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Animal et imaginaires : du sphinx à la chimère
Avant-propos...........................................................................................................................................1
Introduction..............................................................................................................................................2
Animaux et fiction
Les fables
- La fable antique.................................................................................................................................5
Michel Briand (professeur, UFR Lettres et Langues)
-
Des animaux femelles dans les Fables d’Ésope : rire, morale, pensée............................................7
Michel Briand (professeur, UFR Lettres et Langues)
-
L’aigle chez Ésope............................................................................................................................9
Floriane Roy (Master, UFR Lettres et Langues)
-
Les Métamorphoses d’Ovide..........................................................................................................11
Damaly Hun (Master, UFR Sciences humaines et arts)
-
Les animaux dans les contes poitevin-saintongeais.......................................................................14
Liliane Jagueneau (maître de conférences, UFR Lettres et Langues) :
Animaux et sciences
-
Les bestiaires au Moyen Âge..........................................................................................................27
Edina Bozoky (maître des conférences, UFR Sciences humaines et arts)
-
A la frontière du règne animal.........................................................................................................28
Pierre Martin (maître de conférences, UFR Lettres et Langues)
-
Les animaux dans la Magie naturelle de G. della Porta..................................................................31
Laurine Poinot (Master, UFR Sciences Humaines et arts)
-
La Physiognomonie.........................................................................................................................33
Sébastien Jahan (maître des conférences, UFR Sciences humaines et arts)
-
Le tatou...........................................................................................................................................35
Benoît Traineau (enseignant de lettres-histoire)
-
La « baleine » de Jonas..................................................................................................................37
Anne-Sophie Traineau (conservateur du Fonds ancien, SCD Université Poitiers)
Animaux et identité
Héraldique et emblématique
- Les animaux emblématiques, victimes collatérales de la guerre de signes à la fin du Moyen Age.....................40
Laurent Hablot (maître des conférences, UFR Sciences humaines et arts)
-
L'animal dans les légendes héraldiques : l'exemple de la guivre de Milan.....................................51
Nicolas Fromentin (Master, UFR Sciences humaines et arts)
-
La place des animaux dans les enseignes des tribunaux des Communes italiennes au Moyen Âge
e
e
(XIII –XV siècle)............................................................................................................................58
Matteo Ferrari
-
Les animaux dans les enseignes d’auberges sous l’Ancien Régime..............................................60
Fabrice Vigier (maître des conférences, UFR Sciences humaines et arts)
-
Pascal Le Coq.................................................................................................................................67
Fabrice Vigier (maître des conférences, UFR Sciences humaines et arts)
Les marques d’imprimeurs-libraires
- Les animaux imaginaires dans les marques d’imprimeurs-libraires................................................70
Anne-Sophie Traineau
-
L’hydre de Lerne dans les marques d’imprimeurs-libraires............................................................74
Stéphanie Daude (Fonds ancien)
-
La licorne dans les marques d’imprimeurs-libraires........................................................................81
Sandrine Painsard (Fonds ancien)
Animaux et écart par rapport à la norme : hybrides et monstres
-
Mélusine..........................................................................................................................................89
Aude-Lise Barraud (Master, Université de Bordeaux)
-
Désordres dans les marges des manuscrits gothiques..................................................................90
Lucie Blanchard (Master, Université de Bordeaux)
-
Les Cynocéphales : entre barbarie et sainteté................................................................................96
Marjorie Morel (Master, Université de Bordeaux)
-
Le phénix.......................................................................................................................................103
Aurélie Mattelon (bibliothécaire, SCD Université Poitiers)
-
La Grand’goule..............................................................................................................................105
Pascale Brudy, (docteur en histoire médiévale)
Bibliographies......................................................................................................................................106
Avant-propos
Cette exposition qui a eu lieu de janvier à mars 2012, est née du désir de faire connaître les
richesses du Fonds ancien de l’Université aux étudiants et aux enseignants-chercheurs de
l’Université de Poitiers, comme aux personnes qui ne fréquentent pas quotidiennement le campus
universitaire. Constitué grâce à des dons d’enseignants-chercheurs, des saisies faites suite à la
séparation de l’Eglise et de l’Etat et à une patiente collecte par les bibliothécaires, ce fonds
encyclopédique, riche de près de 40 000 volumes, permet de découvrir les évolutions de la
production imprimée de manière artisanale, du milieu du XVe siècle, époque de la naissance de la
typographie, au début du XIXe siècle, quand l’impression, la composition et la fabrication du papier
comme de la reliure se mécanisent peu à peu.
« Animal & imaginaires : du sphinx à la chimère » est le fruit d’une collaboration étroite entre
enseignants-chercheurs, étudiants et bibliothécaires.
Les premiers ont eux-mêmes travaillé sur l’une des thématiques abordées par l’exposition et ont
accompagné leurs étudiants dans leurs recherches.
Les étudiants, de l’Université de Bordeaux ou de Poitiers, ont pu proposer une synthèse de leurs
recherches de Master. Ce fut pour eux une première occasion de diffuser leurs travaux auprès du
grand public. Le Master professionnel qui a mis en ligne l’exposition virtuelle assure une meilleure
visibilité et une grande pérennité à leurs travaux.
D'anciens étudiants ont proposé un panneau ou ont fait bénéficier gracieusement de leurs savoirs
professionnels, que ce soit pour l’infographie ou la relecture.
Les bibliothécaires ont redécouvert leur fonds en l’interrogeant à partir des thématiques choisies
pour l’exposition. Ils ont travaillé sur des problématiques d’histoire du livre, notamment la
signification des marques d’imprimeurs-libraires.
Le Centre de Valorisation des collections scientifiques de l'Université de Poitiers et le
Laboratoire Ecologie & Biologie des Interactions Équipe Écologie Évolution Symbiose UMR
CNRS 7267 ont gracieusement mis à la disposition de la Bibliothèque universitaires des animaux
naturalisés de leurs collections.
Aux travaux de la communauté universitaire s’ajoutent les recherches d’enseignants en lycée, qui
ont fait travailler leurs élèves sur le projet ou ont préparé le dossier pédagogique qui accompagne
l’exposition.
Parmi les partenaires de cette exposition se trouvent également plusieurs établissements culturels
de Poitiers, la Médiathèque, qui a prêté trois documents, le Musée et les Archives départementales
de la Vienne. Des bibliothèques d’autres villes se sont également associées au projet en acceptant de
donner, sans contrepartie financière, le droit d’utiliser leurs reproductions de manuscrits.
-1-
Introduction
Déjà, l’Antiquité, égyptienne comme gréco-romaine, décrit des animaux imaginaires, qu’elle
considère toutefois comme bien réels. Le Moyen Âge fait de même. Au seuil de l’époque moderne,
l’homme commence à étudier avec une approche critique les savoirs hérités des Anciens et réserve
peu à peu au seul monde de la création littérature et artistique la description et l’utilisation
d’animaux imaginaires. Le monde contemporain procède de la même façon, même si, encore au
XXIe siècle, les animaux créés de toutes pièces par l’ingénieur et le scientifique sont bien, eux
aussi, des bêtes en partie nées de l’imagination des hommes.
