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jeudi 5 mars 2015 LE FIGARO 8 Jeunesse Lorsqu’ils étaient en- LES EX-OTAGES EN SYRIE NICOLAS HÉNIN ET PIERRE TORRES PUBLIENT UN ALBUM POUR LES ENFANTS INSPIRÉ PAR LEUR EXPÉRIENCE DE LA CAPTIVITÉ. EN MARGE littéraire fermés dans leur geôle syrienne, retenus en otages entre juin 2013 et avril 2014, le photoreporter Pierre Torres et le journaliste Nicolas Hénin trompaient leur ennui en jouant à des analogies animalières. La préférence de Nicolas Hénin allait au hérisson qui « rentre toujours à la maison ». Pierre Torres, friand d’anecdotes animalières, se souvenait qu’un de ces animaux avait parcouru 70 kilomètres pour rentrer chez sa maîtresse. Ensemble, ils ont imaginé une histoire, celle d’un hérisson embarqué dans un panier de pique-nique qui, après bien des péripéties, parvient à retrouver les siens. Le journaliste avait noté l’histoire sur le carton d’un emballage qu’il a pu emmener avec lui lors de leur libération. C’est aujourd’hui un bel album, publié par Flammarion, qui sera en librairie le 11 mars. Nicolas Hénin a signé le texte piquant de Papa hérisson rentrera-t-il à la maison ? quand Pierre Torres l’illustrait avec talent. F. D. PROPOS RECUEILLIS PAR AVIS NON AUTORISÉS… De Françoise Hardy, Les Équateurs, 249 p., 19 €. MOHAMMED AÏSSAOUI [email protected] La rencontre a lieu chez elle. Françoise Hardy attend toujours avec un livre. Ce jour-là, c’était avec Stefan Zweig, ses Journaux. Elle le dit dès le début, pour expliquer sa fatigue, l’interprète du célèbre Tous les garçons et les filles ne cache pas sa maladie : « J’ai été diagnostiquée d’un lymphome il y a plus de dix ans de cela. Mais c’est surtout depuis trois ans que mes symptômes se sont aggravés. J’ai aussi beaucoup de difficultés à marcher. Je suis très isolée, très handicapée par la maladie. Il y a des périodes où je ne peux absolument voir personne et je ne peux pas sortir. » Mais au fur et à mesure de la conversation, elle s’anime. Cette grande lectrice adore parler littérature, mais s’énerve vite dès qu’elle aborde les sujets de société ou de politique. LE FIGARO. - Comment est né ce livre où vous passez en revue tant de sujets, la maladie, la vieillesse, la politique, l’argent, la littérature ? Françoise HARDY. - Cela faisait un an que je ne faisais rien. Rien ne m’obligeait à le faire mais cela m’ennuyait de rester sans activité. Cela m’a aidée à vivre, à supporter mes soucis. Je l’ai écrit sans l’avoir prémédité : un jour devant l’ordinateur, j’ai consigné un souvenir. Puis, je me suis laissée aller. J’ai voulu titrer cet ouvrage « Politiquement incorrect ». Car l’intérêt d’un livre comme celui-là, c’est d’aller à contre-courant. Mais écrire est une souffrance, car l’on est confronté sans cesse à soi. Vous écrivez : « Aussi loin que je me souvienne, la lecture aura été mon seul refuge, ma seule source d’évasion et de rêve. Elle l’est toujours. » C’est à ce point important pour vous ? Oui, je considère les livres comme un refuge. Quand vous êtes, comme moi, une sentimentale introvertie, vous êtes porté à lire. Dès la prime enfance, quand on ne sait pas encore qui on est et qui on va être, on est attiré par les lectures qui vous ressemblent. Les livres portent en eux la problématique que vous portez en vous. Je ne peux pas, à l’âge que j’ai et dans les conditions qui sont les miennes, lire ou relire des romans trop noirs, trop sombres, qui parlent de choses épouvantables. Il faut que mes lectures me fassent rêver. Grande lectrice, Françoise Hardy épargne peu d’écrivains. JEAN-MARIE PÉRIER Je fais parfois partager mes lectures à des proches, comme par exemple mon mari (Jacques Dutronc). Quand j’ai