Le Pavé Mosaïque - La Loge Giordano Bruno

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Le Pavé Mosaïque - La Loge Giordano Bruno
Le Pavé Mosaïque
« Mais à quel jeu jouent donc les francs maçons sur cet échiquier dessiné à même le sol du
Temple ? » C’est la question que je me posais la première fois que je vis le Pavé Mosaïque à
la fin de mon initiation. Cela éveilla en moi à la fois intérêt et curiosité, car je joue depuis fort
longtemps à tous les jeux de la création : go, belote, gin rummy, échecs, rami, bridge, poker,
backgammon…
Le jeu, dont la racine latine est jocus, plaisanterie, est avant tout source de plaisir et de joie
(que la joie soit dans les cœurs), tant qu’il ne conduit pas sur le chemin de la folie ou de la
ruine.
Le jeu se situe dans un cadre de règles, cadre dans lequel les joueurs restent cependant libres.
L’issue du jeu est incertaine. Chaque joueur essaie à chaque étape de prendre les meilleures
décisions possibles. Le joueur se décide en fonction de l’ensemble des informations dont il
dispose. Ces informations peuvent lui être exclusives (son propre jeu au bridge ou au poker
par exemple), mais aussi données par les autres joueurs à travers leur façon de jouer.
L’ensemble des informations peut aussi être partagé par tous les joueurs, comme au go ou aux
échecs, les joueurs ayant devant les yeux l’intégralité de la situation. C’est ainsi d’abord avec
et contre soi que l’on joue, l’issue du jeu étant déterminée par l’ensemble des décisions que
l’on prend soi-même.
Pour de nombreux jeux, le dernier ingrédient est le hasard comme au bridge, poker ou
backgammon. Le hasard est alors un élément externe aux règles et aux joueurs, les joueurs ne
le maîtrisent pas, ou de manière illusoire par les probabilités. Les probabilités permettent au
joueur de se donner un peu de courage pour asseoir ses décisions, mais les probabilités n’ont
Respectable Loge Giordano Bruno : Le Pavé Mosaïque
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de sens qu’à travers plusieurs parties. Avec AA au poker, on est sûr de gagner … 80% des
fois. Mais dans la partie en cours, va-t-on être dans les 20% restants ? Et il me semble qu’il
existe un jeu où l’on ne joue sans doute qu’une seule et unique partie, alors les probabilités !...
Le jeu est donc un espace de liberté, régi par des règles, où le hasard occupe une place et un
rôle à la fois déterminants et troublants, où la succession des décisions prises par les joueurs
en détermine l’issue. Dans ce sens, le jeu, et le pavé mosaïque sur lequel il se déroule peuvent
être considérés comme une représentation du monde.
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Par son alternance de cases blanches et noires, le pavé mosaïque illustre la notion de dualité.
La dualité, le chiffre 2, c’est, à mon avis, le symbole même de l’existence, de la création. Et
contrairement à une idée qui me semble répandue, ce n’est pas pour moi le chiffre 1 qui
représente l’existence mais bien le chiffre 2.
Pour exister, pour que quelque chose existe, il faut nécessairement passer au chiffre 2 :
quelque chose et quelque chose d’autre, de différent, de complémentaire ou de contraire. Dans
ce sens, le pavé mosaïque symbolise une nouvelle fois l’existence, le monde.
Le pavé mosaïque est situé sur le sol, et quand on lève les yeux, c’est l’œil dans son triangle
que nous avons voyons. Ce triangle et le chiffre 3 qui y est associé sont fondamentaux pour
nous. Si le chiffre 1 représente le néant, le 2 l’existence, c’est en rajoutant la pensée qui
contemple et agit sur ce qui existe que le monde a une chance de prendre un sens. Que serait
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le chiffre 2 et donc l’univers qui existe, sans une pensée pour l’accompagner ? L’homme qui
pense est tout autant triple : l’homme qui est, l’homme qui pense, l’homme qui a conscience
qu’il pense. Il ne peut y avoir pensée sans conscience de cette pensée.
Si le pavé mosaïque, avec sa dualité, illustre l’existence et le monde, le triangle nous rappelle
que ce monde est vide sans une pensée s’y afférant.
