La santé scolaire en France : évolution et perspectives
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La santé scolaire en France : évolution et perspectives
DOSSIER DOSSIER Santé publique 1998, volume 10, no 3, pp. 257-267 La santé scolaire en France : évolution et perspectives School health in France : evolution and perspectives M. Tricoire (1), J. Pommier (2), J.-P. Deschamps (3) Résumé : Le service de santé scolaire en France a été rattaché au ministère de l’Éducation nationale de 1945 à 1964, ensuite au ministère chargé de la Santé jusqu’en 1984, pour revenir depuis au ministère de l’Éducation nationale. D’un service global à l’origine, comportant médecins, infirmières et assistantes sociales, il a éclaté progressivement en service social d’une part, service médical et service infirmier qui agissent en étroite collaboration d’autre part. Les personnels sanitaires et sociaux assurent le conseil technique des responsables administratifs de l’Éducation nationale, à chaque niveau, ministériel, académique et départemental. La grande cohérence des textes fondamentaux de l’Éducation nationale permet aux personnels de santé et de service social de faire prendre en compte la santé dans la vie quotidienne des établissements. Ils agissent en tant que conseillers techniques en santé publique auprès des directeurs d’école et chefs d’établissement. Les centres médico-scolaires sont organisés dans les communes de plus de 5 000 habitants. Les dossiers médicaux des élèves y sont regroupés. Les moyens en personnels restent insuffisants. Les crédits de fonctionnement sont pauvres. La formation initiale des infirmières et assistantes sociales dépend d’initiatives académiques, alors que les médecins bénéficient d’une formation initiale statutaire, soit de huit semaines, soit d’un an. Les équipes de santé scolaire mettent en œuvre de nouvelles modalités de travail fondées sur les méthodes en santé publique, les examens de santé systématiques ayant été remis en cause. Le « plan de relance pour la santé scolaire » de mars 1998 insiste sur l’éducation à la santé et la prévention à l’école. (1) Médecin responsable départemental, conseiller technique de l’Inspecteur d’Académie de la Meuse - Bar-le-Duc. Chargée d’enseignement à l’École de Santé Publique de Nancy. (2) Chargée d’enseignement à l’École de Santé Publique de Nancy. (3) Pédiatre - Professeur des Universités - Directeur de l’École de Santé Publique, Faculté de Médecine, Université Henri-Poincaré, Nancy 1 - Directeur du Centre Collaborateur OMS « Santé des adolescents et des jeunes ». Dans cet article, les mots « médecin », « infirmière » et « assistante sociale » désignent indifféremment des personnes de genre masculin ou féminin. Tiré à part : J.P. Deschamps 258 M. TRICOIRE, J. POMMIER, J.-P. DESCHAMPS Summary : The school health service in France was attached to the Ministry of national education from 1945-1964, then to the Ministry of health until 1984, and has since returned to the Ministry of national education. From a global service in its beginnings, including physicians, nurses and social workers, it progressively grew into a social service on one hand, as well as a medical service and nursing service on the other, that act in close collaboration. Health and social personnel insure the technical advising of administrative heads of the Ministry of national education, at each level (ministerial, academic, and departmental). The strong coherence of the fundamental texts of the Ministry of national education allows the health and social service personnel to take health into account in the daily lives of establishments. They act as technical advisors in public health among school directors and heads of establishments. School medical centres are organised in districts of more than 5,000 inhabitants. The medical files of students are regrouped in these centres. The provision of personnel remains insufficient. The funds for functioning are sparse. The initial training of nurses and social workers depends on academic initiatives, while doctors benefit from a statuary initial training, either for eight weeks or a year. The school health teams implement new work procedures based on the methods of public health, the systematic health exams having been put into question. The March, 1998 “plan for relaunching school health” focuses on health education and prevention in schools. Mots-clés : santé scolaire - histoire - perspectives. Key words : school health - perspectives. Introduction Il n’est pas utile de remonter au décret Lakanal en 1793, ni à la création de l’inspection médicale