La santé scolaire en France : évolution et perspectives

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La santé scolaire en France : évolution et perspectives
DOSSIER
DOSSIER
Santé publique 1998, volume 10, no 3, pp. 257-267
La santé scolaire
en France :
évolution et perspectives
School health in France :
evolution and perspectives
M. Tricoire (1), J. Pommier (2), J.-P. Deschamps (3)
Résumé : Le service de santé scolaire en France a été rattaché au ministère de
l’Éducation nationale de 1945 à 1964, ensuite au ministère chargé de la Santé jusqu’en
1984, pour revenir depuis au ministère de l’Éducation nationale.
D’un service global à l’origine, comportant médecins, infirmières et assistantes
sociales, il a éclaté progressivement en service social d’une part, service médical et
service infirmier qui agissent en étroite collaboration d’autre part.
Les personnels sanitaires et sociaux assurent le conseil technique des responsables
administratifs de l’Éducation nationale, à chaque niveau, ministériel, académique et
départemental.
La grande cohérence des textes fondamentaux de l’Éducation nationale permet aux
personnels de santé et de service social de faire prendre en compte la santé dans la vie
quotidienne des établissements. Ils agissent en tant que conseillers techniques en
santé publique auprès des directeurs d’école et chefs d’établissement.
Les centres médico-scolaires sont organisés dans les communes de plus de
5 000 habitants. Les dossiers médicaux des élèves y sont regroupés. Les moyens en
personnels restent insuffisants. Les crédits de fonctionnement sont pauvres.
La formation initiale des infirmières et assistantes sociales dépend d’initiatives
académiques, alors que les médecins bénéficient d’une formation initiale statutaire, soit
de huit semaines, soit d’un an.
Les équipes de santé scolaire mettent en œuvre de nouvelles modalités de travail
fondées sur les méthodes en santé publique, les examens de santé systématiques
ayant été remis en cause.
Le « plan de relance pour la santé scolaire » de mars 1998 insiste sur l’éducation à la
santé et la prévention à l’école.
(1) Médecin responsable départemental, conseiller technique de l’Inspecteur d’Académie de la Meuse
- Bar-le-Duc. Chargée d’enseignement à l’École de Santé Publique de Nancy.
(2) Chargée d’enseignement à l’École de Santé Publique de Nancy.
(3) Pédiatre - Professeur des Universités - Directeur de l’École de Santé Publique, Faculté de Médecine, Université Henri-Poincaré, Nancy 1 - Directeur du Centre Collaborateur OMS « Santé des adolescents et des jeunes ».
Dans cet article, les mots « médecin », « infirmière » et « assistante sociale » désignent indifféremment
des personnes de genre masculin ou féminin.
Tiré à part : J.P. Deschamps
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M. TRICOIRE, J. POMMIER, J.-P. DESCHAMPS
Summary : The school health service in France was attached to the Ministry of national
education from 1945-1964, then to the Ministry of health until 1984, and has since
returned to the Ministry of national education.
From a global service in its beginnings, including physicians, nurses and social workers,
it progressively grew into a social service on one hand, as well as a medical service and
nursing service on the other, that act in close collaboration.
Health and social personnel insure the technical advising of administrative heads of the
Ministry of national education, at each level (ministerial, academic, and departmental).
The strong coherence of the fundamental texts of the Ministry of national education
allows the health and social service personnel to take health into account in the daily
lives of establishments. They act as technical advisors in public health among school
directors and heads of establishments.
School medical centres are organised in districts of more than 5,000 inhabitants. The
medical files of students are regrouped in these centres. The provision of personnel
remains insufficient. The funds for functioning are sparse.
The initial training of nurses and social workers depends on academic initiatives, while
doctors benefit from a statuary initial training, either for eight weeks or a year.
The school health teams implement new work procedures based on the methods of
public health, the systematic health exams having been put into question.
The March, 1998 “plan for relaunching school health” focuses on health education and
prevention in schools.
Mots-clés : santé scolaire - histoire - perspectives.
Key words : school health - perspectives.
Introduction
Il n’est pas utile de remonter au
décret Lakanal en 1793, ni à la création de l’inspection médicale des
écoles en 1886 ou à celle du service
de santé scolaire en 1934, ni même de
détailler l’ordonnance du 18 octobre
1945. Plus que bicentenaire, le principe d’une action sanitaire et sociale
dans l’école a justifié au cours de son
histoire une longue série de textes
réglementaires et les services qui en
sont issus, ont connu une évolution
doctrinale et institutionnelle qui
témoigne de façon éloquente des
hésitations et des richesses de la politique de santé publique en France.
