Prᅢᄅvenir la maltraitance en gᅢᄅriatrieᅡᅠ: une posture d
Transcription
Prᅢᄅvenir la maltraitance en gᅢᄅriatrieᅡᅠ: une posture d
Ethics, Medicine and Public Health (2015) 1, 33—43 Available online at ScienceDirect www.sciencedirect.com DOSSIER « LA MALTRAITANCE » /Réflexions Prévenir la maltraitance en gériatrie : une posture d’équipe bientraitante Prevent abuse in geriatrics: Well treating team position Dr L. Ribeaucoup (chef de service) a,b, E. Malaquin-Pavan (cadre supérieur, infirmière spécialiste clinique) a,b,∗ a Service de gériatrie, hôpital de Vaugirard, 10, rue Vaugelas, 75015 Paris, France Comité éthique GH HUPO, hôpitaux universitaires Paris-Ouest, AP—HP, 10, rue Vaugelas, 75015 Paris, France b Reçu le 13 juillet 2014 ; accepté le 20 septembre 2014 Disponible sur Internet le 7 avril 2015 MOTS CLÉS Personne âgée ; Prendre soin ; Maltraitance ; Bientraitance ; Éthique ∗ Résumé La maltraitance de la personne âgée est un sujet difficile à aborder pour les soignants animés d’abord par la volonté de prendre soin. Si la maltraitance explicite est aujourd’hui bien définie et facilement identifiable, il n’en est pas de même de la maltraitance insidieuse, qui se déploie au travers de la négligence, du non-respect des bonnes pratiques, des défauts d’organisation des soins et de la fragilisation de la finalité de la fonction soignante. Dans cet article, nous avons voulu d’abord aborder les définitions de la maltraitance, inventorier les situations à risques et rappeler quelques principes élémentaires de réactions face à des situations de maltraitance avérées ou supposées. Dans un deuxième temps, nous avons souhaité aborder le problème de ces situations de maltraitances insidieuses et réfléchir aux moyens de sa prévention. Notre ambition est d’appréhender la globalité de la prise en soin de la personne âgée vulnérable depuis sa dimension managériale organisationnelle jusqu’au respect des bonnes pratiques de soins et de communication avec les personnes âgées, leurs aidants naturels et les acteurs de soins. © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Auteur correspondant. Adresses e-mail : [email protected] (L. Ribeaucoup), [email protected] (E. Malaquin-Pavan). http://dx.doi.org/10.1016/j.jemep.2014.09.002 2352-5525/© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. 34 L. Ribeaucoup, E. Malaquin-Pavan KEYWORDS Elderly; Caring; Abuse; Treating well; Ethics; Team Summary The ill treatment of elderly is a difficult subject to approach for nursing livened up at first by the will to take care. If the explicit ill treatment is defined well and easy to identify today, it is not the same of the insidious ill treatment there, which of displays through the carelessness, through the failure to respect best practice, defects of organizations of the care and the embrittlement of the end of care. In this article, we wanted at first to approach the definitions of the ill treatment, to inventory the situations at risks and to remind some elementary principles of reactions in front of known or supposed situations of ill treatment. Secondly, we wished to approach the problem of these situations of insidious ill treatments and to think about the ways of its prevention. Our ambition is to comprehend the taken in care of the vulnerable older people since its managerial and organizational dimension until the respect for the best practice of care and communication with elderly, caregivers and care professionals. © 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Introduction Aborder le thème de la maltraitance est un paradoxe quand on a choisi un métier du soin. Pour autant, réfléchir à ce que cela recouvre aide à renforcer la conscience individuelle et collective d’un sujet pas si facile à nommer pour mieux le reconnaître, le refuser et le prévenir. Pour en cerner les éléments de compréhension comme de prévention, il convient d’en définir la nature, ses facteurs de risque et ses conséquences avant de pouvoir identifier comme agir contre, à la recherche permanente du juste soin ancré au cœur de nos responsabilités soignantes. Et si cette réflexion est un préalable dans tout lieu de soin, elle s’éprouve naturellement dans le contexte des soins aux personnes âgées dépendantes. La maltraitance en action Identifier la maltraitance Selon le dictionnaire Larousse, maltraiter signifie « traiter avec brutalité, battre, brutaliser, frapper. Traiter avec rigueur, inhumanité, brimer, malmener, rudoyer. Traiter rudement en paroles une personne à qui l’on parle ». On peut retrouver autour de cette notion deux causes explicatives : • la négligence, où par ignorance, incapacité, manque d’égard ou d’attention, désinvolture, il y a omission d’un acte avec ou sans volonté de nuire ; • l’abus, où il y a intention de causer du tort ou des dommages à autrui. Plusieurs classifications de la maltraitance envers les personnes âgées ont été élaborées pour mieux appréhender ce phénomène complexe. Citons en particulier celle élaborée par Louis Plamondon (juriste et sociologue canadien) et Charles-Henri Rapin (médecin suisse) [1] ou celle de l’association ALMA [2] adaptée de la classification internationale et de la définition de la violence. Quatre grandes catégories de violence sont observées au domicile ou en institution : • les violences morales, se décomposant en violences verbales (ordre, interdiction, reproche, jugement, chantage. . .), en violences psychologiques (manque d’écoute, non-respect du désir, du rythme, de l’intimité, tutoiement, indifférence. . .) ou encore en violences sociologiques (isolement, placement arbitraire, privation de liberté. . .) ; • les violences par excès ou par négligence passive ou active (absence de prise en compte des capacités de la personne âgée, absence de prise en compte de la douleur, réponse de soin effectuée dans un délai non raisonnable, manque d’aide à la marche, aux repas et à l’hygiène, abandon ou acharnement thérapeutique, en lien avec le nonrespect du droit d’accès aux soins, à l’information, à la liberté de communiquer, au pouvoir de l’environnement, à l’autonomie) ; • les violences physiques (toilette imposée, excès de calmants, coup—ecchymose, sévices sexuels. . .) ; • les violences matérielles et architecturales (locaux, matériels ou mobiliers inadaptés, vols d’argent ou d’objets, détournement de biens, etc.). Depuis les premiers travaux communiqués en 1987 par le Conseil de l’Europe et la rédaction la même année de la Charte des droits des personnes âgées par la Fondation nationale de gérontologie [3], la maltraitance est devenue une réalité dénoncée, tant au domicile qu’en institution. Six à 15 % des plus de 65 ans et 20 % des plus de 80 ans seraient concernés [4], démontrant que la violence s’observe dans la relation soignante naturelle (personne âgée dépendante—famille) ou dans la relation soignante professionnelle (personne âgée dépendante—professionnel). Une interaction permanente s’exerce entre les deux parties (le soigné—l’aidant) où, tour à tour, l’une et l’autre peuvent devenir acteur ou victime. Décoder les situations à risque