un jour sans fin

Transcription

un jour sans fin
AU COLLÈGE
Collège au cinéma
Auteur
Chloé Guerber Cahuzac
Date
2009
Descriptif
« UN JOUR SANS FIN »
D’HAROLD RAMIS
Ce document propose une synthèse de la formation organisée dans le cadre de "Collège au cinéma". Différents thèmes y
sont développés : la comédie, le Conte fantastique, le récit initiatique, le personnage et l'acteur...
Ce film est une comédie grand public. Ses qualités principales viennent de l’écriture du scénario et de la direction
d’acteur.
Il repose sur un comique de situation (avec une situation fantastique), l’ensemble étant au service d’un récit initiatique.
La situation fantastique sert le récit comique, mais aussi l’évolution psychologique du personnage.
La fable morale est ici présentée avec légèreté. Les enjeux sont posés par les rebondissements et non par un discours
moralisateur qu’on trouverait plus volontiers dans d’autres films hollywoodiens.
On note dès le début que deux niveaux de lecture s’imposent :
- Nous suivons jour après jour le personnage qui essaie de lutter ou d’exploiter cette situation absurde.
- Nous savons, sans que cela soit dit, que le personnage doit, au-delà des gags, cheminer moralement pour sortir de son
enfermement.
C’est ce deuxième point qui retiendra dans un premier temps notre attention.
Cette interprétation que nous faisons du récit est favorisée par nos connaissances de lecteur et de spectateur. Et les
scénaristes ont compté sur ces connaissances. Le film renvoie (sans s’y conformer complètement) à différentes histoires
ou structures de récit très connues.
Nous pourrions ainsi nous amuser avec la proposition suivante : et si ce film était un conte, à quelle histoire nous ferait-il
penser ? Et s’il renvoyait à un mythe ? Et si ce film était une comédie romantique ? etc.
I- Un récit à la croisée d’autres récits
A) La caractérisation du personnage, point d’ancrage du récit
1. Le sortilège
Le sortilège subit par le héros est intrinsèquement lié à sa fonction. Le scénario est construit sur une distorsion temporelle :
le temps s’arrête. Or, notre héros annonce le temps qu’il va faire.
Plus de lendemain, plus de météo, notre héros perd sa fonction sociale. Cette fonction est le seul lien qu’il a avec le monde
extérieur puisqu’il méprise ceux qui l’entourent.
Elle lui donne d’ailleurs l’arrogance d’une petite célébrité locale.
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2. Étude de l’exposition : caractérisation du personnage
Pour que nous puissions croire à l’évolution psychologique de ce personnage assez détestable, il est important que
quelques indices soient glissés ici et là dès le début du film.
Ainsi, dès l’exposition, nous voyons que Phil est touché par Rita alors qu’il la découvre jouant devant le fond bleu. Ce plan
est rapide, mais très important : certes, Phil a beaucoup de défauts, mais il peut être ému par quelqu’un.
L’exposition nous permet aussi de découvrir les deux aspects du personnage : il a recours à un humour pince sans rire,
cela fait de lui quelqu’un d’amusant. Rita rit de ses plaisanteries. Il est aussi cynique, grinçant et parfois méchant : cette
facette le coupe des autres. C’est ainsi que durant les 5 premières minutes du film, on oscille entre humour et méchanceté.
Ce dosage fait partie du travail de caractérisation mené par les scénaristes. Il faut cette méchanceté pour justifier les
péripéties qui vont suivre. Il faut aussi ces quelques indices, signes de sensibilité, pour que la fin soit crédible.
3. Bill Murray : l’acteur statique
Le film est porté par Bill Murray. Il est intéressant avec le recul de voir que le personnage qu’il joue ici semble être à
l’origine de ceux qu’il va incarner dans Lost in Translation de Sofia Coppola et Broken Flowers de Jim Jarmusch.
Il s’agit d’un personnage plutôt raide et statique. C’est sa posture globale qui le caractérise et non sa gestuelle. Ses bras
sont le long de son corps, ses mains parfois enfouies dans les poches de son grand manteau. Son visage est plutôt
impassible à quelques grimaces près. Dès lors, il dégage quelque chose d’un peu mécanique.
Le jeu rigide de Bill Murray est bien sûr accentué par certaines situations et par leur répétition même : ainsi il est
constamment filmé en plongée, engoncé dans son lit.
Au fur et à mesure du film, sa posture physique va s’assouplir et ses vêtements changer.
B) Mythes et contes
1. Le mythe autour de la répétition
Dans différents mythes, un personnage défie les dieux et se voit puni par un châtiment qui se répète indéfiniment.
Prométhée, qui a volé le feu pour le donner aux hommes, est ainsi attaché à un rocher. Un aigle vient dévorer son foie.
Chaque jour, son foie se reconstitue et l’aigle revient.
