canada`s navy: the first century

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canada`s navy: the first century
Critiques de livres
CANADA’S NAVY: THE FIRST CENTURY
par Marc Milner
Toronto, Toronto University Press, 1999. 359 pages. 45,00 $
Compte rendu par le captaine(M) (ret) Rober t H. Thomas
L’
ouvrage de Milner est le deuxième à présenter l’histoire globale de la Marine du Canada après The Sea
is at Our Gates de Tony German. C’est un livre
bien équilibré qui privilégie les thèmes des politiques autant que des opérations, offrant de la sorte une perspective neuve sur l’histoire des défis relevés par la
Marine. À partir de ses études antérieures sur la Bataille de
l’Atlantique, l’auteur construit en fait une analyse solide de
la Marine comme instrument de sécurité nationale et de
politique extérieure tout au long de son existence. Les premiers affrontements sur les pêcheries (réapparus dans les années 90), la valeur de sa contribution en temps de guerre pour asseoir la
place du Canada sur la scène internationale et
le déplacement de ses priorités vers la lutte
anti-sous-marine à la demande de l’OTAN
illustrent ce rôle de la Marine.
Pendant ses trois premières décennies, la
Marine royale canadienne (MRC) lutte pour sa
survie. L’incertitude entourant la composition
de sa flotte et son rôle marginal durant la
Grande Guerre entraînent une succession de
crises dans l’entre-deux-guerres. Les maigres
progrès réalisés alors ne lui assurent pas la flotte nécessaire
pour les combats à venir. Milner décrit une MRC s’efforçant au cours de la Guerre de planifier son rêve d’une
flotte de gros navires qui viendrait compléter la Royal
Navy, alors que les nécessités de cette Guerre la forcent à
mettre d’urgence à flots une vaste flotte d’escorte avec des
équipages composés surtout de réservistes non entraînés.
La discussion de cette expérience de temps de guerre porte
principalement sur des questions de politique et, notamment, sur les difficultés découlant d’une conception
médiocre des navires, d’une technologie surannée et sur des
problèmes d’entraînement causés par la croissance trop
rapide de la Marine. L’auteur montre que les efforts de la
Marine (tout au long de la Guerre) pour se doter d’un commandement autonome vont de pair avec ceux de Mackenzie
King qui cherchait à asseoir le rôle indépendant du Canada
au sein de l’Alliance.
Le principal apport du livre est son analyse du
développement de la MRC après la Deuxième Guerre mondiale et de la manière dont son rêve d’une flotte de gros
navires s’est évanoui devant les demandes des alliés liées à
la guerre froide. Milner expose les défis que les changements de la société imposent à la Marine, qui a de la difficulté à garder son personnel qualifié et impose dès lors une
surcharge de travail à des équipages réduits. Les mutineries qui s’ensuivent mettent en lumière des problèmes déjà
reconnus par la Marine et accélèrent le processus de
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Revue militaire canadienne
changement. Un nouvel accent est mis sur la guerre antisous-marine, ce qui était la tâche de la RVMRC en temps de
guerre. Milner décrit avec justesse la portée de cette nouvelle orientation en notant que la force régulière de la
Marine avait représenté moins de 5 p. 100 des effectifs du
temps de guerre et qu’elle avait peu servi dans les forces
d’escorte. Cette nouvelle orientation est présentée comme
une étape importante conduisant à la création d’une marine
« à la canadienne » avec, entre autres, la conception et la
construction du St-Laurent et des classes subséquentes, le
développement de liens plus étroits avec la
U.S. Navy ainsi que la formation et l’entraînement des officiers au Canada.
La crise d’unification est traitée en détail et
en toute justice. Milner saisit bien l’angoisse
régnant dans la Marine, les sentiments
entourant le limogeage de l’amiral Landymore
et le départ à la retraite de la plupart des
officiers supérieurs. La description de la rencontre acrimonieuse entre les officiers de la
Marine et le ministre Paul Hellyer ravive la
mémoire des sentiments de rage qui régnaient
dans la salle. Milner affirme que c’est l’unification des trois éléments qui brise finalement le « caractère britannique » de la Marine canadienne. Il replace
cette crise et la réduction subséquente de la Marine pendant
deux décennies dans la perspective politique des années 60.
