État d`AME - Pas-de
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État d`AME - Pas-de
éthique par Françoise Vlaemÿnck État d’AME L’ANRS a récemment lancé deux essais dédiés à l’optimisation des stratégies thérapeutiques chez des personnes séropositives prises en charge tardivement. L’Agence a également entamé des démarches auprès du ministère de la Santé afin que des sans-papiers bénéficiaires de l’aide médicale d’État (AME) puissent y participer. Explications. « Toute recherche biomédicale sur une personne qui n’est pas affiliée à un régime de Sécurité sociale ou bénéficiaire d’un tel régime est interdite », stipule la loi HurietSérusclat en son nouvel article L. 1121-11. Cette disposition existait dans la loi de 1988 et a été réaffirmée lors de sa révision en août 2004. « Le problème est de savoir ce que l’on appelle une affiliation à la Sécurité sociale ? », lance le Pr Jean-François Delfraissy, directeur de l’Agence nationale de recherches sur le sida (ANRS). Objet de son interrogation : l’impossibilité pour les personnes bénéficiant de l’AME 1 de se prêter à toutes formes d’essais. À y regarder de plus près, il est vrai que les apparences sont trompeuses, puisque l’AME est gérée, délivrée et, le cas échéant, renouvelée par l’assurance-maladie. Pour autant, aux yeux de l’administration, elle ne constitue pas une affiliation au régime général. D’ailleurs, les bénéficiaires ne sont ni titulaires du fameux « numéro de Sécu » ni de la carte « Sesam-Vitale ». Élargir le débat. En vue d’obtenir une mesure dérogatoire pour l’inclusion de ces personnes, l’ANRS s’est engagée auprès de son comité scientifique, qui pilote ces essais, et des associations à interpeller le ministère de la Santé. Pour l’heure, ce dernier ne s’est pas prononcé. « Il semble opportun de pouvoir intégrer dans ces essais des personnes étrangères bénéficiant de l’AME ou sans couverture sociale, dans la mesure où elles constituent une part importante des personnes séropositives prises en charge tardivement et, par conséquent, des personnes “incluables”. Pour certaines recherches, il s’avère même indispensable de les inclure puisqu’elles peuvent être infectées de sous-types viraux spécifiques à leurs régions d’origine qui réagissent moins bien aux stratégies thérapeutiques actuelles », a fait savoir le TRT-5 à l’ANRS. En revanche, poursuit le groupe interassociatif à son adresse : « Si l’impératif de dérogations concernant les essais qui devraient très prochainement démarrer est audible, il nous semble cependant nécessaire que soit engagée une 3 Apollo concerne des patients naïfs de traitement et pris en charge tardivement. BKVIR est une cohorte de patients naïfs de traitement, pris en charge tardivement et atteints de tuberculose. Ces recherches comportent également un volet d’étude 1 Rappelons que l’AME est attribuée sous conditions en sciences humaines et sociales qui doit s’attacher, de résidence et de ressources aux étrangers en situation d’une part, à étudier les raisons du retard de l’entrée administrative irrégulière. dans le soin et, d’autre part, à observer l’efficacité 2 La des dispositifs de son accompagnement. loi est dure, mais c’est la loi. Transversal n° 31 juillet-août éthique Dura lex, sed lex. Pourquoi une telle restriction ? La raison en est simple : si un aléa survenait pendant ou postérieurement à l’essai, la personne concernée ne pourrait prétendre à une prise en charge, voire une indemnisation, de la part de la Sécurité sociale ou du régime de rattachement. « Mon cœur de clinicien penchait pour l’inclusion, mais il y a des règles et nous devons les respecter », explique le Pr Delfraissy. Bref, dura lex, sed lex 2 ! En l’état, les deux essais Apollo et BKVIR 3 destinés à optimiser chez les personnes prises en charge tardivement les stratégies thérapeutiques ne pourront donc pas inclure ce type de patients. Mais, insiste le directeur de l’ANRS, « il faut le dire et le redire, nous ne sommes pas dans la situation du donnant-donnant comme celle qui s’est faite jour aux États-Unis il y a quelque temps. En effet, dans le cas américain, des personnes sans couverture sociale pouvaient accéder à des soins à condition qu’elles acceptent d’entrer dans un essai. Cette posture pose effectivement un vrai problème éthique. Pour ce qui nous concerne, nos patients sous AME bénéficient déjà de la meilleure prise en charge – médicale et thérapeutique – possible. » Le principe éthique d’autonomie régissant le fondement même du consentement des patients n’est donc pas remis en cause dans ces deux études. 9 éthique par Françoise Vlaemÿnck réflexion qui associe l’ensemble des institutions et des groupes concernés […]. Les dérogations qui seraient bientôt accordées ne devraient pas excéder la durée d’une année, période au-delà de laquelle une solution pérenne devrait être trouvée. » En attendant, pour le Pr Jean-Michel Molina, infectiologue, qui préside l’Action coordonnée 5 (AC5) chargée de ces recherches, il n’y a pas péril en la demeure. « Certes, ces conditions rendront un peu plus difficile le recrutement des volontaires pour Apollo et BKVIR, mais les migrants en butte à la précarité ne sont pas les seuls à être concernés par la prise en charge tardive. Enfin, si ces recherches ne peuvent être conduites en France, nous pourrons nous appuyer sur les essais menés par l’Agence dans les pays du Sud sur des problématiques voisines. Leurs résultats pouvant être utilisés dans les pays du Nord. » Brève histoire du consentement Transversal n° 31 juilllet-août éthique 1931. C’est en Allemagne, sous la république de Weimar, qu’a été publié l’un des premiers textes imposant aux médecins de recueillir l’accord préalable d’une personne qui se prête à une expérimentation scientifique ou thérapeutique. « L’expérimentation est interdite dans tous les cas où le consentement n’a pas été obtenu », énonce ce document. Sont également exclus du champ des expérimentations les personnes de moins de 18 ans et celles en fin de vie. 10 1947. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, un tribunal militaire américain ouvrait à Nuremberg (Allemagne) le procès d’un groupe de médecins nazis dirigés par Karl Brandt (médecin personnel d’Adolf Hitler) et poursuivis pour crime contre l’humanité. Ce chef d’accusation a notamment été retenu au regard des expérimentations menées sur des prisonniers de guerre et déportés politiques. Le procureur dut s’attacher à identifier en quoi l’activité scientifique des médecins avait un caractère criminel. Ce dernier définit ainsi « les dix principes devant être observés pour satisfaire aux considérations morales et juridiques déterminant les conditions d’une expérimentation conforme au droit. » Le premier d’entre eux avait trait au consentement : « La personne participante devant avoir la capacité juridique de donner librement son consentement à participer à l’expérimentation. » Cet énoncé juridique est devenu un devoir, une obligation morale, pour le médecin chercheur : « Le médecin a le devoir de demander le consentement de la personne avant de pratiquer sur elle une expérimentation. » Le code de Nuremberg servira de référence jusque dans les années 1960. 1964. Devant la complexification des situations expérimentales, le développement de la recherche scientifique en médecine et l’apparition de nouveaux moyens thérapeutiques, il apparaît que le code de Nuremberg n’est pas suffisamment détaillé. Dans une déclaration faite à Helsinki (Finlande), l’Association médicale mondiale, instance indépendante, invite la communauté médico-scientifique à donner aux volontaires sains, qui se prêtent à une recherche non thérapeutique, des explications complètes et à recueillir leur consentement par écrit. S’agissant de la recherche thérapeutique, le médecin est autorisé à taire les informations qu’il juge incompatibles avec la psychologie du patient. Par ailleurs, le consentement substitué est admis : « Si le sujet est légalement incompétent, on doit obtenir le consentement du représentant légal. » Depuis, la déclaration d’Helsinki a évolué au rythme des modifications régulières dont elle a fait l’objet. 1988. En France, la recherche biomédicale est encadrée par la loi du 20 décembre 1988 relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales, dite Huriet-Sérusclat. « Préalablement à la réalisation d’une recherche biomédicale sur une personne, le consentement libre, éclairé et exprès de celle-ci doit être recueilli », spécifie son article L. 209-9. Jusqu’à la promulgation de ce texte, le consentement informé restait exceptionnel. Source : Espace « Éthique « de l’AP-HP. L’information transforme l’essai En France,notamment, le consentement de la personne qui se prête à une recherche biomédicale est un préalable absolu. Si cette règle est bien observée, l’information donnée avant et après les essais reste améliorable, afin de répondre parfaitement aux exigences qu’impose l’éthique. L’an passé, le laboratoire Pfizer a été contraint de stopper en France, en Allemagne et en Espagne, un essai de phase II-III portant sur l’évaluation d’une nouvelle classe d’antirétroviraux, les anti-CCR5 1, testée sur des malades naïfs de traitement 2. Le groupe interassociatif TRT-5 avait en effet alerté l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé et saisi le Conseil national du sida devant le refus de l’industriel de revoir les critères d’inclusion dans son protocole car il les estimait dangereux pour ce type de malades et, par conséquent, plus que contestables d’un point de vue éthique. À l’automne 2004, les laboratoires GlaxoSmithKline et Schering-Plough avaient eux aussi cessé les essais concernant ces mêmes molécules, testées en phase II. « En l’espèce, les industries pharmaceutiques ont voulu brûler les étapes. Devant les enjeux stratégiques et financiers que recouvre la mise au point de nouveaux traitements, chacun d’eux espérait être le premier à mettre sur le marché un nouvel antirétroviral, explique Élise Bourgeois-Fisson, du TRT-5. C’est bien dans ce type de situation qu’intervient la dimension éthique de la recherche biomédicale. Dans ce contexte, un groupe comme le nôtre a précisément pour but d’informer les personnes sur les enjeux, les objectifs et la législation qui entourent les essais. » 1 Ces molécules sont susceptibles d’inhiber le corécepteur cellulaire CCR5 qui permet l’entrée du VIH dans les cellules cibles. 2 Pfizer a poursuivi ses tests aux États-Unis, au Canada, en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas. Au nom de la loi. Mutation virale, coïnfection, échec thérapeutique, effets indésirables, maladies opportunistes… Chaque essai portant sur une nouvelle molécule ou stratégie de traitement suscite d’importants espoirs chez les personnes atteintes par le VIH. Pour certaines, « entrer dans un essai » peut parfois même être synonyme de tentative de la dernière chance. Dès lors, comment peut s’exercer le libre arbitre devant une proposition d’inclusion ? « La France est certainement le pays où la protection des personnes est la plus avancée, dans la mesure où l’accès aux soins y est globalement bon, reconnaît Élise Bourgeois-Fisson. En revanche, nous pêchons clairement sur la qualité de l’information : que recouvre la notion de bénéfice/risque ou de perte de chance pour un malade ? » Manque de temps des professionnels, qualités d’écoute et de dialogue réduites, résurgence de la posture du « médecin éclairé » ou rédaction de la notice d’information liée aux essais insuffisamment vulgarisée ou trop longue constituent autant de barrières à la bonne information du patient volontaire. « J’ai eu régulièrement à fournir des explications à des personnes qui étaient entrées dans des essais ou auxquelles on proposait d’être incluses », relève Antonin Sopena, de l’Observatoire du droit à la santé des étrangers. « Mais il est difficile de faire la part entre ce qui semble ne pas être acquis ou connu et le désir de se faire simplement expliquer une seconde fois pour être sûr d’avoir bien compris. » Le militant note cependant une dégradation du lien entre soignant et soigné. Selon lui, cette distance, qui s’est réinstallée, est due au télescopage entre une nouvelle génération de médecins et une file active de malades en butte à une lourde précarité. Et Transversal n° 31 juillet-août éthique En toute autonomie. Depuis 1988 et la publication de la loi Huriet-Sérusclat, la recherche biomédicale fait l’objet d’une sévère réglementation. Et les textes qui ont été promulgués à sa