De ces richesses témoignent les
missions larges données à la santé
scolaire, et leur progressive intégration dans les structures et modalités
de travail nouvelles de l’Éducation
nationale.
Deux faits sont significatifs des
hésitations. Le premier concerne le
changement périodique des rattachements institutionnels : collectivités
locales jusqu’en 1945, puis ministère
de l’Éducation nationale pendant
20 ans et ministère chargé de la Santé
à partir de 1964, pour 20 ans encore,
jusqu’en 1984. Puis, de façon progressive, c’est à nouveau le ministère de l’Éducation nationale. L’autre
concerne l’éclatement progressif d’un
service que ses précurseurs avaient
voulu global. Dès les années 70, les
assistantes sociales scolaires avaient
souhaité une large autonomie par rapport aux médecins et aux infirmières,
constituant un service social de santé
scolaire, devenu en 1991 « service
social en faveur des élèves ». À leur
tour, depuis quelques années, les
infirmières de santé scolaire manifestent le désir d’une autonomie, et celle-
LA SANTÉ SCOLAIRE EN FRANCE : ÉVOLUTION ET PERSPECTIVES
ci est largement reconnue depuis
qu’en 1991 les actions de santé sont
assurées par « deux services qui agissent en étroite collaboration... : le service médical et le service infirmier ».
Les développements récents
La modernité de la santé scolaire en
France date de 1969 et de la publication de l’instruction générale sur le
fonctionnement du service de santé
scolaire. Sur le papier, tout y est :
l’existence d’une équipe de secteur
(médecin, assistantes sociales, infirmières, secrétaire), la notion d’un secteur médico-social scolaire qui
« devrait compter au maximum 5 000 à
6 000 élèves », un large éventail de
missions faisant la part belle aux examens médicaux systématiques, mais
comportant également des tâches de
liaison avec les parents, les enseignants, la PMI, les médecins libéraux,
la surveillance de l’hygiène du milieu,
l’éducation à la santé, des permanences médicales « au moins une fois
par mois » et des permanences
sociales, la participation aux différents
conseils : de classe, d’administration,
d’orientation et de discipline, etc.
On sait que ce texte, qui s’intégrait
dans le dispositif réglementaire des
services unifiés de l’enfance au sein
des directions départementales de
l’action sanitaire et sociale, ne sera
jamais complètement appliqué, faute
de moyens suffisants, faute surtout de
volonté politique des ministères de la
santé successifs. La décennie 19701980 est celle d’une crise de la santé
scolaire, contrastant avec le dynamisme de la PMI. Des pédiatres plaident pour un renouveau de la santé
scolaire [2, 6].
En 1982 vient la circulaire dite « de
Bagnolet », « relative aux orientations
et au fonctionnement du service de
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santé scolaire ». Le texte affirme que
« le développement de la prévention
médicale et sociale au profit des
élèves scolarisés est une des grandes
priorités du ministère de la santé... ».
La santé scolaire, en 1982, est encore
sous la responsabilité du ministère de
la santé, et c’est aux DRASS et aux
DDASS que s’adresse avant tout la
circulaire. Celle-ci pose la réduction
des inégalités comme un objectif fondamental, annonce un accroissement
notable des effectifs de personnel
« tenant compte de l’ampleur des
besoins non satisfaits », et préconise
« des actions planifiées par programme » pour tenir compte des
besoins et des priorités. La circulaire
de 1982 développe la prévention
médicale et sociale en faveur de l’enfant selon trois axes prioritaires :
– des actions de portée générale,
et notamment la réalisation « à
100 p. 100 » des trois bilans de santé prévus par les textes antérieurs –
à 5-6 ans, 10-11 ans et entre 13 et
16 ans –, des actions d’éducation à
la santé, le suivi de l’hygiène de l’environnement scolaire ;
– des actions sélectives pour résorber les inégalités et notamment des
programmes prioritaires, planifiés,
décentralisés au niveau de la région ou
du département, s’appuyant sur les
données épidémiologiques existantes,
harmonisés avec la politique de réduction des inégalités entreprise par le
ministère de l’Éducation nationale,
donnant lieu à une évaluation ;
– des actions de recherche.