2. Conte et sortilège météorologique
Dans un conte, le héros peut être la victime d’un sortilège. Parfois, c’est un sorcier, une belle-mère, un personnage
malfaisant qui est la source de ce sortilège.
Ici, le seul ennemi de Phil, c’est son caractère suffisant qui l’empêche de regarder le monde autour de lui.
Sur un plan comique, le personnage malfaisant peut aussi être son double, Phil la marmotte. Comme lui, cette célébrité
locale annonce le temps qu’il va faire. Or, elle prédit, à juste titre, la poursuite de l’hiver pendant 6 semaines de plus, tandis
que Phil Connors lui se trompe sur le blizzard à venir ! Le voici ridiculisé… et obligé d’hiberner dans le 2 février comme
une marmotte.
Le récit initiatique commence donc par une perte de maîtrise : le blizzard a bien lieu.
Dès lors, le temps se fige, le héros perd sa fonction sociale.
3. La fin du sortilège
Lorsqu’un prince est victime d’un sort, il doit faire preuve de bonne volonté pour plaire à la princesse qui le délivrera. Dans
La Belle et la bête (1945) de Jean Cocteau, la bête doit se faire aimer de la belle. Lors du premier dîner au château, il lui
explique la situation : « j’apparaîtrai chaque soir à 7 h. Avant de disparaître je devrai vous poser une question, toujours la
même : Belle, voulez-vous être ma femme ? »
Dans Un jour sans fin, nous sommes bien face à une belle et à une bête. La règle du jeu n’est pas donnée. Aucune
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condition n’est réellement posée. Pourtant, nous savons dès le départ que Phil Connors doit se faire aimer de Rita.
Les scénaristes comptent sur notre attente : ils vont la satisfaire, mais en commençant par la déjouer. En effet, Phil tente de
séduire Rita à la 41e minute, c’est trop tôt par rapport à la longueur du film. Il va donc échouer… pour mieux susciter
l’intérêt de la jeune femme à la fin du film, alors qu’il est devenu quelqu’un de vraiment généreux.
C) Un genre de cinéma: la comédie romantique
Dès le début du film, la présentatrice du journal télévisé évoque les films traitant de sexe et de violence. Un peu plus tard,
Phil Connors confond le poète, Sir Walter Scott, et le réalisateur Ridley Scott. Finalement, le suicide de Phil avec la
marmotte est une parodie du suicide final dans Thelma et Louise de Ridley Scott (1991).
Bien évidemment, Un jour sans fin se rapproche plutôt de la comédie romantique traditionnelle que d’un film violent ou
osé.
Dans la plupart des comédies romantiques, deux personnages aux caractères opposés finissent par évoluer et trouver un
terrain d’entente. C’est le cas dans New York-Miami de Frank Capra (1934) avec Claudette Colbert et Clark Gable.
Dans Un jour sans fin, le scénario s’appuie aussi sur une opposition caricaturale : elle est très naïve, il est cynique.
Reste que seul Phil se transforme. Il n’y a pas d’interaction entre les personnages puisque le temps est figé. En revanche,
nous avons le sentiment de découvrir Rita car au fur et à mesure des situations, elle se révèle très volontaire, capable de
discernement et cela, sans rien perdre de sa capacité à s’émerveiller.
Phil, en faisant le bien autour de lui, va découvrir qu’il peut, lui aussi, s’émerveiller.
Le film se déroule dans une petite ville américaine. Au départ, nous suivons le héros qui pense que l’Amérique populaire
est le lieu du mauvais goût et de l’ennui. Le ton est plutôt satirique. Peu à peu, nous basculons dans le regard de Rita et du
« nouveau Phil » : éloge des gens simples, du bon sens commun, de la gentillesse provinciale. C’est en s’intéressant à ces
gens, au lieu de les mépriser que Phil va devenir attirant aux yeux de Rita.
L’opposition entre la grande ville et la petite ville provinciale est un leitmotiv du cinéma américain. On le retrouve
notamment dans les films de Frank Capra.
II- Comique fantastique et récit initiatique
A) Le glissement vers le fantastique
1. Un enfermement temporel et personnel
Nous nous posons très peu de questions sur la nature de cette distorsion temporelle puisqu’il est entendu qu’il s’agit d’un
ressort comique et moral. On pourrait d’ailleurs ramener cette histoire à une métaphore de l’état d’esprit du héros.
Selon Phil, tous les jours se ressemblent et les personnes qui l’entourent n’ont aucun intérêt. Dès lors, pourquoi passer au
jour suivant ? Pourquoi rencontrer de nouvelles personnes ? Tout se vaut.
L’univers mental du héros devient une réalité : le monde prend la forme de sa vision du monde.
2. La séquence du passage sans passage ?
Si deux éléments fragilisent le héros (la présence de son double et l’erreur dans ses prévisions météorologiques), on ne
peut pas dire qu’un élément déclencheur particulier justifie le passage au fantastique. Au contraire, c’est la répétition d’une
même situation qui fait apparaître le fantastique. On peut, dès lors, comparer le premier réveil et le second. Ce sont
essentiellement les réactions du héros étonné qui différencient les deux séquences. On notera juste quelques plans
supplémentaires et la présence de musique lors du deuxième réveil.
