Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais

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Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais
10 novembre 2016
Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais
Né à Paris le 24 janvier 1732 et mort dans la même ville le 18 mai 1799 à l’âge de 67
ans, Beaumarchais est un personnage controversé qui a eu des vies multiples. Il fut à la
fois écrivain, poète, dramaturge, musicien, mais aussi homme d’affaires et affairiste,
mais aussi espion, conseiller politique, mais aussi marchand d’armes, mais aussi
inventeur et bien entendu horloger. Il batailla toute sa vie contre ses adversaires et
toute sa vie il sera entouré d’amis et surtout de femmes.
Dans Le Mariage de Figaro, ce dernier déclare : « O bizarre suite d’événements !
Comment cela m’est-il arrivé ? Pourquoi ces choses et non pas d’autres ? Qui les a
fixées sur ma tête ? Forcé de parcourir la route où je suis entré sans le savoir, comme
j’en sortirai sans le vouloir, je l’ai jonché d’autant de fleurs que ma gaieté me l’a
permis ; encore je dis ma gaieté sans savoir si elle est à moi plus que le reste, ni même
quel est ce Moi dont je m’occupe ». Ce monologue est un saisissant raccourci de la vie
de Beaumarchais.
Pierre-Augustin Caron est le 7ème enfant d’André-Charles Caron et de sa femme
Louise Pichon, qui en ont eu 10 au total dont six seulement survivront : PierreAugustin et 5 filles.
Le père, horloger de son état, avait dû abjurer la foi calviniste en 1721 pour exister
civilement, fonder sa famille et exercer son métier. La foi abjurée sous la menace
n’empêche pas les convictions. Derrière le masque imposé, le visage demeure intact.
Beaumarchais en tirera la leçon, il vivra masqué. Mais paraître ne l’aura jamais
empêché d’être.
André Caron est un artisan reconnu qui tient boutique rue Saint Denis à Paris et la
famille est plutôt aisée. On joue du reste de la musique en famille et Pierre-Augustin
n’est pas le dernier. Après avoir fréquenté un collège à Alfort le jeune homme entre en
apprentissage dans l’atelier paternel en 1745 à l’âge de 13 ans.
Il mène alors une vie dissipée et donne du fil à retordre à son père qui le chasse un
moment. Puis il le reprend et lui fait signer un étonnant contrat placé sous le signe de
la rigueur.
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Extraits du contrat :
- Vous ne ferez, ne vendrez rien …qui ne soit pour mon compte,
- Vous vous lèverez dans l’été à 6 heures et dans l’hiver à 7 ; vous travaillerez
jusqu’au souper sans répugnance à tout ce que je vous donnerai à faire,
- Vous ne souperez plus en ville ni ne sortirez plus le soir,
- Je ne recevrai plus de mauvaises excuses sur les retards, etc.…etc.…
Pierre-Augustin signa et tint parole. A 20 ans il était le premier horloger de France.
En 1753 il invente un nouveau mécanisme d’échappement dit à hampe, longtemps
utilisé, qui améliore sensiblement la précision des montres. Ce sera l’occasion d’une
controverse, la première d’une multitude. L’horloger du roi Jean-André Lepaute, qui
fréquente l’atelier des Caron, s’attribue l’invention. Pierre-Augustin doit faire appel à
l’Académie des Sciences pour que lui soit reconnue la propriété de l’invention.
Lepaute est ridiculisé et doit céder sa place d’horloger du roi à son jeune rival. Le roi
Louis XV l’invite à Versailles et la cour s’emballe pour les montres du fils Caron,
notamment Mme de Pompadour pour laquelle il fera une montre sertie dans une bague.
Le destin, qui avec Lepaute avait déjà frappé, va se manifester de nouveau. Cette fois
c’est une femme qui frappe à la vitre du magasin, une femme entrevue à Versailles.
Marie-Madeleine Francquet a 34 ans. Il lui fait la cour et trouve le chemin de son lit.
Le mari se nomme Pierre-Augustin (lui aussi !) Francquet. Il est propriétaire d’une
terre à Beaumarchais et clerc d’office de la maison du roi.
Il va aimablement céder sa charge au fils Caron, puis il aura l’esprit de ne pas trop
faire attendre les deux amants et décédera.
Le 27 novembre 1756 à 24 ans, Pierre-Augustin épouse sa maitresse. Elle est plus âgée
que lui mais possède des terres. Il se fait dès lors appeler Beaumarchais du nom de la
terre qui appartient à sa femme. Mais l’année suivante sa femme meurt subitement.
N’ayant pas fait valider son contrat de mariage le jeune veuf se trouve dans une
position inconfortable. Il dit : « Elle me laissa nu dans la rigueur du terme, accablé de
dettes ». Les parents de Marie-Madeleine héritèrent et Beaumarchais dû payer les
créanciers.
Pierre-Augustin avait eu son heure de gloire avec son échappement et ses montres
mais une heure c’est court. Il ne tarda pas à comprendre que pour aller plus loin il
devait faire preuve d’imagination. Il inventa donc une pédale pour les harpes, celle-là
même qu’on utilise toujours et proposa sa harpe à Mme Adelaïde, fille du roi. Comme
il jouait de plusieurs instruments et qu’il était charmant, il devint le compagnon favori
de Loque, Coche, Graille et Chiffe, sobriquets donnés aux filles de Louis XV. Ces
vieilles filles, moins sottes qu’on ne l’a dit mais aussi laides, avaient l’oreille du roi.
La jalousie se déchaina à la cour contre le fils Caron, ainsi que l’illustre notamment
l’histoire de la montre cassée.
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Un courtisan, voyant passer Beaumarchais dans la galerie de Versailles, s’approche de
lui et demande, d’une voix assez haute pour attirer l’attention et partant multiplier les
témoins :
- Monsieur, vous qui vous connaissez en horlogerie, dites-moi si cette
montre est bonne.
- Monsieur, lui repartit Beaumarchais en regardant l’assemblée dont
tous les yeux étaient fixés sur lui, depuis que j’ai cessé de travailler
dans cet art, je suis devenu bien maladroit.
- Ah ! monsieur, ne me refusez pas !
- Soit, mais je vous aurai averti.
Alors prenant la montre, il l’ouvre, l’élève en l’air et feignant de l’examiner, il la laisse
échapper et tomber de toute sa hauteur, puis faisant une profonde révérence :
- Je vous avait prévenu, monsieur, de mon extrême maladresse.
Et Beaumarchais s’éloigne, laissant fort déconcerté celui qui avait cru l’humilier.
Mais pour Mesdames, Beaumarchais était devenu un familier agréable, qu’un pot de
chambre, c’est ainsi qu’on appelait les voitures qui assuraient le service de Paris à
Versailles, amenait chaque jour à la cour.
Cependant, Beaumarchais demeurait pauvre. Le temps de la misère prendra fin avec
l’entrée de Pâris-Duverney dans sa vie. Il y a d’étranges coups de foudre, tel celui qui
lia sur le champ et jusqu’à la mort, un sémillant jeune homme et l’un des plus terrible
vieillard de son temps.
Joseph Pâris-Duverney est un financier richissime qui a été notamment administrateur
général des subsistances de 1736 à 1758, fonction dans laquelle il a pu s’enrichir.
Lorsqu’il rencontre Beaumarchais en 1760 il a 76 ans, Beaumarchais 28 ans. Une
relation forte faite de complicité et d’estime s’établit entre eux. Vingt ans a près la mort
de son mentor, Beaumarchais dira :
- Il m’instruisit par ses travaux
- Je lui dois le peu que je vaux
L’association entre les deux hommes est liée à l’affaire de l’Ecole militaire. PârisDuverney avait fait édifier ce bâtiment mais, depuis sa rupture avec Mme de
Pompadour, le roi boudait Pâris-Duverney qui était un ami de la favorite et l’Ecole
militaire n’avait toujours pas été inaugurée par le roi, 9 ans après son achèvement.
Grace à Mesdames, Beaumarchais obtint que Louis XV vienne à l’Ecole militaire
prendre une collation avec Pâris-Duverney. Ce dernier lui en fut profondément
reconnaissant.
Pâris-Duverney se prit d’affection pour Beaumarchais qu’il appelait mon fils. Il
commença par l’établir. Il lui acheta une « savonnette à vilain » comme on appelait le
brevet de secrétaire du roi qui lui permettait de porter légalement le nom de
Beaumarchais. Dès 1762, il officialise l’étrangeté de ses relations avec une de ses
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sœurs, Julie, en lui donnant le nom de Beaumarchais qu’il ne donnera pas à ses autres
sœurs. Le Conseiller Goëzman dont nous reparlerons dira : « Le sieur Caron emprunte
d’une de ses femmes le nom de Beaumarchais qu’il a prêté à l’une de ses sœurs ».
Sous la conduite et les conseils de Pâris-Duverney, Beaumarchais s’initia aux affaires
de finance, de banque et de commerce. Bientôt il devint l’associé du financier. Ils
inventèrent un langage codé « le style oriental ». En 1770 Beaumarchais écrit à ParisDuverney : « Comment se porte la chère petite ? Il y a longtemps que nous nous
sommes embrassés. Nous sommes de drôle d’amants ! Nous n’osons nous voir parce
que nous avons des parents qui font la mine, mais nous nous aimons toujours ». « La
chère petite » répond sur le même ton. Il faut savoir pourtant que Beaumarchais était
un grand amateur de femmes.
Habitué désormais à mener sa vie à toute allure, Beaumarchais, sans doute trop pressé,
connu son premier échec.
Le titre de Grand Maitre des eaux et forêts était devenu vacant. Pour l’argent pas de
problème, Pâris-Duverney promis d’ouvrir son coffre. Mais pour obtenir la charge il
fallait outre l’agrément du roi, faire état de ses quartiers de noblesse. Bien sûr,
Beaumarchais ne les avait pas et les 17 autres Grands Maitres s’opposèrent à cette
nomination. Mesdames harcelèrent le roi en faveur de leur protégé, mais les Grands
Maitres menacèrent de démissionner. Beaumarchais ne résista pas au plaisir d’épingler
ses adversaires. Il adressa une lettre au Contrôleur Général où il rappela les origines de
certains Grands Maitres : M. Untel est le fils d’un perruquier, M. Untel fils d’un
cardeur de laine, M. Untel fils d’un boutonnier, etc... Il se fit ainsi des ennemis mais
n’eut pas le poste. Cependant le roi lui accorda une compensation et donna son accord
pour qu’il acquière la charge de Lieutenant général des chasses qui mettait sous ses
ordres des aristocrates plus authentiques que la plupart des Grands Maitres et qui
l’amenait à rendre justice chaque semaine dans une salle du Louvre.
Pour s’établir définitivement, Pierre-Augustin, avec l’aide de Pâris-Duverney, se
retrouva propriétaire d’un bel hôtel particulier à Paris où il installa sa tribu : son père
et ses plus jeunes sœurs. Pour distraire sa société il écrivait des Parades, genre à la
mode au XVIIIème siècle. Il s’agissait de courtes pièces mettant en scène des petites
gens aux accents prononcés. Les débuts de l’écrivain étaient modestes.
Il fréquente le château de Pâris-Duverney près de Nogent sur Marne ainsi que celui de
Charles Lenormant, le fermier général, mari heureux ou malheureux c’est selon, de la
Pompadour, qui déchue par le roi, lui était revenue. Pierre-Augustin et sa sœur Julie
jouent des parades et sont de toutes les fêtes.
En 1764 il fait un séjour d’un an en Espagne où, tout à la fois, il règle le problème
posé par le suborneur de sa sœur Lisette ; il s’efforce de négocier, sans succès, avec la
cour d’Espagne une concession de 20ans de la Louisiane ; il essaye de conclure pour
lui-même la mise en valeur de la Sierra Morena, proche de l’Andalousie, affaire qui
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n’aboutira pas.
En 1765, il est de retour en France et mène une existence multiforme. Il est secrétaire
du roi et l’irremplaçable compagnon de Mesdames. Il court au Champs-de-Mars voir
Pâris-Duverney et traiter ses affaires et du champs-de-mars au Louvre où il rend la
justice. Mais cela ne suffit pas, il achète une forêt à Chinon, ouvre des chemins, monte
des écluses sur l’Indre et organise le roulement de 50 bateaux.
Il rencontre un prince du sang, Louis-François de Bourbon, Prince de Conti, qui
deviendra et restera jusqu’à sa mort son ami et son protecteur.
Menant un train de vie aisé, Beaumarchais se remarie le 11 avril 1768 avec la très
riche veuve du Garde Général des Menus Plaisirs, Geneviève-Madeleine Watebled,
veuve depuis 4 mois. Huit mois plus tard un fils naissait de cette union.
Pâris-Duverney pour sa part n’avait pas d’enfant. Il avait un neveu qu’il détestait et
une petite nièce à qui il légua tout. Elle avait épousé le Comte de La Blache qui sera
l’ennemi le plus acharné de Beaumarchais.
Au début de 1770 Pâris-Duverney et Beaumarchais règlent leurs comptes par un acte
sous seing privé qu’ils croient les protéger contre leurs héritiers, ce en quoi ils se
trompent. Paris-Duverney meurt en juillet 1770 sans avoir eu le temps de remplir les
deux clauses de l’acte favorables à Beaumarchais. La querelle avec le comte de La
Blache commence. Elle va durer 10 ans, 10 années de démêlés judiciaires engendrés
par la succession testamentaire.
Le comte de La Blache disait de Beaumarchais : « je hais cet homme comme un amant
aime sa maitresse » c'est-à-dire avec passion. Plus tard Beaumarchais déclara : « il fut
le premier auteur de tous mes maux ». Du reste, La Blache ne cachait pas son jeu. Il
disait « 10 ans, il lui faudra 10 ans pour avoir cet argent et pendant 10 ans je l’aurai
vilipendé de toutes les manières ». On croit entendre l’air de la calomnie du Barbier de
Séville. Le prince de Conti qui faisait campagne pour son ami, disait « Beaumarchais
sera payé ou pendu » à quoi Sophie Arnould, la fameuse cantatrice, avait ajouté « « s’il
est pendu la corde cassera ».
Engagé à l’automne 1771, le premier procès devait durer 6 mois et fut un événement
parisien. En février 1772, le tribunal donnait raison à Beaumarchais et déboutait La
Blache. Ce dernier fit appel devant le parlement où il ne comptait que des amis.
C’est alors que le couple Goëzman entra en scène, couple maléfique et ridicule qui lui
apportera du malheur mais qui le conduira à se battre comme jamais contre les usages,
la hiérarchie et le pouvoir. Qu’y faire ? Mais résister, résister absolument.
Le conseiller au Parlement Goëzman était chargé d’examiner le dossier de
Beaumarchais suite à l’appel du comte de La Blache. C’était un homme obscur, servile
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et ambitieux. Sa femme avait beaucoup de caractère et peu de scrupules. Elle disait :
« quand mon mari sera nommé rapporteur, je saurais bien plumer la volaille sans la
faire crier ». Tout un programme ! Beaumarchais, qui était emprisonné pour une
méchante histoire de femme avec le duc de Chaulmes, se heurta à la corruption des
époux Goëzman.
Pour avoir accès au conseiller il dû donner 100 Louis plus 15 Louis à l’épouse. Malgré
cela le conseiller, soudoyé par La Blache, l’accusa d’avoir établi un faux avec ParisDuverney. Il perdait ainsi sa fortune et son honneur. A noter que la femme Goëzman
finit par accepter de rendre les 100 Louis mais pas les 15 !
Beaumarchais discrédité, sortant de prison, à demi ruiné (on notera qu’il n’est jamais
complètement ruiné car il a des biens notamment immobiliers) va s’attaquer, seul ou
presque, au Parlement du roi en la personne du conseiller Goëzman. Pour cela il va
s’appuyer sur l’opinion publique. Il publiera des Mémoires justificatifs, 4 au total, où
éclatent ses talents de rhéteur et son intelligence vive, faisant de ses adversaires des
personnages de comédie.
Dans un premier temps il n’obtint pas pleinement satisfaction devant le tribunal qui se
contente pourtant, au lieu de la prison ou du bannissement, de lui infliger un blâme à
égalité avec l’épouse Goëzman. En revanche il triomphe grâce à ses Mémoires dans
l’opinion publique. En s’en prenant au Parlement et à ses membres en 1773, en luttant
contre l’arbitraire, cette affaire, par le retentissement qu’elle a eu, porte en germes les
bouleversements qui auront lieu 16 ans plus tard en 1789.
Voltaire dira du reste : « j’ai peur que ce brillant écervelé n’ai au fond raison contre
tout le monde. Que de friponneries, que d’horreurs que d’avilissements dans la nation !
Quel désagrément pour le parlement ». Et de préciser sa pensée dans une lettre à
D’Alembert : « Quel homme ! il réussit tout, la plaisanterie, le sérieux, la raison, la
gaieté, la force, le touchant, tous les genres d’éloquence, et il n’en recherche aucun, et
il confond tous ses adversaires et il donne des leçons aux juges. Sa naïveté m’enchante,
je lui pardonne ses imprudences et ses pétulances ».
Il faut noter enfin que pendant toute cette agitation, Beaumarchais avait trouvé le
temps d’écrire « le Barbier de Séville » qui fut représenté en février 1775 pour la
première fois.
Mais le blâme qui lui avait été infligé lui faisait perdre ses droits civiques. Il va donc,
simultanément, essayer d’obtenir sa réhabilitation en faisant casser le dernier jugement
et reprendre en appel ses interminables démêlés avec La Blache qui, ne l’oublions pas
l’avait presque ruiné.
Cependant, le 26 février 1774 au soir, parmi les visiteurs qui se pressaient dans sa
retraite, il y avait une ravissante demoiselle de 20 ans, qui était venue sous le prétexte
de lui emprunter sa harpe. Ce fut le coup de foudre immédiat. Marie-Thérèse
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Willermawlaz fut la troisième et la dernière Mme de Beaumarchais. Elle lui donna
l’enfant dont il rêvait, puisqu’il avait perdu son fils en bas âge, Cette fois c’était une
fille, Eugénie. Pour autant, il tarda à régulariser leur liaison puisqu’il n’épousera
Marie-Thérèse que 12 ans après leur rencontre et 9 ans après la naissance de leur fille.
Expert en intrigues et marchandages, Beaumarchais devint l’espion de Louis XV.
Convoqué par le roi en mars 1774 celui-ci lui dit : « Je me souviens de tous vos talents.
On me dit que vous avez aussi celui de la négociation. Si vous pouviez l’employer
avec succès et secrètement dans une affaire qui m’intéresse… » sous-entendu, je ferais
casser le jugement vous concernant. Tel était le marché. C’était tout de même un
singulier retournement de situation.
L’affaire en question concernait la suppression d’un libelle paru à Londres d’un certain
Théveneau de Morande et dirigé contre la comtesse du Barry traitée de femme
publique. Sous le nom de M. de Ronac, anagramme bien sûr de Caron, Beaumarchais
partit pour Londres où il obtint, contre espèces sonnantes et trébuchantes, ce que
voulait le roi, la suppression du libelle.
Mais Louis XV meurt en mai 1774. Beaumarchais fit sa cour au nouveau roi qui le
reçu pour le charger d’une nouvelle mission. Louis XVI était encore jeune et n’avait
pas d’enfant avec Marie-Antoinette. On sait du reste les difficultés qu’il a rencontré à
cet égard. Or, un libelle, extrêmement venimeux, intitulé « Avis à la branche espagnole
sur ses droits à la couronne de France à défaut d’héritier » et qui prétendait que Louis
XVI avait « l’aiguillette nouée » était sous presse à Londres et à Amsterdam.
Louis XVI donna mandat à Beaumarchais. Celui-ci accusa réception du mandat par
une lettre peu protocolaire qui dû surprendre le jeune roi : « Un amant porte à son col
le portrait de sa maitresse, un avare y attache ses clefs, un dévot son reliquaire ; moi,
j’ai fait faire une boite d’or ovale, grande et plate, en forme de lentille, dans laquelle
j’ai enfermé l’ordre de Votre Majesté, que j’ai suspendu avec une chainette d’or à mon
col, comme la chose la plus nécessaire à mon travail et la plus précieuse pour moi ».
Beaumarchais poursuivi l’auteur du libelle, un certain Angelucci, à travers la Hollande,
l’Allemagne et l’Autriche. Il parvint finalement à récupérer l’ensemble des éditions du
libelle non sans s’être fait agresser par des brigands.
En Autriche, après avoir été reçu par l’impératrice Marie-Thérèse, mère de MarieAntoinette, il est emprisonné pour espionnage. Il n’y reste pas longtemps et après sa
libération et son retour en France, Marie-Thérèse lui fit remettre un diamant de la plus
belle eau pour se faire pardonner.
En septembre 1775, le vieux Caron père décède six mois après avoir convolé une
troisième fois à l’âge de 77 ans.
La même année, Beaumarchais est chargé de récupérer à Londres des documents
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secrets détenus par le Chevalier d’Eon. Charles-Geneviève d’Eon fut l’une des figures
les plus curieuses du XVIIIème siècle. Eliminons une équivoque ; le chevalier d’Eon
était un homme normalement constitué. A sa mort en 1810, une nuée de médecins se
jetèrent sur sa dépouille et ne purent que constater, avec dépit, qu’ils n’avaient pas
affaire à une dame.
Après le traité de Paris de 1763, Louis XV l’avait nommé ministre plénipotentiaire à
Londres et l’avait chargé d’une mission secrète consistant à faire toutes les études en
vue d’un débarquement en Angleterre. A la mort de Louis XV, il était en possession de
la correspondance secrète du roi défunt et voulait la monnayer pour une somme
astronomique. De nombreuses tractations eurent lieu entre Beaumarchais et Eon,
finalement le marché fut conclu et Eon remis à son interlocuteur tous les documents en
sa possession. L’accord commençait ainsi : « Nous soussigné Pierre-Augustin Caron
de Beaumarchais, chargé spécialement des ordres particuliers du roi de France….et
demoiselle Charles-Geneviève d’Eon, fille majeure… ».
De retour en France en 1777, Eon parut à Versailles en grand uniforme de Dragon.
Comme on lui faisait remarquer qu’il n’en avait plus le privilège, il revint le
lendemain habillé en femme à la dernière mode !
Dès 1775, Beaumarchais se lance dans une nouvelle aventure. Il se fait l’avocat d’une
intervention française dans la guerre d’indépendance des Etats-Unis. Depuis Londres ,
où il est basé, il estime qu’en aidant les « Insurgents », la France, qui n’est pas en
mesure de faire à l’Angleterre une guerre directe, affaiblira celle-ci de façon décisive
et du même coup retrouvera sa suprématie. Reste à en convaincre le roi et son Ministre
Vergennes. Il y parviendra, non sans mal.
Depuis que le roi d’Angleterre, Georges III a déclaré les américains rebelles, les
tensions sont vives et les désaccords profonds à Londres sur la façon de régler le
problème. C’est ainsi par exemple que le Lord-Maire Wilkes déclara publiquement :
« Depuis longtemps le roi d’Angleterre me fait l’honneur de me haïr. De ma part, je lui
ai toujours rendu la justice de le mépriser. Le temps est venu de décider lequel a le
mieux jugé l’autre et de quel coté le vent fera choir des têtes ».
Beaumarchais s’impatiente des hésitations de Louis XVI. Il déclare : « suis-je un agent
utile à son pays ou seulement un voyageur sourd et muet » ?
Il écrit au roi une lettre audacieuse : « Sire, Quand votre Majesté désapprouve un plan,
c’est en général une loi d’y renoncer à tous ceux qui s’en occupent. Mais il est des
projets d’une nature et d’une importance si majeures pour le bien de votre royaume
qu’un serviteur zélé peut se croire en droit de vous les présenter plus d’une fois, dans
la crainte qu’ils n’aient pas d’abord été saisis sous leur plus heureux point de vue ».
Et plus loin : « M. de Vergennes m’écrit que Votre Majesté croit sa justice intéressée à
ne pas adopter l’expédient proposé. L’objection ne porte donc ni sur l’immense utilité
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du projet ni sur les dangers de son exécution ; mais uniquement sur la délicatesse de
conscience de Votre Majesté…Mais Sire, il n’en est point de la politique des Etats
comme de la morale des citoyens ». Plus loin encore : « Sire, entre la France et
l’Angleterre, y a-t-il jamais eu, peut-il y avoir un seul lien capable d’arrêter votre
Majesté ? Quand il est prouvé que le repos de votre royaume, le bien-être de vos sujets,
la splendeur de votre règne dépendent uniquement de l’abaissement où vous aurez l’art
de tenir cet ennemi naturel, ce rival jaloux de vos succès, ce peuple toujours injuste
envers vous par système. C’est donc à ce peuple audacieux, sans frein et sans pudeur,
que vous aurez toujours affaire ».
Et il termine sa lettre : «Puisse l’ange gardien de cet Etat tourner favorablement le
cœur et l’esprit de Votre Majesté, s’il nous donne ce premier succès, tout le reste ira
seul et sans peine. J’en réponds ». Lettre forte à un roi indéterminé.
La lettre que Beaumarchais écrit à Vergennes, le secrétaire aux Affaires Etrangères,
mérite aussi d’être citée. « N’aurez-vous pas la vertu de montrer encore une fois au
Roi combien il peut gagner sans coup férir, en cette seule campagne ? Et n’essayerezvous pas de convaincre Sa Majesté que ce misérable secours qu’ils demandent (les
Insurgents) et sur lequel nous débattons depuis un an, doit nous faire recueillir tous les
fruits d’une grande victoire, sans voir essuyer les dangers d’un combat ? que ce
secours peut nous rendre en dormant tout ce que la paix honteuse de 1763 nous a fait
perdre ; et que le succès des Américains, réduisant ses rivaux à n’être plus qu’une
puissance de second ordre, nous replace au premier rang et nous donne pour
longtemps la prépondérance sur l’Europe entière ». Lettre d’un grande profondeur de
vue.
Beaumarchais finit par convaincre le Roi mais le soutien aux américains devra prendre
l’aspect d’une démarche individuelle à laquelle la couronne est officiellement
étrangère.
En juin 1776,il devient l’allié des « Insurgents » et commence à leur livrer des armes.
Le 4 juillet 1776 les Etats d’Amérique signent la Déclaration d’indépendance qui,
après plusieurs années de conflit, devait conduire au Traité de Versailles de 1783. A
trois semaines près la France ratait le coche.
Beaumarchais va vendre de la poudre, des armes et des munitions pour des montants
considérables sous le couvert d’une compagnie portugaise « Rodrigue, Hortales et
compagnie », qu’il monte de toutes pièces à Paris. Il comptait s’enrichir dans ces
opérations. Mais s’il engagea une forte somme (plus de 5 millions de Livres), il ne
reçu qu’un million de la couronne et la jeune république américaine se montra bien
timide pour rembourser ses dettes. Il faut dire que Benjamin Franklin, dont le
puritanisme était un paratonnerre contre le vice, éprouvait de la répugnance pour
le « fastueux entreteneur » ainsi qu’il qualifiait Beaumarchais. Ses héritiers ne
récupérèrent qu’un petite partie des créances américaines.
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Il ne se contenta pas de vendre de la poudre, il mobilisa des officiers, engagea des
généraux, veilla sur La Fayette, qu’il sauva de ses créanciers et convertit ses bateaux
marchands en navires de guerre.
Les Etats-Unis gagnèrent leur combat pour leur indépendance avec du matériel
français payé pour 1/10ème par la couronne et par 9/10ème par Beaumarchais.
Il recevra du reste les félicitations du Congrès américain. Le Président du Congrès
John Jay lui écrira en janvier 1779 : «Le Congrès des Etats-Unis de l’Amérique,
reconnaissant des grands efforts que vous avez faits en leur faveur, vous présente ses
remerciements….Les sentiments généreux et les vues étendues qui seuls pouvaient
dicter une conduit telle que la votre font bien l’éloge de vos actions et l’ornement de
votre caractère. Pendant que, par vos rares talents, vous vous rendiez utile à votre
prince, vous avez gagné l’estime de cette république naissante et mérité les
applaudissements du nouveau monde. »
Entre 1776 et 1785, Beaumarchais est partout à la fois : c’est Figaro ci, Figaro là. On
peut lui appliquer ce que dit Figaro dans le Mariage : « j’ai tout vu, tout fait, tout osé ».
En septembre 1776, il est réhabilité et rétabli dans tous ses droits. En septembre 1777
il devient père d’une petite Eugénie.
A l’été 1778, l’interminable procès avec le comte de La Blache touche à sa fin.
L’exécution de l’acte signé par Paris-Duverney peu de temps avant sa mort est
ordonnée. Beaumarchais a gagné.
Pour éviter de déposer son bilan en raison des créances non payées par les Etats-Unis,
Beaumarchais se lance dans le commerce international. Il vend toutes sortes de
produits aux marchands américains qui, contrairement aux politiques, payent leurs
factures sans rechigner.
Durant cette période il s’occupe aussi d’autres choses. Il crée, non sans mal la société
des auteurs en 1777 pour les défendre contre les prétentions des comédiens qui
touchaient l’essentiel des droits sur les pièces. En 1791, quatorze ans plus tard,
l’Assemblée, sur proposition de Beaumarchais, reconnaitra le droit de propriété
littéraire. Par ailleurs, il procède à la première édition des œuvres complètes de
Voltaire, entreprise éditoriale considérable.
Mais surtout il trouve le temps d’écrire « Le Mariage de Figaro » dont la première sera
donnée plus tard le 27 avril 1784 à la Comédie Française après bien des problèmes
avec la censure. Une foule immense se pressait à l’entrée du théâtre ce jour là. On dit
que trois personnes moururent étouffées. La représentation fut un grand succès. La
salle fit un sort à la plupart des répliques, applaudissant sans cesse au point que le
spectacle dura 5 heures. Par la suite il y eu 100 représentations. « Le Mariage de
Figaro c’est déjà la Révolution en action » dira Napoléon et Danton : « Figaro a tué la
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noblesse ».
La bataille autour de la pièce va se poursuivre et Beaumarchais sera provisoirement
incarcéré. Paradoxalement, le Barbier de Séville sera repris à la cour, en présence du
roi et de l’auteur, avec la Reine Marie-Antoinette dans le rôle de Rosine et le comte
d’Artois, futur Charles X dans celui de Figaro.
En 1786, à 54 ans, Beaumarchais épouse enfin en 3ème noces, sa compagne MarieThérèse âgée de 35 ans.
Curieux de tout, il s’intéresse à la conquête du ciel. Il participe aux premières
expériences aérostatiques. En préparant son édition de Voltaire, il avait rencontré deux
marchands de papier, les frères Montgolfier. Il les accompagna dans leurs expériences
et participa au financement de leurs travaux. Mais il alla plus loin et fit des recherches
avec l’ingénieur Scott pour modifier la forme ronde des ballons et les rendre
dirigeables.
Il s’intéresse aussi à la distribution de l’eau à Paris et fonde la Compagnie des eaux.
La première pompe sera installée à Chaillot. La compagnie était cotée en bourse et
bien sûr le cours de l’action donnait lieu à spéculation. Deux actionnaires mécontents
prirent langue avec un jeune homme fougueux, le comte de Mirabeau, qui attaqua pour
leur compte Beaumarchais dans des philippiques que ce dernier nomma des mirabelles.