des écoles en 1886 ou à celle du service de santé scolaire en 1934, ni même de détailler l’ordonnance du 18 octobre 1945. Plus que bicentenaire, le principe d’une action sanitaire et sociale dans l’école a justifié au cours de son histoire une longue série de textes réglementaires et les services qui en sont issus, ont connu une évolution doctrinale et institutionnelle qui témoigne de façon éloquente des hésitations et des richesses de la politique de santé publique en France. De ces richesses témoignent les missions larges données à la santé scolaire, et leur progressive intégration dans les structures et modalités de travail nouvelles de l’Éducation nationale. Deux faits sont significatifs des hésitations. Le premier concerne le changement périodique des rattachements institutionnels : collectivités locales jusqu’en 1945, puis ministère de l’Éducation nationale pendant 20 ans et ministère chargé de la Santé à partir de 1964, pour 20 ans encore, jusqu’en 1984. Puis, de façon progressive, c’est à nouveau le ministère de l’Éducation nationale. L’autre concerne l’éclatement progressif d’un service que ses précurseurs avaient voulu global. Dès les années 70, les assistantes sociales scolaires avaient souhaité une large autonomie par rapport aux médecins et aux infirmières, constituant un service social de santé scolaire, devenu en 1991 « service social en faveur des élèves ». À leur tour, depuis quelques années, les infirmières de santé scolaire manifestent le désir d’une autonomie, et celle- LA SANTÉ SCOLAIRE EN FRANCE : ÉVOLUTION ET PERSPECTIVES ci est largement reconnue depuis qu’en 1991 les actions de santé sont assurées par « deux services qui agissent en étroite collaboration... : le service médical et le service infirmier ». Les développements récents La modernité de la santé scolaire en France date de 1969 et de la publication de l’instruction générale sur le fonctionnement du service de santé scolaire. Sur le papier, tout y est : l’existence d’une équipe de secteur (médecin, assistantes sociales, infirmières, secrétaire), la notion d’un secteur médico-social scolaire qui « devrait compter au maximum 5 000 à 6 000 élèves », un large éventail de missions faisant la part belle aux examens médicaux systématiques, mais comportant également des tâches de liaison avec les parents, les enseignants, la PMI, les médecins libéraux, la surveillance de l’hygiène du milieu, l’éducation à la santé, des permanences médicales « au moins une fois par mois » et des permanences sociales, la participation aux différents conseils : de classe, d’administration, d’orientation et de discipline, etc. On sait que ce texte, qui s’intégrait dans le dispositif réglementaire des services unifiés de l’enfance au sein des directions départementales de l’action sanitaire et sociale, ne sera jamais complètement appliqué, faute de moyens suffisants, faute surtout de volonté politique des ministères de la santé successifs. La décennie 19701980 est celle d’une crise de la santé scolaire, contrastant avec le dynamisme de la PMI. Des pédiatres plaident pour un renouveau de la santé scolaire [2, 6]. En 1982 vient la circulaire dite « de Bagnolet », « relative aux orientations et au fonctionnement du service de 259 santé scolaire ». Le texte affirme que « le développement de la prévention médicale et sociale au profit des élèves scolarisés est une des grandes priorités du ministère de la santé... ». La santé scolaire, en 1982, est encore sous la responsabilité du ministère de la santé, et c’est aux DRASS et aux DDASS que s’adresse avant tout la circulaire. Celle-ci pose la réduction des inégalités comme un objectif fondamental, annonce un accroissement notable des effectifs de personnel « tenant compte de l’ampleur des besoins non satisfaits », et préconise « des actions planifiées par programme » pour tenir compte des besoins et des priorités. La circulaire de 1982 développe la prévention médicale et sociale en faveur de l’enfant selon trois axes prioritaires : – des actions de portée générale, et notamment la réalisation « à 100 p. 100 » des trois bilans de santé prévus par les textes antérieurs – à 5-6 ans, 10-11 ans et entre 13 et 16 ans –, des actions d’éducation à la santé, le suivi de l’hygiène de l’environnement scolaire ; – des actions sélectives pour résorber les inégalités et notamment des programmes prioritaires, planifiés, décentralisés au niveau de la région ou du département, s’appuyant sur les données épidémiologiques existantes, harmonisés avec la politique de réduction des inégalités entreprise par le ministère de l’Éducation nationale, donnant lieu à une évaluation ; – des actions de recherche. La circulaire de 1982, qui décrit par ailleurs, en détail et en s’inspirant du texte de 1969, le rôle des différents acteurs – médecins, infirmières, assistantes sociales – est novatrice et stimulante, mais insuffisante et même contradictoire. En proposant des programmes planifiés tout en demandant 260 M. TRICOIRE, J. POMMIER, J.