Les pieds dans le plat

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Les pieds dans le plat
Les pieds
dans le plat
Auteur : Marc Fasol
Année : 2016
Analyse n° 24
Nature & Progrès
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Aujourd’hui, tout le monde semble vouloir se frotter aux plantes sauvages. Un phénomène de mode pour bobos ? Pas seulement ! La réappropriation des savoirs ancestraux et la réhabilitation de la cueillette de ces plantes
comestibles et thérapeutiques contribuent, dans le cadre de la Transition, à nous rendre plus résilients, plus
autonomes et surtout, en meilleure santé ! Encore faut-il apprendre à bien les (re)connaître…
Texte et photographies de Marc Fasol
Au Moyen-Âge, on consommait un bon millier de plantes différentes, combien en mange-t-on encore aujourd’hui, s’interroge Marie Fripiat, alias sainte Hildegarde de Bingen (1), animatrice au Jardin des moines de
l’abbaye de Villers-la-Ville ? Malgré l’abondance et la variété de son alimentation en provenance des quatre
coins de la planète, le mode alimentaire de l’homme occidental est, de nos jours, à ce point carencé en sels minéraux, oligo-éléments, vitamines, flavonoïdes et autres précieux antioxydants, que la vente des compléments
alimentaires, boosté par l’usage d’Internet où l’on vend du grand n’importe quoi, a littéralement explosé ces
dernières années : environ un Belge sur deux en consomme ; quatorze milliards par an de chiffre d’affaire, rien
que pour l’Europe. Excusez du peu !
Bien meilleures pour la santé
«Or, poursuit l’herboriste, les plantes sauvages comestibles autrefois consommées comme légumes sont toujours là partout autour de nous et citant le célèbre ethnobotaniste bien connu des lecteurs de Valériane, François Couplan, des recherches montrent que les plantes sauvages contiennent en moyenne dix fois plus d’éléments bénéfiques à la santé que les légumes et fruits cultivés».
Avec notre mauvaise façon de nous alimenter mieux connue sous le terme de «malbouffe», riche en graisses
saturées et en sucres rapides, le manque d’aliments frais, les produits raffinés, le «prêt à manger industriel»,
les cultures intensives de fruits et de légumes généreusement aspergés de pesticides, lisses, insipides et forcés,
sans parler de cette tendance à manger fast et à rogner toujours davantage sur le coût de la nourriture, cela ne
s’arrange pas. Or toute alimentation déséquilibrée et carencée entraine la maladie...
Le principe est pourtant connu de longue date : «que ta nourriture soit ton médicament et que ton médicament
soit dans ta nourriture», clamait Hippocrate qui avait déjà tout compris en 370 avant J.-C. Car les carences
alimentaires ne sont pas le propre de notre époque. Elles seraient apparues dès le début du néolithique, précisément à l’aube de la civilisation. Avec la sédentarisation, les populations «civilisées» sont soudain confrontées
à la plus grande révolution alimentaire de l’Histoire. Le choix des plantes cultivées, mais aussi des animaux, se
restreint d’abord considérablement. Durant l’Antiquité grecque, puis romaine, où seuls les aliments transformés comme le pain et le fromage sont valorisés, les carences alimentaires ne sont pas seulement importantes.
Pour nourrir une population sans cesse croissante, notamment dans les grandes cités, la mise en culture des
terres se doit d’être de plus en plus performante. Or efficacité et productivité riment avec vulnérabilité. En cas
de mauvaises récoltes, d’aléas climatiques, le spectre de la guerre et celui de la famine refont régulièrement
surface. Des préoccupations jusque là inconnues et qui, depuis, ne nous ont plus jamais quitté. Avec la fin du
pétrole bon marché, elles risquent même de refaire un surprenant come back, chez nous, en Europe (2).
Retrouver ses racines
Dans la recherche d’équilibre physique et mental, en quête de sécurité alimentaire, la collecte de plantes sauvages comestibles peut pourtant réoccuper une place providentielle. Et elle relève de moins en moins du farfelu.