La circulaire de 1982, qui décrit par
ailleurs, en détail et en s’inspirant du
texte de 1969, le rôle des différents
acteurs – médecins, infirmières, assistantes sociales – est novatrice et stimulante, mais insuffisante et même
contradictoire. En proposant des programmes planifiés tout en demandant
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M. TRICOIRE, J. POMMIER, J.-P. DESCHAMPS
la réalisation de tous les examens systématiques, elle considère implicitement que ces examens sont la toute
première priorité, et empêche les personnels d’en remettre en cause le
caractère prioritaire ; d’autre part,
compte tenu des moyens humains qui
restent insuffisants bien qu’accrus à
partir de 1981, elle rend impossible la
planification par programmes et la
recherche puisque, une fois les examens systématiques réalisés « à 100
p. 100 », il ne reste plus de temps pour
autre chose...
L’année suivante, en 1983, se met
en place la décentralisation administrative. L’article 36 du projet de loi sur
la répartition des compétences sanitaires et sociales entre l’État et les
collectivités territoriales prévoit une
décentralisation, vers le département,
du service de santé scolaire et du
service social scolaire. Un fort mouvement des personnels – en particulier les assistantes sociales – aboutit
au retrait de cet article ; le destin de
la santé scolaire est scellé : elle restera un service d’État.
Mais quel secteur de l’État va gérer
la santé scolaire ? Et à quel niveau de
déconcentration ? Les médecins et
infirmières, en majorité, par crainte du
fonctionnement pyramidal rigide de
l’Éducation nationale et redoutant de
se voir placés sous l’autorité des
chefs d’établissements, préféreraient
rester sous la tutelle du ministère de
la santé, pourtant bien peu efficace
depuis des années. Peu nombreux (et
plutôt mal considérés...) sont ceux
qui plaident pour un rattachement à
l’Éducation nationale [2], en dehors
des assistantes sociales. C’est pourtant celui-ci qui va prévaloir, à partir
de 1984.
Le transfert du ministère de la santé
à celui de l’Éducation nationale représente un moment capital pour le ser-
vice de santé scolaire. Un décret du
21 décembre 1984 confie au ministère
de l’Éducation nationale la responsabilité des actions de promotion de la
santé en faveur des enfants et des
adolescents en milieu scolaire. Mais
l’application va s’étaler sur 6 ans, de
1985 à 1991, avec des mesures transitoires complexes concernant la gestion des personnels. En 1985, les infirmières dites « de secteur » rejoignent à
l’Éducation nationale les infirmières
d’établissement (qui y étaient restées
lors du transfert de 1964). De 1985 à
1991, les médecins sont gérés statutairement par les services déconcentrés du ministère chargé de la Santé
(DDASS), y compris en ce qui concerne leur notation, mais leurs missions
sont définies par les inspecteurs
d’académie. En 1986, une circulaire
du ministre de l’Éducation nationale
confirme les orientations de la circulaire de 1982. Mais les recrutements
des années 1981-1983 se sont taris,
les textes réglementaires attendus ne
paraissent pas.
Les personnels – infirmières, assistantes sociales, médecins – marchent
en ordre dispersé ; depuis longtemps
déjà, les assistantes sociales se sont
séparées des autres catégories et, en
1988, une responsable départementale affirme que « la notion d’équipe
médico-sociale n’a plus de raison
d’être » et que pour répondre aux
besoins nouveaux (conduites déviantes, toxicomanie, délinquance... ), le
service social a dû... « accroître son
autonomie » [5]. La santé scolaire est à
nouveau en crise. En 1989, un article
du Quotidien du Médecin [4] demande
« Faut-il sauver la santé scolaire ? » ;
« Oui », répond un article de la revue
Médecine et Enfance [3].
Enfin, en 1989, la publication de la
loi d’orientation sur l’éducation
(... publiée au J.O. du 14 juillet 1989)
réaffirme les principes et l’organisa-
LA SANTÉ SCOLAIRE EN FRANCE : ÉVOLUTION ET PERSPECTIVES
tion du service public de l’éducation.
Le « rapport annexé » à la loi formule
plusieurs objectifs de santé : « favoriser les actions médico-sociales et
l’éducation pour la santé », « l’intégration scolaire et sociale des enfants et
des adolescents handicapés ». Il organise des activités transversales – le
projet d’établissement – où pourra
s’inscrire l’action de santé scolaire, et
ouvre l’école à de nouveaux partenariats. La mise en place des projets
d’établissement fait l’objet d’une circulaire en 1990, et, la même année, le
Conseil économique et social formule
sous la plume du Dr J. Beaupère, des
observations et des propositions sur
« la santé scolaire et universitaire ».
