L`hypotension orthostatique

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L`hypotension orthostatique
Mise au point
L’hypotension orthostatique
Jacques BODDAERT
Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris
EPIDEMIOLOGIE
La fréquence de l’hypotension orthostatique varie, selon de très nombreux facteurs, de 5% à près de
70% chez le sujet âgé. Son taux de prévalence augmente avec l’âge et passe de 5% ou moins avant 65
ans à plus de 30% au-delà de 75 ans. Ce taux est de 15% chez les patients de plus de 65 ans à domicile et
de 50% chez les patients âgés en institution. Selon le degré d’autonomie, le taux de prévalence varie de 6
à 10% dans une population de sujets âgés en bonne santé ou vivant à domicile, avec une augmentation
chez les sujets en institution ou en milieu hospitalier. Associée à une hypertension artérielle systolique,
la prévalence de l’hypotension orthostatique est de l’ordre de 30% chez les seniors.
PHYSIOLOGIE DE L’ORTHOSTATISME
La réponse hémodynamique à l’orthostatisme (RHO) met en jeu différents mécanismes. L’orthostatisme
s’accompagne d’une diminution lente de la pression artérielle et du remplissage cardiaque, liée à une
stase de l’ordre de 500 cc au niveau des membres inférieurs. En réponse, la rétraction des barorécepteurs
carotidiens et aortiques active les récepteurs à haute pression carotidiens et aortiques et les récepteurs à
basse pression cardio-pulmonaires. Ce signal est transmis au système nerveux central. Le baroréflexe est
le mécanisme de réponse hémodynamique par lequel le système nerveux central contrôle la pression
artérielle en diminuant l’activité du système parasympathique à visée cardiaque et en augmentant
l’activité sympathique vers le cœur et les vaisseaux. Ces modifications d’activité du système nerveux
autonome, renforcées par un relargage périphérique de noradrénaline, agissent sur le noeud sinusal et la
vasomotricité, en augmentant l’inotropisme et le chronotropisme cardiaques (de l’ordre de 10 à 15
battements/min) ainsi que les résistances périphériques, pour aboutir à une augmentation de la pression
artérielle.
LES CONSÉQUENCES DU VIEILLISSEMENT
Le vieillissement a des conséquences sur le système nerveux autonome et la paroi artérielle qui est le
capteur des signaux déclenchants et le principal effecteur de la RHO. Pour le système nerveux
autonome, dans l’ordre de leur mise en jeu dans la réponse hémodynamique à l’orthostatisme, on note
avec l’âge :
- une diminution de la sensibilité des barorécepteurs ;
- une modification du contrôle baroréflexe sur le système sympathique, qui s’accompagne d’une
augmentation de l’activité basale sympathique, d’une réduction de l’activité cardiaque vagale, ainsi
qu’une corrélation inverse entre vieillissement et contrôle sino-aortique de la fréquence cardiaque,
témoignant du déclin du contrôle baroréflexe artériel ;
- une diminution de la sensibilité des récepteurs β-adrénergiques vasculaires, de la réponse vasomotrice
des vaisseaux à la noradrénaline, et de la vasoconstriction efficace.
Par ailleurs, différents facteurs sont à prendre en compte dans la RHO du sujet âgé. Avec le
vieillissement :
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- l’insuffisance veineuse, fréquente dans la population âgée, entraîne une majoration du stockage
veineux au niveau des membres inférieurs ;
- on constate une diminution des taux circulants de rénine plasmatique et d’aldostérone, semblant
augmenter les pertes sodées en conditions de “stress” et secondairement favoriser l’hypovolémie chez le
sujet âgé ;
- on observe au niveau cardiaque des troubles de la relaxation à l’origine d’une dysfonction diastolique,
ainsi qu’une hypertrophie ventriculaire gauche, qui peuvent également participer à l’altération de la
RHO ;
- on retrouve au niveau artériel une rigidification de la paroi, pouvant altérer le fonctionnement de
récepteurs liés à l’étirement de la paroi artérielle, et la réponse vasoconstrictrice ;
- Enfin, il a été rapporté une défaillance de l’autorégulation du débit sanguin cérébral à l’orthostatisme.
En définitive, physiologiquement, l’âge seul représente déjà un facteur prédisposant à la survenue d’une
hypotension orthostatique.