Il n’est pas rare que la maltraitance s’installe insidieusement, parce que l’entourage familial ou professionnel ne supporte plus la personne âgée dépendante physiquement Prévenir la maltraitance en gériatrie et/ou psychiquement, du fait de son comportement répétitif, agressif, exigeant, confus, vécu comme « usant pour les nerfs », ou, à l’inverse apathique, aréactif, passif. C’est dans les activités de vie les plus banales du quotidien que, dans ces deux extrêmes — de l’agneau soumis à la « Taty Danielle », la maltraitance comme sa prévention trouvent leurs racines. Et si, comme à tout âge, une personne âgée peut volontairement rechercher à « embêter son monde » pour garder du pouvoir sur la situation, il est faux de penser que la personne atteinte de déclin cognitif adopte volontairement des comportements intentionnels pour nuire à son entourage. L’inversion des rôles dans la relation parent—enfant éprouve les capacités d’adaptation des aidants, parfois jusqu’à la rupture. . . L’usure du temps, le degré de dépendance, l’histoire du sujet et de sa famille sont les principaux facteurs de risque de survenue d’une situation de crise. La vulnérabilité est un autre facteur d’influence, en particulier quand les modalités de relation à l’autre régressent chez la personne âgée, laissant la place à l’expression de la violence produite par autrui [5], cette dernière n’étant plus en mesure de raconter cet état de fait. Dans ce contexte, force est de constater que la peur (des représailles, d’être à l’origine d’un conflit dans la famille, de perdre le peu de relations restantes, d’être abandonnée. . .) entraîne souvent la victime à se taire. L’intensité de la charge en soin liée à la dépendance comme la fragilité du réseau de soutien socio-familial ou professionnel majorent la difficulté à vivre le quotidien, d’autant plus quand les troubles comportementaux et/ou cognitifs s’associent à la dépendance physique. Répondre à la même question ou devoir habiller plusieurs fois dans l’heure la personne, recevoir ses injures ou ses gestes d’impatience, de crainte, être dérangé dans ses autres occupations ou son sommeil à de multiples reprises, autant de situations génératrices de fatigue, d’énervement et d’impuissance. . . Arriver à prioriser et à différer quand on doit jongler avec un ensemble d’obligations dans un contexte contraint est difficilement réalisable, notamment quand l’aidant ou le professionnel est isolé, amenant à perdre le sens des actions à produire. Effectuer les soins d’hygiène, entrer dans l’intimité de l’autre, c’est un art délicat où l’implication des sens est fortement sollicitée (odeurs, vision du corps. . .), situation potentiellement à risque d’épuisement ou de rejet ; de plus, acteur ou témoin, travailler sous le regard de l’autre (le patient, sa famille, le collègue) peut être source d’inconfort. L’impact de cette proximité est essentiel à mesurer, tant pour soi qu’en équipe, afin de limiter les risques défensifs corporels, source de brusquerie dans les gestes quotidiens ou de dépersonnalisation délétère. À l’inverse, la fragilité de la personne âgée, perçue par le proche comme par le professionnel, peut induire, à l’opposé d’une négligence, une hypervigilance par crainte dont l’excès à vouloir empêcher toute prise de risque supposée nuit à l’expression de l’autonomie de la personne âgée. La marge avec la privation de liberté peut, dans ce contexte, s’observer aisément. 35 Repérer ces facteurs déterminants Dépister les risques potentiels ou avérés du milieu concerné aide à les prévenir, à protéger la personne âgée et à identifier les maltraitants potentiels, volontaires ou involontaires. Les maltraitants identifiés par ALMA (famille, aides-ménagères, professionnels de soins) sont des personnes mal préparées à assumer la charge d’une personne dépendante, isolées ou ne recevant que peu, voire aucun soutien personnel ou communautaire. Tant pour le domicile que pour les structures, plusieurs outils permettent d’apprécier la situation, comme le questionnaire de dépistage de l’épuisement de l’aidant naturel [6], l’auto-évaluation de l’équipe du centre hospitalier de Mazamet [7] représentant 38 scènes de la vie quotidienne observées en institution ou, plus contemporains, les courts métrages de l’association HABEO [8]. Outre les principes de base se référant à la déontologie soignante, ces scénettes du quotidien pointent les facteurs contribuant à la genèse des multiples formes de maltraitance et des interventions pour faire face aux différents types de violences. Agir devant une situation de maltraitance Une fois identifiée, que convient-il de faire devant une situation de maltraitance ? Entre le devoir de dire et les représentations négatives de ce que revêt la dénonciation qui freine l’élan de déclarer ce qui a été constaté, il s’agit d’agir en conscience. Chaque citoyen, d’autant plus lorsqu’il est professionnel du soin, est en la matière acteur tant pour ne pas rester seul face à cette situation que pour déclencher les dispositifs prévus par le législateur. Outre les Codes de déontologie des professions paramédicales et médicales, le Code pénal1 comprend des dispositions d’interventions en cas de maltraitances (atteintes volontaires tels les coups, l’administration de substances nuisibles, les appels téléphoniques malveillants) et des incitations aux professionnels pour intervenir (non-assistance à personne en péril par atteinte à la vie ou à la santé) alors que nos règles professionnelles nous interdisaient de révéler des informations connues dans le cadre de notre exercice. La modification du Code pénal en mars 1994 est venue nuancer l’article 22613 interdisant de révéler un secret par un nouvel article 226-14 qui précise que ceci n’est plus « applicable à celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de sévices ou de privation dont il a eu connaissance et qui ont été infligés à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique ». D’autres articles viennent punir l’abus frauduleux de l’état de faiblesse ou l’état d’ignorance. Briser la loi du silence, écouter le ressenti de la personne âgée, savoir et pouvoir se positionner en fonction de sa volonté, rechercher des alternatives pour sortir de l’isolement, oser créer des liens avec les autres acteurs, organiser un lieu d’information et de paroles en s’appuyant 1 Notamment les articles du Code pénal nos 222-16, 222-17, 223-3, 226-4, 226-15, 226-13, 226-14, 313-4 ainsi que les articles L. 122-8 et suivants du Code de la consommation. 