Aux années sombres suivant l’unification succède enfin la
modernisation de la flotte, qui est en cours lorsqu’éclate la
Guerre du Golfe. La Marine réagit rapidement et efficacement au grand dam de ses critiques des médias. Depuis lors,
cette flotte moderne et capable est présente partout sur le
globe et contribue à la paix et à la stabilité de crise en crise.
Un thème est récurrent dans la thèse de Milner sur la
« canadianisation » de la Marine, à savoir le défi qu’y
affrontent les francophones. Milner décrit très exactement
les difficultés qu’entraîne l’exigence de vivre, de s’entraîner et de travailler dans un environnement unilingue
anglais et leur impact sur l’avenir de la Marine au Québec.
Il décrit en détail les changements survenus depuis deux
décennies pour remédier à cette situation.
Ce livre s’impose à tous ceux qui désirent comprendre la
Marine canadienne et ses nombreux rôles ainsi que sa fonction
d’élément clé des politiques étrangère et de défense du Canada.
Le capitaine (M) (ret) Robert H. Thomas est attaché de recherche au
Centre for Foreign Policy Studies de la Dalhousie University et professeur adjoint au Centre canadien international Lester B. Pearson pour
la formation en maintien de la paix.
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Critiques de livres
THE CANADIAN FORCES: HARD CHOICES, SOFT POWER
par Joseph T. Jockel
Toronto, Canadian Institute of Strategic Studies, 1999. 132 pages. 30,50 $
Compte rendu par le lieutenant-général (ret) R. J. Évraire
L
es livres sur les Forces canadiennes et sur les politiques de
défense au Canada sont plutôt rares. L’ouvrage de Jockel est
donc le bienvenu pour ceux d’entre nous que ces
sujets intéressent. Sans traiter de façon exhaustive les
problèmes récurrents dont souffrent les Forces canadiennes (FC),
il expose de façon factuelle et objective certains événements de la
dernière décennie qui ont privé les FC de personnel
et d’équipements récents et les ont laissées avec un
avenir incertain en dépit d’une politique de défense
largement acceptée mais que le gouvernement ne
finance pas. Plus spécifiquement, l’auteur passe en
revue les capacités de combat des FC, précise ce qui
est nécessaire pour maintenir ces capacités et
indique les choix difficiles qui s’imposent pour que
les FC gardent leurs capacités de combat outre-mer.
Le professeur Jockel écrit que le mal dont souffrent les Forces canadiennes peut être qualifié de
« stress de dislocation stratégique ». Selon lui,
l’orientation de la Marine, de l’Armée et de la Force
aérienne en fonction d’alliances conclues de longue date (organisation, équipements et formation centrés sur les besoins de
l’OTAN, du NORAD et de l’ONU) continue de rendre difficile la
réorientation des FC dans la direction préconisée par le Livre
blanc sur la Défense de 1994, qui leur demande d’être capables
de déployer leurs principales forces d’intervention et leurs forces
opérationnelles au service de la paix et de la sécurité internationales. En affirmant que « les Canadiens ne se sont jamais vraiment intéressés aux choses militaires et ont donné carte blanche
au gouvernement pour définir une politique de défense », il suggère en fait que le remède au mal susmentionné n’est pas en vue.
Ce qu’il dit de l’approche du « pouvoir discret » du Ministère des
Affaires étrangères, que préconise Axworthy en matière de politiques extérieure et de défense, laisse entendre qu’il en attend une
exacerbation des difficultés vécues présentement par les FC.
L’examen détaillé que fait l’auteur des capacités de combat des
trois éléments convaincra la plupart des lecteurs. Il laissera également perplexes les lecteurs peu familiers avec la terminologie
militaire. Un exemple en est le long exposé sur les Groupes de
combat en début du chapitre sur l’Armée alors que ce terme n’est
défini que vers la fin de ce chapitre. Certains lecteurs pourraient
ne pas comprendre pourquoi le génie est présenté comme une
section de soutien au combat alors que les transmissions ne le
sont pas. Malgré ces faiblesses et quelques fautes de ponctuation
et de syntaxe, le livre de Jockel est un exposé clair et précis des
misères des FC. Il explique clairement la composition et les missions des principales forces d’intervention, des forces opérationnelles de la Marine et de l’Aviation, etc. dans la perspective
du Livre blanc sur la Défense de 1994. Il expose aussi avec force
et détails les nombreuses missions et déploiements entrepris avec
succès par les FC depuis une décennie. Il ne cache cependant pas
son pessimisme quant à la capacité des FC de mettre en application plusieurs des recommandations du Livre blanc.