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B) Du comique d’enfermement au comique de répétition ?
1. Comment réagir lorsque l’on est enfermé dans le film d’une journée ?
Le personnage commence par chercher des explications, des solutions. Finalement, se sentant seul et impuissant face à
cette situation, il essaie d’en tirer profit comme il peut.
Si l’on traduit cette situation en termes de cinéma, on pourrait dire que le personnage est enfermé dans un film, une
structure narrative. Il peut éviter certaines séquences, en visiter d’autres, changer son texte, mais les personnages en face
de lui, joueront toujours le même rôle, dans le même décor et la durée de l’ensemble sera toujours la même.
2. Répétition, variation et manipulation
Comme le héros est le seul à comprendre qu’il est pris dans une journée sans fin, il peut manipuler les autres. Il a une
donnée que les autres personnages n’ont pas. C’est ainsi qu’il peut séduire Nancy. Ses premières questions à la jeune
femme nous intriguent. Dans un second temps, nous comprenons qu’il la manipule. Enfin, nous constatons, et cela bien
avant lui, qu’il est très amoureux de Rita. Tantôt nous en savons moins que le héros, tantôt plus. La répartition des
informations données au spectateur au cours d’un film fait partie des éléments qui rendent le récit piquant.
3. Répétition, variation et ellipse
Le récit se construit autour de répétitions avec variations et ellipses. Dès que le spectateur a identifié un certain nombre de
lieux, de personnages marqueurs, de séquences matricielles, les ellipses peuvent commencer.
Dans les premières séquences de séduction de Rita, nous découvrons le café, le bar, le restaurant, le jardin enneigé, la
chambre. Puis, nous n’avons plus que la conclusion de ces séquences : des gifles à répétition.
Ces rencontres répétées avec un même personnage secondaire sont écrites selon deux modèles.
1) Le personnage secondaire conserve les éléments de son texte ainsi qu’une attitude type, mais Phil tente des réactions
diverses.
Cela pourrait être un exercice d’improvisation au théâtre : comment incarner un personnage toujours égal à lui-même alors
que le partenaire est tantôt sympathique, tantôt odieux ou brutal ?
C’est le cas des rencontres entre Phil Connors et Ned Ryerson. En les comparant, on voit que Ned finit par fuir Phil lorsque
celui-ci mime son attitude corporelle et devient lui-même expansif et « collant ».
2) Le personnage secondaire (Rita) montre une réelle finesse psychologique. Phil veut tenter de le manipuler, mais à trop
répéter, il finit par jouer faux. C’est le cas durant la séquence du bonhomme de neige.
Ces situations ont été travaillées avec soin par les scénaristes. Elles se présentent aussi comme un commentaire sur le
travail de l’acteur multipliant les prises. Au bout de combien de prises, sera-t-il crédible ?
Suggestion : il serait bien sûr amusant d’inventer d’autres journées et d’autres rencontres.
III Autres films mêlant comique fantastique et récit initiatique
Dans Docteur Jerry et Mister Love (1963), parodie réalisée et interprétée par Jerry Lewis, le professeur Kelp invente une
potion qui le rend fort et séduisant. Malheureusement cette potion fait aussi de lui un personnage odieux. Il finit par
déclarer à ses élèves qu’il faut s’aimer tel que l’on est.
Dans Sherlock Jr de et avec Buster Keaton (1924), le héros est accusé d’un vol par sa fiancée. N’ayant pas réussi à
prouver son innocence, il retourne tristement à son travail de projectionniste. Il s’endort en cabine et, dans ses rêves,
parvient à entrer dans le film projeté en salle pour y résoudre une histoire de vol. Le film commence par rejeter sa présence
en passant rapidement d’un plan à l’autre, d’un paysage à l’autre. Finalement, Keaton revêt le costume de Sherlock Jr :
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une fois devenu héros de fiction, il peut jouer un rôle dans cette histoire. Dans son rêve, il parvient donc à faire ce qu’il n’a
pu faire dans la réalité.
Dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind (2004) de Michel Gondry, le héros a demandé à une équipe médicale
d’effacer tous les souvenirs qu’il avait de sa compagne. Durant l’opération (les souvenirs s’effacent en partant du plus
récent pour aller vers le plus ancien), Joel s’avère conscient de ce qui lui arrive. Il voit donc son passé défiler et, une fois
parvenu aux bons souvenirs, décide de lutter contre le processus d’effacement. Le voici qui court sur la glace, qui traverse
plusieurs pièces comme s’il arpentait le film de sa mémoire. Pris dans le montage de ces souvenirs qui disparaissent au fur
et à mesure, il décide d’emmener Clémentine dans des souvenirs d’enfance.
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