36 L. Ribeaucoup, E. Malaquin-Pavan sur les réseaux associatifs de soutien2 , voici quelques pistes pour sortir du non-dit. C’est dans cette démarche active que chacun peut se sentir autorisé à intervenir rapidement face à la maltraitance constatée ou suspectée. Afin de briser cette « loi du silence », l’institution peut avoir une attitude facilitante. L’instauration d’une procédure de type « conduite à tenir face à une suspicion ou une situation de maltraitance », au-delà d’un aspect formalisé, aide chaque acteur à assumer sa responsabilité. Les principes d’une telle procédure doivent être simples : signalement des faits (quoi, à qui, comment), informations des responsables (encadrement—direction), instruction d’une enquête, mise en place de mesures conservatoires, modalités de soutien de la victime, du déclarant et du maltraitant supposé tout au long de la procédure d’enquête. Identifier clairement les référents en charge du bon suivi de cette conduite à tenir est un préalable. Associer les professionnels et les représentants des usagers à son élaboration en est un second. La bientraitance en action Si, à défaut de pouvoir se dire, la maltraitance active se repère aisément, il n’en est pas de même pour les situations de négligence ordinaire, potentiellement courantes dans toute organisation collective par définition complexe. C’est en acceptant avec lucidité et pragmatisme cette potentialité que l’équipe soignante peut ancrer la promotion du prendre soin et la prévention de la maltraitance en menant au quotidien la bientraitance en actions. En la matière, il s’agit davantage d’objectiver les difficultés et les possibilités pour que chaque membre de l’équipe, quels que soient son statut et sa fonction au sein du collectif, se sente concerné et acteur responsable du juste soin. Il s’agit à la fois d’une posture éthique individuelle et collective, d’équipe et d’institution [9]. Faire vivre les valeurs du prendre soin suppose que, du fait même de cette confrontation à la dépendance de la grande vieillesse polypathologique et de sa médicalisation, l’attention soignante se tourne vers les ressources toujours présentes chez ces personnes et leurs besoins. Cette double posture est encore plus élémentaire quand la personne soignée présente des troubles cognitifs. Recueillir et/ou décoder ses besoins, ses habitudes, ses attentes, mesurer son niveau de compréhension et d’anxiété sous-jacente font partie du défi. Cela suppose des connaissances, des compétences (notamment en matière d’observation, de communication mais aussi d’organisation du soin). Cela suppose également un travail interdisciplinaire concerté. Pour autant, au sein d’une unité gériatrique accueillant un collectif de patients, individualiser l’approche et l’organisation des soins pour chaque personne soignée reste à l’évidence complexe, même pour les plus chevronnés. Dans ce contexte multifactoriel, le projet managérial interdisciplinaire prend racine pour porter la dynamique, associant les responsables concernés (chef de service, encadrement paramédical, direction des soins, direction 2 Voir notamment les sites ALMA et HABEO. d’établissement) ainsi que les instances porteuses des plans d’actions opérationnels concernant la qualité et la sécurité des soins. C’est sur la base de valeurs transparaissant dans le projet médical et le projet de soin que les acteurs des unités de soins trouvent les modalités organisationnelles optimisant les moyens matériels et humains mis à disposition. C’est au travers de la dynamique d’évaluation des pratiques que le collectif comme l’individu peuvent situer leur niveau de pratique, tirant satisfaction des résultats obtenus et identifiant les axes d’amélioration à poursuivre. C’est au cœur de la stratégie de communication et d’information associant les équipes, les usagers et leurs familles que la promotion de ce qui est perçu comme bientraitant ou pas peut s’exprimer, ouvrant la réflexion porteuse de sens. Autant d’exemples du quotidien à savoir formaliser, partager et analyser. Ancrer des concepts structurant le prendre soin En complément de cette attention portée à l’organisation des soins, il nous paraît indispensable que la réflexion soignante s’appuie sur un certain nombre de concepts qui vont venir solidifier et structurer la démarche de soin dans cette visée de la bientraitance. Pour illustrer cette dynamique, nous voudrions nous arrêter sur certains d’entre eux sur lesquels une équipe soignante, soucieuse d’une telle démarche, peut ancrer sa culture collective interdisciplinaire. Principes éthiques Parmi les principes fondamentaux d’une posture éthique, quatre fondent l’approche bientraitance : • le principe de bienfaisance (ne jamais nuire) ; • le principe d’autonomie (qui s’exprime dans l’intégration de la personne et la mobilisation de ses ressources pour finaliser son projet de soin et de vie) ; • le principe de proportionnalité (le juste soin pour cette personne et l’organisation pour le collectif) ; • le principe de futilité (on sait faire mais quel est l’intérêt pour cette personne ?). Les valeurs du prendre soin, ancrées fortement dans les métiers du soin, sont de même nature. Notion de comportements et de besoins Tout comportement a valeur de message, d’autant plus quand les mots viennent à manquer. Gardons en tête que le mode comportemental exprime un besoin non satisfait qui ne peut se « dire » autrement, faute d’une communication compréhensible ou d’une interaction adaptée. Comme postulé par Watson [10] dans son modèle conceptuel du caring (prendre soin), le besoin se définit comme une nécessité dont la satisfaction atténue ou fait disparaître la détresse ou, tout au moins, permet à la personne de ressentir un sentiment de mieux-être. . . Outre une approche soignante corporelle, gestuelle et verbale adaptée, il s’agit d’en rechercher la cause qui peut être : • d’ordre physique (avoir mal, faim, froid, soif, envie d’uriner, d’aller à la selle, de dormir. . .) ; • d’ordre psychologique (peur, anxiété, inquiétude, sentiment d’abandon. . .) ; Prévenir la maltraitance en gériatrie • l’expression d’une frustration (violation du territoire par d’autres, ennui, incapacité de faire quelque chose, sentiment d’échec, recherche d’un objet perdu. . .) ; • la conséquence d’une stimulation inadaptée (trop ou pas assez de bruit, de lumière, d’odeurs, de contacts tactiles, attentes irréalistes de l’entourage. . .) ; • la conséquence des thérapeutiques médicamenteuses. Bon gré mal gré les pertes et le niveau de dépendance, la personne âgée essaie, à sa manière, de communiquer avec son environnement de façon non verbale, c’est-àdire en présentant des comportements n’impliquant pas l’utilisation du langage parlé, tels le toucher, le geste, la posture, le silence, la distance sociale, l’expression des yeux, du visage [11]. Devant toute modification comportementale, la recherche systématique des déficits sensoriels liés au processus physiologique de vieillissement est fondamentale car certains d’entre eux sont curables ou appareillables en partie ou en totalité : le risque ici serait de les confondre avec les agnosies de la démence de type Alzheimer et d’isoler encore davantage la personne âgée. De la même manière, la recherche de symptômes organiques (déshydratation, globe, fécalome, douleur. . .) entraînant un état confusionnel surajouté mérite d’être entreprise, évitant ainsi tout risque de passage inaperçu. Autonomie et entités en interactions En lien direct avec les besoins, l’enseignement de Henderson et Colliere [12] nous a permis d’identifier quatre sources principales de difficultés impactant l’indépendance de la personne