J. Beaupère stigmatise « l’écartèlement du service entre le ministère de
l’Éducation nationale et celui de la
santé » et affirme – de façon méritoire
pour un représentant des professions
libérales de santé – qu’« une politique
de réduction du nombre des professionnels de la fonction publique peut
être justifiée dans certains cas, mais
[...] pas dans celui-là ». Et surtout il
plaide pour le maintien d’un véritable
service de santé scolaire et s’insurge
contre « l’idée superficielle et finalement fausse que l’amélioration de
l’état de santé des français et des
jeunes français en particulier, rendait
caduc, inutile ou secondaire le service
de santé scolaire ». Par la voix d’un
médecin généraliste, le Conseil économique et social affirme ce que tant
de ministres de la Santé, pendant trois
décennies, n’ont pas compris [1].
L’année 1991 est pivot dans cette
évolution. Tous les personnels de
santé scolaire sont désormais gérés
par l’Éducation nationale. Le 24 juin
est publié le texte fondamental actualisant et complétant les circulaires de
1969, 1982 et 1986, portant sur les
« missions et fonctionnement du service de promotion de la santé en
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faveur des élèves » ; une autre circulaire s’applique au service social en
faveur des élèves. Il faut souligner la
nouvelle dénomination du service, un
peu plus compliquée et faisant appel à
un langage spécifique de la santé
publique mais qui a le mérite d’insister
sur la promotion de la santé et sur la
population bénéficiaire ; la dénomination analogue du service social est
également plus explicite, le situant
bien à côté du service social en faveur
des personnels et du service social en
faveur des handicapés.
Ainsi, après bien des hésitations et
des menaces sur l’existence même
de la santé scolaire, la loi d’orientation de 1989 et la circulaire de 1991
constituent les bases réglementaires
solides d’un service de santé scolaire
confirmé dans son rattachement à
l’Éducation nationale et dans son
fonctionnement.
La situation actuelle
L’organisation générale du service
Les personnels infirmier, médical et
social sont présents aux différents
niveaux du système : national, académique, départemental. Ils assurent le
conseil technique des responsables
administratifs à chaque niveau, et
ceux-ci sont leurs supérieurs hiérarchiques : le recteur au niveau académique, l’inspecteur d’académie au
niveau départemental. À l’échelon
académique, les fonctions du médecin conseiller technique s’étendent
bien au-delà du service de promotion
de la santé en faveur des élèves et
concernent notamment la santé universitaire et la médecine préventive
des personnels.
Ainsi, des personnels techniques
sanitaires et sociaux sont « greffés »
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M. TRICOIRE, J. POMMIER, J.-P. DESCHAMPS
à chaque branche de l’arbre administratif.
Localement, sur le terrain, le service
de promotion de la santé en faveur
des élèves est placé sous la responsabilité d’un médecin (pour le service
médical) et d’une infirmière (service
infirmier). Le service social en faveur
des élèves est sous la responsabilité
d’une assistante sociale. Tous sont
placés sous la tutelle de l’inspecteur
d’académie.
Une telle organisation a des faiblesses considérables. À l’échelon
ministériel et à l’échelon rectoral, les
greffons sont bien pauvres et les
équipes réduites au minimum : une
personne pour chacun des trois services. Il n’existe, par ailleurs, pas de
lien direct entre les niveaux national,
académique et départemental puisque
les conseillers techniques ne dépendent que du responsable administratif
de leur niveau. La collaboration éventuelle, verticale ou horizontale (entre
les services) n’est liée qu’à la volonté
des personnes.
Des services bien intégrés aux
structures de l’Éducation nationale
C’est un des points forts de l’organisation actuelle. Il existe une grande
cohérence entre les textes fondamentaux de l’Éducation nationale, de la Loi
d’orientation aux textes définissant les
projets d’établissement, ou encore les
comités d’éducation à la santé et la
citoyenneté, et les différentes missions de conseil technique. Les personnels de santé (et de service social)
« font partie de la maison ». Ils peuvent
s’impliquer dans les projets, dans le
fonctionnement habituel, et faire
prendre en compte la santé dans la vie
quotidienne des établissements et de
la communauté scolaire.
La prévention trouve naturellement
sa place, de façon intégrée, et non
plus seulement à travers la visite épisodique d’une infirmière ou d’un
médecin venant examiner les élèves.