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La présence de ses cases blanches et noires conduit souvent à dire du pavé mosaïque qu’il
symbolise « la conciliation des contraires », lumière et obscurité, bien et mal, liberté et joug,
action et passivité. Certes, les perceptions de la lumière, du bien, de la liberté et de l’action
sont plus simples quand on a conscience de l’obscurité, du mal, du joug et de la passivité. Il
est souvent plus aisé de se représenter un concept par rapport à son opposé. Peut-être est-ce
l’une des raisons qui ont conduit à créer le Diable et à passer au chiffre 2 pour que Dieu
puisse commencer à mieux exister en sortant du néant de son unicité.
Avant d’être « contraires », le blanc et le noir sont tout simplement différents. Et le pavé
mosaïque rappelle et symbolise la tolérance, l’acceptation et la reconnaissance de ce qui est
différent.
Cette notion de conciliation des contraires peut cependant s’avérer subtilement dangereuse si
elle perçue telle quelle, sans réflexion, sans pensée. Concilier le bien et le mal peut conduire,
de manière absurde à considérer que, finalement, il pourrait y avoir un soupçon de bien dans
le mal absolu, ou que le joug peut présenter certains avantages par rapport à la liberté.
Concilier les contraires peut conduire à une passivité extrême, à une simple contemplation
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inactive du monde où toute action serait vaine puisque tous les contraires s’y associent dans
une sorte de tolérance sans limite. Mais la tolérance « a » des limites !
Un conciliateur écoute les partis et propose un arbitrage, arbitrage qui n’est pas
nécessairement suivi. C’est tout à fait insuffisant ! Nous avons à juger les situations, à
mesurer les choses, et ensuite nous pouvons prendre des décisions et faire des choix. Nous ne
pouvons nous borner à nous situer dans une case. Aussi le pavé mosaïque ne doit-il pas être
simplement le symbole de la « conciliation des contraires », mais plutôt le symbole de la
« mesure des contraires ».
Si le chemin qu’emprunte le profane va de case en case à travers le pavé, celui de l’initié est
beaucoup plus étroit, il se situe plutôt « entre les cases », à travers le réseau invisible formé
par les bords des cases, chemin où l’on mesure et analyse les cases qui nous entourent avant
de s’engager dans une direction ou une autre.
Le pavé mosaïque nous montre que les contraires existent, que la dualité existe, que le monde
existe. Il nous pousse à être tolérants. L’œil dans son triangle nous rappelle que la tolérance a
des limites, que nous avons à juger des situations avant de faire des choix et de prendre des
décisions, que ce sont ces choix et ces décisions qui sont importants, qui conduisent nos vies,
tout comme les décisions du joueur le conduisent à gagner à perdre ou gagner la partie.
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Les pavés servent à revêtir les sols et construire les routes. En s’unissant les uns aux autres,
les pavés transforment une surface irrégulière et chaotique en un chemin praticable.
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Le Pavé Mosaïque repose sur le sol, il est le sol, il est la base sur laquelle construire les murs
et le toit.
Le sol terrestre est constitué dans sa partie supérieure de matière organique en décomposition,
l’humus. Nous sommes issus de cet humus et le redeviendrons. Humus est la racine du mot
humilité, humilité que l’apprenti apprend à reconnaître comme base sur laquelle se construire.
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Mosaïque est d’origine grecque. Mosaïque signifie « le lieu où siègent les muses », les grottes
dédiées aux muses étaient décorées de mosaïques. Les muses, à l’origine la plus ancienne de
la mythologie grecque étaient trois (et non 9 comme plus tard et jusqu’à nos jours). Ces trois
muses représentaient les pré requis, les fondations, de l’art poétique. Ces trois Muses étaient
Mélété pour la méditation, Mnémé pour la mémoire, et Aoedé pour la parole. Quel
magnifique triptyque ! Méditation, Mémoire, Parole. Penser, Se souvenir, Transmettre.
La mosaïque est un art décoratif où l’on utilise des fragments de pierre pour former des
motifs, des figures ou des images. Peut-on imaginer une mosaïque plus simple que des carrés
noirs et blancs ? Réduite ainsi à sa plus simple expression, notre Mosaïque en devient le
symbole le plus épuré. Chacun de nous dispose de ces carrés noirs et blancs pour construire le
motif, la figure, le dessin (in) et le dessein (ein) de son choix. A nous de décider quoi faire de
ces carrés, à nous de dessiner la mosaïque de notre vie, la vie de chacun de nous n’étant
finalement définie que par la succession des décisions que nous prenons, et par le hasard, tout
comme la partie qui se joue sur le Pavé Mosaïque.