âgée : • un manque de force (elle ne peut pas) ; • un manque de volonté ou perte de sens (elle ne veut pas) ; • un manque de connaissance (elle ne sait pas) ; • un manque de ressource (elle n’a pas). Identifier la source de difficulté qui impacte sur le besoin non satisfait aide à déterminer les modalités des interventions à proposer à la personne âgée pour rester acteur de son projet de vie comme de soin. En parallèle, lorsque l’on cherche à inscrire la préservation de l’autonomie au cœur de la prise en soin, repérer l’influence des entités en interaction concernant le vouloir (en avoir envie, la motivation) et le pouvoir (être en capacité de le faire, avoir les moyens à disposition pour) permet d’évaluer les axes de prévention ou de compréhension. Schématiquement, trois entités sont concernées : • la personne âgée malade elle-même (avec son profil, sa personnalité, ses variations d’humeur, de coopération, de compréhension, de compliance. . .) ; • son entourage socio-familial (avec ses forces et ses faiblesses, ses propres capacités d’adaptation), en gardant présent à l’esprit que, si la famille et les amis sont de précieux alliés, ils n’en restent pas moins différents de la personne âgée elle-même, donc, que leur perception ou interprétation de son besoin a toujours une part de subjectivité avec laquelle nous devons composer) ; • le milieu dans lequel la personne âgée est insérée, soit son voisinage antérieur ou celui composé, au sein du lieu de soin, par les autres patients, les autres familles, les membres de l’équipe interdisciplinaire qui s’occupent 37 d’elle, à différents moments de la journée ou de la prise en charge. Autant d’entités qui peuvent avoir une influence positive ou négative sur le quotidien comme sur le choix des interventions en regard des comportements s’opérant, favorisant la bientraitance ou la négligence sous toutes ses formes. Notion d’intimité et de proxémie La dépendance à autrui conduit la personne âgée à recevoir de l’aide pour ses gestes les plus simples de la vie. En particulier, les soins d’hygiène et de confort se situent directement dans la distance intime (inférieure à 45 cm jusqu’au contact physique), au cœur de cette « bulle » si bien décrite par Hall [13] dans ses travaux sur la proxémie, bulle dans laquelle nous nous sentons d’emblée en confiance ou en insécurité, en résonance avec la manière dont l’autre s’est approché de nous. Cette distance intime, où les canaux sensoriels qui priment sont l’odorat et le toucher, où l’engagement corporel et le contact physique dominent la conscience des deux partenaires en interaction, renvoie à trois registres : celui de la violence et de l’agressivité ; celui de l’érotisation, la sensualité et la sexualité ; enfin, celui de la tendresse, des comportements de protection et de réconfort (registre que nos gestes de soins veulent rejoindre). Choisir le moment et soigner la qualité de l’approche relationnelle (verbale — non verbale — tactile) ouvrent une chance supplémentaire de transmettre à la personne âgée cette intentionnalité protectrice et respectueuse. Développer une organisation apprenante bientraitante L’importance à accorder tant dans la manière d’entrer en communication avec la personne âgée que dans la qualité du partenariat à développer avec la famille sont deux axes qui font partie intégrante des stratégies soignantes permettant de faire face. Gardons quand même bien en tête que le maintien du lien familial tout autant que le recadrage des attentes/comportements familiaux, rejaillissant négativement sur la personne âgée, passent par notre capacité à laisser aux familles une place dans les soins de leurs proches malades, dans l’accueil et l’intérêt que nous portons aux éléments de vie qu’ils peuvent nous transmettre, dans notre manière de leur redire aussi souvent que nécessaire que nous ne prenons pas pour offense les propos ou gestes agressifs de leur proche, enfin dans notre qualité de soutien dans ce parcours déficitaire douloureux, notamment lorsque le proche malade ne reconnaît plus son conjoint, ses enfants ou amis de toujours, dans l’accompagnement des pertes et l’alternance des incertitudes, de l’angoisse qui rythme le temps, quand l’espoir vacille entre le fait que tout se passe bien pour la personne âgée et cette quête de garantie d’une fin de vie sans souffrance. Faire face lorsqu’il y a tension En complément de ces axes, lorsqu’il y a tension perçue ou anticipée concernant la réalisation d’un soin ou d’une 38 activité, des modalités réflexes sont à cultiver en équipe pour prévenir tout risque délétère : • tout d’abord, c’est s’autoriser une organisation des soins aussi personnalisée et structurée que possible, sans impératif (hors cadre de l’urgence vitale), soit repérer jusqu’où l’intervention soignante peut être différée, jusqu’où rechercher les limites de la liberté sans nuire au confort de la personne âgée elle-même ou à celui des autres patients ; • c’est laisser s’exprimer les ressources et l’expression des envies en acceptant de laisser faire tout en étant prêt à intervenir dans les limites de la cohabitation entre patients ; • c’est s’appuyer sur l’entité équipe pour décoder, prévenir, mutualiser nos compétences relationnelles verbales et non verbales, mettre en lien, planifier nos organisations interdisciplinaires afin que nous puissions profiter et faire durer les interventions des différents autres corps professionnels de l’hôpital ou du domicile (médecin, kinésithérapeute, ergothérapeute, psychomotricien, psychologue, orthophoniste, auxiliaire de vie sociale, bénévole. . .). Ici, il s’agit autant de cohérence dans la suite des actions proposées à la personne âgée que de savoir-faire et transmettre les observations/évaluations aux collègues ; • c’est observer à quel moment survient la difficulté (où, quand, comment, avec qui. . .) et repérer quelles sont les interventions qui la minimisent ou l’augmentent ; s’il y en a plusieurs d’associées, s’efforcer de les observer les unes après les autres ; • c’est rechercher le sens de ce comportement particulier, sans l’enfermer dans un standard attendu ou une étiquette du fait de la maladie sous-jacente diagnostiquée ; • c’est évaluer le degré d’altération des opérations de la pensée, de la communication verbale, des perceptions sensorielles pour nous appuyer sur toutes les ressources en éveil ou en sommeil chez la personne âgée pour cerner ce qui est propice à la dispensation du soin optimal, pour repérer jusqu’où solliciter ou faire à la place. . . ; • c’est accepter que tout bouge d’un instant à l’autre, même ce qui a « bien marché tout à l’heure ». . . ; • c’est se préparer à cette rencontre de corps à corps en apprenant à mieux connaître nos différents sens, notre manière d’être en contact avec nous-mêmes, l’environnement et « l’autre » [14], donc à repérer nos zones de confort et de sécurité pour gagner en disponibilité/authenticité dans nos interactions avec la personne âgée [15] ; • c’est être vigilant à l’ambiance générale, aux signes de « tempête » en veillant à la cohabitation entre les