-P. DESCHAMPS la réalisation de tous les examens systématiques, elle considère implicitement que ces examens sont la toute première priorité, et empêche les personnels d’en remettre en cause le caractère prioritaire ; d’autre part, compte tenu des moyens humains qui restent insuffisants bien qu’accrus à partir de 1981, elle rend impossible la planification par programmes et la recherche puisque, une fois les examens systématiques réalisés « à 100 p. 100 », il ne reste plus de temps pour autre chose... L’année suivante, en 1983, se met en place la décentralisation administrative. L’article 36 du projet de loi sur la répartition des compétences sanitaires et sociales entre l’État et les collectivités territoriales prévoit une décentralisation, vers le département, du service de santé scolaire et du service social scolaire. Un fort mouvement des personnels – en particulier les assistantes sociales – aboutit au retrait de cet article ; le destin de la santé scolaire est scellé : elle restera un service d’État. Mais quel secteur de l’État va gérer la santé scolaire ? Et à quel niveau de déconcentration ? Les médecins et infirmières, en majorité, par crainte du fonctionnement pyramidal rigide de l’Éducation nationale et redoutant de se voir placés sous l’autorité des chefs d’établissements, préféreraient rester sous la tutelle du ministère de la santé, pourtant bien peu efficace depuis des années. Peu nombreux (et plutôt mal considérés...) sont ceux qui plaident pour un rattachement à l’Éducation nationale [2], en dehors des assistantes sociales. C’est pourtant celui-ci qui va prévaloir, à partir de 1984. Le transfert du ministère de la santé à celui de l’Éducation nationale représente un moment capital pour le ser- vice de santé scolaire. Un décret du 21 décembre 1984 confie au ministère de l’Éducation nationale la responsabilité des actions de promotion de la santé en faveur des enfants et des adolescents en milieu scolaire. Mais l’application va s’étaler sur 6 ans, de 1985 à 1991, avec des mesures transitoires complexes concernant la gestion des personnels. En 1985, les infirmières dites « de secteur » rejoignent à l’Éducation nationale les infirmières d’établissement (qui y étaient restées lors du transfert de 1964). De 1985 à 1991, les médecins sont gérés statutairement par les services déconcentrés du ministère chargé de la Santé (DDASS), y compris en ce qui concerne leur notation, mais leurs missions sont définies par les inspecteurs d’académie. En 1986, une circulaire du ministre de l’Éducation nationale confirme les orientations de la circulaire de 1982. Mais les recrutements des années 1981-1983 se sont taris, les textes réglementaires attendus ne paraissent pas. Les personnels – infirmières, assistantes sociales, médecins – marchent en ordre dispersé ; depuis longtemps déjà, les assistantes sociales se sont séparées des autres catégories et, en 1988, une responsable départementale affirme que « la notion d’équipe médico-sociale n’a plus de raison d’être » et que pour répondre aux besoins nouveaux (conduites déviantes, toxicomanie, délinquance... ), le service social a dû... « accroître son autonomie » [5]. La santé scolaire est à nouveau en crise. En 1989, un article du Quotidien du Médecin [4] demande « Faut-il sauver la santé scolaire ? » ; « Oui », répond un article de la revue Médecine et Enfance [3]. Enfin, en 1989, la publication de la loi d’orientation sur l’éducation (... publiée au J.O. du 14 juillet 1989) réaffirme les principes et l’organisa- LA SANTÉ SCOLAIRE EN FRANCE : ÉVOLUTION ET PERSPECTIVES tion du service public de l’éducation. Le « rapport annexé » à la loi formule plusieurs objectifs de santé : « favoriser les actions médico-sociales et l’éducation pour la santé », « l’intégration scolaire et sociale des enfants et des adolescents handicapés ». Il organise des activités transversales – le projet d’établissement – où pourra s’inscrire l’action de santé scolaire, et ouvre l’école à de nouveaux partenariats. La mise en place des projets d’établissement fait l’objet d’une circulaire en 1990, et, la même année, le Conseil économique et social formule sous la plume du Dr J. Beaupère, des observations et des propositions