Micromgas et Le Voyage du baron de Gangan

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Micromgas et Le Voyage du baron de Gangan
Micromégas et Le Voyage du baron de Gangan.
Micromégas, à la différence d'autres contes de Voltaire, pose un problème important de
datation et, au-delà, un problème de genèse.
Après avoir longtemps cru que le conte avait été composé entre Zadig et Candide, la critique
admet maintenant que le texte a dû être écrit vers 1738-1739 (ce qui en ferait, comme l’a
remarqué R. Pomeau, le premier conte de Voltaire), et probablement remanié vers 1750, juste
avant sa publication, en 1751 puis en 1752.
Différents arguments semblent en effet imposer cette conception :
- La plupart des événements auxquels Micromégas et son compagnon se trouvent
confrontés sur la Terre forment l'actualité des années 1736-1739 (expédition de
Maupertuis, guerre russo-turque, etc.), alors que les allusions à l'actualité du début des
années 1750 sont assez rares (par exemple l'allusion à la querelle des bouffons à la fin du
premier chapitre).
- Les idées développées par Voltaire dans le conte correspondent bien à l'enthousiasme
pour les sciences qui l'animait à Cirey et à la conviction qu'il exprimait en 1738 dans les
Eléments de la philosophie de Newton : « L'homme n'est pas fait pour connaître la nature
intime des choses ; il peut seulement calculer, mesurer, peser et expérimenter ».
- Lorsqu'il écrit le 5 juin 1752 au rédacteur de la « Bibliothèque impartiale », Voltaire
qualifie le conte, qui vient d'être imprimé à Londres, d'« ancienne plaisanterie ».
- Enfin et surtout, les critiques se sont plu à trouver deux sources possibles au conte :
1. Certains pensent que l'idée générale, sinon le détail de l'oeuvre, a dû apparaître lors
d'un de ces divertissements que Voltaire offrait le soir à ses hôtes de Cirey fin 1738début 1739 ; utilisant des marionnettes ou une lanterne magique, le philosophe
improvisait des contes satiriques qui divertissaient beaucoup son auditoire. Le potpourri fantaisiste d'allusions à l'actualité de cette époque, la nature schématique des
personnages et jusqu'à la structure même de la narration permettent en effet d'aller
dans ce sens.
2. Beaucoup admettent que le récit a connu un premier état, aujourd'hui perdu, sous la
forme d'une fantaisie philosophique destinée à un correspondant privilégié, le prince
Frédéric de Prusse ; cette hypothèse se fonde sur un échange de correspondance de
1739 dont voici les fragments les plus significatifs :
1135. - À FRÉDÉRIC, PRINCE ROYAL DE PRUSSE
À Cirey, le 15 avril.
Je compte envoyer à Votre Altesse royale de quoi l’amuser, dès que je serai aux Pays-Bas.
1167 - À FRÉDÉRIC, PRINCE ROYAL DE PRUSSE
De Bruxelles, le 15juin.
Je prends la liberté d’adresser à Votre Altesse royale une petite relation, non pas de mon
voyage, mais de celui de M. le baron de Gangan. C’est une fadaise philosophique qui ne doit être
lue que comme on se délasse d’un travail sérieux avec les bouffonneries d’Arlequin. Le véritable
ennemi de Machiavel aura-t-il quelques moments pour voyager avec ce baron de Gangan ? Il y
verra au moins un petit article plein de vérité sur les choses de la terre. Je compte vous
présenter bientôt un autre tribut de bagatelles poétiques, car je me tiens comptable de mon
temps à mon vrai souverain.
1178. - DE FRÉDÉRIC, PRINCE ROYAL DE PRUSSE
Berlin, le 7juillet.
Mon cher ami, j’ai reçu l’ingénieux Voyaqe du baron de Gangan, à l’instant de mon départ de
Remusberg ; il m’a beaucoup amusé, ce voyageur céleste ; et j’ai remarqué en lui quelque satire et
quelque malice qui lui donne beaucoup de ressemblance avec les habitants de notre globe, mais
qu'il ménage si bien qu'on voit en lui un jugement plus mûr et une imagination plus vive qu’en tout
autre être pensant. Il y a, dans ce Voyage, un article où je reconnais la tendresse et la
prévention de mon ami en faveur de l’éditeur de La Henriade. Mais souffrez que je m’étonne qu’en
un ouvrage où vous rabaissez la vanité ridicule des mortels, où vous réduisez à sa juste valeur ce
que les hommes ont coutume d’appeler grand ; qu’en un ouvrage où vous abattez l’orgueil et la
présomption, vous vouliez nourrir mon amour-propre, et fournir des arguments à la bonne opinion
que je puis avoir de moi-même.
Tout ce que je puis me dire à ce sujet peut se réduire à ceci qu’un cœur pénétré d’amitié voit
les objets d’une autre manière qu’un coeur insensible et indifférent.
On saisit, bien sûr, combien ces propos invitent à voir, dans ce texte dont il ne reste aucune
trace, l'ébauche du conte que nous possédons ; il n'est pas difficile d'expliquer la disparition des
louanges adressées à Frédéric quand on connaît le tour pris ultérieurement par les relations
entre les deux hommes ; pour le reste, tout concorde, fantaisie interstellaire, personnalité du
protagoniste et visée philosophique...
Quant à ce nom de « Gangan », il reste énigmatique :
- Bien sûr, il y a déjà, dans ce redoublement, une « binarité » qui ouvre la voie à la
combinaison « micro » + « mégas ».
- La correspondance de Mme de Graffigny fait état d’une allusion de Wolff au géant Og de
la Bible (Deutéronome, 3, 11) qui aurait pu servir de point de départ à l’imagination de
Voltaire. Mais ce géant est dans le texte sacré un être maléfique peu capable de prêter
des traits au voyageur céleste.
- Sans doute vaut-il mieux penser à une farce dans la ligne de Rabelais (GarGANtua…), de
Molière ou de Swift : la sonorité du nom ne donne pas vraiment une impression de
sérieux, et convient plutôt à l’arlequinade évoquée par Voltaire dans la correspondance
avec Frédéric.
- Peut-être est-il possible également d'y déceler un jeu verbal plus laborieux, mais bien en
rapport avec l'hypothèse suggérée par la correspondance. On connaît en effet l'anecdote
selon laquelle, à l'époque où les relations étaient excellentes entre Frédéric et Voltaire,
le prince envoya à son philosophe un carton d'invitation en forme de rébus ainsi libellé :
P
Venez
à
si
100
Ce qui signifiait : « Venez souper à sans-souci » (« Sans-souci » était le nom d'une des
résidences de Frédéric).
A quoi Voltaire répondit en écrivant simplement :
G a
Soit : « J'ai grand appétit ».
N'est-il pas possible, après tout, que dans l'esprit de ces jeux verbaux qui plaisaient aux
deux hommes, le nom du voyageur céleste doive se lire « G-ã G-ã », soit « Géant géant » ?
Au reste, pour l’histoire de la publication définitive un temps retardée par la susceptibilité
de Fontenelle (qui s’était reconnu dans le nain de Saturne…), on se reportera à l’introduction
rédigée par René Pomeau pour le volume 811 des éditions Garnier-Flammarion.

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