patients, notamment dans la place de chacun dans les lieux communs ou le regroupement dans les activités proposées ; • c’est passer le relais si nécessaire, pouvoir se dire en équipe ce qui fait peur, ce qui sature et fait que nous perdons patience, tout simplement parce que la répétitivité de certains soins ou paroles, la fugacité de certains bénéfices et le besoin omniprésent d’attention peuvent épuiser si nous n’y prenons pas garde ou devenir source de dépersonnalisation — et ce, d’autant plus lorsque nous avons conscience d’être enfermés dans un manque de L. Ribeaucoup, E. Malaquin-Pavan temps empêchant de respecter le propre rythme du patient. . . ; • c’est continuer à dialoguer, à informer, à vérifier ce qui a été compris par la famille, la personne âgée elle-même et se mettre d’accord en équipe sur ce qui peut être dit, à quel moment, en fonction du degré d’anxiété et de la capacité à tenir l’information. L’acceptation de la remise en cause permanente des stratégies utilisées pour un même patient (faire — dire — être. . .), à chaque nouvelle rencontre de soin (dans le quart d’heure, la journée ou la semaine qui suit), reste garante d’une approche relationnelle au plus près de l’état du moment — celui du patient, le nôtre potentiellement parasité par l’avant et l’après-rencontre, le souvenir de la dernière interaction avec lui ou ce qu’on nous en a raconté. . . Cette demande permet à l’équipe d’inscrire ses pratiques dans une démarche organisée de prévention des douleurs liées au soin [16]. S’engager dans l’accompagnement de la personne âgée, soutenir son projet de vie et de soin, accepter ce rôle de témoin bienveillant, c’est sans doute renoncer à nos a priori et accepter de nous confronter à d’autres logiques d’existence. C’est aussi pouvoir se questionner sur ce qui dur à vivre pour soi, dans le reflet miroir de la vieillesse de l’autre qui, même si elle n’est pas contagieuse, n’en demeure pas moins pour chacun d’entre nous une probabilité universelle. . . Conscience, compassion et confiance guident alors cette rencontre humaine, défi d’une proximité réciproque librement consentie, replaçant l’accompagnement de la dépendance et de l’aide à vivre dans une plus juste perspective. Et pour tenir dans le temps, pour laisser ce nécessaire espace de liberté et de contrainte s’harmoniser, ayons conscience que tout soignant n’a pas nécessairement le bon profil pour cela. Pugnacité, ténacité, patience, douceur et fermeté structurées, capacité à accueillir l’infime progrès comme un cadeau, l’instant présent comme boussole, demandent une maturité professionnelle particulière. La formation, le partage en équipe, l’autoanalyse continue de nos savoir-faire et être individuels/collectifs sont les pivots garants de nos aptitudes soignantes à faire face aux troubles du comportement de la clientèle qui se confie à nos bons soins. En faire une affaire d’équipe C’est pourquoi il est essentiel de poser en équipe toute la complexité des dilemmes s’offrant aux soignants pour que les options envisagées s’inscrivent dans ce délicat équilibre entre l’état psychique du patient, le fonctionnement institutionnel et celui d’une vie en collectivité. C’est là que s’exerce l’art délicat de l’observation fine et de l’analyse bénéfices/risques conduisant au choix de l’approche relationnelle comme des modalités du soin à produire, notamment lorsque la personne âgée présente une agitation, une déambulation excessive entraînant d’autres risques (pour elle-même, les autres patients, les soignants), d’autant plus lorsque ce comportement est majoré par les comportements présentés par les autres patients de l’unité. Dans ce contexte, il s’agit aussi de déterminer ce qui est de Prévenir la maltraitance en gériatrie l’ordre de la crise aiguë, de l’urgence, d’un simple cap à passer ou d’un état s’installant au long cours. La difficile confrontation avec la non-communication verbale des personnes âgées souffrant de déficits cognitifs, leur coopération fluctuante lors des soins de base, techniques, relationnels ou socio-éducatifs, la répétitivité des gestes quotidiens de suppléance et la lourdeur des soins au corps, sont autant de facteurs à savoir questionner en équipe pour mesurer les risques à accepter de prendre, ceci afin de garantir à la personne âgée une décision au plus près de son confort et de sa sécurité. Mesurer les risques à accepter de prendre, c’est reconnaître en équipe qu’il n’y a pas de solution idéale : chaque option comprend des bénéfices et des inconvénients à savoir savamment doser. L’art est ici de regarder toutes les facettes des choix possibles et se décider d’une orientation, toujours révisable. C’est aussi pouvoir en parler avec la famille, lui faire part des éléments qui ont contribué à cette prise d’orientations, en l’associant autant que possible sans lui faire porter le poids décisionnel. Ce qui aide ici, non seulement à une réflexion éthique d’équipe mais aussi à une pratique individuelle éclairée, c’est à la fois l’acceptation, pour chacun d’entre nous, d’analyser ses propres gestes de soins, de reconnaître 39 nos difficultés individuelles pour poursuivre une dynamique d’équipe dans des soins qui nous coûtent au quotidien, soit parce que nous n’en identifions plus le sens, soit parce que le prix à « payer » pour le patient nous semble trop lourd (en fatigue, en inutilité. . .). C’est être capable d’aborder ces sujets délicats en équipe, là où les notions de futilité et de proportionnalité éclairent la balance bénéfices/risques des options possibles : « On sait faire, mais est-ce adapté pour cette personne âgée là ? En a-t-elle l’envie ? Et comment on mesure qu’elle est d’accord ? » Cela présuppose aussi d’accepter la remise en cause, d’analyser l’impact de travailler sous le regard de l’autre, des autres (collègue, famille, stagiaire. . .) pour collaborer même dans la différence. Sur le fil tenu de la dépendance à autrui et du décodage de l’intentionnalité du soin, l’instant T reste une boussole d’équipe aidant à reconstruire en permanence les modalités de soins. Creuser une problématique en équipe et prendre une décision est une étape ; elle nécessite souvent d’y revenir à plusieurs reprises, parce que la famille ne comprend plus, parce que d’autres intervenants de l’équipe non plus, ou que le temps à « tenir encore » rend bien difficile la poursuite d’une adhésion sans rupture de la part de la famille comme de certains membres de l’équipe. Tableau 1 Exemples d’actions pérennisant le dispositif managérial de bientraitance. Examples of perpetuating managerial actions for well treating. Actions managériales optimisant la régulation du quotidien Organisation d’une transmission commune informatisée entre cadres jour/nuit et d’une astreinte journalière permettant si besoin un réajustement des effectifs présents par unité selon le niveau d’intensité des soins Réunion multidisciplinaire d’unité 1 fois/semaine Réunion cadres médecins tous les 15 jours permettant d’échanger les informations et d’aborder les problématiques et les projets Actions soutenant l’expertise et le développement