sur « la santé scolaire et universitaire ». J. Beaupère stigmatise « l’écartèlement du service entre le ministère de l’Éducation nationale et celui de la santé » et affirme – de façon méritoire pour un représentant des professions libérales de santé – qu’« une politique de réduction du nombre des professionnels de la fonction publique peut être justifiée dans certains cas, mais [...] pas dans celui-là ». Et surtout il plaide pour le maintien d’un véritable service de santé scolaire et s’insurge contre « l’idée superficielle et finalement fausse que l’amélioration de l’état de santé des français et des jeunes français en particulier, rendait caduc, inutile ou secondaire le service de santé scolaire ». Par la voix d’un médecin généraliste, le Conseil économique et social affirme ce que tant de ministres de la Santé, pendant trois décennies, n’ont pas compris [1]. L’année 1991 est pivot dans cette évolution. Tous les personnels de santé scolaire sont désormais gérés par l’Éducation nationale. Le 24 juin est publié le texte fondamental actualisant et complétant les circulaires de 1969, 1982 et 1986, portant sur les « missions et fonctionnement du service de promotion de la santé en 261 faveur des élèves » ; une autre circulaire s’applique au service social en faveur des élèves. Il faut souligner la nouvelle dénomination du service, un peu plus compliquée et faisant appel à un langage spécifique de la santé publique mais qui a le mérite d’insister sur la promotion de la santé et sur la population bénéficiaire ; la dénomination analogue du service social est également plus explicite, le situant bien à côté du service social en faveur des personnels et du service social en faveur des handicapés. Ainsi, après bien des hésitations et des menaces sur l’existence même de la santé scolaire, la loi d’orientation de 1989 et la circulaire de 1991 constituent les bases réglementaires solides d’un service de santé scolaire confirmé dans son rattachement à l’Éducation nationale et dans son fonctionnement. La situation actuelle L’organisation générale du service Les personnels infirmier, médical et social sont présents aux différents niveaux du système : national, académique, départemental. Ils assurent le conseil technique des responsables administratifs à chaque niveau, et ceux-ci sont leurs supérieurs hiérarchiques : le recteur au niveau académique, l’inspecteur d’académie au niveau départemental. À l’échelon académique, les fonctions du médecin conseiller technique s’étendent bien au-delà du service de promotion de la santé en faveur des élèves et concernent notamment la santé universitaire et la médecine préventive des personnels. Ainsi, des personnels techniques sanitaires et sociaux sont « greffés » 262 M. TRICOIRE, J. POMMIER, J.-P. DESCHAMPS à chaque branche de l’arbre administratif. Localement, sur le terrain, le service de promotion de la santé en faveur des élèves est placé sous la responsabilité d’un médecin (pour le service médical) et d’une infirmière (service infirmier). Le service social en faveur des élèves est sous la responsabilité d’une assistante sociale. Tous sont placés sous la tutelle de l’inspecteur d’académie. Une telle organisation a des faiblesses considérables. À l’échelon ministériel et à l’échelon rectoral, les greffons sont bien pauvres et les équipes réduites au minimum : une personne pour chacun des trois services. Il n’existe, par ailleurs, pas de lien direct entre les niveaux national, académique et départemental puisque les conseillers techniques ne dépendent que du responsable administratif de leur niveau. La collaboration éventuelle, verticale ou horizontale (entre les services) n’est liée qu’à la volonté des personnes. Des services bien intégrés aux structures de l’Éducation nationale C’est un des points forts de l’organisation actuelle. Il existe une grande cohérence entre les textes fondamentaux de l’Éducation nationale, de la Loi d’orientation aux textes définissant les projets d’établissement, ou encore les comités d’éducation à la santé et la citoyenneté, et les différentes missions de conseil technique. Les personnels de santé (et de service social) « font partie de la maison ». Ils peuvent s’impliquer dans les projets, dans le fonctionnement habituel, et faire prendre en compte la santé dans la vie quotidienne des établissements et de la communauté scolaire. La prévention trouve naturellement sa place, de façon intégrée, et non plus seulement à travers la visite épisodique d’une infirmière ou d’un médecin venant examiner les élèves. La notion de conseil technique et de conseiller technique est