Les animaux décrits dans ce catalogue sont à la fois des animaux inventés (la licorne, le phénix,
le borametz mi-mouton, mi-courge, de nombreux dragons, tels que la Grand’goule, l’hydre de
Lerne ou la guivre ; des êtres hybrides mi-hommes, mi-animaux, comme Mélusine, familière du
Poitou, ou les Cynocéphales, hommes à tête de chien qui vivent dans des contrées lointaines) et des
bêtes bien réelles auxquelles on a prêté des vertus particulières, en les utilisant dans des récits
moraux ou en les choisissant pour représenter une personne, un lieu ou un groupe d’hommes ;
d’autres animaux sont parés de vertus imaginaires car ils étaient mal connus, mal compris : il en est
ainsi de la salamandre, mais également du tatou, du poisson volant et du paresseux, que les
Européens ont découverts tardivement.
La fiction, dans le conte et la fable, a utilisé l’animal pour donner des leçons de morale ou parler
des hommes eux-mêmes et de leurs comportements.
La fable antique, chez Ésope et Phèdre, ou moderne, avec Jean de la Fontaine, présente souvent
des animaux comme personnages : ce sont des types, avec des particularités stéréotypées, qui
insistent sur telle qualité ou tel défaut supposé de l'animal, et parfois même du genre, les femelles
étant alors accusées de tous les vices. Le texte moralisé permet ainsi de critiquer un mauvais
penchant ou un fait de société nuisible de manière détournée.
De l’Antiquité viennent aussi les Métamorphoses d’Ovide qui ont abondamment nourri la
littérature comme les arts. Ces récits sont peuplés d’animaux étranges, nés ainsi ou fruits de
transformations ; ils peuvent être hybrides ou tout simplement différents ; certains sont très positifs,
mais la plupart sont au contraire des êtres méchants et cruels.
Encore très présents dans notre culture, les contes décrivent des animaux forgés par
l’imagination. Celle-ci se nourrit de légendes très anciennes comme de jeux de mots ; elle est
alimentée par les récits oraux qui font des contes une littérature vivante, sans cesse réinventée, en
particulier quand les récits sont faits dans des langues régionales, telles que le parlanjhe poitevinsaintongeais. Des animaux nés de l’imagination des hommes, bien souvent terribles et menaçants,
côtoient des bêtes de la vie quotidienne, à qui la parole est donnée.
Bien souvent, l'animal de fiction est très proche de l'homme et illustre ses défauts, son ridicule ou
même ses craintes d'être parfois un être monstrueux.
La science médiévale puise une partie de son savoir dans les bestiaires, eux-mêmes héritiers de
connaissances de l’Antiquité et fruits d’observations et de reproductions plus ou moins fidèles de la
nature.
-2-
À la fin du Moyen Âge, en lisant Aristote, les hommes découvrent que l’observation de la nature
permet d’atteindre et de connaître le vrai. Mais ce n’est que progressivement que les scientifiques
prennent leur indépendance par rapport aux savoirs antiques et médiévaux. Mythes, légendes et
animaux imaginaires sont pour la plupart repris par les auteurs de la Renaissance. La zoologie prend
son essor vingt ans après la botanique. Vers 1550-1560, le nombre de publications originales, qui
comprennent des descriptions et des illustrations d’après nature sur les animaux, augmente de
manière significative : commentaires et observations viennent enrichir les textes des Anciens, qui
permettent d’identifier les animaux.
Deux exemples, l’un, l’animal qui engloutit Jonas dans l’Ancien Testament, et l’autre, le tatou,
venu des grandes découvertes du début de l’époque moderne, montrent comment, encore au
XVIe siècle, sciences et imaginaire sont inextricablement mêlés.
Le merveilleux, héritage médiéval, tient encore une place importante dans la perception du
monde et des êtres vivants. Le Traité de la magie de Giambattista Della Porta, lui-même l’un des
inventeurs de la Physiognomonie, présente un merveilleux « scientifique » : il n'est pas question de
surnaturel, mais ce qui est présenté étonne, comme tout merveilleux, et échappe encore à la
compréhension, faute de connaissances.
Au XVIe siècle également, la physiognomonie prend son essor ; elle tend à montrer que la
physionomie de l’homme détermine son tempérament, s’il suit ses penchants : la ressemblance avec
un animal induit un comportement propre à celui-ci : ses mœurs ne sont pas celles qui ont été
observées, mais celles qu’on lui prête, suivant en cela bien souvent des légendes médiévales, voire
antiques.
Le mélange entre réel et imaginaire habite encore les cabinets de curiosités, dans lesquels on
trouve, par exemple, des chauves-souris géantes. Celles-ci sont difficilement classables : elles se
trouvent entre deux catégories définies selon le milieu de vie et posent des problèmes de définitions
aux scientifiques de l’époque moderne.
L’animal porte également une valeur emblématique : il est choisi par certaines personnes pour les
représenter dans leurs armes ou leurs enseignes. Certains ont un nom qui évoque l’animal, d’autres
non, ce qui ne les empêche pas de puiser abondamment dans la très riche symbolique animale, qui
peut être ambivalente et permet de délivrer un message polysémique. Des personnes seules comme
des groupes utilisent l’animal pour dire quelque chose d’eux-mêmes. Le plus souvent, la bête,
imaginaire ou non, est associée à une riche symbolique puisée dans les bestiaires, dans les mythes,
dans la Bible, dans la tradition hagiographique ou encore dans les livres d’emblèmes modernes.
Certains rois, comme Charles VI, avec le cerf volant, ou Louis XI, avec le porc-épic, choisissent
un animal comme emblème. Ces derniers étant fort répandus dans les grandes familles de la fin du
Moyen Âge et du début de l’époque moderne, ils se répondent d’un individu à l’autre. Ils sont
toujours liés à une symbolique complexe. Des personnages de moindre importance, comme Paschal
Le Coq, placent un animal sur leur blason ; le poitevin peut ici prendre des armes parlantes,
puisqu’il porte le nom du célèbre gallinacé, mais d’autres, qui n’ont pas un nom d’animal, font de
même. Certaines villes utilisent, elles aussi, un animal, comme le lion à Poitiers.
Souvent la bête choisie comme marqueur d'identité fait l'objet d'une légende qui explique ce
choix et renforce la renommée de la famille : il en est ainsi pour la guivre des Visconti à Milan.