des compétences Dynamique d’évaluations des pratiques professionnelles mixant les métiers et les typologies d’activités Compagnonnage lors de situations cliniques complexes avec les rééducateurs et/ou les infirmières exerçant en transversal (plaies, douleur, fin de vie, soins d’hygiène, incontinence, opposition au soin, utilisation du MEOPA. . .) Formations—actions sur les soins complexes avec les correspondants thématiques des unités (soin de bouche, douleur, fin de vie, mobilisation, plaies. . .) Développement d’approches complémentaires de soins (toucher, respiration accompagnée, diffusion huiles essentielles, espace bain, relaxation. . .) Animation d’un groupe local de réflexion éthique sur la base de situations cliniques présentées par une équipe et faisant l’objet, après débat, d’élaboration de recommandations pour la pratique (exemples : refus de soin, contention, intimité et sexualité. . .) Actions d’implication directe des acteurs de terrain Élaboration des règles absolues et relatives en matière de respect de la dignité, l’intimité et la confidentialité Recensement des actes potentiellement douloureux réalisé par les soignants de chaque unité jour et nuit ciblant les modalités de prévention à optimiser Choix au sein de chaque unité d’une activité de soins que l’équipe soignante souhaite approfondir pour mieux en définir la nature et les axes d’amélioration envisagés (ex. : l’hygiène bucco-dentaire, la continence, la toilette périnéale, l’alimentation, le sommeil, l’accueil de la famille. . .) puis restitution des travaux réalisés pour mutualiser les plans d’actions Actions soutenant le partenariat avec les usagers et les familles Trombinoscope par unité permettant de repérer les principaux interlocuteurs professionnels et leurs fonctions Enquête annuelle de satisfaction des familles ayant un proche en unité de soins de longue durée dont les résultats servent d’appui pour la réunion des familles et la définition de propositions d’amélioration pour l’année à venir Médiation associant la famille, le médiateur médical et/ou non médical et/ou le représentant des usagers pour désamorcer une tension, une incompréhension 40 L. Ribeaucoup, E. Malaquin-Pavan Certes, la réflexion d’équipe, où sont clairement posés ces principes de risque de violence passive et d’implication émotionnelle dans la relation de corps à corps quotidienne, est une base solide pour un questionnement éthique interdisciplinaire sur le sujet. Mais cela suppose une implication conséquente de l’encadrement, conduite en continu pour relever le challenge du temps dédié aux transmissions et du « turn-over » des équipes, facteurs impactant fortement la dynamique projet. Lorsque la situation d’approche relationnelle est complexe ou la douleur perceptible, l’approfondissement du recueil de données est nécessaire pour à la fois mettre en commun les informations détenues par chacun (et pas toujours transcrites) mais aussi pour rechercher des données additionnelles éclairant la compréhension des observations cliniques pour chaque besoin identifié (Encadré 1 — Recueil complémentaire). En regard, l’organisation de la prise en charge en équipe est à la base des choix proportionnés retenus, pour un temps Encadré 1 : Confort et sécurité du patient dépendant. Guide recueil et d’actions3 . Dependent patient’s comfort and security. Data and actions collection. Objectif : optimiser le confort et le sentiment de sécurité du patient dépendant. Quand ? Lors du recueil initial de données, de l’évaluation de la période de prise en charge et/ou d’un épisode aigu. Modalités : en équipe, recueillir et mettre en lien les éléments de connaissance du patient et d’évaluation de ses besoins (items formulés sous forme de questions) ; envisager en regard les actions à entreprendre. Quelle connaissance du patient ? Comment communique-t-il : • lucidité — compréhension ; • expression (verbale, non verbale) ; • reconnaissance de l’entourage ; • état sensoriel (y compris odorat) ; • état bucco-dentaire ; • astuces particulières. Comment participe-t-il : • coopérant (veut/peut) : adhésion et capacités physiques en regard — initiatives spontanées. Pathologie(s)/handicaps : • dominante (hémiplégie, PTH, escarre, phlébite, encombrement, obésité, pathologie psychiatrique) ; • associé(s) : raideur, immobilité, rétraction. A-t-il mal ? Souffre-t-il ? • Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ? Combien ? État émotionnel : • impatience, peur, angoisse ; • anxiété/au toucher (appréhension, pudeur, trouble psychiatrique. . .) ; • sentiment d’isolement, besoin de présence. Habitudes de vie (cf. questionnaire habitudes de vie/recueil) : • rituels particuliers ; • fatigabilité physique ; • concentration ; • affaires/objet sécurisant ; • port de protection récent/ancien ; • contention. De quoi a-t-il besoin ? Installation en fonction de la pathologie/handicaps : • positionnement du corps : ◦ au lit, au fauteuil, ◦ arceau ; • matériel : ◦ matelas anti-escarre, ◦ coussins (normaux, anti-escarre), ◦ sangles ; • aménagement de l’environnement / choix et position du mobilier : ◦ rehausseur WC, ◦ lit, ◦ fauteuil, ◦ table, ◦ sonnette. Mobilisations : • types de mobilisations : ◦ changes, ◦ retournement, ◦ rehaussement ; • matériel : ◦ transfert lit/fauteuil, brancard. . ., ◦ fauteuil roulant, ◦ lève malade, ◦ déambulateur, cannes, ◦ barrière de lit : droite/gauche, ◦ perroquet ; • aides à la mobilisation : ◦ tablette fauteuil, ◦ cale tronc, ◦ bas de contention, ◦ écharpe, attelle, omotrain. . ., ◦ chaussures, ◦ ajustement protection. Confort moral, sentiment de sécurité : • personnalisation de la chambre / désir du patient : ◦ photos, télé, radio, téléphone. . ., ◦ lumière, niveau sonore, aération, température de la chambre, nombre de couvertures ; • réassurance : ◦ sonnette, chambre à deux (quel voisin, y compris à table), clé. . ., ◦ contenu de l’information ; • si ne se déplace pas seul ou s’il est maintenu : ◦ choix du lieu (chambre, salle à manger, couloir. . .), ◦ pour quelle durée, ◦ espace de liberté. Comment va-t-on s’y prendre ? Qualité des transmissions : • orales et écrites (cf. questionnaire habitudes de vie/recueil de données). Famille : • recueil d’information auprès des proches ; • niveau de participation ; Prévenir la maltraitance en gériatrie 41 • questions et remarques déjà formulées. Organisation du travail : • anticipée ; • choix du moment d’intervention ; • soins regroupés, espacés, différés ; • traitement avant : médicaments, mobilisations (par qui ? Comment ?) ; • soin en binôme, compagnonnage (AS-IDE ou kiné ou transversal) ; • surveillance particulière en dehors du/des soins. Confort du soin : • mode d’entrée en contact/mode de séparation ; • préparation espace et matériel — se préparer à l’acte, solliciter, attendre ; • ergonomie et gestes de confort. Aisance du soignant : • relais à envisager ; • travail à 2 ou 3 ; • actualisation connaissances ; • analyse de la pratique/compagnonnage. Appel aux intervenants spécifiques : • rééducateurs : kinésithérapeute, psychomotricienne, ergothérapeute, orthophoniste, diététicienne ; • équipe mobile douleur—soins palliatifs ; • référents toucher/référents formateurs manutention ; • psychologue du service ; • infirmières transversales (plaies/incontinence. . .) ; • infirmière conseil en incontinence ; • bénévole. . . 