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À l’appui de son pessimisme, l’auteur invoque les commentaires du vérificateur général dont un rapport récent affirme que
les sommes couramment allouées aux FC ne leur permettent
tout simplement pas de se moderniser complètement. Le montant disponible, selon lui, se chiffre à 6,5 milliards de dollars en
cinq ans, alors qu’il en faudrait 11. Cette situation, conclut
Jockel, ne laisse qu’un choix au gouvernement :
accroître le budget de la Défense ou poursuivre la
réduction des effectifs des FC.
Comme on l’a mentionné, l’apathie du public est
une des causes de l’état actuel de délabrement des
Forces canadiennes. Jockel croit en outre que la
faiblesse de l’opposition au gouvernement, un premier ministre impitoyable et les larges prérogatives
du ministre des Finances dans l’élaboration du
budget aggravent les difficultés. Que faire alors?
L’auteur suggère que l’évaluation de la Guerre
du Kosovo « peut se révéler décisive ». En
avançant son argument, il déclare que, si l’on juge que
l’usage de la force militaire (seulement des frappes aériennes,
comme on le sait) a restauré la sécurité des habitants à un coût
acceptable, un solide coup de pouce pourrait être donné à
l’accroissement du budget de la défense et, par là même, au
maintien de la capacité de combat des FC outre-mer. Il semblerait dès lors que le sort des FC en soit jeté, puisque
plusieurs pensent que les frappes aériennes ont été vraiment
inefficaces, que la sécurité des gens n’a pas été restaurée (le
maintien de la paix exigeant la présence indéfinie de 10 000
soldats de l’ONU) et que la population civile a payé un prix
exorbitant en morts, en blessés, en réfugiés et en destruction
des infrastructures.
Jockel n’oublie pas de mentionner les fautes professionnelles
internes qui ont terni l’image des FC dans les années 90, même
si cette image s’est nettement améliorée grâce aux grands efforts
récents, continus et concertés, entrepris de l’intérieur par les FC.
Il situe néanmoins la responsabilité de l’état déplorable des
Forces canadiennes (et d’un éventuel espoir d’amélioration)
exactement là où elle se trouve, c’est-à-dire au gouvernement
fédéral. Un financement inadéquat entraînera la poursuite de
l’affaiblissement des capacités des FC et on continuera à ne pas
remplir d’autres promesses du Livre blanc sur la Défense.
The Canadian Forces: Hard Choices, Soft Power vaut absolument la peine d’être lu par quiconque s’intéresse ne fût-ce
qu’un peu à la politique de défense, aux Forces armées et à la
souveraineté nationale du Canada.
Le lieutenant-général (ret) Richard Évraire habite Ottawa. Parmi ses
dernières fonctions dans les Forces canadiennes, il a été le représentant militaire canadien au Comité militaire de l’OTAN à Bruxelles et
le commandant du Collège de la défense de l’OTAN à Rome.
Revue militaire canadienne
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Printemps 2000
Critiques de livres
BLOOD ON THE HILLS: THE CANADIAN ARMY
IN THE KOREAN WAR
par David J. Bercuson
Toronto, Toronto University Press, 1999, 269 pages. 35,00 $
Compte rendu de Brereton Greenhous
D
ans la troisième phrase de sa préface, Bercuson
affirme que « la Guerre de Corée était la première
guerre dans laquelle des soldats canadiens ont
combattu sous les ordres d’un commandement de
corps ou d’armée américain ». C’est ce que seront particulièrement étonnés d’apprendre les Canadiens qui ont servi
durant la Deuxième Guerre mondiale dans la première Force
des services spéciaux. Bercuson ajoute que c’était la première
fois que le gouvernement canadien envoyait sciemment des
troupes de l’armée faire la guerre en sol asiatique. Il semble
avoir perdu de vue l’existence du Corps expéditionnaire
sibérien en 1918-1919. Et la malheureuse expédition de 1941 à
Hong-Kong n’a-t-elle pas eu lieu en terre d’Asie?