Certains l’ont bien compris. Un peu partout, fleurissent des ateliers de cuisine sauvage, de ballade gourmande
tandis qu’en été, les stages de survie douce ne désemplissent pas. Il faut reconnaître que la simple idée de pouvoir récupérer un peu d’autonomie dans un système qui nous engloutit chaque jour davantage ou mieux encore, celle de pouvoir survivre à une crise alimentaire majeure en se baladant en forêt panier sous le bras sont,
à elles seules, extrêmement rassurantes. Même si tout cela reste un brin utopique, notamment en milieu urbain
où les consommateurs restent terriblement vulnérables.
Pour appuyer son cheminement de pensée, l’illustre initiateur de ces formations ironise sans sourciller : «si
lors de la terrible famine qui tua un million de personnes en 1850, les Irlandais avaient pris conscience qu’ils
vivaient au sein d’un vaste garde-manger, ils auraient probablement survécu !»
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Le problème vient du fait que la plupart des gens ont une peur bleue de la nature. Simplement parce qu’ils ne
la connaissent pas ! Les mauvaises herbes, on nous a toujours appris à les arracher, à les détruire et, dans notre
imaginaire, elles sont forcément mauvaises et toxiques. Au rayon des produits de jardinage, les publicitaires ne
manquent d’ailleurs pas d’air. Les désherbants à la vente sont devenus de véritables armes de destruction massive (3). Au jardin, tout doit être «propre» !
Par ailleurs, pour être associées à la pauvreté, les plantes sauvages ont longtemps été méprisées. Surtout à partir de l’époque médiévale où les nobles avaient coutume d’exiger de la viande et des légumes cultivés pour se
distinguer des gueux qui passaient leur temps à glaner leur subsistance en forêt et au bord des chemins. Mais
le recours aux plantes sauvages alimentaires a-t-il jamais disparu complètement de nos sociétés rurales, même
sous le joug du progrès et de l’industrialisation de l’agriculture ? Transmises du fond des âges, synonymes de
disette ou de famine, alors qu’elles inspiraient encore récemment la honte, celles-ci font aujourd’hui l’objet de
toutes les attentions suivi d’un étonnant retour, tel celui du balancier.
Patrimoine universel
Au Pays de Chimay, la sociologue Emilie Hennot et son équipe de bénévoles se sont posé la question. Durant
deux années, ils ont battu la campagne, ils ont été à la rencontre de nos aînés, histoire de sauvegarder ce qui
sommeillait au fond de leur mémoire. Il s’agissait d’éviter que les précieuses connaissances relatives à l’utilisation des plantes locales, accumulées au fil des siècles, ne tombent définitivement dans l’oubli. Une véritable
démarche d’ethnobotaniste auprès de quelques cent cinquante personnes. La plupart des «passeurs de savoir»
interrogés avaient atteint la limite d’âge, autant dire qu’il était moins une ! Généralement, ce genre d’enquête est
confiée aux bons soins de scientifiques s’intéressant aux tribus reculées des forêts tropicales, mais ici il s’agissait
d’un «banal» travail de proximité auquel bien peu avaient songé.
Dans son livre «Cueillette buissonnière dans le bocage» (4), Emilie décrit d’abord la gêne de ces personnes
qui prétendent d’emblée ne rien savoir, avant de se lâcher progressivement sur le sujet et de s’épancher sur
les maux de notre société. Une société où plus personne ne se prend en charge en matière de santé. Jadis les
grands-mères alignaient des dizaines de flacons remplis de plantes médicinales séchées, de pommades maison.
Aujourd’hui, les gens préfèrent s’en remettre au médecin ou au pharmacien, tandis que les derniers détenteurs
des bienfaits des plantes sont relégués au rang de vulgaires rebouteux…
Après s’être acquitté de cette tâche auprès des «anciens», le Centre d’ethnobotanique de Virelles se donne à présent comme objectif de revaloriser ces connaissances et de les transmettre à son tour aux générations futures.
«C’est un Patrimoine commun à part entière, explique l’animatrice, pas une source de revenus confortables
comme l’estiment les multinationales pharmaceutiques ; il faut se le réapproprier, pour le bien de tous, aussi
l’avons-nous consigné par écrit dans un livre et de manière plus vivante, au Jardin du Millepertuis ; nous organisons par ailleurs des tas d’activités pour le public, d’ateliers pour enfants, de visites guidées, de stages pour
petits et grands ainsi qu’un Festival des Bonnes Herbes en été».