La notion de conseil technique et de
conseiller technique est une innovation de la circulaire 91.148 du 24 juin
1991. Ce terme apparaît au niveau
rectoral et au niveau départemental
dans le titre de « médecin conseiller
technique et infirmière conseillère
technique du recteur et de l’inspecteur
d’académie ». Il est repris pour le
médecin et l’infirmière, au niveau des
écoles et établissements scolaires :
« ils agissent en tant que conseiller
technique en santé publique auprès
des directeurs d’école et chefs d’établissement. Ce rôle de conseiller technique des personnels de santé
s’exerce également en concertation
avec les services de médecine de prévention dans le domaine de la sécurité... Le médecin a un rôle spécifique
de conseiller technique en prévention
sanitaire individuelle et collective
auprès des inspecteurs de l’Éducation
nationale, des chefs d’établissement
et directeurs d’école de son secteur
d’intervention, des jeunes scolarisés
et de leurs parents ».
Ce nouveau positionnement des
médecins et des infirmières de l’Éducation nationale permet une bonne
intégration des personnels du service
dans les situations très diverses où la
santé des élèves peut être évoquée et
où une approche de santé publique
est judicieuse.
Le rôle des collectivités
territoriales
Le fonctionnement de l’Éducation
nationale est très lié aux collectivités
locales : régions, départements et
communes, et cette complémentarité
se retrouve dans l’activité du service
LA SANTÉ SCOLAIRE EN FRANCE : ÉVOLUTION ET PERSPECTIVES
de promotion de la santé en faveur
des élèves. Le service de promotion
de la santé est installé dans des
centres médico-scolaires créés par
l’ordonnance 45-2407 du 18 octobre
1945. « Ces centres sont organisés
dans les chefs-lieux de département
ou d’arrondissement, dans les
communes de plus de 5 000 habitants
et dans celles désignées par arrêté
ministériel. Chaque département est
divisé en secteurs territoriaux de
centres médico-scolaires. Ce centre
médico-scolaire est administrativement rattaché à un établissement
d’enseignement public et grevé d’affection scolaire ». Les dépenses
d’organisation et de fonctionnement
des centres médico-scolaires présentent un caractère obligatoire pour les
communes.
Dans ces centres médico-scolaires
sont rassemblés les dossiers médicaux des élèves des écoles du secteur
territorial de ce centre. Les examens
médicaux peuvent s’y dérouler. Les
secrétaires médico-scolaires y remplissent leurs fonctions. Le courrier qui
en part concerne les élèves des écoles
du secteur territorial de ce centre.
L’équipement en téléphone, fax,
répondeur, photocopie et micro-informatique de ces centres dépend des
mairies des communes, comme cela
serait pour une école, de même que
l’entretien, le chauffage, etc. Les
affranchissements sont également
assurés par les mairies.
Ainsi, les conditions de travail des
équipes de secteur dépendent des
budgets qui leur sont alloués par les
communes de plus de 5 000 habitants.
Cependant, les moyens en frais de
déplacement et en matériel médical
sont fournis par l’Éducation nationale,
dans les budgets des inspections
académiques.
Le dossier médical scolaire des
élèves scolarisés dans les collèges et
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les lycées sont rassemblés le plus
souvent dans l’établissement de
l’élève, à la disposition de l’infirmière
de l’Éducation nationale affectée dans
l’établissement, qui le tient à jour. Le
courrier concernant les élèves des
établissements doit être affranchi par
l’établissement, sur un budget de
fonctionnement départemental pour
les collèges, régional pour les lycées.
Toutefois, pour les petits collèges
qui ne bénéficient pas d’une infirmière
en résidence, le choix est fait parfois
de laisser les dossiers des élèves au
centre médico-scolaire ; le courrier
concernant ces élèves devra pourtant
être affranchi par le collège de l’élève.
« Le chef d’établissement met à la
disposition du médecin et de l’infirmière, les locaux et le mobilier adaptés, ainsi que l’accès à une ligne téléphonique ».
Dans certains établissements, les
infirmeries sont équipées en microinformatique, ce qui permet aux infirmières d’enregistrer directement leur
activité sur un logiciel adapté. L’accès
au matériel de reprographie de l’établissement est le plus souvent facilité
pour les personnels du service.
Le Conseil Général en ce qui
concerne les collèges et le Conseil
Régional en ce qui concerne les
lycées participent ainsi au fonctionnement du service.
