Ce matin, je suis mort.

Transcription

Ce matin, je suis mort.
Ce matin, je suis mort.
Pour moi, ce matin fut le dernier. En effet, le temps ne compte plus.
Pour l'instant je suis un peu dans les limbes. Je ne sais pas depuis quand, ni pour combien de temps. En
fait, pour moi, le temps n'existe plus. Quand je vous regarde, car je vous vois en train de me lire, c'est
comme si j'étais assis dans un pré, à regarder les nuage passer, sans sentir de vent.
De même, je sais qu'il y a une raison à ce que vous faîtes, car je la connaissais, avant, mais maintenant
tout me paraît insensé. Pas fou, mais vide de sens, artificiel.
Je ne suis pas triste d'être ici. C'est un état intéressant, je peux enfin tout voir à la fois ( même si les questions que je me pose ne sont plus les mêmes). Je peux même m'estimer heureux de la mort que j'ai eue.
Une grande douleur au bas du dos, je me suis écroulé. Une minute plus tard, c'était fini. Douloureux, mais
bref. Je n'ai même pas eu de difficulté à m'habituer à mon nouvel état . Il me paraît naturel, peut-être
même plus naturel que mon état antérieur.
Libéré du temps, je suis libéré de l'impatience.
Je n'attends pas le Jugement. Je sais qu'il aura lieu quand toutes les vies seront vécues. Il suffit pour cela
que votre temps passe. C'est comme si, assis au bord d'une rivière, il me suffisait pour atteindre l'embouchure de suivre l'eau d'ici à là-bas.
Au passage, je regarde ce qui se passe. Je ne suis pas pressé.
Vivant, je croyais que une fois mort, je comprendrais tout, les causes et les conséquences du moindre
battement d'aile, du moindre mot.
Cela ne m'intéresse même plus. C'est tellement ... évident. Ce n'est pas que tout soit déjà écrit ou déterminé, c'est qu'il suffit de le regarder pour se dire que cela ne peut se passer que comme cela.
Combien de questions, pour savoir si j'étais libre de mes actes ou non ! Je vois maintenant à quel point
ces questions étaient futiles.
Attention, la liberté ne l'était pas. C'est ce que je découvre .
Vues d'ici (où que ce soit, si cela est. En fait, je ne sais pas si j'existe), des Idées qui nous paraissaient
abstraites, immatérielles sont d'un réalisme saisissant. C'est comme regarder le soleil sans que sa lumière
ne voile votre regard.
Le regard a une acuité incroyable.
En fait, je ne vois pas. Je suis là où je regarde. C'est pour cela que j'ai une compréhension instantanée de
ce qui m'entoure : c'est proche de moi, donc je le sens bien, c'est loin de moi (nous ne sommes plus de
même nature), donc j'ai le recul nécessaire.
Et Dieu, me direz vous ...
C'est une question typique de l'ancien monde.
On doute de suite de ce que l'on n'a pas sous les yeux.
Comment vous expliquer ce que je ressens ?
Vous voyez ?
Quand bien même je m'efforcerai à nouveau de vous expliquer, la main que j'utilise ne pourrait écrire.
Ce sont des phrases qui ne s'écrivent pas parce qu'elles n'ont pas de mots.
C'est littéralement intraduisible. On ne le comprend que quand on y est.
Le plus beau, à mon avis ( à part Dieu, mais beau est un euphémisme radicalement inadapté), c'est que
pour vous dire tout cela, je n'ai pas eu besoin de me regarder, de faire d'introspection, de m'interroger.
Cela vient tout seul !
Je suis complet, je me contiens, je sais ce que je suis, pourquoi, comment. Et toutes ces questions me paraissent futiles, et à un point incroyable.
Si vous voulez vraiment avoir une idée de ce que je suis maintenant, dessinez au crayon un moine Zen en
pleine illumination, et gommez les traits de son corps.

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