L`Ardèche prise à la gorge par les investisseurs

Transcription

L`Ardèche prise à la gorge par les investisseurs
B
ECIDEMENT, la Grotte Chauv e t <( inventée)) e n d é cembre 94, n'en finit plus
d'être une histoire de gros sous.
Avant d'être rangée au patrimoine de l'humanité, elle a d'abord
fait l'objet d'âpres marchandages
suivis d'une demi-douzaine de
procès pour que la justice dise
enfin le droit. Elle a obligé 1'Etat
à indemniser les propriétaires d u
site à hauteur de 87,5millions de
francs (13'34 millions d'euros) et
à faire des découvreurs des partenaires privilégiés pour la mise
en valeur et l'exploitation de la
grotte qui pourrait attirer chaque
année 500 000 visiteurs.
Cette perspective place naturellement l'Ardèche a u centre
d'enjeux économiques et financiers qui, si l'on en croit les protecteurs de la nature, vont maintenant mettre en péril la réserve
naturelle de ses gorges. Certes,
ce n'est pas la première fois que
ce site exceptionnel excite la
convoitise des « aménageurs ))
mais, là, l'affaire semble beaucoup plus sérieuse. Si sérieuse
que la Frapna (Fédération régionale pour la protection de la naturel et I'APGA, (association pour
la protection des Gorges de l'Ardèche) ont appelé la F ~ n d a t i o n
Franz Weber ( ~ i ~ c o n t ràe la
) rescousse.
« La découverte de la .grotte
Chauvet, à p r o x i m i t é d u Pont
d'Arc relance de nouveaux et ambitieux projets d'équipements
touristiques lourds, explique Michel Pivert, président de I'APGA.
« Une r e c o n s t i t u t i o n est p r o grammée à I'entrée des gorges ;
elle vii entraîner u n remodeiage
total d u site et de ses abords :
nouvelles routes, parkings géants
et près de 3 000 m 2de constructions nouvelles pour u n investissement de 356) millions de francs
(53,36m i l l i o n s d'euros) d'ici
2003. ))
En clair, le conseil général est
décidé à i m p l a n t e r la copie
conforme de la Grotte Chauvet
(l'original restera interdit au public) à I'entrée de la réserve. Premier QS pour les écologistes :
l'augmentation des visiteurs qui
décuplera « forkément )) la pression urbanistique déjà très sensible à cet endroit. Beuxibme souci : si personne ne conteste
l'intérêt d'une restitution de la
grotte, l e s i t e c h o i s i n e l e u r
convient pas d u tout, pas plus
qu'à sa propriétaire qui se bat depuis des mois pour faire stopper
le projet.
i<Le lieu t o u t désigne pour
cette reconstitution se trouve à
proximité d u Musée de la Préhistoire d'Orgnac situé à quelques
kilomètres de la réserve, affirme
Frédéric Jacquemart, président
de la Frapna locale. Cela permettrait en plus de faire bénéficier
d'un apport touristique considérable l'arrière-pays en difficulté
économique, tout en allégeant le
poids touristique (1'5 millions de
visiteurs par an) qui pèse sur les
Gorges de I'Ardeche, totalement
saturées en été. B
Alors bien sûr, face à la pression des investisseurs et I'insistance des collectivités locales, les
petites associations ont conâcience de ne pas faire le poids. « II
nous faut aujourd'hui une mobi-
Aai centre
tions, il leur serait facile d'aboutir. En France, s'étonne Franz Wei&?ber. lorsqu'une autorisation o u
un permis de construire est invalide. (( on )r en redonne aussitôt
OiX
d'autres ! » Au bout de six mois
et a ~ r è avoir
s
ris le t e m m d'étudie; le dossie'r. le spécihiste de
et
I'ingérence 6cologique q u i n'a
peur de rien. même pas d'affirmer aue (il'Ardèche se trouve sur
1
5
le plan politique tout près de la
touristiques a loo
Corse », a frappé un grand coup
qui y SOI& Q~SSBC~&S. en déplaçant en d e i n hiver, une
lisation européenne, commente
Frédéric Jacquemart. (( Une telle
tâche n'est pas à la portée de petites structures comme les nôtres,
déjà submergées p~ les combats
de proximité et les résistances judiciaires qu'elles sont contraintes
de mener, renchérit Michel Pivert.
C'est la raison pour laquelle nous
nous sommes adressés à Franz
Weber, unanimement connu dans
les milieux écologistes pour ses
combats en faveur de la nature. ))
Restait à convaincre « I'empêcheur de tourner en rond ».« Je
n'ai pas accepté immédiatement
car je pensais qu'avec tous les
procès gagnés par ces associa-
vallon-Ponf-d'~rcpour' médiatiser l'opération.
Du côté du conseil général, les
élus, Michel Teston (président) en
tête, semblent tomber des nugs.
« Nous sommes très étonnés de
ne pas avoir été invités à cette
rencontre, déplore Gilles Breysse, son directeur de cabinet. M.
Teston a été trés surpris car le
conseil général s'est engagé deQuis u n an dans une hase de
concertation, y c o m p r ~ savec la
Frapna dans un exercice de transparence pour rassurer la m o u vance écologiste. »
Vue la tournure qu'ont pris les
événements, le conseil général et
son président ont décidé de communiquer d'ici à la fin de semaine.