Certains choisissent un animal pour les représenter dans leur exercice professionnel : c’est le cas
-3-
des imprimeurs-libraires, qui ont recours à des marques et des enseignes, accompagnées de devises,
pour marquer leur travail et exposer leur conception du métier : la licorne et l’hydre de Lerne ont
été utilisées par de nombreux libraires, qui les transmettent le plus souvent à leurs héritiers, avec
quelques modifications. C’est à la fois le symbole d’une dynastie et un attribut propre.
L’animal est également utilisé pour nommer les auberges ; la bête est alors liée à un lieu plutôt
qu’à une personne. Il en est de même dans les tribunaux italiens de la fin du Moyen Âge : les
animaux, le plus souvent bien réels, ont une fonction davantage mnémotechnique que symbolique.
Enfin, certains êtres sont doubles ou inhabituels : ils sont monstres par leur taille, par leur forme,
par leur hybridité, et permettent d’exprimer les rêves et espoirs des hommes comme leurs peurs ou
les interdits. On appelle monstres différents types de créatures. Les hybrides peuvent être mihomme, mi-animal ou emprunter leurs caractéristiques à plusieurs animaux différents ; sont
monstres également des êtres très grands, très gros, échappant aux lois de la nature.
A la Renaissance comme au Moyen Âge, la représentation des monstres dans les livres permet de
les rendre crédibles en leur donnant vie dans l’imaginaire du lecteur. Les représentations d’animaux
variés, aussi monstrueux soient-ils, sont aussi des monuments élevés à la gloire de Dieu : sa grande
puissance lui a permis de créer une infinie variété d’êtres vivants. Mais certains traduisent plutôt des
angoisses et des peurs cachées, comme les Cynocéphales, image de la différence. D’autres, comme
les créatures des marges de manuscrits, sont des contre-modèles, qui se moquent du pouvoir et des
mauvais comportements, tout en renforçant l’ordre établi. D’autres encore portent les espoirs des
hommes, comme le Phénix, créature très positive dans un contexte religieux.
Beaucoup de ces monstres, comme la plupart des animaux, sont ambivalents ; ils sont à la fois
admirés et craints. C’est le cas de Mélusine, qui est familière et étrange, de la Grand’goule, figure
du Diable et objet de dévotion.
-4-
Animaux et fiction
La Fable antique
En grec …
Le genre des fables, dans l’Antiquité grecque et romaine, repose sur de lointaines traditions
orales, dont on observe le développement dans d’autres cultures anciennes, par exemple, en langue
sanskrite, le recueil du Pañcatantra, transmis en Europe par une version arabe attribuée à un auteur
du VIIe-VIIIe siècle, Bilbay, dont s’est inspiré La Fontaine (par exemple « La Tortue et les deux
canards »).
En grec, au VIIe siècle avant notre ère, les premiers auteurs connus sont Hésiode (« L’Epervier et
le rossignol », Théogonie, v. 202-218) et Archiloque (« L’Aigle et le renard » ou « Le Singe et le
renard »). Ce genre de récit bref est appelé aînos (αἶνος), « récit à interpréter », comme dans le
dérivé aínigma (αἴνιγμα), « discours figuré, énigme », à valeur éthique exemplaire, le plus souvent
comique. Plus tard, ce type de texte moral sera nommé mûthos (μῦθος), « parole d’autorité »,
« fiction symbolique ».
Le fabuliste grec le plus célèbre est Ésope (VII e-VIe siècle avant notre ère), dont la biographie
quasi-légendaire fait un esclave phrygien, contrefait et drôle, qui, affranchi, accomplit de nombreux
voyages, de la Perse à Delphes. Constitué de presque quatre cents pièces de format réduit et en
prose, en majorité animalières, souvent citées par des auteurs comme Aristophane et Platon, le
recueil des Aesopica n’a été constitué qu’à partir du III e siècle avant notre ère et les morales
(epimúthion, ἐπιμύθιον, « complément au récit ») sont le plus souvent des ajouts tardifs.
Les images ou tableaux de platte peinture des deux Philostrates / Blaise de Vigenère - Paris : Veuve Mathieu Guillemot et Mathieu Guillemot, 1620
(Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien, supp. Folio 574)
Les animaux, dans ces récits moraux, sont des types, non des personnages individualisés. On
connaît le lion, le renard (au féminin en grec), l’aigle, le chat, le coq, l’âne, la chèvre, le bouc, le
singe, le cerf, mais le rôle principal peut être assuré par la perdrix, le chameau, le crabe, les
corbeaux, les grenouilles, la puce, un arbre ... Et beaucoup de ces récits brefs font intervenir
Prométhée, Zeus, Héraclès, la Terre, le Soleil, Mômos (dieu du rire moqueur), un voleur, un
laboureur, un médecin, des voyageurs, un enfant, voire Ésope lui-même.
-5-
En latin …
La tradition ésopique a été partiellement transmise aux Modernes par le biais de Phèdre (début
du Ier siècle), esclave affranchi d’origine thrace, qui publia, à l’époque de Tibère, 123 fables en
vers, en cinq livres munis d’un prologue et d’un épilogue. Les sujets sont en majorité de son
invention et ont pu être compris, dès leur époque, comme des satires indirectes de l’actualité. On
signale, à titre d’exemple, la première œuvre du recueil, « Le Loup et l’agneau », et la dernière,
« Le Chien et le chasseur », ainsi traduite :
Contre toutes les bêtes sauvages, courageuses et rapides, un chien avait toujours satisfait son
maître, mais il commença à faiblir, sous le poids des ans. Un jour, affrontant au combat un sanglier
hirsute, il lui saisit l’oreille, mais de ses dents gâtées il laissa partir sa proie. Alors le chasseur,
affligé, réprimanda le chien. Et le vieil aboyeur lui répondit : « Ce qui te fait défaut, ce n’est pas
mon courage, ce sont mes forces. Tu loues ce que je fus, et déjà tu blâmes ce que je suis. » Philetus,
pourquoi j’ai écrit cela, tu le vois bien.
On connaît d’autres fables anciennes en latin, de Hygin (fin du Ier siècle avant notre ère) ou
Avianus (fin du IVe siècle avant notre ère). Le terme fabula (du verbe fari « parler, dire ») peut
désigner une conversation, un récit légendaire ou une pièce de théâtre, et le français « fable »
l’ensemble de la mythologie classique, autant qu’une intrigue théâtrale ou une fiction narrative.
Ces textes, d’Ésope comme de Phèdre, contribuent en majorité, surtout par la satire, à construire
une vision du monde et des relations inter-subjectives fondées en fait sur un conformisme
généralisé, profondément pessimiste : c’est en général le stéréotype ici qui fait sourire ou rire, et
donc penser.
