RACINES208 - Juin 2010
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RACINES208 - Juin 2010 20/05/10 18:06 Page 42 Magazine Racines, le temps de vivre près de chez vous Par René Seigneuret Henry Dunant, l’homme, e g u o R ix o r C la é é r c a qui La bataille de Solférino a beaucoup marqué Henry Dunant. C’est de l’atrocité de cet événement que naîtra l’idée de soulager les victimes des conflits. La Croix Rouge, ces mots sonnent clair à notre oreille, mais son histoire nous est déjà moins familière. Et l’homme, qui en inspira l’idée, n’est guère connu. Réparons ce tort ! ean-Henri Dunant(1), humaniste et philanthrope suisse, est né le 8 mai 1828, à Genève. Son père, Jean-Jacques Dunant, alors âgé de 39 ans, est négociant à Genève, il est aussi juge des tutelles. Sa mère AnneAntoinette Colladon, 27 ans, est la sœur du célèbre physicien Daniel Colladon, connu pour ses recherches sur la compression des gaz. Le jeune Henry Dunant fera des études classiques au collège de Genève. Étudiant studieux et sensible, très proche des malades et des infirmes, il n’hésite pas à leur consacrer ses dimanches afin de rendre leur solitude moins pesante. Ses études terminées il travaillera comme J employé de bureau à Genève. Mais Henry Dunant n’est pas homme à rester passif derrière un bureau. En 1855, il fonde avec quelques autres Genevois l’Alliance Universelle des Unions Chrétiennes, œuvre de bienfaisance qui deviendra par la suite Young Men’s Christian association (YMCA), appelée en France, Union chrétienne de jeunes gens (UCJG). En France, nous sommes dans les premières années du règne de Napoléon III, l’Algérie est française depuis 25 ans. Henry Dunant décide de partir en Afrique du Nord. Sur place, il va essayer de fonder (non sans peine d’ailleurs) un grand domaine agricole où l’ouvrier indigène sera humai- RACINES 42 juin 2010 nement traité, ce qui n’était pas toujours le cas chez les autres exploitants… Les ouvriers y recevront un salaire décent. C’est ainsi que vit le jour la Société des Moulins de MonsDjémila. L’œuvre était louable en soi, mais très mal vue des autres colons déjà en place, notamment en raison des salaires versés par la nouvelle société. Dunant voit les portes des administrations de moins en moins ouvertes pour lui. N’y tenant plus, il décide de partir pour Paris, avec la ferme résolution de voir l’Empereur en personne pour lui faire part de la situation. Malheureusement, quand il arrive à Paris, Napoléon III est loin des Tuileries, il La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine RACINES208 - Juin 2010 20/05/10 18:06 Page 43 mène bataille contre les Autrichiens en Italie du Nord. Dunant nullement découragé par ce contretemps part pour l’Italie. Mais nous sommes le 24 juin 1859 : quand il arrive sur le champ de bataille de Solferino, la guerre fait rage, c’est véritablement un nouveau Waterloo ! Neuf mille morts et blessés jonchent les rues de Castiglione, l’odeur y est insupportable. Jamais il n’avait pensé que les coulisses des grandes batailles pouvaient contenir autant d’horreurs et de souffrances. Sur place, il essaie d’organiser des secours avec les bonnes volontés disponibles afin de soulager tous ces malheureux qui meurent de faim et de soif mais aussi manquent de soins les plus élémentaires. Toucher la corde sensible De ce fait, la mission première d’Henry Dunant se trouve réduite à l’échec. Quittant l’Italie après avoir confié tous ces malheureux blessés aux bénévoles qu’il a recrutés, il revient à Paris pour plaider son dossier algérien, mais les ministères ne l’écoutent guère. Henry Dunant, lui-même, n’a plus le même enthousiasme pour les affaires, car ce qu’il vient de vivre à Castiglione l’a profondément marqué. Il rentre à Genève où il décide d’écrire un livre sur ce qu’il a vécu en Italie. Ce livre, Souvenir de Solferino, retrace avec vigueur les horreurs de cette trop célèbre bataille. Les pre- miers lecteurs de l’ouvrage seront bouleversés par les propos de l’auteur. Certains prendront rapidement contact avec Henry Dunant. Le premier d'entre eux sera Gustave Moynier, suivi du général Dufour et des docteurs Appia et Maunoir. En février 1863, ils fondent ensemble le Comité des Cinq, qui sera l’embryon de la Croix Rouge. Chacun d’eux parcourra l’Europe dans le but de toucher la corde sensible des Grands du moment. Leurs dé marches ne furent pas vaines : le 26 octobre de la même année, 18 délégués de quatorze pays se réunissent à Genève. Trois