Il faut dire que Mirabeau avait quelques raisons d’en vouloir à Beaumarchais. Car
celui-ci avait refusé de lui prêter de l’argent. Mirabeau voulait 12.000 livres. « Il vous
serait aisé de me prêter cette somme » aurait-il dit. « Sans doute » aurait réparti
Beaumarchais « mais comme il faudrait me brouiller avec vous au jour de l’échéance
de vos effets, j’aime autant que ce soit aujourd’hui. C’est 12.000 livres que j’y gagne ».
Beaumarchais ne réagit pas aux attaques de Mirabeau et l’opinion publique se
détourna de lui.
En 1787, il écrit, avec le musicien Salieri, un opéra qui déconcerte, Tarare. Il aurait
mieux fait d’appeler Mozart, qui avait mis en musique le Mariage de Figaro un an plus
tôt. Puis il donne une suite au Mariage de Figaro avec « La Mère Coupable », pièce
bien inférieure aux deux précédentes.
En 1788 à 56 ans il s’entiche d’une nouvelle demoiselle de 25 ans, Mlle Ninon, dont le
Prince de Ligne dira : « Elle est grande, bien faite, blonde à ravir, front dégagé, beaux
yeux, sourcils à l’avenant, visage ovale avec de petits signes sur la joue (des taches de
rousseur) pour la rendre piquante comme pas d’autres ; bouche au rire leste, peau fine,
poitrine à contrarier le monde, en conseillant à beaucoup de se mettre à l’abri d’une
comparaison. » Sa nouvelle maitresse le suivra jusqu’à la mort, sa femme aussi
d’ailleurs.
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Il fait bâtir un palais de 200 fenêtres près de la Bastille, bâtiment qui sera détruit sous
la Restauration. Le 14 juillet 1789 il assistera d’une de ces fenêtres, avec ses amis, à la
prise de la Bastille. Il a de la sympathie pour la révolution et s’il hésite entre
monarchie et république il est partisan d’un régime modéré.
En 1790 il est nommé membre provisoire de la commune de Paris. Mais il quitte
bientôt les affaires publiques pour se livrer à de nouvelles opérations commerciales. Il
essaye en 1792 d’acheter 60.000 fusils à la Hollande mais la Hollande refuse. Il est
cependant accusé d’avoir accaparé ces fusils et après s’être enfui par un souterrain de
son palais devant la foule qui avait investi son palais, il est incarcéré à la prison de
l’Abbaye. Il en sort le 30 août grâce à Mlle Ninon qui n’hésita pas à payer de sa
personne. Il était temps, car le 2 septembre commençaient les grands massacres de
septembre.
Il quitte Paris pour Londres pendant la terreur et essaye de reprendre les négociations
pour l’achat des fusils. Il échouera à nouveau et laissera beaucoup d’argent dans
l’aventure.
Il revient à Paris en mars 1793 et se trouve nommé commissaire de la République en
mai. Mais en février 1794, le Comité de sureté générale confisque ses biens et le
déclare immigré. Il se réfugie à Hambourg, fait des affaires et travaille à des projets
futuristes : le percement de l’isthme de Suez et l’établissement d’une voie navigable
entre l’atlantique et le pacifique en Amérique latine. Durant son exil il côtoie
Talleyrand et le baron Louis, futur ministre des finances de la Restauration. Il rentre à
Paris en juillet 1796 presque ruiné, mais en quelques mois, fort des leçons de ParisDuverney, il redresse en partie sa situation.
Beaumarchais dira sur sa vie : »Qu’étais-je donc ? Je n’étais rien que moi, et moi tel
que je suis resté, libre au milieu des fers, serein dans les plus grands dangers, faisant
tête à tous les orages, menant les affaires d’une main et la guerre de l’autre, paresseux
comme un âne et travaillant toujours, en butte à mille calomnies, mais heureux dans
mon intérieur, n’ayant jamais été d’aucune coterie, ni littéraire, ni politique, ni
mystique, n’ayant fait de cour à personne et partant repoussé de tous. »
En 1798, à 66 ans il n’est plus repoussé par personne. Au contraire il devient une
« autorité morale »que l’on consulte et écoute.
Le 17 mai 1799 les Beaumarchais dinent avec quelques amis. Le 18, Beaumarchais est
retrouvé mort dans son lit probablement d’apoplexie sanguine. Il sera enterré dans son
jardin et plus tard ses cendres seront transférées au Père-Lachaise.
Ainsi se termine l’existence protéiforme d’un petit horloger qui eu beaucoup
d’ambition, beaucoup de talents, beaucoup d’amis, d’ennemis et de femmes.
Jean-Claude Meslé
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