OLIDEMENT ENRACINÉES dans la terre de leurs ancêtres huguenots, Janine Ollier et Odile Coulange tentent depuis des années de résister aux assauts
répétés des « bhtonneurs » qui voudraient, selon elles,
s'emparer de leur domaine.
La première est propriétaire du site qui devrait accueillir la restitution de la Grotte Chauvet, une terre
d'une quinzaine d'hectares accrochée à flanc de côteau et qui descend en pente douce sur une plaine
o ù l'on a déjà prévu un immense parking. Seulement
voilà, « ma terre n'est pas à vendre », martèle Janine Ollier à qui veut l'entendre. « Depuis une dizaine
d'années, je subis un harcèlement permanent mais
je me battrai jusqu'au bout », s'obstine ce petit bout
de femme. Malgré l'avis d'expropriation, malgré la
moitié de sa propriété couverte par des arrêtés d'occupation temporaire et un énième recours devant le
tribunal, Janine Ollier a retrouvé le moral depuis que
la Frapna et I'APGA se sont, elles aussi, mises en travers d u projet. Mais elle sait déjà que le répit sera de
courte durée et qu'il lui faudra continuer à se battre
seule. « Je ne veux pas que cette Ardèche où je suis
née devienne le nouveau Lubéron qui ne sera accessible qu'aux riches. J'ai toujours aimé l'été, l'arrivée
des familles populaires. On ne peut pas leur enlever
cela. ))
Odile Coulange, celle que Janine Ollier appelle
volontiers la « martyre de Vallon )r est à la tate d'une
propriété de 80 hectares qui abrite, excusez du peu,
I'entrée de la Grotte Chauvet et la moitié (pour des
raisons administratives) du fameux Pont d'Arc. « Au
départ' tout le monde a parlé de moi comme l'unique
propriétaire de la Grotte Chauvet mais la justice en a
décidé autrement en donnant raison aux propriétaires
dont les terrains sont situés au-dessus ». Résultat :
Odile Coulange est passée à côté du pactole et si elle en nourrit encore beaucoup d'amertume, ses ennuis n'en sont pas pour autant terminés. Inscrit dans
le Projet Grand Site, son domaine fait là encore I'ob-
jet de toutes les convoitises de la part des pouvoirs
publics. Cela fait des années qu'ils tentent de récupérer son camping, un endroit unique qui mène di- a
rectement au Pont d'Arc. admiré chaque année par
des centaines de milliers de visiteurs. « On imagine
le bénéfice qu'on pourrait tirer d'un accès payant pour %
aller visiter le site, explique Odile Coulange. On a tout
essayé pour m e faire partir, ajoute-t-elle les larmes
aux yeux en se rappelant l'incendie aussi criminel
qu'inexpliqué qui a détruit en mars 95 les installations du camping )).« C'est notre paillote ardéchoise, arrive-t-elle à lancer en retrouvant un peu de son
humour, sauf qu'ici il y avait bien u n permis de
EBER, qui a parcouru le monde pendant dix ans comm
construire. Du coup, en trois mois, nous avons tout
eporter, s'intéresse A la protection de l'environnement
rebâti. J'ai été traduite devant le tribunal mais le jue où cette notion est encore inconnue. Ce Suis
ge d'appel m'a donné raison ». Peut-être, mais Jani- connaître en France en 1971 et 1972, en intervenant aux
ne comme Odile ont le sentiment qu'elles ne seront
é par la reprise de l'exploit
jamais plus tranquilles. Du moins tant qu'elles résiç- Provence, dont le site e
n combat dure deux ans, mais il el
teront. « Le plus longtemps possible », espèrent-elles. anciennes mines de ba
résident Pompidou, il empêche au$
sort victorieux. Avec l'a
sitôt après un gigantesque projet de développement dans les Al
pilles.
Sa lutte en faveur des grandes causes ne cessera plus. II aban
donne le journalisme pour fonder sa fondation en 1975 selon le CQ
de civil suisse (1). Un an plus tard, il lance une grande campagni
contre la chasse aux phoques au Canada et réussit à mobiliser l'spi
nion publique du monde entier. Sa réputation n'e
est de tous les combats en Suisse, en Autriche, en
tralie. En 1986, pour la deuxihme fois, il se port
Delphes, menacé par un nouvel et énorme projet d1industria8isatior
gréco-russe. Le projet est abandonné l'année suivante et, dix an:
plus tard, il est sacré « citoyen d'honneur de Delphes ».
Franz Weber qui, depuis 1965, a mené plus d'une centaine d'ac
tions pour protéger la nature, la flore et la faune à I%chelle de la pla
nète, est le spécialiste de l'ingérence 6cologique. Mais aussi u n trè!
grand communicant. C'est aussi une des raisons de ses succès.
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C'est sur IQpropirieté #Odile Couhge que sent situées l'entrée
de la Grotte Chesivet eet la t i i i i é du famesx Pont d'Arc. Hrieb p u r elle.
(1) Reconnue d'utilité publique, Ila fondation qui est inscrite au registre