3 Mise en forme avec sous-groupe douleur/approches complémentaires, et hôpital Vaugirard, GH HUPO. CLUDSP référents hôpital C.-Celton donné, compromis réfléchi entre ce qui serait opportun de faire (règles de bonnes pratiques, connaissances scientifiques du moment, analyse dans son contexte) et ce qui est réellement possible de mettre en œuvre (moyens humains et matériels disponibles, compliance du moment de la personne âgée). Le pivot central de la démarche clinique proportionnée est la réunion de synthèse précisant les observations cliniques de chacun, les options possibles, les orientations décidées en équipe tracées dans le dossier patient et les critères de mesure de résultats de celles-ci. D’autres actions favorisent la culture collective de soins aussi personnalisés que possible dans ce contexte hospitalier contraint certes mais, pour autant, au potentiel de créativité et de recul certain quand la dynamique managériale y invite. Écouter le point de vue des acteurs, être vigilants aux conditions de travail et au prendre soin des équipes, formaliser ce qui fonde la pratique quotidienne puis rendre compte des niveaux d’excellence atteints ou pas, autant d’objectifs opérationnels aidant au développement de la bientraitance en actions. Formaliser ces actions facilite leur mise en œuvre au sein des unités comme la conduite managériale (Tableau 1 — Exemples d’actions). Conclusion Au cœur des connaissances scientifiques et réglementaires actualisées, la prévention de la maltraitance côtoie la bientraitance en actions. Cela repose tant sur une attention managériale associant l’analyse de la charge en soins et la répartition des moyens alloués que sur la tolérance collective à la prise de risques consentis, laissant s’exprimer au mieux les ressources des personnes âgées, bon gré mal gré leurs maladresses et les aménagements adaptatifs quotidiens que les soignants doivent opérer en regard. Cela repose également sur le développement de compétences cliniques ciblées comme sur la maturité de l’équipe à accepter l’impuissance ressentie face aux résultats parfois ténus de la mise en œuvre d‘alternatives de soins ayant mobilisé tout leur savoir-faire et savoir-être. Cette éthique appliquée au quotidien conjugue la règle des 9P (projet d’équipe, projet de soin et de vie, plan d’équipement, personnalisation, proximité, proportionnalité, patience, persévérance) intégrant l’absence de certitudes quant à la meilleure façon de limiter au mieux le risque indu. La décision collégiale trouve ici tout son sens, d’autant plus si elle est portée d’une voix commune par le médecin et le cadre référents de l’unité, garants de la qualité du juste soin produit. Annexe 1. Pistes de questionnement éthique. Individuellement et/ou en équipe Ethical questionnement tracks. Individual and/or team questionnement Réflexion générale sur les risques et facteurs d’influence • Comment identifions-nous les facteurs de dépersonnalisation et/ou de négligence ? • Que faisons-nous de ce que nous voyons, entendons, cautionnons ? • Comment en parlons-nous à l’intérieur du milieu ? À l’extérieur du milieu ? • Comment mesurons-nous les répercussions possibles des paroles posées autour de cette problématique à multiples facettes ? • En quoi la vie institutionnelle est-elle potentiellement source de maltraitance ? ◦ Pour la personne âgée ? ◦ Pour la famille ? ◦ Pour le soignant ? ◦ Pour l’équipe ? ◦ Pour les autres patients ? • En quoi la perte d’autonomie est-elle potentiellement un facteur de risque ? • Et la maladie ? • Et la mise en œuvre des traitements ? • Et les équipements, aménagements des locaux ? • En quoi l’organisation actuelle du travail prévient ou renforce le risque de maltraitance ? • En quoi le management prévient ou renforce les facteurs d’influence ? • Comment est accompagné/soutenu le réflexe d’analyse des gestes de soins ? • Comment s’identifie la responsabilité professionnelle de chaque agent en regard ? 42 • Une fois identifiés, que faire des renoncements quotidiens induits par le système ? Et qui doit les supporter ? Les porter ? Modalités comportementales et relationnelles • Que faisons-nous de l’impuissance ressentie face au décodage difficile de ce que qu’exprime la personne âgée non communicante ? • Quelles stratégies utilisons-nous pour y pallier (qui valide ce qui est compris ? Ce qui est à mettre en œuvre ?) • En quoi la répétitivité des gestes entraîne-t-elle une dépersonnalisation du soin ? • En quoi l’agressivité réactionnelle de la personne âgée lors d’un soin (ex. : la toilette) impacte sa prise en charge ? Quelles sont les astuces qui favorisent sa coopération ? Interactions personnes âgées—familles et accompagnement • Que mettons-nous en place pour soutenir la souffrance de la famille (vécu difficile du diagnostic, de l’entrée en institution, du maintien du lien, du sentiment d’utilité. . .) • Lorsqu’il y a divergence, à qui donnons-nous priorité : au patient ? À l’entourage ? • Qui doit défendre qui ? Quoi ? Et qui négocie ? Avec qui, quand ? • Comment l’annonce du diagnostic (ou d’une mauvaise nouvelle) est faite ? Et à qui ? • Qu’induisons-nous quand cette annonce est faite à la famille et pas à la personne âgée elle-même ? Télescopage entre projet thérapeutique et projet de vie de la personne âgée • Comment concilier le projet thérapeutique avec le projet de vie quand la personne âgée ne comprend pas la nécessité des thérapeutiques mises en œuvre (ex. : l’immobilisation post-fracture du col du fémur chez une personne déambulante) ; • Quel équilibre entre quantité et qualité de vie ? Qu’est-ce qui doit primer : ◦ ce que l’on attend d’une thérapeutique pour un futur supposé meilleur (décrire en clair les bénéfices attendus et les contraintes), ◦ ce qui est vécu à court terme par la personne du fait du traitement prescrit (décrire en clair la prise de risque, les bénéfices et les contraintes) ; • Lorsque cette double contrainte d’options thérapeutiques opposées a priori se pose à l’équipe : ◦ quelles valeurs guident les choix retenus dans le court, le moyen et le long termes ? ◦ quel poids de l’un sur l’autre ? Pour quelle finalité ? • Comment organiser une cohésion d’équipe autour des risques liés à la décision finale ? Recourir ou pas à la contention • Quelles stratégies sont mises en place pour décider ou non de recourir à la contention ? • Comment est mesuré le risque ? Et qui prend la décision ? • Comment est organisée l’explication de la décision initiale et continue ? • Quelle que soit la décision prise, qu’est-ce qui est fait pour garantir la sécurité physique et psychique du patient ? De la famille ? L. Ribeaucoup, E. Malaquin-Pavan • Que fait-on de la notion d’emprisonnement et de privation de liberté : ◦ ressentie par la personne âgée (notamment déambulante habituellement), ◦ supportée par l’équipe. Trouble