La plante du Bonheur
Le Millepertuis est la plante du Bonheur par excellence. Elle a longtemps été considérée comme une plante
magique, une sorte de «chasse diable». Médicinale, elle joue contre la dépression, la morosité ambiante, la
mélancolie, la mauvaise humeur, raison pour laquelle elle a été choisie pour nommer le jardin des plantes d’où
partent les sorties botaniques pleines d’entrain.
«Qui reconnaît la feuille d’ortie ?», demande la fée Millepertuis du haut de son trône en bois sculpté avec vue
sur le lac. Les petits doigts se lèvent à l’unisson. Mais à la question de savoir qui reconnaît la feuille de l’ortiequi-pue - ndlr : l’épiaire des bois -, là, plus personne au sein de l’assemblée des Minimoys ne réagit ! Pour la
guide-nature, il s’agit ici de démystifier le monde des plantes sauvages, de partir à leur cueillette en apprenant
à les reconnaître par l’odeur, le toucher… et finalement le goût.
L’excursion se termine par une séance de cuisine sauvage à la «Maison des plantes». Tandis qu’un premier
groupe s’applique à la cuisson des chips d’ortie, un deuxième s’active à la préparation du potage de berces,
d’épiaires et de plantains. Un troisième prépare les délicieux beignets de fleurs de sureau pendant qu’un dernier se charge de la confection du sirop de menthe. Quel régal, mes amis ! Et comme le disait Confucius, «tu
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entends, tu oublies ; tu vois, tu te souviens ; tu agis, tu comprends !»
Pour leur part, les grands chefs étoilés de la haute gastronomie n’ont pas attendu toutes ces considérations pour
décrocher de belles médailles. Ils ont simplement remis toutes ces saveurs perdues au goût du jour et, par ricochet, nos plantes sauvages comestibles à l’honneur. La définition d’une «mauvaise herbe» ? Une plante dont
on a oublié les vertus !
Prenons-en de la graine
«Les plantes sauvages nous font découvrir des saveurs extraordinaires et si vous ne vous y connaissez pas du
tout, frottez-vous donc aux jeunes pousses d’ortie pour commencer !»
Mal aimée par excellence, «celle qui soigne tout» mérite pourtant tous nos égards. En plus d’être médicinale,
ce légume sauvage s’avère particulièrement nutritif, plus riche en calcium que le lait maternel, plus riche en fer
que les épinards, plus riche en vitamines C que l’orange, plus riche en protéines que le soja… Avec, en outre,
un remarquable équilibre question acides aminés essentiels. Pourquoi faire la fine bouche, d’autant que c’est
délicieux ?
Comme pour les champignons, le mieux est de s’en tenir aux espèces communes bien connues et de se perfectionner au cours d’excursions avec un spécialiste - voir les adresses utiles ci-dessous. Dans le sillage de la mode
cuisine sauvage, surgit forcément le spectre des identifications hasardeuses et donc dangereuses. Observons
un instant les botanistes : ils se courbent sans cesse, puis pour l’identification, ils font appel simultanément à
plusieurs sens, car comparer des plantes sauvages aux illustrations des livres ne suffit pas, il faut toucher, palper,
humer, goûter... Attention, qui dit naturel ne dit pas nécessairement profitable. Certaines plantes de notre flore
- 4% seulement - sont toxiques et peuvent même être mortelles. D’autres encore ne doivent être consommées
qu’en petite quantité ou sont déconseillées aux femmes enceintes. Une grande prudence est donc de rigueur.
Passionnée depuis la première heure par le monde des plantes, Sabine Wauters a depuis peu délaissé sa boutique de fleuriste pour lancer une pépinière spécialisée dans les plantes comestibles et médicinales. A l’avenir,
les jardins se doivent d’être gourmands: «je ne leur vend pas seulement des plantes sauvages en pot, mais tout
mon savoir et les conseille en la matière», explique-t-elle. Parmi la clientèle de Cuisine et herboristerie, Sabine
compte de plus en plus de jeunes ménages inspirés par la Transition et le film «Demain». Ils veulent un jardin
productif et pas seulement une pelouse entourée de tuyas. Le monde serait-il enfin en train de changer ? Il est
grand temps !
