Ezra voit les choses en gant - Libération

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Ezra voit les choses en gant - Libération
Ezra voit les choses en gant
MARIE LECHNER ENVOYÉE SPÉCIALE À GRENOBLE 2 OCTOBRE 2013 À 18:16
Ezra en répétition pour son nouveau spectacle, «Bionic Orchestra 2.0» (Photo Laurence Fragnol)
Beatboxing . L’artiste présentera son nouvel accessoire
ce week-end, lors de la biennale Arts Sciences de Grenoble.
REPORTAGE
«Bonjour, je m’appelle Ezra et je fais de la musique avec ma bouche», dit modestement l’artiste. «Et avec ma main»,
aurait-il pu rajouter. Début septembre au théâtre de Meylan (Isère), il donnait un avant-goût de son nouveau spectacle de
beatbox «augmenté», Bionic Orchestra 2.0, qui sera présenté demain et samedi lors de la biennale Arts Sciences,
Rencontres-i. Seul au milieu du public, immergé dans un dispositif son et lumière à 360 degrés, micro dans la main
gauche et gant connecté enfilé sur la main droite, Ezra fabrique en direct la matière sonore avec ses lèvres, sa langue et sa
gorge. De ses jolies dents du bonheur naissent une ligne de basse, le timbre d’une trompette jazz, des percussions, des
grésillements électroniques qui se combinent jusqu’à créer un morceau mélancolique d’une surprenante densité.
Le beatboxing est apparu à la fin des années 70 à New York, avec la naissance du hip-hop. Trop fauchés pour s’offrir les
premières boîtes à rythmes électroniques, des MC reproduisaient vocalement les percussions, puis les scratchs et samples
pour accompagner les rappeurs. Depuis, les techniques du beatboxing n’ont cessé de s’affûter, poussant l’organe vocal
dans des prouesses inégalées.
«Artifice». Une nouvelle génération a orienté l’art de la «boîte à rythme humaine» dans d’autres directions, couplant la
voix aux technologies (la pédale de guitare qui permet de superposer des sons) pour faire du beatboxing une matière
musicale malléable à souhait. «Au début, je ne voulais aucun artifice qui viendrait altérer cette musique organique.
Montrer que notre corps pouvait faire aussi bien que ces machines. Puis je me suis pris au jeu des technologies, dit Ezra,
qui a collaboré avec Kid Koala et KRS-One comme avec les chanteurs Camille et Higelin. Je me suis mis en tête de créer
l’outil qui me permette d’un geste d’augmenter ma voix, de la démultiplier, de modeler la matière sonore mais aussi
lumineuse, et de la déplacer dans l’espace.»
Le beatboxeur commence par détourner des manettes de jeu et des téléphones portables. Il développe un premier outil
(bionic looper) pour smartphone, qui permet d’enregistrer le son, de transformer sa voix en direct. «Mais le téléphone
portable, avec son écran lumineux, est très invasif et connoté, il oblige à regarder l’écran et coupe des spectateurs.» Ezra
cherche une technologie plus immersive, un instrument qui serait une extension de son corps. Plusieurs pistes sont
envisagées puis abandonnées : celle d’un casque EEG qui mesure les ondes cérébrales, puis d’une combinaison de scène
truffée de capteurs. Avant de s’orienter vers un gant interactif. Et question gants, on s’y connaît à Grenoble, capitale
mondiale du gant de luxe au XIXe siècle, qui produisit jusqu’à 1,5 million de paires par an. Le gant d’Ezra, développé avec
sa compagnie, Organic Orchestra, a mobilisé pendant un an et demi une équipe de chercheurs, d’ingénieurs et designers,
dans le cadre de sa résidence à l’Atelier Arts Sciences, labo de recherche où collaborent artistes et scientifiques, créé
en 2007 par la scène nationale Arts Sciences de Meylan et le CEA-Leti (lire ci-contre). Le gant lui permet de sampler sa
voix par simple pression sur ses phalanges, de contrôler le volume, mais aussi de spatialiser le son, de déclencher les
lumières et les vidéos. Il comporte douze interrupteurs, des capteurs de mouvements, des «flex» permettant de modeler la
matière sonore entre ses doigts.
Chevreau. Un casse-tête pour les développeurs qui devaient conjuguer miniaturisation des composantes et robustesse. Si
les fils électriques dépassaient encore du prototype, tout devrait à terme tenir dans un discret gant de ville, confectionné
sur mesure dans une peau de chevreau par le dernier gantier de Grenoble. Meilleur Ouvrier de France, Jean Strazzeri, la
soixantaine, a pris plaisir à relever le défi. «Ça permet de voir l’avenir autrement, ça donne l’impression qu’un vieux
métier peut devenir de nouveau moderne», dit l’artisan en inspectant les découpes. L’intimiste Bionic Orchestra 2.0
commence dans la pénombre, avec la seule voix, le souffle, quelque chose d’animal progressivement contaminé par le
bruit des machines. «Le spectacle raconte ce rapport passionnel de l’homme avec la machine. Quand je faisais du
beatboxing, les gens au début ne savaient pas trop ce je faisais et je souhaitais conserver ce trouble, ne pas tomber dans
la démo technique», dit l’homme-orchestre bionique qui doit dompter son nouvel instrument et toutes ses fonctions. A
découvrir à Meylan, puis dans toute la France.
Marie LECHNER Envoyée spéciale à Grenoble
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