Michel Briand
-6-
Des Animaux femelles dans les Fables d’Ésope : rire, morale,
pensée
La Truie et la chienne
Les fables mettent souvent en scène des débats agressifs entre des animaux femelles dont les
caractéristiques sont applicables, par métaphore, au monde des humains et considérés comme
naturellement féminins par le public : lascivité, lubricité, impureté, fécondité. Ainsi, pour « La Truie
et la chienne » : Une truie et une chienne s’accablaient d’injures. La truie jura par Aphrodite que si
la chienne continuait, elle la déchirerait à belles dents. La chienne lui rétorqua que décidément,
elle ne savait pas ce qu’elle disait, elle qu’Aphrodite haïssait au point d’interdire l’accès de son
temple à quiconque a goûté la chair du porc. « Ce n’est pas de la haine », répliqua la truie, « mais
de la prévoyance : elle voulait m’éviter d’être sacrifiée ! » La fable montre que d’un méchant, les
dons gracieux sont redoutables.
Ou encore « La Truie et la chienne rivalisant de fécondité » : Une truie et une chienne se
disputaient le prix de la fécondité. La chienne affirmait que parmi les quadrupèdes, elle seule avait
des portées rapides. La truie lui répliqua : « Çà, tu peux le dire, mais n’oublie pas d’ajouter que tes
chiots naissent aveugles ! » La fable montre que les actes ne se jugent pas à leur vitesse, mais à
leur degré d’achèvement.
Colombe, corneille, poule, hirondelle … et hyène
En grec, certains noms d’animaux ont un genre grammatical féminin, et ces figures ne
s’opposent pas directement au mâle de l’espèce. Quand il y a discussion, loin de rivaliser dans le
même sens, les personnages s’opposent par leur type éthique. Ainsi la vanité de la colombe et le bon
sens typique de la corneille, qui prononce elle-même la morale : Une colombe élevée dans un
pigeonnier se targuait de sa nombreuse descendance. Une corneille l’entendit se vanter : « Allons,
toi ! », lui dit-elle, « cesse de t’en prévaloir : plus tu auras d’enfants, plus tu auras d’esclavages à
déplorer. » De même, les serviteurs les plus malheureux sont ceux qui, dans la servitude, ont le plus
d’enfants.
Ou bien, dans « La Poule et l’hirondelle » : Une poule avait trouvé des œufs de serpent, qu’elle
couva avec soin puis fit éclore. L’ayant vue faire, une hirondelle lui dit : « Pauvre sotte, pourquoi
élèves-tu des petits dont tu seras la première victime s’ils deviennent grands ? » De même, la
perversité ne se laisse pas amadouer, même par les plus grands bienfaits.
Par ailleurs, dès Aristote, la hyène représente « le trouble dans le genre » : elle change souvent de
sexe, comme dans la fable « Les Hyènes », où l’on peut noter l’inadéquation de la morale, tardive,
au récit présenté : L’on dit que les hyènes changent chaque année de nature, et qu’elles sont tantôt
mâles, tantôt femelles. Il était une fois une hyène mâle qui s’apprêtait à jouir contre nature d’une
hyène femelle. Celle-ci lui déclara : « Vas-y donc, mon bonhomme, mais songe que ce sera bientôt
ton tour ! » Ceci s’adresse aux magistrats en charge qui demandent des comptes à leurs
subordonnés, puis leur en rendent à la suite d’un renversement de situation.
-7-
La Renarde
Enfin, la langue grecque implique que le « renard » grec est une « renarde », typiquement
gourmande : Un renard affamé avait aperçu des morceaux de pain et de viande que des bergers
avaient laissés dans le creux d’un chêne. Il y pénétra et les mangea. Mais comme son ventre enflé
ne lui permettait plus de ressortir, il se mit à gémir et à se lamenter. Un autre renard, qui passait
par là, entendit ses plaintes et s’approcha pour lui en demander la cause. Lorsqu’il eut appris sa
mésaventure : « Reste donc là-dedans », lui conseilla-t-il, « jusqu’à ce que tu redeviennes tel que tu
étais en entrant : ainsi, tu sortiras sans peine ! ». La fable montre que le temps résout les
difficultés.
Fables choisies / Jean de La Fontaine – Paris : Nyon, 1757 (Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien, FAP 2524)
Fable « Les deux rats, le renard et l’œuf » illustrée dans le bandeau.
Et les femmes ?
Les Fables construisent un système de valeurs morales, sociales, psychologiques, qui faisait rire
le public, sensible à la parodie, mais, par là-même, confortait ses stéréotypes les plus ancrés. De
fait, dans d’autres fables, non animalières, les femmes proprement humaines ne sont guère mieux
traitées, ni d’ailleurs les hommes eux-mêmes, voire les dieux. Tous sont ridicules et, par là, font
réfléchir.
Michel Briand
-8-
L'Aigle dans les fables d’Ésope
L'aigle, présent dans la mythologie de nombreuses civilisations, est universellement considéré
comme un symbole céleste et solaire, du fait de sa capacité à s'élever au-dessus des nuages et de la
condition humaine. Représentant la beauté, la force, le courage et le prestige, il est le roi des
oiseaux et le messager des plus grands dieux, voire leur incarnation, comme dans la mythologie
grecque où il est associé à Zeus. Pour les Aztèques, il représente la course du soleil grâce à sa
capacité à fixer le soleil sans se brûler les yeux. En Chine, l'art martial de l'aigle représente l'audace
et la majesté. L’aigle est également le symbole primitif du père. Dans la Bible, il est associé à
l'évangile de saint Jean et, au Moyen Âge, il est identifié au Christ et représente l'Ascension, ainsi
que la Royauté combattant le mal. Les Romains en ont fait un symbole de victoire et un emblème
impérial, repris par Napoléon.
La tortue et l’aigle
Aesopische Fabeln für die Jugend - Prague, Leipzig : M. Neureuter, 1803 (Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien, 70443)
Cependant, comme tout symbole, il possède un côté sombre, un aspect maléfique : il devient le
rapace cruel, le ravisseur, représentant l'orgueil, l'oppression et la perversion. C'est l'exagération de
sa puissance, de sa démesure. C'est souvent la femelle qui se charge de véhiculer cette symbolique.
Dans les fables d’Ésope mettant en scène des aigles, et reprises pour certaines par La Fontaine,
on peut distinguer nettement le mâle et la femelle. Le mâle est toujours représenté digne et
majestueux. Par exemple dans la fable « L'Aigle, le choucas et le berger », les deux premiers vers
sont :
Un aigle fondant d'une roche élevée, enleva un agneau.
A cette vue, un choucas, pris d'émulation, voulut l'imiter.
Ces deux vers montrent la beauté et la magnificence de l'aigle, que d'autres veulent imiter. Il en
va de même pour la fable « Le Laboureur et l'aigle » où un aigle sauvé par un laboureur le sauve à
-9-
son tour pour rembourser sa dette : elle révèle toute sa dignité.