Même le thème central du livre souffre souvent d’un
manque de rigueur. Les Strathconas n’ont jamais
été le « 12e Régiment blindé canadien », pas plus
que l’escadron envoyé en Corée avec la Force
spéciale n’était un « escadron antichar » (p. 40).
En Corée, le 2 RCHA avait trois batteries de huit
canons plutôt que quatre de six canons (p. 148).
Plusieurs photos ont une légende inexacte.
Il y a eu trois rotations principales en Corée.
La Force spéciale de l’armée canadienne
(FSAC) comprenait un élément d’infanterie
recruté à la hâte sous le nom de 2es Bataillons du
RCR, du PPCLI et du R22 e R; le moment
venu, les 1 ers Bataillons « réguliers » des
trois mêmes régiments les ont remplacés, tandis que la
troisième rotation, baptisée 3es Bataillons, était un amalgame
de volontaires de la Force spéciale originelle, de d’autres
militaires d’active et de recrues.
Bercuson prétend que les unités de la Force régulière (1ers
Bataillons) de la deuxième rotation, commandées par le brigadier
M.P. Bogert, « étaient beaucoup mieux préparées à se battre »
que ne l’étaient à leur arrivée en Corée les 2es Bataillons du
brigadier John Rockingham. Hum! Les troupes de Bogert ont certainement reçu avant leur départ un entraînement plus poussé, qui
a pu profiter des expériences de leurs devanciers. Cependant, la
direction de la Force spéciale était bien supérieure avec deux
excellents commandants d’infanterie, Stone et Dextraze, rappelés
de la vie civile (comme Rockingham lui-même) et le plus que
compétent Keane, du RCR, seul officier d’active parmi eux. Tous
les quatre avaient reçu le DSO pour la qualité de leur commandement durant la Deuxième Guerre mondiale; leurs officiers
supérieurs de terrain avaient été triés sur le volet et bon nombre
de leurs officiers subalternes et de leurs sous-officiers supérieurs
étaient aussi des combattants décorés et aguerris. Une bonne proportion des militaires de rangs inférieurs avaient combattu pendant la Deuxième Guerre mondiale, et les autres avaient hâte
d’apprendre. Ils manquaient sans doute d’entraînement, ce
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Revue militaire canadienne
qu’admettaient leurs chefs, mais ils étaient parfaitement aptes au
combat, une fois écartés les inaptes (envoyés là avant tout à la
suite d’une décision personnelle erronée du MDN).
Quel contraste entre eux et Bogert qui certes faisait l’affaire,
mais n’avait pas le calibre de Rockingham, et dont aucun des
commandants d’infanterie ne s’était particulièrement distingué
dans la guerre précédente. En effet, l’un était un officier d’étatmajor sans plus, un autre avait passé le plus clair de son temps à
commander des unités de renfort, tandis que le troisième n’avait
pas, selon son évaluation finale, la poigne nécessaire au commandement d’un bataillon en opérations actives.
Dans un passage de son livre, Bercuson décrit l’attaque que
repousse dans la nuit du 5 au 6 novembre 1951 la Compagnie
‘D’ du 1 PPCLI et il en attribue en partie le succès
à « l’entraînement intense, à la fierté et au professionalisme de ce régiment ». Ils se sont bien battus sous le commandement d’un ancien de la
Force spéciale et de quelques bons officiers subalternes; mais, avant de quitter le Canada, il avait
fallu renforcer ce bataillon par le transfert de
quelque 500 hommes du 3 PPCLI, vu que 150
membres de la Force permanente s’étaient portés
volontaires pour un entraînement de parachutistes
plutôt que de partir en Corée et que 150 autres s’étaient arrangés pour être versés dans la catégorie
des « non effectifs ». La fierté régimentaire était
peut-être présente dans les rangs du deuxième
contingent, mais pas beaucoup d’« entraînement intensif » ni
beaucoup de « professionnalisme ».
Les artilleurs, les sapeurs et les signaleurs auraient mérité
d’avantage d’attention.