une innovation de la circulaire 91.148 du 24 juin 1991. Ce terme apparaît au niveau rectoral et au niveau départemental dans le titre de « médecin conseiller technique et infirmière conseillère technique du recteur et de l’inspecteur d’académie ». Il est repris pour le médecin et l’infirmière, au niveau des écoles et établissements scolaires : « ils agissent en tant que conseiller technique en santé publique auprès des directeurs d’école et chefs d’établissement. Ce rôle de conseiller technique des personnels de santé s’exerce également en concertation avec les services de médecine de prévention dans le domaine de la sécurité... Le médecin a un rôle spécifique de conseiller technique en prévention sanitaire individuelle et collective auprès des inspecteurs de l’Éducation nationale, des chefs d’établissement et directeurs d’école de son secteur d’intervention, des jeunes scolarisés et de leurs parents ». Ce nouveau positionnement des médecins et des infirmières de l’Éducation nationale permet une bonne intégration des personnels du service dans les situations très diverses où la santé des élèves peut être évoquée et où une approche de santé publique est judicieuse. Le rôle des collectivités territoriales Le fonctionnement de l’Éducation nationale est très lié aux collectivités locales : régions, départements et communes, et cette complémentarité se retrouve dans l’activité du service LA SANTÉ SCOLAIRE EN FRANCE : ÉVOLUTION ET PERSPECTIVES de promotion de la santé en faveur des élèves. Le service de promotion de la santé est installé dans des centres médico-scolaires créés par l’ordonnance 45-2407 du 18 octobre 1945. « Ces centres sont organisés dans les chefs-lieux de département ou d’arrondissement, dans les communes de plus de 5 000 habitants et dans celles désignées par arrêté ministériel. Chaque département est divisé en secteurs territoriaux de centres médico-scolaires. Ce centre médico-scolaire est administrativement rattaché à un établissement d’enseignement public et grevé d’affection scolaire ». Les dépenses d’organisation et de fonctionnement des centres médico-scolaires présentent un caractère obligatoire pour les communes. Dans ces centres médico-scolaires sont rassemblés les dossiers médicaux des élèves des écoles du secteur territorial de ce centre. Les examens médicaux peuvent s’y dérouler. Les secrétaires médico-scolaires y remplissent leurs fonctions. Le courrier qui en part concerne les élèves des écoles du secteur territorial de ce centre. L’équipement en téléphone, fax, répondeur, photocopie et micro-informatique de ces centres dépend des mairies des communes, comme cela serait pour une école, de même que l’entretien, le chauffage, etc. Les affranchissements sont également assurés par les mairies. Ainsi, les conditions de travail des équipes de secteur dépendent des budgets qui leur sont alloués par les communes de plus de 5 000 habitants. Cependant, les moyens en frais de déplacement et en matériel médical sont fournis par l’Éducation nationale, dans les budgets des inspections académiques. Le dossier médical scolaire des élèves scolarisés dans les collèges et 263 les lycées sont rassemblés le plus souvent dans l’établissement de l’élève, à la disposition de l’infirmière de l’Éducation nationale affectée dans l’établissement, qui le tient à jour. Le courrier concernant les élèves des établissements doit être affranchi par l’établissement, sur un budget de fonctionnement départemental pour les collèges, régional pour les lycées. Toutefois, pour les petits collèges qui ne bénéficient pas d’une infirmière en résidence, le choix est fait parfois de laisser les dossiers des élèves au centre médico-scolaire ; le courrier concernant ces élèves devra pourtant être affranchi par le collège de l’élève. « Le chef d’établissement met à la disposition du médecin et de l’infirmière, les locaux et le mobilier adaptés, ainsi que l’accès à une ligne téléphonique ». Dans certains établissements, les infirmeries sont équipées en microinformatique, ce qui permet aux infirmières d’enregistrer directement leur activité sur un logiciel adapté. L’accès au matériel de reprographie de l’établissement est le plus souvent facilité pour les personnels du service. Le Conseil Général en ce qui concerne les collèges et le Conseil Régional en ce qui concerne les lycées participent ainsi au fonctionnement du service. Ainsi, les collectivités locales, communes de plus de 5 000 habitants, Conseil Général et Conseil Régional participent au fonctionnement du service de promotion de la santé par les conditions de travail offertes au personnel, que ce soit dans les centres médico-scolaires ou dans les établissements. Par ailleurs, elles interviennent souvent dans l’organisation d’une restauration pour le repas de midi des élèves scolarisés, que ce soit les 264 M. TRICOIRE, J. POMMIER, J.