« zéro soulèvement» en laverie

Transcription

« zéro soulèvement» en laverie
D
D O S S I E R
R A Y O N N E R
E N
P R É V E N T I O N
La petite histoire d’un
« zéro
soulèvement » en laverie
10 • OBJECTIF PRÉVENTION • VOL. 24 – NO 3 – 2001
Carl Boivin est soudeur au service d’entretien
et de fonctionnement des installations matérielles du Carrefour
de santé de Jonquière. Nous présentons, ici, son implication
au sein d’un projet d’amélioration des conditions de travail
du personnel de la laverie du Carrefour. Un artisan en prévention,
Carl ? Sans aucun doute ! Mais à y regarder de plus près, on
comprend que son succès repose aussi sur la contribution de
plusieurs autres personnes qui œuvrent ailleurs, bien en amont
de lui, au sein de l’organisation. Reconnaître cette contribution
est une tâche essentielle pour qui veut renforcer les conditions
réelles de succès en prévention.
Rafat Massad
Si vous visitez un jour le Carrefour de santé de Jonquière,
asstsas
il y a peu de chance que vous tombiez sur Carl et ses collègues.
Pourquoi ? C’est que le service d’entretien et de fonctionnement des installations matérielles est situé, pour ne pas dire
caché, comme dans la plupart des établissements du secteur,
quelque part au sous-sol. Et à moins d’avoir affaire sur place
aux gens de ce service, vous
risquez fort de passer tout droit.
Ils sont plutôt discrets et
Parce que lorsque les travailleurs
pourtant, c’est grâce à leur conparticipent à la résolution d’un
tribution que les bâtiments des
problème, la solution leur appartient établissements du secteur sont
des milieux de travail habitables.
et c’est sûr qu’ils vont l’utiliser.
Pensez à ce que serait votre environnement physique de travail si vous n’aviez pas à votre
service, pour n’en nommer que quelques-uns, les menuisiers,
peintres, plombiers, électriciens !
Vous l’aurez sans doute deviné, Carl, comme tous ses collègues qui œuvrent aux services techniques, est assigné à des
tâches manuelles sans contact direct avec les clients. Et de ce
fait, ils sont parfois les oubliés du système, leurs services ayant
tout l’air d’aller de soi.
Ces gens exercent toutefois une influence énorme sur la
capacité des autres membres du personnel de tout établissement d’allier qualité de service et qualité de vie au travail.
En voici un exemple qui montre bien leur impact sur l’amélioration des conditions de santé et de sécurité du personnel.
D’un « plein le dos » à zéro soulèvement
Ça se passait il y a de cela trois ans, au tout début de l’entrée
en service de Carl comme soudeur. À l’époque, une sorte d’épidémie de douleurs et de blessures au dos assaillait les travailleurs de la laverie (service alimentaire) lorsqu’ils vidaient les
poubelles dans le compacteur de l’hôpital.
Le problème est soumis au comité paritaire de santé et de
sécurité du travail (CPSST) du centre qui recommande à l’em-
ployeur de corriger le problème à la source.
« Notre chef de service, nous raconte
Carl, m’avait informé qu’il y avait eu plusieurs tentatives pour régler ce problèmelà, mais que ça n’avait jamais donné de
résultats. Il m’a donc demandé d’aller
regarder ça de plus près ».
En observant les employés travailler
et en discutant avec eux, Carl a constaté
que lorsqu’ils desservaient les plateaux
en provenance de la cafétéria, ils devaient
jeter les restants de nourriture dans un
sac de plastique placé dans une grosse
poubelle déposée à terre. Ils devaient
ensuite, après avoir attaché chaque sac,
déposer les poubelles sur un chariot pour
les emporter jusqu’au compartiment où
était logé le compacteur. « Et c’est en
effectuant le soulèvement manuel des
sacs très lourds et en les lançant dans
l’ouverture du compacteur que les gens
se blessaient », nous raconte-t-il.
Après avoir examiné les solutions qui
avaient été essayées pour régler ce problème, Carl a ensuite exploré les autres
1. Carl Boivin et son invention : un socle sur
roulettes sur lequel repose la poubelle et un
mécanisme permettant de faire usage des
fourches du compacteur. Zéro soulèvement
garanti.