L’aigle peut aussi être représenté de manière tragique ou pathétique, comme dans la fable
« L'Aigle frappé d'une flèche », qui met en scène la mort d'un aigle provoquée par une flèche munie
de plumes d'aigle : la morale de cette fable est qu'il est toujours plus douloureux d'être battu avec
ses propres armes.
C'est la femelle qui présente l’aspect prédateur et rapace de l'animal et ses mauvaises actions,
toujours punies. La fable « L'Aigle et l'escarbot » (une espèce de scarabée), reprise par La Fontaine
au XVIIe siècle, nous offre un excellent exemple de cette face sombre : une aigle chassant un lièvre
le tue alors qu’il s’était réfugié auprès d'un escarbot, ce dernier suppliant la chasseuse d'épargner
son ami. N'étant pas pris au sérieux, l'escarbot décide de venger le lièvre et tue chaque année les
aiglons, même quand l'aigle va quérir la protection de Zeus. La morale est que tout acte mauvais est
condamné et qu'il ne faut pas mépriser plus petit que soit.
L'animal de Zeus présente donc deux faces, l'une étant l'exagération de l'autre : la grandeur peut
devenir orgueil et ainsi ce qui était bon et beau devient un défaut. L'aigle peut être considéré comme
une représentation de la pensée grecque qui condamne l'excès et l'hubris, c'est à dire la démesure.
Ceux qui savent rester à leur place et vivre dignement, en conformité avec leur statut supérieur, sont
représentés par l'aigle mâle, tandis que l'aigle femelle représente ceux qui n'en sont pas capables et
cherchent à s'élever au niveau des dieux.
Floriane Roy
- 10 -
Les Métamorphoses d'Ovide
C’est durant l’Antiquité que le poète Ovide nous livre ce long poème d’environ 12 000 vers,
composé de plus de 250 légendes et divisé en 15 livres. Il nous offre un large panorama de
l’imaginaire mythologique antique, gouverné par les dieux de l’Olympe, dans lequel évoluent héros,
demi-dieux, et où les êtres humains et les animaux réels côtoient toutes sortes d’êtres étranges. Ces
derniers sont nés de l’imagination des hommes et leurs légendes sont développées dans l’œuvre.
Andromède exposée au monstre
Metamorphoseon libri XV / Ovide. - Venise : J. Gryphe, 1565 (Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien, XVIg 1646)
La métamorphose, fil conducteur du récit et thème même de l’œuvre, est un pouvoir propre aux
dieux, dont ils usent à loisir pour punir ceux qui les ont offensés, ou au contraire, sauver du danger
ceux qui leur sont chers ou encore pour apaiser leur chagrin. Ce panel de phénomènes fabuleux
déploie un corpus large et varié de changements de formes humaines, de manière partielle ou totale,
définitive ou temporelle, en minéraux, végétaux, en astres, et, dominant par leur nombre, en
animaux et autres créatures fantastiques. Certaines ne résultaient pas de ces métamorphoses, mais
existaient déjà dans ce monde imaginaire et leur origine n’est pas toujours évoquée par l’auteur. Ces
êtres fantastiques pouvaient servirent de renforts ou d’adversaires aux héros. Ils jouent donc un rôle
capital dans le récit, au même titre que les hommes et les dieux.
L’Ecume de Cerbère changée en Aconit
Metamorphoseon libri XV / Ovide. - Venise : J. Gryphe, 1565 (Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien, XVIg 1646)
- 11 -
Tout au long de l’œuvre, le lecteur rencontre une multitude d’êtres étranges, qu’il s’agisse
d’hybrides, résultant de toutes sortes de croisements d’espèces, comme les centaures, les sirènes, les
faunes, le Minotaure, ou de créatures pleinement monstrueuses, dont l’aspect effrayant et l’attitude
belliqueuse constituent souvent un obstacle majeur aux péripéties des héros. Echidna, par exemple,
créature mi-femme, mi-serpent, donna naissance à l’Hydre de Lerne, au chien Cerbère, au serpent
Python ou encore à la Chimère. D’autres monstres encore peuplent ces légendes, telle la nymphe
Scylla, métamorphosée en monstre marin par Circée, ou les créatures reptiliennes qu’eurent à
affronter Thésée et Persée.
La Toison d’Or
Metamorphoseon libri XV / Ovide. - Venise : J. Gryphe, 1565 (Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien, XVIg 1646)
Enfin, ces fables sont également remplies d’êtres à l’aspect bien plus plaisant, tels que Pégase,
cheval ailé né du sang de Méduse. Ovide oppose ainsi, par leur aspect physique, des êtres incarnant
le Bien ou le Mal.
C’est donc un très vaste répertoire d’animaux et de créatures fantastiques qui est évoqué dans les
Métamorphoses. On les rencontre ensuite de manière récurrente dans la littérature et les arts, en tant
qu’éléments de décors ou bien investis d’une charge symbolique ou idéologique participant de la
transmission d’un message.
Pan
Les métamorphoses / Ovide. – Liège : Jean-François Broncart, 1708 (Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien, 70485)
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Les Métamorphoses d’Ovide feront l’objet de nombreuses illustrations. Celles-ci contribuent
ainsi à la diffusion en images de cet univers qui constitue une véritable échappée vers un monde
fantastique. Les êtres fabuleux qui le peuplent seront représentés selon toutes sortes de variantes et
de déclinaisons qui nourriront l’imaginaire des hommes et participeront au processus créatif au fil
des siècles.
Damaly Hun
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Lés animàus den lés cuntes en parlanjhe poitevin-saintongeais
Les animaux dans les contes en langue poitevinesaintongeaise
Les animaux revêtent, dans la tradition orale et écrite en poitevin-saintongeais, de multiples
formes, de la plus familière : animaux de la ferme, oiseaux… à la plus étrange : bête à sept têtes,
serpent-dragon, êtres hybrides, menaçants, malheureux, peuplant au quotidien les lieux dangereux
d’où il faut éloigner les enfants ou surgissant dans les contes populaires. Si beaucoup de ces êtres
fantastiques ne sont pas connus de tous, ils ont parfois laissé des traces dans les toponymes ou
l'architecture, présence qui permet de remonter le fil de leur histoire et parfois de retrouver des
textes de littérature orale où ils apparaissent. Dans bien des cas on remarque que le nom de ces
bêtes signale l'étrangeté de celui ou celle qui le porte et participe à cette étrangeté : Demi-Jhàu,
chevau dau diablle, chevàu malét, ganipotes, beliches, bêtes faramines, bigornes, loups-garous,
basilics, cocatris/cocodi/eù de sarpent et autres Dahus/Dalus... Les mimologismes constituent un
autre mode de passage de l’animal ordinaire à un animal imaginaire parfois très proche, tandis que
des figures animales hybrides véhiculent des significations multiples que les érudits, folkloristes,
ethnologues et mythologues se sont attachés à observer ou reconstituer depuis un ou deux siècles.