Quant à la perspective stratégique, Bercuson pense que « la
politique de maintien intégral de la ligne de front pendant les
négociations avec les communistes aurait entraîné des pertes
humaines élevées et probablement non nécessaires ». Cette
assertion ne tient absolument pas debout. Le maintien de la
ligne de front a limité ces pertes : toute tentative de lancer une
offensive d’envergure, même avec une suprématie aérienne,
aurait inévitablement accru ces pertes. Les Chinois étaient
déterminés à soutenir la cause des Nord-Coréens, et on ne pouvait songer à répéter la percée de MacArthur sur le Yalu, qui fut
d’ailleurs brutalement repoussée en décembre 1950.
Quand donc, Seigneur, aura-t-on droit à un bon compte
rendu du rôle du Canada en Corée?
Brereton Greenhous est un ancien membre de l’équipe du Directorat
de l’Histoire au Quartier-général de la Défense. Le volume 3 de
l’Histoire officielle de l’ARC compte parmi ses nombreux ouvrages.
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Critiques de livres
FIELD OF GLORY: THE BATTLE OF CRYSLER’S
FARM, 1813
par Donald E. Graves
Toronto, Robin Brass Studio, 1999. 426 pages, 22,95 $
THE INCREDIBLE WAR OF 1812:
A MILITARY HISTORY
par J. Mackay Hitsman, mis à jour par Donald E. Graves
Toronto, Robin Brass Studio, 1999. 398 pages, 22,95 $
THE WAR OF 1812
par Victor Suther n
Toronto, McClelland & Stewar t, 1999. 288 pages, 60 $
Compte rendu par le captaine John R. Grodzinski
A
u cours des dernières années, il y a eu un regain inexpliqué d’intérêt pour la Guerre de 1812; le nombre
de nouveaux livres sur le sujet a augmenté
régulièrement. Il s’agit, entre autres, d’études des
campagnes et des batailles, d’un examen du leadership britannique, d’études du rôle des Premières Nations pendant la
guerre, de guides, d’études navales et de biographies. Plusieurs
sites internet sont consacrés à la guerre; en outre, un documentaire télévisé de quatre épisodes sur les événements des années 1812 à 1815 a été tourné récemment. Et fait heureux, plusieurs de ces publications contiennent de nouveaux éléments de
recherche et des interprétations originales.
armée a remporté plusieurs batailles tactiques, mais peu d’entre elles ont procuré des avantages opérationnels, et aucune n’a
eu des conséquences stratégiques à long terme. En dépit de la
vaste étendue des opérations (comme c’est le cas pour la
Russie, comment peut-on vaincre de vastes pays comme le
Canada et les États-Unis?), les communications étaient rapides,
et les Britanniques étaient capables de concentrer rapidement
leurs forces au bon endroit avec un minimum d’information
critique. Qu’on s’y essaie aujourd’hui dans un
environnement ISTAR! La puissance maritime et
la stratégie terrestre sont indéniablement reliées, et
il y a eu des opérations amphibies spectaculaires.
La logistique a toujours joué un rôle important.
La Seconde Guerre américaine, comme on l’appelle parfois, était plus qu’un affrontement de peu
d’importance entre une poignée de réguliers britanniques, de miliciens canadiens et de fusilliers
du Kentucky. C’était un conflit militaire et diplomatique très complexe entre la Grande-Bretagne
et les États-Unis. Le centre en était la région
frontalière allant de la rivière Niagara à la frontière du Québec avec les États de New-York et du Vermont.
Comme c’est le cas pour les autres guerres, la victoire ne pouvait être décidée par des engagements secondaires. Le gros des
combattants étaient deux armées régulières dont les confrontations ont atteint une intensité sans pareil le long de la rivière
Niagara en 1814.
Quand The Incredible War of 1812, de J. Mackay
Hitsman, a été publié en 1965, il a été accueilli
comme un des meilleurs livres écrits sur cette
guerre au Canada. Hitsman éprouvait alors de
sérieux problèmes de santé et des difficultés dans
sa vie privée. Les éditions originales du livre sont
difficiles à trouver, mais heureusement, cette
excellente études est de nouveau disponible avec
beaucoup de nouveaux éléments. Donald E. Graves, l’écrivain
qui a peut-être le plus de connaissances sur cette guerre aujourd’hui, a repris le texte original, cité les ouvrages consultés
(l’original a été publié sans notes), ajouté des douzaines
d’illustrations et inclu plusieurs nouvelles annexes. Il a ainsi
réussi à améliorer un excellent ouvrage.
