Lost River de Ryan Gosling (États
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Lost River de Ryan Gosling (États
Lost River de Ryan Gosling (États-‐Unis, 105mn) par Théo Hoch In dreams Pour son passage derrière la caméra, Ryan Gosling invente un univers visuellement fascinant à l'imaginaire gothique et souterrain. Condensé, misant tout sur son ambiance et une mise en scène très esthétisante, le film est un enchainement de visions fortes empruntant à des influences diverses et multiples que le cinéaste mêle habilement dans un récit qui prends la forme d'un conte pour adulte. Un premier film singulier et impersonnel à la fois. Billy, mère célibatante et ses deux garçons, Bones et Franky, comptent parmi les derniers habitants de Lost River, banlieue fantôme et dévastée de Détroit. Le film suit le parcours parallèle de Billy et Bones, l'ainé, qui tentent désespérément de se sortir de la misère. Ils devront tout d'abord affronter le mal qui ronge la ville en explorant ses zones d'ombres : alors que Billy s'enfonce dans les bas fonds et se retrouve confrontée à la perversité masculine, Bones doit faire face à un gang de psychopathes qui règne sur la ville tout en résolvant le mystère qui l'entoure après la découverte d'un parc d'attraction immergé sous un lac. Tous les ingrédients du conte sont là mais c'est un conte pour adulte qui se forme à partir de tout un imaginaire cinéphile de l'étrange et de la perversité, sous l'influence de David Lynch. Le générique donne le la : un enfant en culotte courte descend le perron de sa maison et gambade sur les pelouses du voisinage sur fond de musique années 50 : c'est Blue Velvet. Sauf que cette fois-ci, la pelouse est carbonisée et les pavillons en ruine : le mal ne se cache plus sous un beau vernis, celui-ci à déjà été gratté par les doigts sales de la crise économique. Plus tard, une steadycam inclinée suit Billy dans un tunnel éclairé par une lumière violette flashy avant qu'elle ne se fasse agresser : ça, c'est Gaspard Noé. Les néons, la musique electro-variété, l'image ultraléchée, la violence graphique c'est Nicolas Windig Refn. La banlieue fantôme peuplée de freaks filmés d'une manière documentaire, c'est Harmony Korine et ici ou là, Terrence Mallick, John Carpenter et Tim Burton font aussi leur apparition. Le film expose très ostensiblement ses influences et peut sembler bien impersonnel tant le spectacle que construit Gosling relève du pur fantasme cinéphile. Pourtant cela fonctionne et l'habileté avec laquelle il conjugue ces influences fortes est la marque d'un imaginaire qu'on ne demande qu'à voir s'épanouir loin de ses sources les plus évidentes, dont il semble vouloir extraire la quintessence en les compilant ainsi : le songe et sa violence, la fascination pour des univers qui sont des reflets déformés de la réalité et la violence qui les habite. Il n'est pas étonnant du coup de voir Benoit Debie crédité au générique, les réalisateurs avec lesquels il a travaillé par le passé souffrant du même syndrome. Sa photographie est comme toujours impeccable, conciliant l'hyper-esthétisation qu'on lui connait avec le grain et le « bougé » du cinéma indépendant dans lequel a beaucoup baigné Gosling. Il joue habilement des différents lieux explorés par les protagonistes pour créer des ambiances uniques, constituant un univers vraiment singulier que le spectateur arpente avec délectation. D'autre part, le film est parcouru de scènes d'une poésie tendre et sombre qui sont la promesse d'une véritable sensibilité de la part de Gosling. Mais la mise en scène empêche les personnages d'exister vraiment à l'écran, en dehors de leur rôle et parcours respectif. Riche en figures, lieux et actions mais court, le film est très condensé et quand les personnages interagissent entre eux autrement que pour faire progresser l'intrigue, Gosling étouffe toute possibilité d'un véritable dialogue à grands renforts de jump cuts lors de scènes qui auraient pu grossir le film d'une émotion qui lui manque cruellement. L'histoire d'amour entre Bones et sa belle et mystérieuse voisine prénommée « Rat » ne prends pas, l'empathie pour les personnages n'existe que dans le manichéisme du film, ses plus belles idées, portant en elles la promesse de visions fortes, n'aboutissent jamais vraiment, réduites à des images gadget bien que parfois sublimes, fortes en théorie mais que l'on est forcés de prolonger mentalement pour en apprécier la profondeur, comme l'idée magnifique de cette ville engloutie sous un lac artificiel. Il n'y a pas grand chose à découvrir sous la surface de celui-ci, tout comme le film d'ailleurs, sous-tendu par une vacuité qu'on ne peut néanmoins pas lui reprocher à outrance puisqu'elle a le mérite important de donner au film une véritable forme de conte et que telle est l'honorable ambition (et réussite) de ce premier film à la beauté funeste.