Langue et imaginaire : du Petit au Demi Jhàu (Coq)
Le « petit jhau » ou la « petite moetié de jhàu » (petit coq) du conte (T715) très répandu dans
l'ouest de la France apparait souvent, aussi, sous la forme d’un intrépide « demi-jhàu » (demi-coq),
né d’un œuf coupé en deux. L’expression « petite moetié » a pu faciliter le glissement vers le
« demi », porte ouverte vers de nouvelles significations, comme en témoigne par exemple le film
d’animation Demi-Jhàu (Lucie Mousset, 2012).
Demi-Jhàu (illustr. Fanny Coutin, 2005)
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Du cri à la parole : les mimologismes
Aux animaux les plus proches la tradition orale prête volontiers des paroles mimant les sonorités
de leur cri, paroles souvent moqueuses, drôles, prêtes à surgir au détour des histoires et des fables :
« Coucou, t’és fou ! Tàe-tou ! » (Coucou/cocu, t’es fou ! Toi aussi !; Jagueneau-Valière, 1980)
Dans Les greneuilles thi demandant in roi, fable adaptée de La Fontaine par Edouard Lacuve
(Jacquett, 1893 et 1999) les grenouilles revendiquent : « Roi-roi- roi- roi- roi- roi !... Roi-roi- roiroi- roi- roi !... Le ban Diu an avoit les oreilles cassaies… Le peuvait rein dormi… » (Roi-roi- roiroi- roi- roi !... Roi-roi- roi- roi- roi- roi !... Le bon Dieu en avait les oreilles cassées… Il ne
pouvait pas fermer l’œil.)
Et on raconte … L’ajhace é le coucou (Marcel Sicaud, dans Paroles du Mellois)
(Le coucou) L’arive au moes de mars… é pi l’ét la jhusque fin jhuin début jhullét …, pasque den
lés prmàes daus tenps que l’étét la, l’avét étai enbauchai pr faere lés métives, le coucou… E pi
l’ajhace qu’étét den in chagne a coutai, é pi qui disét, yéle : « Cha quatre ! cha quatre ! cha
quatre ! » O felét que le coucou doune lés jhérbes cha quatre. Que le dissit, lés gas, vous m’avéz
pris çhéte annàie, mé l’annàie prchéne, vous me revéréz pa ! En fét, dépeù, quant le vét que lés
bllais quemençant a jhauni, le dit : « Pr pa que le m’enbauchant a faere lés métives i me fout le
canp », ol ét pr ça qu’un dit « fégnant queme in coucou ».
(Le coucou) Il arrive au mois de mars… et il est là jusque fin juin début juillet
…, parce que les premiers temps qu’il était là, il avait été embauché pour faire les moissons, le
coucou… Et la pie, dans un chêne proche de là, disait : « Par quatre ! Par quatre ! Par quatre !
Par quatre ! ». Il fallait que le coucou donne les gerbes par quatre. Les gars, dit-il, vous m’avez
attrapé cette année, mais l’année prochaine, vous ne me reverrez pas ! En fait depuis, quand il voit
que les blés commencent à jaunir, il dit : « Pour éviter qu’ils m’embauchent pour les moissons, je
m’en vais ». C’est pour ça qu’on dit « Paresseux comme un coucou ! »
Francille, d’après Henri Martin, Parlanjhe Vivant-Geste éditions, 2005 (album-CD illustré par
Boris Lambert).
Ces animaux qui parlent, pensent et agissent un peu comme des humains n'en restent pas moins
des animaux ordinaires, familiers, rassurants. Il en va tout autrement avec d'autres, plus proches
d'un monde menaçant, ou pour le moins étranges.
De l’animal... au diable
Les noms et représentations des animaux suggèrent souvent la proximité d’un univers inquiétant
et portent la marque du Malin, comme le chevau dau diablle (mante religieuse ou libellule), dont le
nom peut provenir des chevauchées nocturnes attribuées aux servantes des curés au XVI e siècle, le
chevàu malét errant la nuit et que le voyageur doit éviter de monter sous peine de perdre la raison
ou la poule négre, poule aux oeufs d'or, autre figure animale du diable...
Souvent victimes de maléfices, les humains peuvent aussi se transformer en bêtes, petite chatte
blanche ou Bête monstrueuse des contes, jusqu’à ce qu’on les délivre du mauvais sort.
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… et au bestiaire fantastique
La Ganipote dans Francille (illustr. Boris Lambert, 2005)
Humains transformés en animaux (mouton, chèvre, chien, loup ou « bête » mal définie), les
ganipotes, galipotes, beliches, loups-garous... errent la nuit, condamnés à attaquer les autres
humains:
Le cheminét en subllotant den in chemin de travrse voure lés grands chagnes se rejhéndiant audessu de sa tàete, quoure l'entendit dare li a ine demi vrsane ine oalle çhi bequelét. (…) Tout d'in
cop, la brghéte çhi le seguét tout cuntant, li sautit su lés épales, é le sentit qu'o le bijhét bénréde su le
cagouét. (…) Francille, la felle dau sorçàe Bouinuchét étét galipote, é Norai venét de désaniàe ce
que l’aemét le mae den çhau munde.
Il marchait en sifflotant dans un chemin de traverse où les grands chênes se rejoignaient au
dessus de sa tête, quand il entendit derrière lui, à une faible distance, une brebis qui bêlait. (…)
Soudain la brebis qui le suivait tout à l'heure, lui sauta sur les épaules et il sentit qu'elle
l'embrassait fort sur la nuque. (…) Francille, la fille du sorcier Bouinuchet, était galipote ! Et
Honoré venait de détruire ce qu’il aimait le plus au monde.
Francille, 2005
Héros de récits pathétiques, comme la légende de Francille, ou facétieux comme « La beliche »
(Contes de la pigouille), ces êtres hybrides, après avoir été signalés par les folkloristes et les
ethnologues, continuent, tels le basilic ou le cocatri, serpents monstrueux, de solliciter
l’imagination et de nourrir de nouveaux contes à travers lesquels se renouvellent mythes, légendes
et représentations autour des animaux.
Voici pour terminer deux exemples de légendes reformulées par la conteuse Marie-Hélène
Coupaye, qui fait vivre aujourd’hui cette tradition orale dans le Loudunais et au-delà, et écrit ellemême de nouveaux contes.
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Le basilic de Claunoe (1)
Nousàutres avéc, un en avét, in, de basilic, a Claunoe pas bén loén de ché moe. A ! Pi, c’étét
pratique, moi jhe vous le di, l’étét calai den le puits, quou béstiau, den le puits qu’ét su la pllace du
vilajhe, au bea mitan ! A ! Oui, oul étét pratique pour veni queri de l’iau. Si jhamae un avét le
maleùr de se penchàe in poe trop, l’àutre, li, i vous lancét sun regard qui tue é hop ! V’étiéz
rubricai ! L’en avét chopai déjha pu d’in : zsoet dés maladroets ou dés tàetes en l’aer ou bén dés
qu’aviant voulu faere le malin en éssayant de voer quou béstiau inférnal.