DEFINITION DE L’HYPOTENSION ORTHOSTATIQUE
L’hypotension orthostatique (HO) correspond à une baisse de la pression artérielle à l’orthostatisme,
témoignant d’un évènement pathologique lié à l’insuffisance des mécanismes d’adaptation mis en jeu.
Depuis 1996, un consensus a retenu les critères de sa définition, afin d’harmoniser les pratiques de son
dépistage et de son diagnostic.
La recherche d’HO doit faire suite à une période de repos en conditions calmes de 5 à 10 minutes,
pendant lesquelles la pression artérielle et la fréquence cardiaque sont contrôlées, pour s’assurer de leur
stabilité. On parle d’HO en présence d’une baisse de la pression artérielle systolique ≥ 20 mmHg et/ou
de la pression artérielle diastolique ≥ 10 mmHg intervenant à 1, 2 ou 3 minutes après l’orthostatisme,
quelles que soient les variations de la fréquence cardiaque et la symptomatologie. Les variations de la
fréquence cardiaque peuvent orienter vers une dysautonomie, après avoir pris en compte les traitements
potentiellement bradycardisants. Cependant, quel que soit le résultat, une recherche négative n’élimine
pas le diagnostic d’HO, et une symptomatologie évocatrice ou un contexte de chutes justifient la
répétition des mesures, pour finir, parfois, par considérer le diagnostic positif sur la clinique uniquement.
Il n’y a pas de recommandation pour le choix de l’appareil de mesure de la pression artérielle, mais
l’utilisation d’appareils automatisés de type Dynamap® permet des mesures précises et la disponibilité
du soignant en cas de malaise du patient.
ETIOLOGIES ET PHYSIOPATHOLOGIE
Lors de certaines situations aiguës, d’autres facteurs sont fréquemment retrouvés dans la prise en
charge des sujets âgés. Parmi les causes pouvant influencer la réponse hémodynamique à
l’orthostatisme, on retrouve les causes d’hypovolémie (déshydratation, fièvre, hémorragie), les causes
d’hypo-oxygénation (anémie ou hypoxémie), les causes d’hypodébit (insuffisance cardiaque ou
fibrillation atriale).
Enfin, la iatrogénie représente la première cause d’HO, notamment lors de l’utilisation de dérivés
nitrés, ou d’anti-parkinsoniens. La responsabilité des anti-hypertenseurs est plus discutée, car les effets
au longs cours sur la paroi artérielle pourraient améliorer la réponse hémodynamique à l’orthostatisme.
CONSEQUENCES
« L’HO est à l’hypertension artérielle ce que l’hypoglycémie est au diabète : un risque immédiat
opposable à un facteur de risque au long cours ».
L’HO est un évènement potentiellement grave. En effet, elle est associée à la survenue de lipothymies et
de syncopes. La baisse de la pression artérielle à l’orthostatisme est associée à un risque élevé de chute,
en particulier chez les sujets âgés fragiles institutionnalisés, chez les patients âgés ayant une HO
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asymptomatique et chez les patients âgés dépressifs. En pratique gériatrique, l’HO peut avoir de
nombreuses conséquences délétères à court, moyen ou long terme.
- Les conséquences immédiates comprennent les malaises, les chutes, les traumatismes et la confusion
mentale.
- A un stade intermédiaire, les complications observées sont l’apparition d’un syndrome post-chute, la
peur de la chute, la restriction d’activité et la perte d’autonomie motrice.
Enfin, l’HO est indirectement à l’origine d’une altération de la qualité de vie, d’une hospitalisation ou
encore d’une admission en institution.
Elle pourrait constituer un facteur de risque d’accident vasculaire cérébral ischémique. Les sujets âgés
hypertendus avec une HO pourraient être à risque de développer une maladie cérébro-vasculaire. Enfin,
la baisse de la pression artérielle immédiatement après l’orthostatisme identifie des sujets âgés
autonomes à haut risque de présenter un infarctus du myocarde.
De plus, l’HO est un facteur prédictif indépendant de mortalité chez le sujet âgé, les patients diabétiques
qu’ils soient hypertendus ou non, les patients atteints de démence et chez les patients hémodialysés.
PRINCIPES DE PRISE EN CHARGE
La prise en charge de l’HO repose dans un premier temps sur des mesures non pharmacologiques.