Ainsi, les collectivités locales,
communes de plus de 5 000 habitants,
Conseil Général et Conseil Régional
participent au fonctionnement du service de promotion de la santé par
les conditions de travail offertes au
personnel, que ce soit dans les centres
médico-scolaires ou dans les établissements. Par ailleurs, elles interviennent souvent dans l’organisation d’une
restauration pour le repas de midi
des élèves scolarisés, que ce soit les
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M. TRICOIRE, J. POMMIER, J.-P. DESCHAMPS
communes pour les enfants des
écoles, ou les Conseils Généraux et
Régionaux pour les élèves des collèges et des lycées. Les personnels du
service de promotion de la santé en
faveur des élèves collaborent alors
avec les personnels de ces collectivités locales pour veiller à la qualité des
repas, tant sur le plan nutritionnel que
sur le plan environnemental et éducatif.
Un autre terrain majeur de coopération implique les Conseils Généraux,
pour tout ce qui concerne les problèmes de maltraitance. C’est en effet
au président du Conseil Général que
les médecins, infirmières et assistantes sociales de l’Éducation nationale doivent signaler les cas d’enfants
maltraités découverts dans les établissements scolaires.
Des insuffisances persistantes
Malgré les efforts de ces dernières
années, les moyens restent encore
très insuffisants. Le personnel est
trop peu nombreux, les secteurs trop
chargés. Alors que les problèmes
sont immenses, il n’y a pas d’assistantes sociales dans les écoles primaires. Les médecins sont souvent,
faute de postes statutaires ou budgétaires en nombre suffisant, des vacataires.
Les crédits de fonctionnement sont
pauvres. Dans beaucoup de départements, alors que les personnels pour
la plupart sont obligés de se déplacer
sur des secteurs étendus, les crédits
de missions et déplacements sont
épuisés à partir d’octobre ou novembre.
Les médecins, infirmières et assistantes sociales sont recrutés par
concours, sur la base de leur diplôme
d’État. Les instituts de formation en
soins infirmiers, les instituts de forma-
tion des travailleurs sociaux, les facultés de médecine, ne préparent pas
aux métiers de la santé scolaire, forment peu à la santé publique et au travail d’équipe. La fonction de conseil
technique est peu familière aux professionnels de santé et de service
social ; elle est exigeante, difficile,
parfois frustrante.
La sélection par les concours ne
répond pas aux exigences professionnelles de la santé scolaire. La formation des techniciens nouvellement
recrutés est laissée à l’initiative des
conseillers techniques de chaque recteur pour les infirmières et assistantes
sociales dans le cadre de la politique
académique de formation de personnels. Elle est donc variable d’une académie à l’autre..., quelques jours
d’adaptation à l’emploi, parfois plus
d’une semaine, puis l’accompagnement par les responsables départementaux. En revanche, les médecins
sont mieux formés, passant, en fonction de leurs diplômes et de leur expérience professionnelle, huit semaines
dans un centre universitaire conventionné avec le ministère de l’Éducation
nationale (Bordeaux 2, Nancy 1, Paris 6) ou une année à l’École nationale
de la santé publique de Rennes.
La formation continue existe mais
son budget est en constante régression. Des stages pluridisciplinaires,
encourageant le travail en équipe,
peuvent être proposés mais restent
peu fréquents. La récente suppression des MAFPEN (missions académiques de formation des personnels
de l’Éducation nationale) et le transfert de leurs responsabilités aux IUFM
(instituts universitaires de formation
des maîtres) permet d’espérer une
amélioration de la formation continue.
Par ailleurs, dans trois domaines
d’actualité, la prévention de la violence, l’éducation à la santé à l’école
et le secourisme, des formations
LA SANTÉ SCOLAIRE EN FRANCE : ÉVOLUTION ET PERSPECTIVES
multidisciplinaires seront organisées
à partir de 1999.
Il faut encore développer la formation des conseillers techniques académiques et départementaux. Généralement plus âgés que les personnels
qu’ils animent, ils n’ont pas toujours
bénéficié des formations que ceux-ci
ont reçues en santé publique, en
communication, en animation d’équipes.
Perspectives
Les besoins de santé des enfants et
des adolescents scolarisés sont
immenses et sont, pour une bonne
part, liés au fonctionnement du système éducatif. Celui-ci connaît de
grandes difficultés, écho de difficultés
sociales plus générales que sont la
montée en charge du paupérisme, du
chômage et de l’exclusion, les inégalités grandissantes, l’accroissement de
la violence sous toutes ses formes. La
santé des enfants et des jeunes se
ressent de ces difficultés sociales et la
Conférence nationale de santé de
1997 en a fait son thème de réflexion
prioritaire.