L EA SY OU NR NG EE RN CE ENS P: R U
R
É V
NE D
N ÉT FI O
I NÀ
solutions possibles avec les gens qui travaillent à la laverie. « Moi, nous dit-il, c’était
leurs solutions qui m’intéressaient. Parce que lorsque les travailleurs participent à la
résolution d’un problème, la solution, une fois mise en place, leur appartient et c’est
sûr qu’ils vont l’utiliser ».
Pour la recherche d’une solution à un problème de ce genre, Carl soutient qu’il
s’est donné une façon bien à lui de fonctionner : « Mon but, c’est toujours d’en ôter le
maximum. Je trace un plan sommaire dans ma tête et là, je travaille autour de mon
affaire. Je la vire et la revire dans ma tête, puis j’en ôte. Quand c’est épuré au maximum,
je commence la construction ».
Dans le cas des sacs à déchets, la solution a consisté à construire un socle sur
roulettes sur lequel repose en tout temps la poubelle et à concevoir un mécanisme
permettant de faire usage des fourches dont est muni le compacteur.
Grâce à ce dispositif, les travailleurs n’ont qu’à rouler le socle avec sa poubelle pleine
jusqu’au compacteur, à attacher le sac et à engager le mécanisme de jonction de la poubelle dans les fourches du compacteur. En appuyant sur le bouton du compacteur, les
travailleurs n’ont plus ensuite qu’à admirer le voyage du sac de la poubelle dans le
compacteur (photo 1).
« Je trouve, nous a déclaré
Carol Fortin qui travaille à la
Au-delà de la dimension technique
laverie, que le système que
se cache tout un univers organisaCarl a installé est très bon. Il
tionnel qui rend possible la transfor- n’y a plus de danger de se blesser au dos puisqu’il n’y a plus
mation des conditions de travail
aucun contact avec le sac. Je
pour les rendre plus sécuritaires.
trouve ça extraordinaire ».
On pourrait ajouter que le tout a été réalisé à très faible coût. En nous montrant le
socle à poubelle qu’il a fabriqué, Carl nous faisait d’ailleurs remarquer que celui-ci
comprenait une composante faite à partir de roues désuètes de chaises roulantes.
« Je prends des choses qui existent déjà et qui ne servent plus à rien, nous raconte
Carl, je vais chercher des formes là-dedans pour en produire d’autres. Ça permet d’épargner bien de l’argent ».
Cette approche « écologique » aura donc permis de régler un problème de maux de
dos à la source, à un très faible coût et à la satisfaction de tous. Cette innovation lui a
valu une mention de reconnaissance de la part du CPSST et un prix symbolique.
Les conditions de succès
Cette histoire d’un succès, me direz-vous, on pourrait en raconter des centaines de
similaires, puisque tous les jours, partout au Québec, des travailleurs compétents,
imaginatifs et économes, sont à l’écoute de leurs clients et construisent ou modifient
des dispositifs pour faciliter le travail et éliminer les risques d’accidents. Et vous
auriez sans aucun doute raison.
En fait, au-delà de la dimension technique de la solution que Carl a pu trouver au
problème soumis, se cache tout un univers organisationnel qui rend possible la transformation des conditions de travail pour les rendre plus sécuritaires. C’est cet univers que
nous voulons examiner à présent en partant des deux extrémités de la chaîne.
Du côté de Carl, sa démarche auprès de ses clients peut sembler aller de soi. Toutefois,
elle n’a été rendue possible que grâce au choix organisationnel, introduit il y a de cela
quelques années, d’impliquer directement les travailleurs du service de l’entretien et du
fonctionnement des installations matérielles auprès de leurs clients.
Auparavant, le gestionnaire recevait une demande, l’interprétait et assignait un travailleur à l’exécution de la solution envisagée. « Aujourd’hui, le travailleur n’est plus
un simple exécutant, nous explique Gilles Turcotte, coordonnateur des services techniques. Il est appelé à faire usage de l’ensemble de ses ressources, intellectuelles et autres,
pour bien saisir le problème qui lui est soumis, imaginer des solutions et, une fois
validées, les implanter ».