Tout le monde en parlét bén sur, un parlét casiment pu que de ça, mé prsoune avét de reméde.
Touts qualés oumes, l’étiant toujhou en trén d’en causàe ! Ça pr en causàe, i z-en causiant ! Le
passiant dés jhournàies entiéres rén qu’a échafaudàe dés stratajhémes pr veni a bout de quale bàete,
stratajhémes qu’étiant pus invraesenbllablles lés ins que lés àutres. Oul avancét pa a grand chouse !
Pi in jhour, y avét le sacristin, fàut dire que quant l’en avét in coup den le nàes, l’étét pràet a tout.
I s’ét mi a dire que, li, le basilic, i n-en avét pas peùr. Maeme que l’étét capablle d’y crachàe au
nàes pourvu qu’un y doune une piéce! Bén sur que les àutres vouliant bén voer ine afaere de
maeme. Un li promit maeme une piéce d’or si l’ou fesét !
Le fit ni ine ni deùs, le saute su la marjhéle dau puits, mé pa fou tout a fét que l’étét, en fesant
bén atenciun a pa regardàe den le funs de quou puits, i baesse sun pantalun, é pi, i pisse su la goule
au basilic ! En vela-t-i pa une aventure ! I l’avét gagnai sa piéce d’or é pi tout le munde i fését la
fàete ! Oui, mé quant i revént tout faraud a la mésun, bén dame la, ç’at étai ine àutre istoere. Sa
boune fame, la Guillemette, a y at pa fét de cunplliments, moe, jhe vous le di ! A ! Bén nun !
Mé c’ét qu’al y tenét a sen oume. Ine piéce d’or, la béle afaere, si jhamae i y étét arivai maleùr !
Lés oumes c’ét bén toujhou paréll, ça at pa deùs sous de jhujhote. Falét qu’a trouve ine idàie pr pu
qu’i recomence, pasque, quoul inocent, il étét bén capablle d’ou refaere, in jhour que l’aurét bu pu
que falét. Mé qui qu’a pourét bén énventàe, qui qu’a pourét bén énventàe. A ne pensét pu qu’a ça.
Pi in jhour, al at trouvai. Al ét arivàie su la pllace iou que touts qualés oumes étiant apràe
bavassàe, é pi, a lleù z-at dit.
– « E bén, moe jhe sé coument que fàut faere pr s’en débarassàe de quou munstre ! V’avéz qu’a
veni dimenche su quale pllace é pi vous véréz bén.
– Quement que tu feras ? Quement que tu feras ? qu’i demandiant trtouts.
– V’avéz qu’a veni dimenche a la sortie de la màesse. »
Al at tournai cul su poénte é pi al at rentrai ché yéle.
Bén dame, jhe peù vous dire qu’y en ét venu du monde su quale pllace, le dimenche d’apràe.
Oui, y avét ceùs qui sortiant de l’égllise pi ceùs qui sortiant du cafét, mé avéc, y avét ceùs qui
veniant jhamae a la màesse mé qu’étiant arivais rén que pr voer é maeme ceùs dés vilajhes d’a
coutai qu’en aviant entendu causàe é pi qui vouliant pa ratàe l’ocasiun !
La Guillemette, al at arivai avéc un paquét sou le bra qu’étét bén enbourai den dés guenilles.
Quant al ou z-at défét, oul étét in miroer, o ! pa bén grand. Un miroer qu’un at pr s’arenjhàe le
matin. A l’at atrapai en metant le coutai miroer vér le fund de quou puits é pi al at uchai aussi fort
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qu’al at pu :
– « Di dun toe qu’ét au funs de quou puits, un dit que t’és léd coume la bàete, fé nous dun voer
quement que t’és fét ! »
Vous penséz bén que quou béstiau quant que l’at entendu in discours de maeme, l’ét sorti de sun
trou pr voer qui qui fesét tout quou rafut, l’at vu ine afaere qui brlutét au dessu de sa tàete, l’at
envoyé sun regard qui tue. Oul at pa fét de pllis ! L’at venu tapàe den quale gllace é pi, ou y ét
revenu su la goule ! Ou l’at tuai réde, nét ! ! Touts qualés jhens l’ant pa fét de pllis yeùs avéc. I z-ant
garillai toutes les piéres qui traeniant pr la den quou puits, i z-ant maeme démoli la marjhéle é pi i zant tout bouchai, dés foes que quale béstiole ale repoéntàe sun musea.
Ce qui fét qu’au jhour d’aujourd’hui si vous passéz à Claunoe, vous veréz pa de puits au mitan
de quou vilajhe maeme en y regardant de pràe.
E pi la Guilleméte, yéle, vous savéz pa ce qu’al at fét ? Al at étai chérchàe la récunpense qu’avét
étai promise, in pllén sac de piéces d’arjhent. Avéc ça, a s’ét achetai ine petite mésun a Loudun avéc
in bout de vegne atenant, ce qui fét que coume ça, i z-ant pu qu'a faere leù vin ché yeùs, quant sen
oume, i buvét in coup de trop, i buvét a la mésun. E bén coume ça, a pouvét survéllàe ce qu’i fesét.
Et pi maeme qu’i y at réstai assé d’arjhent pr s’achetàe dés béles robes pr alàe faere la fiére à la
sortie de la grand màesse le dimenche !
Le basilic de Claunay 1
Nous aussi, on en avait, un, basilic, à Claunay, pas bien loin de chez moi. Ah ! Et c’était
pratique, moi je vous le dis, il était caché dans le puits, cet animal, dans le puits qui est sur la place
du village, en plein milieu! Ah ! Oui, c'était pratique pour venir chercher de l’eau. Si jamais on
avait le malheur de se pencher un peu trop, l’autre, lui, il vous lançait son regard qui tue et hop !
Vous étiez attrapé ! Il en avait pris déjà plus d’un : soit des maladroits soit des têtes en l’air ou bien
d'autres qui avaient voulu faire les malins en essayant de voir cette bête infernale.
Tout le monde en parlait bien sûr, on ne parlait quasiment plus que de ça, mais personne n'avait
de remède. Tous ces hommes, ils étaient toujours en train d’en causer ! Ça pour en causer, ils en
causaient ! Ils passaient des journées entières rien qu’à échafauder des stratagèmes pour venir à
bout de cette bête, stratagèmes qui étaient plus invraisemblables les uns que les autres. Ça
n'avançait pas à grand chose !
Et un jour, il y avait le sacristain, il faut dire que quand il en avait un coup dans le nez, il était
prêt à tout. Il s’est mis à dire que, lui, le basilic, il n’en avait pas peur. Même qu'il était capable de
lui cracher au nez pourvu qu’on lui donne une pièce! Bien sûr que les autres voulaient bien voir
une affaire pareille. On lui promit même une pièce d’or s'il le faisait !