Le service de promotion de la santé
en faveur des élèves est-il en mesure
de s’adapter à ces difficultés et, avec
l’ensemble de la communauté éducative, d’y faire face ?
De grands progrès ont été faits
depuis 1991, sans doute de façon
inégale d’un département à l’autre.
Globalement, la priorité quasi-obsessionnelle mise sur les examens de
santé systématiques a été remise en
cause. Des modalités nouvelles de
travail ont été mises en œuvre, fondées largement sur les méthodes de
santé publique enseignées lors de la
formation statutaire des médecins, et
sur les partenariats instaurés au sein
des établissements. La santé scolaire
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a droit de cité ; elle a acquis, dans
beaucoup de départements, une légitimité et une reconnaissance qui lui
avaient injustement fait défaut pendant des lustres. Les projets d’établissements font une large place à la
dimension sanitaire. L’éducation à la
santé est en train de se renouveler
dans ses objectifs et ses méthodes,
impliquant les enseignants, les personnels non enseignants (« ATOSSS »
dans l’Éducation nationale : administratifs, techniques, ouvriers, de service, de santé et social), les parents
et les élèves eux-mêmes. La santé
scolaire est présente dans la réflexion
sur les violences, l’exclusion, des
problèmes tels que la consommation
de drogues et les suicides.
Les équipes de santé scolaire ont
acquis là des compétences considérables et multiformes. Il faut à la fois
savoir gérer avec l’ensemble d’un collège la situation créée par le suicide
d’un jeune ou le viol d’une adolescente ; être là pour prendre les
mesures nécessaires en face d’un cas
de méningite, rassurer, informer, participer à l’enquête épidémiologique ;
faciliter l’insertion scolaire d’un enfant atteint de maladie chronique,
ou encore rassurer un adolescent
anxieux de son développement ou de
son acné.
Les équipes ont appris la difficile
mission, inhabituelle pour des professionnels de santé, de conseiller technique : des inspecteurs d’académie au
niveau départemental, des chefs
d’établissement à l’échelon local. Elles
ont progressivement intégré la culture
et la logique de l’Éducation nationale
et le fait d’être placées sous la responsabilité des inspecteurs d’académie.
Tout n’est pourtant pas à considérer de façon aussi optimiste.
En effet, dans de nombreux départements, parler d’« équipes » est un
266
M. TRICOIRE, J. POMMIER, J.-P. DESCHAMPS
euphémisme tout à fait hors de propos. Cédant à certaines pressions
corporatistes, la circulaire de 1991 a
réalisé une aberration de santé
publique : la séparation de deux services, « le service médical et le service
infirmier, placés respectivement sous
la responsabilité d’un médecin et
d’une infirmière relevant directement
de l’autorité de l’inspecteur d’académie ». Deux services ? Trois si l’on fait
mention du service social, séparé
depuis longtemps. Dès lors, il existe,
d’un département à l’autre, deux
types de situations : celle où infirmières et médecins, tout en tenant le
rôle défini par la circulaire, coopèrent
et réalisent, avec les autres acteurs de
la communauté éducative, un véritable travail d’équipe ; et celle où
médecin et infirmières s’ignorent,
voire se contredisent ou se déchirent.
On pouvait comprendre le souhait des
infirmières d’échapper à une tutelle
médicale parfois maladroite ; on aurait
pu imaginer une modalité où, de
toutes façons sous l’autorité administrative de l’inspecteur d’académie, la
responsabilité technique aurait été
assurée tantôt par un médecin, tantôt
par une infirmière. On a choisi une
scission injustifiable.
bénéficié) ; ils ont fait évoluer leurs
pratiques. Médecins et infirmières se
sont vus reconnaître des fonctions
distinctes et complémentaires dans
un système cohérent du point de vue
de la santé publique « en faveur des
élèves ».
La médecine de santé scolaire est
aussi périodiquement menacée par
l’émergence d’un serpent de mer à la
vie dure, d’une fausse bonne idée que
bien des responsables politiques
reprennent à leur compte. Comme
toutes les fausses bonnes idées, elle a
une simplicité et une logique propres à
séduire. On peut ainsi la formuler :
puisque les médecins de l’Éducation
nationale ne sont pas assez nombreux
pour accomplir les tâches qui leur sont
dévolues, dépêchons dans les écoles
des médecins généralistes payés à la
vacation.