jours plus tard, une charte est signée mettant en place un organisme humanitaire qui aura pour but et pour devoir de venir en aide à toute personne qui souffre, sans considération de race, de religion et d’opinion politique. Ce nouvel organisme aura pour emblème une croix rouge sur fond blanc. Pourquoi ce choix ? Il n’est rien d’autre que l’inverse du drapeau de la Suisse. Son premier président sera le général Dufour, à qui succédera Gustave Moynier qui assurera la présidence pendant près de cinquante années. Henry Dunant, le père spirituel de la Croix Rouge, restera jusqu’en 1867 RACINES 43 juin 2010 (La Croix-Rouge française) Magazine Racines, le temps de vivre près de chez vous Portrait officiel de Henry Dunant. membre de la fondation. Mais parfois il est difficile de concilier humanisme et affaires. Henry Dunant en fera la cuisante expérience, car sa société algérienne connaîtra de graves problèmes, entraînant dans sa chute une banque suisse : le “Crédit Genevois” qui fera faillite, ruinant tous ses sociétaires. Henry Dunant sera tenu pour responsable de cet état de fait. Complètement ruiné, il continuera sa croisade à travers l’Europe. Pendant la Commune de Paris, il prendra une La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine RACINES208 - Juin 2010 20/05/10 18:06 Page 44 part très active dans l’organisation des secours et servira d’interlocuteur entre les fédérés et les troupes gouvernementales. Il en sera très mal remercié d’ailleurs, car il sera expulsé de France. En 1875, plus pauvre que jamais, Henry Dunant mènera une vie errante, survivant grâce aux bonnes volontés de quelques amis qui lui donneront un toit et quelques nourritures. Il parcourra pendant douze années l’Alsace (qui était allemande depuis 1871), l’Allemagne et l’Italie. Cette longue traversée du désert durera jusqu’en 1887, date à laquelle il se résignera à revenir en Suisse. C ’est un jour de juillet 1887, qu’Henry Dunant traverse la frontière helvétique, pauvre et très affaibli : il trouve refuge dans la petite ville de Heiden, en Suisse allemande. Mais la pauvreté est toujours son lot quotidien. Une anecdote reflète assez bien celle-ci : s’il voulait donner son linge à laver, il devait garder la chambre, n’ayant aucun vêtement de rechange. En 1895, très malade, il entre à l’hôpital de Heiden où il occupe la chambre n°12 qu’il ne quittera plus. C’est dans ce modeste lieu que le promoteur de la Croix Rouge connaîtra la gloire, avec l’attribution (Photothèque Comité international de La Croix-Rouge) Magazine Racines, le temps de vivre près de chez vous Signature de la première Convention de Genève dans la salle de l'Alabama à l'hôtel de ville, le 22 août 1864, créant le comité international de La Croix Rouge. Tableau du peintre français Charles Armand-Dumaresq. du premier Prix Nobel de la Paix, en 1901, qu’il partage avec son ami et compagnon de lutte, le grand pacifiste Frédéric Passy. Mais Henry Dunant sait ce que valent les honneurs, la petite fortune que lui apporte le Prix Nobel, il en fait don à deux œuvres philanthropiques de Suisse et de Norvège. De nouveau, il se réfugie dans l’anonymat de sa chambre d’hôpital. Il laissera quelques pages prophétiques sur L’Avenir Sanglant du monde au XXe siècle. Et le 30 octobre 1910, Henry Dunant s’éteint à l’hôpital de Heiden. Il quitte ce bas monde, alors que se prépare déjà une guerre encore plus sanglante que celles qu’il avait pu connaître : le conflit de 1914-1918 et ses 8 millions de morts. Mais si l’homme n’est plus, l’œuvre est restée parmi nous, assurant ce qui fut sa vocation première, “Secours et Assistance”. (1) On écrira plus souvent son prénom “Henry”. (La Croix-Rouge française) Précisions de l’auteur En 1895, Henry Dunant a 67 ans. Ces quelques lignes ont pour seul but de vous faire connaître Henry Dunant (1828 - 1910) dont la vie entière a été guidée par la sollicitude envers ceux qui souffrent, et qui a vu souvent jusqu’à quelle limite pouvait aller l’ingratitude des hommes. Cette recherche a été réalisée dans le cadre du 150e anniversaire de la bataille de Solferino (Italie du Nord), et qui fut le point de départ de la fondation de la Croix Rouge. En réalité, le Comité International de la Croix Rouge (CICR) date de 1863. Le texte ci-dessus a été visé par le service historique du CICR en date du 1er juillet 2009, et corrigé en conséquence. René Seigneuret RACINES 44 juin 2010 La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine