Juan Gabriel Varots, Pinochet`s Economists. The
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Juan Gabriel Varots, Pinochet`s Economists. The
COMPTE.' RENDU.' Juan Gabriel Varots, Pinochet's Economists. The Chicago School in Chile. Cambndge Unrversity Press, 1995, 334 p. Cer ouvrage est une recherche hisrorique très rigoureuse sur un éronnant phénomène: un rransfert idéologrque réussi. Grâce à un riche marériau (les archives des insritutions concernées, Ia correspondance des acteurs, des enrrerrens personnels) et à une solide connarssance de la conjoncture polirique du Chili, I'auteur arrive à reconstituer avec précision le long processus à rravers lequel la docrrine d'un groupe de professeurs de I'Universiré de Chicago esr arrivée à s'imposer sur un rerraio qui lui érait au déparr hosrile. Mais le souci de I'aureur n'est pas seulement descripti[. Son rravail culmine, en effer, avec une discussion à propos du réel impacr de cerre docrrine sur l'économie er la sociéré chiliennes. La recherche mer au point un cadre conceptuel où le transferr idéologique traité comme la transmission d'un svsrème de oensée d'un contexte culturel à un autre différent (chap. 2) Il faur donc des agenrs émetreurs et récepteurs, et évenruellement un promoreur qui a pour charge d'établir la relarion entre les deux premiers. Dans le cas présenr, il s'agic respecrivemenr de I'Ecole de Chicago, de I Ecole de sciences économiques de I'Universiré carholique du Chili, er du gouvernement des Etacs-Unis. Certe contgurarron du transferr est de nature à en faciliter I'analyse: on a un message sysrémarique et srructuré, et des instirucions visant des objectifs explicires à rravers un efforr délibéré er planifié esr Le message de I'Ecole de Chicago est I'objer du rroisième chapirre. Il comporce la défense du "laissez-faire" et de la rhéorie quantitarive de la Monnaie, ainsi que la critique du keynésianisme Moios connu est le caractère systémarrque et organisé de ce combat. Certaines citarions rrès percutantes monrrent que ce groupe de professeurs avair un comporrement analogue à celui de l'école des économisres (Physiocrares) qur, il y a plus de deux siècles, avair défendu en France le libéralisme économique conrre le mercanrilisme dominant. Juan Gabriel Valdés souligne ici que la docrrine de I'Ecole de Chicago esr I'arricularion particulièremen! cohérenre e! puissanre d'une idéologie er d'une économie positive, armée d'une mérhodologie 9û, in fine, sirue la validarion des hyporhèses dans I'action sociale et polirique. Pour lui, "Chicago canstine I'extrùte auant-gardt d praælt$ .anttmfarain de péxétut)on dr 14 penrie poliriq e pdr la riente éconntqrc" (p. 62). A I'appui, des cirarions de Milton Friedman, où la démocratie du marché (qui n'impliqueraic pas la soumission des minorirés à la maloriré) est favorablement comparée à la démocrarle polirique. ll y a aussi les éronnanrs propos de Karl Brunner, pour qur les poliriciens er les bureaucrares sont des en[repreneurs sur le marché de la policique, donr les inrérêrs parrrculiers correspondenr rarement i I'inrlrât .,,hlir La morivatron de I'Ecole de Chrcago en tanr qu'émetteur dans la relatron de transfert aurait éré simplemenr de prolonger son combat jusqu'en Amérique latine, oir I'adversaire n'apparaissait plus sous les trairs du keynésianisme, mars sous ceux de la théorie du développemenr er de Ia pensée srrucuralisre de la Commissron économique pour I'Améoque larine (CEPAL). Les morivarions de I'agent promoteur sonr aussr clairemenr exposées (chapirre 4). LEtar nord-américain cherchait à travers ses agences de coopérarion internationale à conforrer 2t2 COMP?E.' RENDU.' d'influence er à contrecarrer l'avance du marxisme. Dans ce contexre, la coopération qu'il a financée entre I'Ecole de Chicago et I'Universiré catholique du Chili visait à préparer des économistes acquis au libre échange et soLdement formés à la vraie science économique, capables de s'opposer aux tendances ératistes qui prévalaient dans les cercles aussi bien universitaires que poltiques er adminisrrarifs. En ce qui concerne le récepreur, les morrvarions éraienr au départ d'une aurre nature LUniversité carholique cherchaic plus à organiser un enseignement en sciences économiques qu'à diffuser sur place un message particulier;par la suite les prolesseurs chiliens formés à Chrcago, les Chiago boys ont repris le flambeau de leurs maîtres et poussé le combaa jusqu'aux plus exrrêmes conséquences ses zones Limplanrarion des Chuga /o1r dans les milieux universitarres er poliriques locaux a été