Un peintre russe d`aujourd`hui

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Un peintre russe d`aujourd`hui
Un peintre russe d'aujourd'hui
1. Alexander D.1 est né à Léningrad, ville à laquelle D. Chostakovitch dédia la 7ème
symphonie.2 Cette dernière fut tout à la fois honorée par le régime de Staline, et bien
reçue en Occident car oeuvre de résistance à l’envahisseur nazi.3 Plus récemment, elle
a été analysée comme une oeuvre qui s’élèverait à la fois contre la tyrannie nazie et la
terreur stalinienne.4
2. Alexander Dashevskiy est né en 1980 dans cette ville qui
s’appelait alors Léningrad, et qui retrouva le nom de SaintPétersbourg en 1991 peu après la chute du mur de Berlin qui
précipita l’effondrement du monde communiste, alors que ce
monde avait justement pris son essor dans cette cité lors de la
Révolution russe de 1917, essor que l’on peut aujourd’hui qualifié
de tragique.5
3. Dans son travail, Alexander ne nous montre pas seulement sa
bonne et bien-aimée ville, mais ce qui constitue les traces d’un
monde disparu, autrefois nommé URSS. Il nous dit que lorsque son
pays retrouva le nom de Russie, il était alors ravagé par de
nombreuses crises : politique, économique, sociale, miné par le conflit en Tchétchénie
1 Alexander Dashevskiy 2 http://kennethwoods.net/blog1/2010/02/17/shostakovich-7-the-city-the-year-theperformance/ 3 www.youtube.com/watch?v=nOKL_q-Ribs&feature=related 4 http://www.youtube.com/watch?v=_wGs6b7AVHk 5 Quelques propos d’Hannah Arendt sur le système des conseils en Hongrie :
http://perso.ovh.net/~lesamisdam/?p=88 et le terrorisme. Il fallut cependant continuer à vivre, commencer à oublier les
traumatismes d’autrefois, et faire face à ceux de l’après-communisme.
4. Au début de sa production, il se tourna, après avoir abandonné toute reproduction
du corps, vers ces cellules, ces petites boîtes cher à Graeme Allwright.6 Il se tourna
non pas vers les hommes, mais vers ce quoi habituellement on ne prête guère attention
tant cela fait parti de notre quotidien, tant cela est banal : containers, garages, boîtes
aux lettres.
Dans le même temps, il donna à voir non pas les monuments qui font la renommée
d’une ville, mais les immeubles des périphéries, ceux des banlieues, et il permit ainsi
6 http://www.youtube.com/watch?v=4tazEg9v_-4 de découvrir les lieux de vie hérités de l’ancien régime communiste. Ce qui
caractérise ce travail c’est la sérialité. Outre cette série «Cells», et la série «Real
Estate» sur laquelle il travailla six ans et qui montre des immeubles représentatifs des
constructions de l’ère soviétique des années 1970-1980; il faut citer les séries
«Diebenkorn in Pulkovo», et «Swimming pool». Les toiles les plus récentes de cette
dernière série aujourd’hui achevée, ont été récemment présentées à la galerie
Keumsan à Séoul.7 Ce fut l’occasion pour moi de rencontrer l’artiste en attendant la
série à venir qui sera intitulée «Ghost».
5. Certains critiques voit Alexander comme «le poète de l’agglomération», lui qui,
dit-on, à l'instar des artistes américains des années 1960-1980, s’est détourné des
centres-villes, pour nous donner à voir la périphérie, et les constructions générées par
des architectes qui croyaient toujours aux idéaux communistes. Il se souvient que
lorsqu’il était enfant les immeubles, pour lui, ressemblaient à des images abstraites;
des immeubles qui, à Saint-Pétersbourg, à cause du climat, ont mal vieilli, des
immeubles dont on ne sait aujourd’hui trop quoi faire bien qu’ils soient représentatifs
de l’histoire de la ville. Alexander tient à rappeler, que dans ces années 1970-1980,
l’espace privée était fort réduit et le plus souvent peu pratique : on accordait toute son
importance à l’espace public, d’où par exemple la présence de grandes terrasses et la
monumentalité des escaliers. Les architectes oeuvraient toujours pour la société
soviétique, soucieux de la notion d’égalité, d’où des appartements construits à
l’identique que les habitants ensuite se mettaient à transformer pour obtenir un espace
plus confortable que celui des voisins. Ils remodelèrent ainsi leur espace de vie en
changeant les fenêtres, en modifiant les balcons, etc.
7 Alexander Dashevskyi est représenté à Saint-Pétersbourg par Anna Nova Art Gallery.
http://www.annanova-gallery.ru/cat/1024/en 6. Alexander dans son discours se montre un citoyen averti d’une ville et d’un pays en
crise, il se dit admiratif du travail du photographe Frédéric Chauvin et de son livre
«Cosmic Communist Constructions Photographed».8 Il tient par son propre travail
pictural à entretenir la discussion et
le débat sur le devenir de cette
architecture, récente, mais d’un autre
temps, et aujourd’hui menacée de
disparition. Il n’en demeure pas
moins, malgré ce discours du peintre,
malgré le caractère figuratif de ses
toiles, qui pour certaines tendent vers
l’abstraction comme dans la série
«Diebenkorn
celles-ci
ne
in
Pulkovo»,
sont
que
nullement
narratives : elles sont avant tout du
domaine de la monstration.
7. C’est aussi le cas de la série «Swimming pool». Les piscines sont en général vues
et vécues comme lieu de joie et de plaisir. C’est par exemple ce que nous montre
David Hockney, même si la joie et le plaisir ne se retrouvent pas dans toutes les toiles :
une atmosphère différente est perceptible entre celles où figurent des corps avec une
forte dimension homo-érotique, et celles vides de toute présence humaine où
8 http://www.taschen.com/pages/fr/catalogue/photography/all/05744/facts.frederic_chaubin_co
smic_communist_constructions_photographed.htm dominent un sentiment d’inquiétante étrangeté, et ce malgré la lumière, le soleil, les
couleurs. Sentiment d’inquiétante étrangeté que l’on retrouve avec force dans les
piscines d’Alexander qui apparaissent souvent glauques.
Il voit avant tout ces lieux comme lieux d’oppression, lieux de l’oppression
communiste, avec le culte du corps auquel les jeunes gens devaient alors se plier. Il
montre des piscines d'avant l'effondrement du monde communiste que l’on n’avait
déjà plus les moyens d’entretenir, des piscines aux tuyaux rouillés, aux carrelages
brisés, qui étaient devenus une menace pour les corps dénudés. Malgré sa critique des
avant-gardes, malgré sa critique de l’utopie communiste, Alexander n’en demeure pas
moins critique de la société d’aujourd’hui et de ses discours tout aussi illusionnistes.
Il reste cependant confiant, confiant dans sa capacité à produire, à interroger le monde,
à le montrer tel qu'il le pense, le voit, et le perçoit. Un monde qui ne peut échapper à
ses fantômes, fantômes qu’il semble inlassablement traquer.

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