commencé à lire Céline, notre relation avait commencé depuis peu. Mais je captais certaines choses sur lui et je me suis dit, lui qui ne lit pas, il devrait le lire car cela lui ressemble. C’est le seul livre qu’il ait lu, enfin, c’est ce qu’il m’a dit à cette époque-là. Dans votre livre, vous n’êtes pas tendre avec des écrivains. Ainsi Marguerite Duras... La cinéaste est d’une inimaginable et consternante nullité. Je me souviens du seul contact téléphonique que j’ai eu avec elle. Elle voulait absolument offrir le rôle de son prochain film à mon mari. Je lui ai alors demandé si elle avait vu L’important c’est d’aimer (Jacques Dutronc figurait à l’affiche, NDLR). Elle m’a alors répondu : « Non, et je n’irai pas. Mon entourage a trouvé ça mauvais. » Quelle outrecuidance ! On ne peut pas imaginer pire cinéaste que Marguerite Duras ! Quand elle se permet de critiquer ou d’être négative à propos de gens qui savent faire du cinéma, elle se ridiculise totalement. Et Virginia Woolf ? C’est d’un ennui, mais d’un ennui… Que pensez-vous de Michel Houellebecq, que vous avez rencontré ? Parmi les écrivains actuels, j’en ai rencontré deux hors normes. Patrick Modiano et Michel Houellebecq. Chaque rencontre avec Houellebecq était d’un surréalisme qui m’amusait beaucoup. Il planait pas mal et il y a quand même eu des choses bizarres avec lui. Un jour, je crois qu’il vivait dans le SudOuest, il m’a appelée pour me dire que son chien était tellement irrésistible qu’on allait probablement lui voler. Il m’en parle en long et en large. Il voulait que je descende pour récupérer son chien, que je remonte dans le train et le ramène à Paris pour le confier à ses beauxparents. Une amie a accepté d’y aller à ma place, mais il a trouvé une autre solution. Depuis, nos relations se sont distendues. C’est dommage. Je l’avais contacté la première fois pour une interview astrologique. Il avait accepté avec empressement, en me disant qu’il était fan de mes chansons. Nous nous sommes vus régulièrement. Un déplorable malentendu a mis fin à ce début d’amitié. Que pensez-vous de ses poèmes ? C’est un excellent romancier, mais un piètre poète. Alors qu’il est persuadé du contraire. C’est vrai que ses poèmes… Quand on s’y connaît un tout petit peu, même si moi, je connais plus les textes de chansons, il y a dans la poésie tout un travail sur la sonorité des mots, sur la fluidité, le rythme de la phrase et, chez Houellebecq, il n’y a pas cela. Mais je reconnais qu’il y a parfois des fulgurances. À propos de textes de chansons justement, Modiano n’a pas hésité à vous en écrire. Vous souvenez-vous de votre rencontre ? Je l’ai connu très jeune (Modiano a écrit Étonnez-moi Benoît pour Hardy en 1967). Il y a tellement d’anecdotes à raconter à son sujet. Il oubliait de s’alimenter et je devais veiller à ce qu’il s’alimente chaque fois que nous sortions ensemble. Il est incapable d’utiliser un tire-bouchon. La seule fois où il s’est fait à manger, il a failli brûler la cuisine. Quand il hèle un taxi, on dirait un danseur classique. Mais ses romans sont remarquables, notamment Rue des boutiques obscures, dont la dernière phrase m’a toujours bouleversée. Son entretien avec Emmanuel Berl devrait être obligatoire dans les écoles, pour que l’on comprenne ce qui s’est passé au moment de la dernière guerre. C’est remarquable. En fait, quel est votre écrivain préféré ? Ah oui, c’est vrai que quand j’ai découvert Henry James, j’étais tentée de dire que c’était lui. Avant, il y avait Edith Wharton, je me disais la même chose - je n’ai eu de cesse que de me procurer les deux tomes du Temps de l’innocence. Mais on ne trouve plus le premier que j’ai tout de même réussi à dénicher. C’est