La Guerre de 1812 offre aux militaires de précieuses leçons
sur le lien entre les niveaux stratégique, opérationnel et tactique de la guerre. Par exemple, l’énorme supériorité
numérique des Américains n’avait pas beaucoup d’importance
sur le plan stratégique parce que leur système de communication ne leur permettait pas de concentrer leur puissance de
combat à l’intérieur ni dans la région de Niagara. À la fin de la
guerre, environ 30 000 réguliers se faisaient face. Chaque
The War of 1812 de Victor Suthern servait de document
d’appoint à un documentaire télévisé de quatre épisodes de
Brian et Terence McKenna. Présenté comme une histoire populaire, le livre de Suthern est un plaisir pour les yeux; le texte
est bien écrit et donne une bonne vue d’ensemble de la guerre
et de certains de ses problèmes historiographiques. Les images,
dont la plupart sont en couleurs, racontent à elles seules une
histoire intéressante. Malheureusement, quelques reproduc-
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Critiques de livres
tions ne sont pas de bonne qualité. Un grand nombre de cartes
sont tirées du Pictoral Field-book of the War of 1812 de Benson
J. Lossing, publié en 1869. Heureusement, le responsable de la
mise en page n’a pas mis beaucoup de ces superbes illustrations sur deux pages et en a conservé ainsi la valeur. Certains
éditeurs ne comprennent pas que les images ne sont pas que de
simples décorations et ne devraient pas chevaucher la tranche
du livre. C’est particulièrement vrai pour les lecteurs d’ouvrages militaires qui étudient souvent les images autant que le
texte. Le CD-ROM qui accompagne le livre est vraiment décevant. Il est difficile à charger et l’information « approfondie »
promise sur l’étui est simpliste et peu utile.
Don Graves, responsable de la réédition de Incredible War,
est un ancien historien à la Direction de la section historique. Il
est maintenant écrivain et conseiller en histoire. Il a écrit
plusieurs excellents livres, dont Where Right and Glory Lead:
The Battle of Lundy’s Lane, 1814; Gray Coats and Red Jackets:
The Battle of Chippawa, 1914 et une histoire du South Alberta
Regiment pendant la Seconde Guerre mondiale.
Graves pense qu’on peut seulement créer l’histoire, et non
la recréer; aussi utilise-t-il toutes les sources possibles
(manuels, documents originaux et un nombre surprenant de
témoignages personnels) pour donner vie aux événements. Ses
études, souvent le premier réexamen sérieux depuis le début
du vingtième siècle, aboutissent toujours à de nouvelles interprétations et à de nouvelles révélations. C’est pourquoi ses
livres sont un apport important au domaine et sont toujours
écrits pour servir les besoins d’un lecteur intelligent. Graves
ne joue pas au général de salon; il aborde avec bon sens et
d’une manière pragmatique le métier des armes et l’analyse
des problèmes militaires.
Sa dernière étude d’une campagne, intitulée Field of Glory,
est une description détaillée de la plus vaste opération américaine entreprise pour gagner la guerre en 1813. L’objectif en
était Montréal. Tandis qu’une armée se dirigeait vers la ville à
partir du lac Champlain, une autre descendait le Saint-Laurent.
Graves étudie les difficultés que les Américains ont éprouvées
à élaborer une stratégie efficace, les rivalités personnelles entre
les divers officiers généraux, les qualités inégales des officiers
et des soldats et les erreurs commises. Ce qui est remarquable,
c’est la jeunesse relative (environ 35 ans) des sept principaux
officiers britanniques et canadiens de l’armée et de la marine
qui ont remporté le combat et l’expérience considérable qu’ils
avaient en 1813. Le chapitre sur la tactique et sur la doctrine
pendant la guerre de 1812 est le meilleur que Graves ait écrit
sur le sujet.
À la fin, le lecteur comprend pourquoi la plus importante
offensive américaine de la guerre a échoué et pourquoi un
adversaire moins nombreux, mais plus agressif, a remporté la
victoire. Au printemps de 1813, les Américains décidèrent
d’arracher le contrôle du Saint-Laurent aux Britanniques; à la
fin de l’automne, les Britanniques avaient au contraire renforcé leur propre contrôle du fleuve.