-P. DESCHAMPS communes pour les enfants des écoles, ou les Conseils Généraux et Régionaux pour les élèves des collèges et des lycées. Les personnels du service de promotion de la santé en faveur des élèves collaborent alors avec les personnels de ces collectivités locales pour veiller à la qualité des repas, tant sur le plan nutritionnel que sur le plan environnemental et éducatif. Un autre terrain majeur de coopération implique les Conseils Généraux, pour tout ce qui concerne les problèmes de maltraitance. C’est en effet au président du Conseil Général que les médecins, infirmières et assistantes sociales de l’Éducation nationale doivent signaler les cas d’enfants maltraités découverts dans les établissements scolaires. Des insuffisances persistantes Malgré les efforts de ces dernières années, les moyens restent encore très insuffisants. Le personnel est trop peu nombreux, les secteurs trop chargés. Alors que les problèmes sont immenses, il n’y a pas d’assistantes sociales dans les écoles primaires. Les médecins sont souvent, faute de postes statutaires ou budgétaires en nombre suffisant, des vacataires. Les crédits de fonctionnement sont pauvres. Dans beaucoup de départements, alors que les personnels pour la plupart sont obligés de se déplacer sur des secteurs étendus, les crédits de missions et déplacements sont épuisés à partir d’octobre ou novembre. Les médecins, infirmières et assistantes sociales sont recrutés par concours, sur la base de leur diplôme d’État. Les instituts de formation en soins infirmiers, les instituts de forma- tion des travailleurs sociaux, les facultés de médecine, ne préparent pas aux métiers de la santé scolaire, forment peu à la santé publique et au travail d’équipe. La fonction de conseil technique est peu familière aux professionnels de santé et de service social ; elle est exigeante, difficile, parfois frustrante. La sélection par les concours ne répond pas aux exigences professionnelles de la santé scolaire. La formation des techniciens nouvellement recrutés est laissée à l’initiative des conseillers techniques de chaque recteur pour les infirmières et assistantes sociales dans le cadre de la politique académique de formation de personnels. Elle est donc variable d’une académie à l’autre..., quelques jours d’adaptation à l’emploi, parfois plus d’une semaine, puis l’accompagnement par les responsables départementaux. En revanche, les médecins sont mieux formés, passant, en fonction de leurs diplômes et de leur expérience professionnelle, huit semaines dans un centre universitaire conventionné avec le ministère de l’Éducation nationale (Bordeaux 2, Nancy 1, Paris 6) ou une année à l’École nationale de la santé publique de Rennes. La formation continue existe mais son budget est en constante régression. Des stages pluridisciplinaires, encourageant le travail en équipe, peuvent être proposés mais restent peu fréquents. La récente suppression des MAFPEN (missions académiques de formation des personnels de l’Éducation nationale) et le transfert de leurs responsabilités aux IUFM (instituts universitaires de formation des maîtres) permet d’espérer une amélioration de la formation continue. Par ailleurs, dans trois domaines d’actualité, la prévention de la violence, l’éducation à la santé à l’école et le secourisme, des formations LA SANTÉ SCOLAIRE EN FRANCE : ÉVOLUTION ET PERSPECTIVES multidisciplinaires seront organisées à partir de 1999. Il faut encore développer la formation des conseillers techniques académiques et départementaux. Généralement plus âgés que les personnels qu’ils animent, ils n’ont pas toujours bénéficié des formations que ceux-ci ont reçues en santé publique, en communication, en animation d’équipes. Perspectives Les besoins de santé des enfants et des adolescents scolarisés sont immenses et sont, pour une bonne part, liés au fonctionnement du système éducatif. Celui-ci connaît de grandes difficultés, écho de difficultés sociales plus générales que sont la montée en charge du paupérisme, du chômage et de l’exclusion, les inégalités grandissantes, l’accroissement de la violence sous toutes ses formes. La santé des enfants et des jeunes se ressent de ces difficultés sociales et la Conférence nationale de santé de 1997 en a fait son thème de réflexion prioritaire. Le service de promotion de la santé en faveur des élèves est-il