez-moi. (Tous deux sont debout. Knock
saisit les mains de Mousquet.) Je suis peut-être présomptueux.
D’amères désillusions me sont peut-être réservées. Mais si, dans un
an, jour pour jour, vous n’avez pas gagné les vingt-cinq mille francs
nets qui vous sont dus, si Madame Mousquet n’a pas les robes, les
chapeaux et les bas que sa condition exige, je vous autorise à venir
me faire une scène ici, et je tendrai les deux joues pour que vous
m’y déposiez chacun un soufflet.
MOUSQUET. – Cher docteur, je serais un ingrat, si je ne vous
remerciais pas avec effusion, et un misérable si je ne vous aidais pas
de tout mon pouvoir.
KNOCK. – Bien, bien. Comptez sur moi comme je compte sur
vous.
Jules Romains, Knock, acte II, scène 2, 1923.
1. Par le fait même.
2. Allusion au service militaire obligatoire pour tous.
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m Vous
ferez le commentaire du texte de Cyrano de Bergerac
(document B).
Se reporter au document B du sujet 94.
D’autres pistes / Pour aller plus loin
m Pour l’oral
Dans le cadre de l’objet d’étude « Convaincre, persuader, délibérer »
• Cyrano de Bergerac, Œuvres diverses de M. Cyrano de Bergerac,
Lettres satiriques (document B)
– Comment l’auteur donne-t-il de la vivacité à cette satire de la médecine ?
– Montrez l’efficacité du mélange de pathétique et d’humour.
– Montrez que le texte est un jeu littéraire qui joue sur le thème du monde
à l’envers.
Dans le cadre de l’objet d’étude « Convaincre, persuader, délibérer :
la fable »
• La Fontaine, « Les médecins », Fables, V, 12 (document A)
– Montrez que, malgré la brièveté de la fable, la schématisation du récit et
l’absence de morale explicite, La Fontaine dresse une satire assez
complète des médecins.
– Montrez que, sous une apparente objectivité, il s’agit dans cette fable
d’une prise à partie sans complaisance.
Dans le cadre de l’objet d’étude « Le théâtre »
• Molière, L’Amour médecin, III, 1 (document C)
– Quel parti Molière tire-t-il du procédé qui consiste à faire faire par un
médecin son propre blâme ?
– Analysez l’ironie de cette tirade satirique.
• Jules Romains, Knock, II, 2 (document D)
– En quoi la forme théâtrale dialoguée donne-t-elle plus de force à la satire ?
– Montrez que l’opposition entre un médecin cynique et un pharmacien
naïf donne du pittoresque et de la vivacité à la satire de la médecine.
– Montrez que le ton didactique de Knock et son habileté argumentative
soutiennent une conception inquiétante de la médecine.
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