Le livre contient le détail des ordres de bataille et des
caractéristiques des armes ainsi qu’une annexe fascinante
sur l’héritage militaire de la campagne. Il contient aussi
l’histoire des champs de bataille, en particulier celui de
Crysler’s Farm, en grande partie inondé maintenant
depuis la création de la Voie maritime du Saint-Laurent.
Field of Glory offre de nombreuses illustrations et de
superbes cartes; c’est un livre important qui amènera le
lecteur à voir les Mille Îles et la Voie maritime du SaintLaurent d’un autre œil et à apprécier la riche et utile histoire militaire du Canada.
Pour ceux qui s’intéressent, de près ou de loin, à la guerre de
1812, c’est vraiment le moment de se procurer des livres de
qualité sur ce sujet.
Le capitaine John R. Grodzinski est l’éditeur en chef du “Bulletin de
doctrine et d’instruction de l’Armée de terre”; il organise aussi
régulièrement des visites guidées des champs de bataille de la guerre
de 1812 pour les unités de l’Armée et pour tout autre groupe intéressé.
ORTONA: CANADA’S EPIC WORLD WAR II BATTLE
par Mark Zuehlke
Toronto, Stoddar t. 443 pages. 35,00 $.
Compte rendu du lieutenant-colonel Michael Cessford
L
e livre de Mark Zuehlke est, en dépit de son titre, bien plus
que l’étude d’une bataille relativement peu importante
pour reprendre le port d’Ortona, dans le sud de
l’Italie. Son véritable sujet est le combat livré pendant un mois par la 1re Division d’infanterie du Canada pour
déloger les Allemands de leur position entre le Moro et le
Riccio. Cette lutte, qui s’est terminée par la chute d’Ortona,
était le premier engagement prolongé d’une division canadienne pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce fut un âpre et
long combat qui opposait la division à quelques-unes des
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Revue militaire canadienne
meilleures unités de la Wehrmacht dans des conditions semblables à celles des batailles de la Somme et de Passchendaele.
C’est un fait historique important.
En novembre 1943, la poussée des Alliés au centre de l’Italie
était bloquée par la principale ligne de défense allemande. Pour
tenter de mettre fin à cette paralysie opérationnelle,
Montgomery a ordonné à la 8e Armée d’attaquer au nord, le
long de l’Adriatique, afin de percer la ligne de défense de l’ennemi, après quoi les Alliés avanceraient dans la vallée de
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Critiques de livres
l’Avezzano pour capturer Rome. C’était une méprise de taille sur
la force des Allemands et sur les limites imposées par les conditions climatiques et par le terrain. Comme c’était à prévoir, la 8e
Armée n’a pas réussi à percer la ligne allemande. La meilleure
chose à faire était d’établir des troupes britanniques et d’avancer
lentement sur l’autre rive du Sangro, la principale ligne de
défense allemande. Les Allemands, repoussés du
fleuve Sangro, se sont repliés de mauvaise grâce
quelques kilomètres plus loin, le long du Moro. Les
Britanniques ont perdu la plupart des combattants
du corps assaillant.
Montgomery, qui n’avait plus vraiment de
réserves, a retiré la 1re Division d’infanterie du
Canada du flanc de l’armée et lui a ordonné de
poursuivre l’attaque le long de l’Adriatique.
Montgomery devait savoir que son plan pour la
conquête de Rome avait échoué, mais il était
néanmoins bien décidé à combattre. Il a remplacé
les manœuvres par l’attrition pour saigner l’armée allemande, lui infligeant ainsi des pertes qu’elle ne pouvait pas remplacer. Ortona était peut-être l’objectif des
Canadiens, mais la véritable cible était l’armée allemande. Et
c’est la 1re Division d’infanterie du Canada qui, avec l’appui
des chars de la 1re Brigade blindée du Canada, a soutenu le
plus fort de ce combat.
Zuehlke ne donne qu’un bref aperçu du combat sur le Moro.