Wharton qui m’a menée vers James… Je dis de beaucoup d’auteurs que ce sont mes écrivains préférés. Depuis deux ou trois ans, je suis sous le coup de découvertes d’auteurs anglais de l’époque victorienne. Ces lectures m’ont apporté tellement de bonheur. ■ +@ » Retrouvez l’intégralité de l’entretien sur www.lefigaro.fr/livres Budapest : le Parlement hongrois depuis le bastion des pêcheurs. GARCIA-ANA/ ONLYWORLD.NET MITTELEUROPA D’Olivier Barrot, Gallimard, 106 p., 11,50 €. THIERRY CLERMONT [email protected] D ANS SA TRILOGIE Je ne suis pas là, Olivier Barrot confessait déjà : « Je me suis nourri de la notion même de frontière, qui mêle la réalité géographique et le caprice historique, autrement dit l’espace et le temps. » Grand voyageur, anglopathe avoué, créateur et animateur de l’émission « Un livre un jour », auteur du Fils perdu, passionné de cinéma et de théâtre, il nous offre cette fois-ci un autoportrait en creux, à travers une évocation littéraire, musicale et familiale de la Mitteleuropa, « cet Orient condamné de l’Europe », peuplé des fantômes du « monde d’hier ». Au fil des pages, le long des paysages, on découvre un Olivier Barrot fasciné par les melting-pots de langues, aimanté par les frontières, ou mieux : l’identité de frontière, selon l’expression de Claudio Magris, l’auteur de Danube. Et il a ses raisons : ses grands-parents maternels, d’origine juive, sont nés en Bessarabie, alors russe, aujourd’hui la Moldavie indépendante. Olivier Barrot aura mis des années pour amener à maturité son projet d’écriture. La lointaine Bucovine Cette quête aux allures de reportage sentimental par-delà le rideau de fer débute au cours de l’hiver 1965. Accompagné d’un ami, il prend à Paris un train de nuit pour rejoindre la Tchécoslovaquie. Ils découvrent Vienne, « à la fois opulente et disproportionnée, ville impériale en chromos et souspréfecture au présent », avant de gagner, le jour de Noël, la ville de Brno, berceau morave de Hrabal et de Kundera, puis Prague. À dix-sept ans, le jeune Barrot est pris par le virus. Il retourne en Tchécoslovaquie au cours de l’été 1968, avec sa sœur. Le 21 août, au petit matin, il tombe nez à nez sur les chars du pacte de Varsovie qui viennent d’envahir Prague. Adieu les églises baroques, le théâtre de marionnettes, la place Venceslas… Ces évocations, ces souvenirs remontés, ces lectures, ces instants revécus, liés à la Mitteleuropa qui commence à Trieste, Olivier Barrot les émaille de nombreuses citations et références. Alban Berg et Karl Kraus côtoient Ligeti et Musil, les poètes Paul Celan et Attila Jozsef, Canetti et Kertész. Et si la lointaine Bucovine qui fut ottomane, autrichienne, russe, roumaine est perçue comme « une Mitteleuropa à elle seule », tous ses suffrages vont à la Hongrie, un pays de musique et de poésie qui « oscille assez normalement entre l’Est et l’Ouest ». Budapest, où il s’est rendu à plusieurs reprises, c’est les bains à remous de l’île Marguerite, la pâtisserie Gerbeaud, la terrasse du Central, la colline de Buda, mais c’est également le piano de Bartok, les Mémoires de Hongrie de Sandor Marai… Cette soif de l’Est ne s’est jamais apaisée. Olivier Barrot a multiplié les séjours durant près d’un demi-siècle : Bratislava, Sofia, la Roumanie et la partie orientale de « Berlin l’obsédante », où il se rend pour la première fois en 1976. Enfin, dans ce petit livre qu’on aurait aimé plus épais, il rend un bel hommage à Elias Canetti et sa Langue sauvée, premier volume de sa trilogie autobiographique, Canetti qui, dit-il, « abolit simplement ces catégories arbitraires que sont l’espace et le temps, apparentant à l’existentiel la littérature ». N’est-ce pas là l’essentiel ? ■