lente. Quinze ans se son! écoulés avaoc que la première génération formée vers la ûn des années 50 n'arrive. dans un contexte de forre polarisarion des forces poliriques, à rompre I'isolemenr initial. Ce long proiessus semé d'embûches er difficultés est décrit dans les chaoitres 6 à 11. En le lisant. <-rn ne peur qu'admirer I'opiniârreré ec la mérhode avec laquelle le groupe chilien a mené à bien la mission dont il se sentair invesri. même s'il a comDté sur le soutien permanent des professeurs de Chicago. er sur Iaide financière de fondarjons privées nord-américaines. Un moment clé de certe progression a été Ie coup d'Etat militaire de 1971. Le premier chapirre rnritulé d'une façon suggesrive 'Aurorrcaire sans projer" explique commenr s'est produite la rencontre entre les militaires au pouvoir et les Bo1r, qui avaient un projet rouc prêt de vastes réformes économiques mùri depuis de longues années Ces économisres onc ainsi pris en charge la polirique économique, qu'ils onr exercée de manière unilatérale et sans concrepoids. On peut constater que les mesures appliquées correspondaient rrès fidèlemenr aux programmes d'ajusrement structurel que les institurions financières inrernarronales allaient favoriser dans les anoées 80 L'aureur insiste aussi sur le rôle idéologique joué par les économisces sous le régime militaire, ils auraienr déployé un efforr considérable pour faire accepter I'idée que I'auroritarisme polirique esr nécessaire et scienrifiquemenr fondé. A I'appui, de nombreuses citations donr on retiendra celle de Sergio de Casrro, chefde file local, pour gui "la wai Iiberté pernnnelle ne pett être dJlurée qle pû tn ûgnte auaritaire qti exerce le pout,ur en dpplqldnt let nêne ùgb à torrt h nondy'' (p. 10). Dans une longue conclusion, qui esc en fait un posr-scriptum, Juao Gabriel Valdés aborde une question cruciale: quelle a été finalement I'influence des Cbrcaga boy sur l'économie er la sociéré chiliennes I La posirion de I'aureur esr nuancée Dans le domaine économique, il constate que la période milicaire a été dans I'ensemble de rrès faible croissance. de faible invesrissemenr. er de forre insrabiliré. Les succès économiques aanr vanrés du Chrli correspondraienr ainsi à la période de rerour à la démocrarie ouverre en 1990. Tourelois, I'insraurarron d une économie ouverre er de libre concurrence aurair éré uoe condirion né<essaire de ces succès Ce qui aurait manqué sous Ia dicrature est justemenr la Iégicimité sociale apportée aux réformes et à la gesrion de la politique macro-économique par la démocrarie, c'esr-à-dire un facleur essentiel de stabilité Àutrement drr, l'économie libérale ne peut [oocrionner que dans une sociéré libérale On peur rourefois se demander si dans cetre discussion I'aureur ne pêche pas par une vrsron hisrorique rop courre: les poliriques de long rerme appliouées autrefois oar I'Ecar chilien seraienc-elles neutres vis-à-vis de la croissance 2r3 COMPTES RENDUS actuelle ? Comment ne pas réfléchir aux relâtions possibles enrre, d'une part, I'essor des exportations agricoles et, d'aurre parc, le plan de promorion des exportations agricoles des années 60, ou h réforme agraire, ou bien à I'iocidence possible de I'investissement forestier de I'Etat dans I'accuel essor des exporrarions du secteur; ou encore âu rôle joué par les recerres des mines de cuivre na rronalisées dans la bonne gestion fiscale 1 Il est finalement un problème que I'aureur effleure à plusieurs reprises sans jamais vraimenr I'aborder Il s'agit du degré de passiviré des récepceurs dans la relarion de rransferr idéologique De multiples élémenrs qui rraversen! louvrage suggèrent gue les Chiugo /o1i onr urilisé la docrrine transmise bien audelà de la mission qu'elle comportait. Ils oot été, dans ce sens, actifs A plu sieurs reorises Tuan Gabriel Valdés fair référence aux conditions de certaures privacisaiions où les collègues de Chicago se crouvaien! à la fois du côcé des promoteurs et du côté des acheteurs. nous explique aussi qu'aujourd'hui beaucoup des protagonistes soor devenus hommes d'affaires, ou mènent de météoriques carrières de consulranrs internationaux. La question qui se pose est de savoir jusqu'à quel poinr ces succès personnels correspondeoc à uoe utilisarron détournée des possibilirés données par la qualiré de détendeurs officiels dc la science. Pourraic-on dire, en paraphrasanr les propos cirés plus haur de Karl Brunner, que ces économisces se sont conduirs comme des enrrepreneurs sur le marché scieorifique 7 Il Mario LANT.AI|0TTl IEDES. Unrversrté Panthéon-Sorbonne 214