suite – loi Kouchner en 2002 et loi relative à la politique de santé publique en 2004 – n’ont fait, sous l’impulsion notable des associations de malades, que renforcer la protection des personnes se prêtant à une recherche. Au cœur de ce dispositif législatif se trouve « le consentement, libre, éclairé et exprès » qui doit obligatoirement être recueilli par écrit. Avant de donner son accord, toute personne pressentie ou désireuse de participer à une recherche doit être « infor- mée de l’objectif, de la méthodologie et de la durée de la recherche » et avoir connaissance « des bénéfices attendus, des contraintes et des risques prévisibles, y compris en cas d’arrêt de la recherche avant terme ». Dans le principe, c’est donc en toute autonomie qu’elle accepte, ou refuse, de participer à une recherche. Rappelons ici que le principe d’autonomie, qui est l’un des fondements de l’éthique médicale – et de l’éthique tout court –, implique la liberté de choix, liberté qui doit s’exercer en dehors de toute contrainte, ainsi que la capacité de délibérer, de décider et d’agir. 11 par Françoise Vlaemÿnck de constater : « Aujourd’hui, il n’est pas rare de voir des malades ne sachant pas ce que veulent dire une charge virale ou des CD4 ! Et certains médecins ont du mal à prendre en compte la réalité sociale ou économique des patients. » Pour améliorer la qualité de l’information préalable à l’entrée dans une cohorte, le TRT-5 préconise qu’une partie des budgets de recherches soit allouée à la formation des professionnels engagés dans des essais cliniques. « Mais pour l’heure, nous n’avons pas formulé de modalités. D’autant que l’on éprouve déjà de réelles difficultés à faire admettre que la recherche a davantage besoin de fonds ! », lâche Élise Bourgeois-Fisson. Une autre piste serait d’offrir ou favoriser dans la formation initiale des futurs médecins et chercheurs des modules ou des espaces d’échanges dans lesquels les questions liées à la recherche biomédicale ne seraient pas traitées sous le seul aspect légal mais également abordées sous l’angle de la personne. Transversal n° 31 juilllet-août éthique Une démarche citoyenne. En attendant, l’entrée prochaine de membres d’associations de patients au sein des comités de protection des personnes devrait assurément faire progresser la nature, tant sur le fond que sur la forme, de l’information délivrée aux personnes se prêtant à la recherche biomédicale. Le décret d’application correspondant à cette disposition de la loi d’août 2004 vient tout juste d’être pris. Ces instances, auxquelles sont soumis tous projets de 12 recherches biomédicales, pourront désormais s’opposer au lancement d’un essai si elles le jugent incorrect, tant d’un point de vue éthique que scientifique – auparavant, leur avis n’était que consultatif. Dans ce cadre, les représentants de malades auront leur mot à dire sur la teneur des notices d’information et de consentement. « Cette modification est le fruit d’un amendement déposé par le TRT-5 lors de la préparation de la loi », précise Hugues Fischer, d’Act Up-Paris. Et d’ajouter : « L’éthique n’est pas une affaire de spécialistes. Les associations, parce qu’elles représentent les malades, ont une vision de la maladie différente de celle des soignants. Cette multiplicité des regards est nécessaire et, à mon sens, ne pourra qu’enrichir le débat éthique. » Depuis la loi Kouchner de 2002, s’il est obligatoire de donner une information avant l’essai, il en est de même après. Dans ce registre aussi des efforts restent à fournir. L’ANRS a d’ailleurs engagé une réflexion avec les associations à ce sujet, sous la houlette du Pr Geneviève Chêne, en charge des cohortes au sein de l’Agence. « Audelà même de l’aspect légal, l’information et la communication envers les volontaires sont normales. Elles doivent même s’inscrire dans une démarche citoyenne. Nous avons tout, et tous, à y gagner », souligne la Pr Chêne. « Cependant, la question du rendu des résultats est plus complexe qu’il n’y paraît, poursuit-elle, notamment lorsqu’il s’agit d’une étude pouvant s’étaler sur plusieurs années. Il faut donc poursuivre le travail. » © Boyer/Roger-Viollet éthique