Une dernière chose, avant de conclure : à ma connaissance, toutes les grandes études - ONU, FAO... - portant
sur les types d’agriculture capables de nourrir les humains n’ont jamais inclus l‘usage des plantes sauvages alimentaires. Pourtant leur intégration aux cultures vivrières - rappelons que deux personnes sur trois, souffrant
de la faim dans le monde, sont des paysans ! - renforcerait la thèse selon laquelle il est parfaitement possible de
satisfaire les besoins de la planète sans engrais chimiques et sans pesticides. A méditer…
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Les bonnes mauvaises herbes
Les plantes sauvages comestibles ont de sacrés avantages sur les plantes potagères cultivées. Nombreux sont les
arguments qui fusent en leur faveur :
• Précoces. Au jardin, ces plantes apparaissent bien avant les légumes du potager. Les jeunes pousses de
l’ortie et de l’ail des ours sortent de terre dès les premiers sourires du printemps, alors que le potager est
encore bien vide ;
• Economes en travail. Il n’y a pas de mise en culture, il suffit de se baisser pour les récolter ;
• Abondantes. Certaines plantes, comme l’ortie, la berce ou le plantain, sont faciles à trouver et peuvent être
cueillies sans retenue ;
• Nutritives. Spontanées - les botanistes disent qu’elles vivent en station -, les plantes sauvages sont plus
riches en sels minéraux, en vitamines et en oligo-éléments que les légumes cultivés «forcées» à pousser à
un endroit qu’elle n’ont pas choisi elles-mêmes ;
• Savoureuses. Les plantes sauvages ont généralement des arômes très puissants ;
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• Saines. Si elles ne sont pas cueillies en bordure des champs pulvérisés, le long d’un canal ou d’une autoroute, elles peuvent en revanche être considérées de facto comme bio en forêt ;
• Solution. Au jardin, il suffit de les manger au lieu de les combattre. Le cas est particulièrement flagrant
pour l’égopode podagraire, considérée comme la pire des mauvaises herbes, véritable poil à gratter des
jardiniers. C’est aussi une des meilleures plantes sauvages alimentaires à récolter ;
• Gratuites. Elles sont généralement disponibles dans un périmètre très réduit autour du domicile pour qui
possède un jardin ou habite à l’extérieur des grandes villes…
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Notes :
(1) Sainte Hildegarde de Bingen (1098-1179) a consacré sa vie à «soigner les blessures de l’âme et du corps avec
les fruits de la terre». Par sa grande connaissance des simples, cette none bénédictine est considérée aujourd’hui
comme la première phytothérapeute moderne.
(2) Relire «Nourrir l’Europe en temps de crise», de Pablo Servigne, édité par Nature & Progrès.
(1) (3) La publicité du nouveau gel Roundup évoque carrément le coup de la baguette magique : touchez-les et elles disparaissent !
(4) Relire «Que font les hommes avec les plantes qui les entourent ?», paru dans Valériane n°113, de mai-juin
2015.
Adresses utiles:
- Le Festival des Bonnes Herbes : ateliers d’herboristerie, vannerie, teinturerie, huiles essentielles, cosmétique,
cuisine sauvage, balades et visites guidées, conférences, contes, spectacles, lutherie sauvage… Le premier weekend de juillet au lac de Virelles.
Emilie Hennot, rue du Lac, 42 à 6461 Virelles
Tél. : 060/21.13.63 - [email protected]
- Les Sauvageonnes - Marie Fripiat, formatrice-animatrice aborde absolument tous les usages des plantes. En
fin de stage, les participants emportent des sirops, pommades, plantes séchées…
Tél. : 0496/47.30.61 ou 071/88.09.80 auprès de l’abbaye de Villers-la-Ville.
www.crievillers.be - http://lessauvageonnes.net
- Plantes comestibles et médicinales : François Couplan est l’auteur de pas moins de quatre-vingt
cinq ouvrages sur les plantes. Une référence ! Avec son équipe, il organise stages et formations.
Programme sur www.couplan.com
- Les Délices d’Ombelle : idées recettes, produits et boutique en ligne, ateliers cuisine, conservation, lacto-fermentation…
Rue de Goyet, 39 à 5190 Spy
Tél : 0487/11.28.22 - www.lesdelicesdombelle.be
- Cuisine et Herboristerie, pépinière de plantes comestibles et médicinales. Stand au Salon Valériane 2016
Sabine Wauters, chemin de la scierie, 126 - 1457 Walhain-Saint-Paul
Tél : 0494/86.81.48 - www.cuisine-et-herboristerie.be
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