Le mode de fonctionnement du service de l’entretien des installations matérielles,
R E L E V E R
2. Le mode de fonctionnement du service de l’entretien
des installations
matérielles, dont
Gilles Turcotte,
coordonnateur des
services techniques,
a été l’artisan, a
joué un rôle très
important dans la
capacité de Carl à
répondre adéquatement aux besoins
de ses clients.
dont Gilles Turcotte a été lui-même l’artisan, a donc joué un rôle très important
dans la capacité de Carl à répondre aux
besoins de ses clients (photo 2).
De l’autre côté de la chaîne, du côté
des travailleurs de la laverie, la démarche persistante de signalement d’un problème relié à une activité spécifique de
travail peut aussi sembler aller de soi.
Or, des problèmes qui datent et qui
prennent du temps à être réglés entraînent
trop souvent une certaine résignation de
la part des personnes qui les vivent.
On peut donc affirmer que la volonté
des travailleurs de persister à nommer le
problème qu’ils vivaient et la reconnaissance de leur compétence à expliquer et
à analyser ce problème et à collaborer
avec Carl à la recherche d’une solution
en font de véritables artisans dans l’amélioration de leurs conditions de travail.
Entre les deux bouts de la chaîne, le
CPSST de l’établissement a lui aussi joué
un rôle important dans la démarche en
étant attentif à la nécessité de régler un
problème trop longtemps négligé.
Pour terminer, que ce soit du côté des
travailleurs de la laverie ou du CPSST,
toutes ces personnes ont su exprimer leur
reconnaissance de la qualité du travail de
Carl, ce qui n’a pas manqué de stimuler
ce dernier, contribuant ainsi à la synergie
de la prévention dans l’organisation.
Des leçons utiles pour
le succès de la prévention
Une chaîne de solidarité relie entre
eux les artisans de ce projet d’élimination
SUITE
PAGE
15
11 • OBJECTIF PRÉVENTION • VOL. 24 – NO 3 – 2001
D
D O S S I E R
D
D O S S I E R
R A Y O N N E R
E N
P R É V E N T I O N
La petite histoire d’un « zéro soulèvement » en laverie
SUITE
DE
LA
PAGE
11
du soulèvement manuel de charges lourdes. Par extension, il est possible d’en tirer un
certain nombre de leçons utiles sur les conditions de succès de tout projet de prévention.
Tout d’abord, pour qu’un projet de prévention voie le jour, il est fondamental que
les personnes qui vivent un problème de santé et de sécurité expriment leurs besoins
et leurs attentes. Envers et contre tout, pourrait-on ajouter. Envers et contre les délais
souvent trop longs pour régler le problème, envers et contre les lourdeurs et les lacunes
de communication qui s’interposent et qui parfois laissent croire que la solution ne verra
jamais le jour. Lorsque des travailleurs nomment les problèmes de santé et de sécurité
qui les confrontent, ils mettent en place une condition essentielle pour les voir réglés.
D’autre part, un problème de santé et de sécurité doit aussi trouver quelque part
dans l’organisation une oreille attentive. Le chef de service ne devrait d’ailleurs pas
hésiter à demander le support du CPSST si des problèmes qui lui sont rapportés
tardent à être corrigés.
De plus, une fois un problème réglé, les résultats positifs qu’il génère devraient
être reconnus. Le CPSST est particulièrement bien placé pour jouer ce rôle de
grandes oreilles et de haut-parleur de la prévention.
Enfin, pour que les projets d’amélioration donnent des résultats concrets,
il convient de favoriser l’interconnexion
des expertises qui couvent au sein de
l’organisation. Il faut donc, à tout prix,
relier l’expertise des gens qui vivent
quotidiennement les problèmes dans les
services et celle de personnes qui, comme
Carl, ont les compétences et les habiletés
à proposer des solutions appropriées à
ces problèmes.
Des artisans en prévention, il n’en
tombe pas du ciel. Ils sont déjà là, les
deux pieds sur terre et bien à portée de la
main. Savons-nous les reconnaître ?
Saurons-nous nous reconnaître ? ◆

Documents pareils