en mesure de s’adapter à ces difficultés et, avec l’ensemble de la communauté éducative, d’y faire face ? De grands progrès ont été faits depuis 1991, sans doute de façon inégale d’un département à l’autre. Globalement, la priorité quasi-obsessionnelle mise sur les examens de santé systématiques a été remise en cause. Des modalités nouvelles de travail ont été mises en œuvre, fondées largement sur les méthodes de santé publique enseignées lors de la formation statutaire des médecins, et sur les partenariats instaurés au sein des établissements. La santé scolaire 265 a droit de cité ; elle a acquis, dans beaucoup de départements, une légitimité et une reconnaissance qui lui avaient injustement fait défaut pendant des lustres. Les projets d’établissements font une large place à la dimension sanitaire. L’éducation à la santé est en train de se renouveler dans ses objectifs et ses méthodes, impliquant les enseignants, les personnels non enseignants (« ATOSSS » dans l’Éducation nationale : administratifs, techniques, ouvriers, de service, de santé et social), les parents et les élèves eux-mêmes. La santé scolaire est présente dans la réflexion sur les violences, l’exclusion, des problèmes tels que la consommation de drogues et les suicides. Les équipes de santé scolaire ont acquis là des compétences considérables et multiformes. Il faut à la fois savoir gérer avec l’ensemble d’un collège la situation créée par le suicide d’un jeune ou le viol d’une adolescente ; être là pour prendre les mesures nécessaires en face d’un cas de méningite, rassurer, informer, participer à l’enquête épidémiologique ; faciliter l’insertion scolaire d’un enfant atteint de maladie chronique, ou encore rassurer un adolescent anxieux de son développement ou de son acné. Les équipes ont appris la difficile mission, inhabituelle pour des professionnels de santé, de conseiller technique : des inspecteurs d’académie au niveau départemental, des chefs d’établissement à l’échelon local. Elles ont progressivement intégré la culture et la logique de l’Éducation nationale et le fait d’être placées sous la responsabilité des inspecteurs d’académie. Tout n’est pourtant pas à considérer de façon aussi optimiste. En effet, dans de nombreux départements, parler d’« équipes » est un 266 M. TRICOIRE, J. POMMIER, J.-P. DESCHAMPS euphémisme tout à fait hors de propos. Cédant à certaines pressions corporatistes, la circulaire de 1991 a réalisé une aberration de santé publique : la séparation de deux services, « le service médical et le service infirmier, placés respectivement sous la responsabilité d’un médecin et d’une infirmière relevant directement de l’autorité de l’inspecteur d’académie ». Deux services ? Trois si l’on fait mention du service social, séparé depuis longtemps. Dès lors, il existe, d’un département à l’autre, deux types de situations : celle où infirmières et médecins, tout en tenant le rôle défini par la circulaire, coopèrent et réalisent, avec les autres acteurs de la communauté éducative, un véritable travail d’équipe ; et celle où médecin et infirmières s’ignorent, voire se contredisent ou se déchirent. On pouvait comprendre le souhait des infirmières d’échapper à une tutelle médicale parfois maladroite ; on aurait pu imaginer une modalité où, de toutes façons sous l’autorité administrative de l’inspecteur d’académie, la responsabilité technique aurait été assurée tantôt par un médecin, tantôt par une infirmière. On a choisi une scission injustifiable. bénéficié) ; ils ont fait évoluer leurs pratiques. Médecins et infirmières se sont vus reconnaître des fonctions distinctes et complémentaires dans un système cohérent du point de vue de la santé publique « en faveur des élèves ». La médecine de santé scolaire est aussi périodiquement menacée par l’émergence d’un serpent de mer à la vie dure, d’une fausse bonne idée que bien des responsables politiques reprennent à leur compte. Comme toutes les fausses bonnes idées, elle a une simplicité et une logique propres à séduire. On peut ainsi la formuler : puisque les médecins de l’Éducation nationale ne sont pas assez nombreux pour accomplir les tâches qui leur sont dévolues, dépêchons dans les écoles des médecins généralistes payés à la vacation. Celle-ci s’aggrave à un point tel que certaines organisations professionnelles d’infirmières récusent aujourd’hui la présence des médecins dans le service de promotion de la santé en faveur des élèves, arguant du fait que, dans certains pays, seules des infirmières animent les services de santé scolaire. En apparence, c’est du béton : les généralistes demandent