du comportement Élements d’appréciation guidant la décision Quel que soit le trouble du comportement : évaluation des étiologies potentiellement en lien avec l’agitation, la confusion, la déambulation, l’état de santé : • Nouveau traitement médicamenteux, absorption de médicaments, interactions médicamenteuses ? • Douleur, troubles du sommeil, dépression, hyperthermie, déshydratation, infection, constipation, hypotension orthostatique, troubles de la glycémie ? • Anxiété, inconfort physique organique, dépression ? • Délire de persécution, hallucinations, troubles psychiatriques associés ? • Éventuels déficits sensoriels associés ? En fonction de l’objectif et le contexte (refus de soin, agressivité, chute, agitation. . .) : évaluation en équipe des alternatives concernant l’organisation des soins au patient et/ou à ses proches (passer en revue les principaux points ci-après). • Adaptation de l’environnement ◦ Améliorer la sécurité des lieux. Évaluer les répercussions des cohabitations. ◦ Aménager des espaces de déambulation sécurisés. ◦ Diminuer les stimuli auditifs et lumineux ou à l’inverse, augmenter l’éclairage (prévention chute chez la personne âgée mal voyante). ◦ Veiller au confort du lit ou du fauteuil (ergothérapeute à solliciter). ◦ Éloigner tout objet à risque de blessure. ◦ Limiter la présence de personnes au comportement perturbateur. ◦ Mettre un matelas près du lit en cas de risque de chute, le lit à hauteur variable en position basse, le recours à un lit Alzheimer si le service en est doté (plan équipement). ◦ Bloquer les roulettes du lit en permanence ; enlever les roulettes de la table de nuit, de l’adaptable (ou mettre une autre table). ◦ Mettre des repères temporels (calendrier, horloge. . .), maintenir le mobilier utile toujours à la même place. • Accompagnement de la personne ◦ Organiser des temps de présence auprès du patient : solliciter si possible la présence des proches, d’un bénévole. ◦ Repérer les habitudes du patient (rythme de vie, phases de sommeil, habitudes alimentaires, zones d’intérêt et activités occupationnelles compatibles avec le trouble). ◦ Évaluer l’accessibilité à l’apaisement non chimique. Favoriser le contact relationnel, le toucher enveloppant, le recours à des odeurs ou musiques apaisantes, la stimulation sensorielle proportionnée ; proposer des activités occupationnelles. Prévenir la maltraitance en gériatrie ◦ Faire en sorte que le patient connaisse les soignants : rappeler son nom, sa fonction autant que de besoin ; l’informer de la présence continue de l’équipe soignante, trouver un rituel d’entrer en contact (verbal, non verbal, tactile. . .). ◦ Adopter une attitude calme et rassurante. ◦ Inciter à l’activité physique, à la marche, à l’autonomie, à l’initiative. ◦ Informer du rythme de passage des soignants. ◦ Évaluer le besoin d’une rééducation à la marche ou au relevé du sol. ◦ Planifier le rythme de surveillance particulière de l’option retenue (qui, comment, quand). • Accompagnement des proches ◦ Transmettre les éléments sur lesquels se basent la décision bénéfice/risque. ◦ Organiser des temps d’échanges et de soutien concernant leur vécu, leurs perceptions et les représentations sous-jacentes. ◦ Rechercher avec eux des zones de partenariat possible. ◦ Identifier dans l’équipe l’interlocuteur privilégié. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Plamodon L, Rapin C-H. Classification internationale des violences envers les personnes âgées. In: Hugonot R, editor. La vieillesse maltraitée. 2e éd Paris: Édition Dunod; 2003 [232 p.]. [2] ALMA (Allô maltraitance personnes âgées). http://www.almafrance.org/ [3] Hugonot R. Les violences invisibles. Paris: Éditions Dunod; 2007 [176 p.]. [4] OMS. Rapport OMS (2011) — rapport Prévention de la maltraitance des personnes âgées en Europe, Aide-mémoire no 357. Officie régional européen; 2011. [5] Manoukian A. Les soignants et les personnes âgées. 5e éd Éditions Lamarre; 2012 [236 p.]. [6] Ogg J. Questionnaire (Screening for elder abuse in the community: Jim Ogg. Geriatric Medicine, 2/1992). La lettre d’Alma 1995 [traduit par l’association ALMA de la revue The Gerontologist 1996;26(3):273—8]. [7] Violence et prendre soin. http://www.mygale.org/reseau papidoc.chic-cm.fr/15violeninstit.html [8] Association HABEO. http://www.habeo.org/ [9] Ribeaucoup L. Le patient dément en fin de vie : sujet ou objet de soin. Med Palliat 2009;8(4):202—8. 43 [10] Watson J. Nursing, the philosophy and science of caring. Colorado Associated University Press Boulder; 1985. [11] Levesque L, Roux C, Lauzon S. Alzheimer : comprendre pour mieux aider. Édition ERPI; 1990 [331 p.]. [12] Henderson V, Colliere MF. La nature des soins infirmiers. InterÉditions; 1994 [210 p.]. [13] Hall ET. La dimension cachée. Éditions du Seuil, Points; 1966. [14] Malaquin-Pavan E. Le toucher au cour des soins. Revue Ouvertures 1996;81:3—5. [15] CNASI, SFAP. Rapport Le toucher dans les soins; 2007 http://www.sfap.fr/ [16] Malaquin-Pavan E. Douleurs provoquées par les soins dispensés à la personne souffrant de démence de type Alzheimer : pour une organisation questionnée du soin. Douleur Analg 2011;24:82—92. Pour en savoir plus Belmin J, Amalberti F, Beguin AM. L’infirmière et les soins aux personnes âgées. Éditions Masson; 2005 [369 p.]. Bernard MF, Boule F, Larrouture A, Malaquin-Pavan E. Guide Contention et non contention : mesurer les risques potentiels, Coordination francilienne des EMASP (2000) publié sous le forme de 3 articles dans la revue Soins (2001;656:18—20 ; 2001;657:21—3 ; 2001;658:24—7). Bouchon JP. 1 + 2 + 3 ou comment tenter d’être efficace en gériatrie. Revue du praticien 1984;34:888. Brissette L, Arcand M, Bonnet J. Soigner sans s’épuiser. Éditions Gaëtan-Morin; 1998. Dossier « Intimité et sexualité ». Revue Soins Gérontologie. Elsevier Masson; 2009. Fédération hospitalière de France. Guide pratique Bientraitance/Maltraitance à usage des établissements et institutions, FHF. 2007 [75 p.]. Guide DGS/DGAS. Les bonnes pratiques de soins en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. 2004 [115 p.]. HAS. La maltraitance « ordinaire » dans les établissements de santé. 2009 [97 p.]. Herve C, et al. Vision éthique de la personne, l’éthique en mouvement. Éditions Harmattan; 2001 [256 p.]. Herve C, et al. Les populations vulnérables. Éditions Harmattan; 2001 [230 p.]. Herve C. Fondements d’une réflexion éthique managériale de santé. Éditions Harmattan; 1996 [204 p.]. Hirsch E. Maltraitance des personnes vulnérables. Paris: Centre de documentation, AP—HP; 2013 [37 p.]. Lawler J. La face cachée des soins, soins au corps, intimité et pratique soignante. Paris: Éditions Séli Arslam; 2002 [288 p.]. Phaneuf M. Démarche de soins face au vieillissement perturbé : démences et maladie d’Alzheimer. Paris: Édition Masson; 1998 [283 p.]. UGECAM. Guide des bonnes pratiques à l’usage des professionnels : de la maltraitance. . . à la bientraitance. 2011 [16 p.]. ID 1097690 Title Prévenirlamaltraitanceengériatrie:unepostured’équipebientraitante http://fulltext.study/journal/1291 http://FullText.Study Pages 11