Il analyse très peu les hauts et les bas des politiques nationales
et de la stratégie des Alliés qui ont envoyé une division et une
brigade blindée canadiennes envahir la Sicile en juillet 1943 et
poursuivre la campagne en Italie. Il n’esquisse les mouvements
et les engagements de la 8e Armée britannique que juste assez
pour placer dans son contexte l’histoire des Canadiens sur le
Moro et sur l’Ortona.
Or, là n’est pas le propos du livre, qui ne prétend pas être une
étude de la conduite de la guerre ni de la campagne. Zuehlke ne
cache pas que son travail vise à raviver le souvenir de la bataille,
qu’il est un hommage au courage et aux sacrifices de jeunes
hommes engagés dans un âpre et long combat pour la conquête
de quelques kilomètres de terrain boueux et banal et d’un petit
port italien tranquille. Dans ce livre, ce sont les expériences
individuelles des soldats qui priment; l’auteur ne fait pas une
grande différence entre Allemands et Canadiens. En outre, pour
la première fois, le lecteur comprend les difficultés des civils
pris dans les combats, victimes dans leurs propres maisons et
dans leurs propres champs. C’est une histoire très humaine,
dans le style de Daniel Dancocks et de Pierre Berton.
Le mérite de ce livre, c’est de faire comprendre au lecteur les
réalités brutales de la guerre en Italie. Zuehlke peint une triste
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image du combat au cours duquel des bataillons décimés et
faibles s’affrontent des semaines durant. Il en décrit bien l’effet sur les hommes et sur les unités de la 1re Division d’infanterie du Canada. À la fin du combat, la division n’était plus en
mesure de prendre l’offensive. Le récit des combats du Carlton
and York Regiment à la cote 59, le dernier engagement de la
bataille, montre avec quelle rapidité les capacités
et le moral peuvent se détériorer. Les autres récits
sont tout aussi saisissants; pas un bataillon de la
division n’est sorti indemne du combat.
Zuehlke a très bien expliqué les événements, mais
son analyse de leur cause n’est pas aussi complète
ni aussi soignée. Il critique sévèrement le majorgénéral Chris Vokes, le commandant de la division
canadienne, pour sa façon de conduire les combats.
Il reproche en particulier à Vokes de n’avoir pas
pris de flanc les fortifications allemandes du « ravin », et d’avoir préféré envoyer ses bataillons
séparément à l’assaut des défenses ennemies. Cette
critique est méritée en grande partie, mais Vokes ne devrait pas
être le seul au banc des accusés. Les commandants de sa brigade
étaient tout aussi coupables d’avoir sous-estimé la force de la
ligne allemande et de n’avoir pas engagé les ressources nécessaires pour prendre de flanc les positions ennemies ou pour les
forcer. Il faudrait aussi faire une place à Montgomery. Son refus
de mettre fin à l’offensive, alors qu’elle avait échoué de toute
évidence, a fait perdre le dessus à son armée, tout cela pour
gagner quelques kilomètres de terrain boueux et détrempé.
L’auteur aurait pu aussi parler davantage de l’entraînement et de
la doctrine des Britanniques (et par extension, des Canadiens).
En mettant l’accent sur la puissance de feu, sur le contrôle
rigide et sur des avances précises aux objectifs tactiques limités,
la doctrine britannique imposait souvent des contraintes aux
commandants, empêchant de hardies manœuvres de flanc qui
auraient pu briser les défenses allemandes avec des pertes relativement peu nombreuses. Zuehlke fait allusion à la faiblesse du
commandement tactique des Alliés et de leur doctrine, mais il
n’a pas fait l’analyse approfondie que méritent ces aspects interdépendants de la bataille.
Sous réserve de ces critiques, Mark Zuehlke a écrit une étude
compatissante et prenante de l’une des plus difficiles batailles
livrées par l’Armée canadienne pendant la Seconde Guerre
mondiale. Je recommande vivement à ceux qui veulent comprendre la guerre du fantassin canadien de commencer par
Ortona. Ce livre mérite même une place dans la bibliothèque
de tout lecteur désireux de s’instruire sur le combat tactique au
sol pendant la Seconde Guerre mondiale.
Le lieutenant-colonel Michael Cessford travaille à la Direction
générale – Concepts stratégiques (Opérations terrestres) à Kingston.
Revue militaire canadienne
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Printemps 2000