depuis longtemps une participation rémunérée à la prévention, et nul ne peut nier que la fonction de médecin généraliste est largement préventive ; les généralistes peuvent être géographiquement plus proches de l’école qu’un médecin de l’Éducation nationale couvrant un secteur de 8 000 élèves ; et, du point de vue de l’économie de la santé, ce sera une bonne action puisque, une fois dans l’école, les généralistes ne prescriront pas d’examens complémentaires et de médicaments comme ils l’auraient fait dans leur cabinet. Beaucoup applaudissent donc la réapparition cyclique de cette proposition. Ce serait un bien mauvais coup porté en France à un service qui en a connu déjà beaucoup. Depuis des années, ceux qui sont aujourd’hui les médecins de l’Éducation nationale se sont formés (les autres catégories de personnels n’ont pas fait les mêmes efforts de formation, ou n’en ont pas C’est ignorer complètement ce qu’est un service de santé scolaire, où le qualificatif « scolaire » signifie un enracinement dans une institution, une communauté, dont on a dit plus haut les particularismes. C’est oublier les efforts de formation des médecins de l’Éducation nationale à la spécificité de LA SANTÉ SCOLAIRE EN FRANCE : ÉVOLUTION ET PERSPECTIVES leurs fonctions. C’est prendre le risque que des médecins non familiers de l’institution, non formés à la promotion de la santé ou à l’approche des adolescents, non aguerris au conseil technique, amènent dans l’école leur stéthoscope, une logique biomédicale et des interventions ponctuelles qui, de loin, ne sont plus prioritaires. Et que dire alors de cette proposition récente, d’envoyer dans les écoles des jeunes médecins, appelés du contingent ou des étudiants résidents en médecine générale ? Ces propositions sont désobligeantes pour les médecins de l’Éducation nationale. La résistance de ceux-ci n’a rien du souci de maintenir une « chasse gardée ». Que des étudiants en médecine en troisième cycle viennent dans les écoles pour se former, si ceux qui les encadrent ont les moyens et la disponibilité de le faire est souhaitable. Qu’ils viennent pour suppléer des effectifs insuffisants de médecins de l’Éducation nationale est inacceptable. Que des passerelles de toutes sortes soient jetées entre la médecine de ville et l’école est une évidente nécessité. Mais il faut que le service de promotion de la santé en faveur des élèves reste le service de santé de l’école, juge des collaborations et des concours qu’il veut solliciter à l’extérieur. Le « plan de relance pour la santé scolaire » annoncé en mars 1998 par la ministre de l’enseignement scolaire prend en compte certaines de ces dif- 267 ficultés signalées ci-dessus, et promet notamment la poursuite de l’effort récent de recrutement de médecins et d’infirmières. Il insiste sur la formation des enseignants et de tous les personnels des établissements à la prévention, à l’intégration de la santé dans la vie des écoles, des collèges et des lycées et dans les contenus pédagogiques. La prévention et l’éducation à la santé sont reconnues aujourd’hui comme des priorités de l’Éducation nationale. Des mesures incitatives doivent être prises à la fin de l’année 1998, généralisant des expériences prometteuses récentes, impliquant l’ensemble de la communauté éducative, s’appuyant sur les comités d’éducation à la santé et à la citoyenneté (qui se sont substitués, par une circulaire de 1998, aux comités d’environnement social créés en 1990). En bref, la santé scolaire évolue. Les carences persistantes dans son organisation et dans sa dotation en moyens, ne doivent pas faire oublier que son rattachement à l’Éducation nationale a été un puissant stimulant de son développement quantitatif et qualitatif. Elle est aujourd’hui un des secteurs dynamiques de la santé publique en France, s’adaptant progressivement à l’immensité des problèmes de santé des enfants et des adolescents, eux-mêmes reconnus aujourd’hui comme une priorité de la politique nationale de santé. BIBLIOGRAPHIE 1. Beaupère J. La santé scolaire et universitaire. Conseil économique et social, assemblée plénière, 12 juin 1990, Dactyl., 8 p. 2. Deschamps J.-P. Les années 80, décennie de la santé scolaire ? Arch Fr Ped 1979 ; 36 : 339-341. 3. Deschamps J.-P. Oui, il faut sauver la santé scolaire. Médecine et enfance 1989 ; 179-182. 4. Faut-il sauver la santé scolaire ? Le Quotidien du Médecin, 23 janvier 1989. 5. Schwartzmann M. La santé scolaire au sein des établissements. Actualités sociales hebdomadaires 1988 ; 1614 : 1. 6. Vermeil G. Pour un véritable service de santé scolaire. Rev Pediatr 1972 ; 8 : 29-34.