Elles comprennent l’éducation du patient, la prise en charge des facteurs étiologiques ou déclenchant, un
régime normosodé, la suppression de l’alcool, cette dernière entraînant une vasoconstriction à
l’orthostatisme, le maintien ou la reprise d’une activité physique et d’une verticalisation précoce, et le
port d’une contention veineuse élastique. Le port de bas de contention tend à s’opposer à la stase
veineuse, et ainsi à améliorer la pré-charge. La tolérance est bonne, et ils ne présentent que trois contre
indications : l’existence d’une artériopathie oblitérante des membres inférieurs sévère, de volumineux
oedèmes des membres inférieurs et d’une cellulite infectieuse. L’éducation du patient est une étape
essentielle dans la prise en charge d’une HO. Il faut apprendre au sujet âgé à reconnaître les symptômes
et à décomposer l’orthostatisme. Les changements rapides de position doivent être évités, et il est
important de dissocier le lever en mouvements lents ou avec des paliers, pour s’assurer de l’absence
d’apparition de symptômes d’HO. En particulier, le lever à partir de la position allongée doit au moins
comporter une étape en position assise, avec un temps de repos de plusieurs minutes permettant au
système cardiovasculaire de s’adapter. Il est prudent de prévoir la possibilité de pouvoir s’asseoir ou de
s’allonger dans les 3 minutes qui suivent le lever, en cas d’apparition de symptômes évocateurs, ce qui
permet d’éviter les chutes et les traumatismes.
- En cas d’échec de ces mesures, un traitement spécifique pharmacologique peut être proposé. Le
maintien des valeurs de pression artérielle par effet vasoconstricteur peut être obtenu essentiellement par
l’utilisation d’un agoniste α1-adrénergique périphérique, la midodrine qui est actuellement le traitement
le mieux documenté par différentes études randomisées dans le cadre de l’HO neurogénique. Les autres
alternatives thérapeutiques (analogue de la somatostatine, dihydroergotamine, antagonistes des
récepteurs α2 adrénergiques, catécholamines, fludrocortisone, inhibiteurs de prostaglandines,
érythropoïétine) n’ont pas fait la preuve de leur efficacité ou de leur bonne tolérance chez le sujet âgé ou
nécessitent des études supplémentaires, hormis la fludrocortisone qui agit en augmentant la volémie
mais entraîne souvent l’apparition d’oedèmes des membres inférieurs.
CONCLUSION
L’hypotension orthostatique chez le sujet âgé est un évènement grave, à travers les conséquences
potentielles qu’elle peut entraîner, et peut être considérée comme un marqueur de fragilité. C’est un
facteur pronostique péjoratif majeur et particulièrement fréquent chez le sujet âgé. Son dépistage est bien
codifié et sa prise en charge repose sur des mesures souvent simples à mettre en place.
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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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Biol Sci Med Sci 2000; 55: M667-71.
3. Boddaert J, Tamim H, Verny M, et al. Arterial stiffness is associated with orthostatic hypotension in
elderly subjects with history of falls. J Am Geriatr Soc. 2004; 52: 568-72.
4. Consensus statement on the definition of orthostatic hypotension, pure autonomic failure, and multiple system atrophy. The Consensus Committee of the American Autonomic Society and the American
Academy of Neurology. Neurology 1996; 46: 1470.
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older persons. Arch Intern Med. 1999; 159: 273-80.
6. Raiha I, Luutonen S, Piha J, et al. Prevalence, predisposing factors, and prognostic importance of
postural hypotension. Arch Intern Med 1995; 155: 930-5.
Tableau 1: Facteurs impliqués dans la genèse d’une hypotension orthostatique.
Types de modifications
Altérations du système nerveux autonome
Diminution du volume sanguin et de son contenu
en O2
Altération de la paroi artérielle
Diminution du débit cardiaque
Autres
Pathologies en cause
Alitement prolongé
Centrales :
Maladie de Parkinson
Accident vasculaire cérébral
Tumeurs
Shy Drager
Riley-Day
Bradburry-Engleston
Périphériques :
Diabète
Amylose
Connectivites
Insuffisance rénale
Carences vitaminiques
Maladies infectieuses
Hypovolémie, déshydratation
Stase, séquestration veineuse
Hypoxie, anémie
Sténose carotidienne
Vieillissement artériel
Athérosclérose
Hypertension artérielle
Insuffisance cardiaque
Troubles du rythme, principalement l’AC/FA
Troubles de la conduction
Dénutrition
Endocrinopathies :
Phéochromocytome
Dysthyroïdie
Insuffisance surrénalienne et
antéhypophysaire
Mf 37-2005