Celle-ci s’aggrave à un point tel que
certaines organisations professionnelles d’infirmières récusent aujourd’hui la présence des médecins dans
le service de promotion de la santé en
faveur des élèves, arguant du fait que,
dans certains pays, seules des infirmières animent les services de santé
scolaire.
En apparence, c’est du béton : les
généralistes demandent depuis longtemps une participation rémunérée à
la prévention, et nul ne peut nier que la
fonction de médecin généraliste est
largement préventive ; les généralistes
peuvent être géographiquement plus
proches de l’école qu’un médecin de
l’Éducation nationale couvrant un secteur de 8 000 élèves ; et, du point de
vue de l’économie de la santé, ce sera
une bonne action puisque, une fois
dans l’école, les généralistes ne prescriront pas d’examens complémentaires et de médicaments comme ils
l’auraient fait dans leur cabinet. Beaucoup applaudissent donc la réapparition cyclique de cette proposition.
Ce serait un bien mauvais coup
porté en France à un service qui en a
connu déjà beaucoup. Depuis des
années, ceux qui sont aujourd’hui les
médecins de l’Éducation nationale se
sont formés (les autres catégories de
personnels n’ont pas fait les mêmes
efforts de formation, ou n’en ont pas
C’est ignorer complètement ce
qu’est un service de santé scolaire, où
le qualificatif « scolaire » signifie un
enracinement dans une institution, une
communauté, dont on a dit plus haut
les particularismes. C’est oublier les
efforts de formation des médecins de
l’Éducation nationale à la spécificité de
LA SANTÉ SCOLAIRE EN FRANCE : ÉVOLUTION ET PERSPECTIVES
leurs fonctions. C’est prendre le risque
que des médecins non familiers de
l’institution, non formés à la promotion
de la santé ou à l’approche des adolescents, non aguerris au conseil technique, amènent dans l’école leur stéthoscope, une logique biomédicale et
des interventions ponctuelles qui, de
loin, ne sont plus prioritaires. Et que
dire alors de cette proposition récente,
d’envoyer dans les écoles des jeunes
médecins, appelés du contingent ou
des étudiants résidents en médecine
générale ?
Ces propositions sont désobligeantes pour les médecins de l’Éducation nationale. La résistance de ceux-ci
n’a rien du souci de maintenir une
« chasse gardée ». Que des étudiants
en médecine en troisième cycle viennent dans les écoles pour se former, si
ceux qui les encadrent ont les moyens
et la disponibilité de le faire est souhaitable. Qu’ils viennent pour suppléer des
effectifs insuffisants de médecins de
l’Éducation nationale est inacceptable.
Que des passerelles de toutes sortes
soient jetées entre la médecine de ville
et l’école est une évidente nécessité.
Mais il faut que le service de promotion
de la santé en faveur des élèves reste le
service de santé de l’école, juge des
collaborations et des concours qu’il
veut solliciter à l’extérieur.
Le « plan de relance pour la santé
scolaire » annoncé en mars 1998 par
la ministre de l’enseignement scolaire
prend en compte certaines de ces dif-
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ficultés signalées ci-dessus, et promet
notamment la poursuite de l’effort
récent de recrutement de médecins et
d’infirmières. Il insiste sur la formation
des enseignants et de tous les personnels des établissements à la prévention, à l’intégration de la santé
dans la vie des écoles, des collèges et
des lycées et dans les contenus pédagogiques.
La prévention et l’éducation à la
santé sont reconnues aujourd’hui
comme des priorités de l’Éducation
nationale. Des mesures incitatives
doivent être prises à la fin de l’année
1998, généralisant des expériences
prometteuses récentes, impliquant
l’ensemble de la communauté éducative, s’appuyant sur les comités
d’éducation à la santé et à la citoyenneté (qui se sont substitués, par une
circulaire de 1998, aux comités d’environnement social créés en 1990).
En bref, la santé scolaire évolue. Les
carences persistantes dans son organisation et dans sa dotation en
moyens, ne doivent pas faire oublier
que son rattachement à l’Éducation
nationale a été un puissant stimulant
de son développement quantitatif et
qualitatif. Elle est aujourd’hui un des
secteurs dynamiques de la santé
publique en France, s’adaptant progressivement à l’immensité des problèmes de santé des enfants et des
adolescents, eux-mêmes reconnus
aujourd’hui comme une priorité de la
politique nationale de santé.
BIBLIOGRAPHIE
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