Il ne fit ni une ni deux, il saute sur la margelle du puits, mais – il n’était pas tout à fait fou– en
faisant bien attention à ne pas regarder dans le fond de ce puits, il baisse son pantalon, et il pisse
1 D’après Marie-Hélène Coupaye, Contes et légendes entre Anjou et Poitou, Geste éditions, 2003, où
l’auteur s’inspire de Jean Pineau Contes merveilleux et histoires goguenardes du bocage et de la plaine,
Les presses d’Aubin. Ligugé. Très loin des personnages célèbres des grands légendes, la femme du
sacristain, par sa ruse, vient à bout de la Bête infernale grâce à un miroir. Pour cette version, dont M.-H.
Coupaye s’inspire, Jean Pineau ne cite aucune source (d’après une note de Marie-Hélène Coupaye).
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sur la gueule au basilic ! En voilà une aventure ! Il avait gagné sa pièce d’or et tout le monde lui
faisait la fête ! Oui, mais quand il revint tout faraud à la maison, eh bien dame là, ça a été une
autre histoire. Sa bonne femme, la Guillemette, ne lui a pas fait de compliments, moi, je vous le
dis ! Ah ! Bien non !
Mais c’est qu’elle y tenait à son homme. Une pièce d’or, la belle affaire, si jamais il lui était
arrivé malheur ! Les hommes c’est toujours pareil, ça n’a pas deux sous de jugeotte. Il fallait
qu’elle trouve une idée pour qu’il ne recommence plus, parce que, cet innocent, il était bien
capable de le refaire, un jour qu’il aurait bu plus qu’il ne fallait. Mais que pourrait-elle bien
inventer, que pourrait-elle bien inventer ? Elle ne pensait pu qu’à ça.
Et un jour, elle a trouvé. Elle est arrivée sur la place où tous ces hommes étaient en train de
bavasser, et elle leur a dit :
– « Eh bien, moi je sais comment il faut faire pour s’en débarrasser, de ce monstre ! Vous n’avez
qu’à venir dimanche sur cette place et vous verrez bien.
– Comment vas-tu faire ? Comment vas-tu faire ? demandaient-ils tous.
– Vous n’avez qu’à venir dimanche à la sortie de la messe. »
Elle a tourné cul sur pointe et elle est rentrée chez elle.
Eh bien dame, je peux vous dire qu’il en est venu des gens sur cette place, le dimanche d’après.
Oui, il y avait ceux qui sortaient de l’église et ceux qui sortaient du café, mais il y avait aussi ceux
qui ne venaient jamais à la messe mais qui étaient arrivés rien que pour voir et même ceux des
villages voisins qui en avaient entendu parler et qui ne voulaient pas rater l’occasion !
La Guillemette, elle est arrivée avec un paquet sous le bras, bien enveloppé dans des guenilles.
Quand elle l’a défait, c’était un miroir, oh ! pas bien grand. Un miroir qui sert à s’arranger le
matin. Elle l’a attrapé en mettant le côté miroir vers le fond du puits et elle a crié aussi fort qu’elle
a pu :
– « Dis donc toi qu’es au fond de ce puits, on dit que tu es laid comme la bête, fais nous donc
voir comment tu es fait ! »
Vous pensez bien que l’animal, quand il a entendu ce discours, est sorti de son trou pour voir qui
faisait tout ce raffut, il a vu quelque chose qui brillait au-dessus de sa tête, il a envoyé son regard
qui tue. Ça n’a pas fait de pli ! Il est venu taper dans ce miroir et ça lui est revenu sur la gueule !
Ça l’a tué raide, net !
Tous ces gens n’ont pas hésité eux non plus. Ils ont lancé toutes les pierres qui trainaient par là
dans ce puits, ils n’ont même pas démoli la margelle et ils ont tout bouché, au cas où cette bestiole
irait pointer à nouveau son museau, ce qui fait qu’au jour d’aujourd’hui si vous passez à Claunay,
vous ne verrez pas de puits au milieu de ce village, même en y regardant de près.
Et la Guillemette, elle, vous ne savez pas ce qu’elle a fait ? Elle est allée chercher la
récompense qui avait été promise, un plein sac de pièces d’argent. Avec ça, elle s’est acheté une
petite maison à Loudun avec un bout de vigne attenant, ce qui fait que comme ça, ils ont pu faire
leur vin chez eux, et que, quand son homme buvait un coup de trop, il buvait à la maison. Et ainsi
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elle pouvait surveiller ce qu’il faisait.
Et il est même resté assez d’argent pour s’acheter de belles robes pour aller faire la fière à la
sortie de la grand messe le dimanche !
La mantriblle
La mantriblle, ol ét in petit animàu étranjhe, in animàu queme qui dirét in bitard quoe. Ol ét…
Tén, pr ve z-ou esplliquàe, al at in charcoe queme in éçhurou mé grous queme in chén. Al at ine
tàete de jhene felle mé ine béle felle avéc daus ells vraes beas qui berlutant den le noer. A guigne lés
mundes qui passant au soer su sun chemin é pi a lés argarde si fort avéc qualés ells télement beas
que le pevant pu argardàe àutrpart. Voé, la mantriblle, al at vivu su lés bords d’ine petite vede (Ché
nous àutres, dés rivéres, o y en at pa de grousses, o y en at rén que daus petites, dés vedes que le
disant). Dun, ine toute petite rivére qui court au lung de Loudun, le Martiel qu’a s’apéle quale vede.
A vit lae, la mantriblle, pi a plunjhe queme ine loutre, a débornijhe, a viroune, o vircouéte, a fét mile
tours,…enfin bun, durant la nuit, la nuit, bén sur, pasque y at rén que lae qu’un la rencuntre.
Bén voé, dén la jhornàie, a se canijhe dén in creùs, lae, pa bén loen, dau coutai de pr Nirai. La
mantriblle, al aeme bén faere daus atrapes a qualés lae qui bourbitant ine foes la nuit tunbàie. Alore,
a se cale pr en sou du petit punt de piares en bas de la rue du Sanitat é pi al atend. A guigne touts
qualés traenassous, touts qualés arsoulles, pi lae ! Aaaaaa ! Qualés lae qu’avant bu in petit cop de
trop, qu’avant abusai de quou bun vin d’Anjhou, én ! a dame, a lés atend, voé, pi a lleù fét tout pllén
de chétis tours. Yéle, o l’amuse, quoe ! A quemence pr lés atiràe avéc sés grands ells. Alore lés
oumes, ve z-ou savéz bén, le voyant que qualés ells. Le la sivant a dréte, a gàuche, le la sivant
prtout é pi yéle, ine foes qu’a lés at bén pardus, a lleù saute su le chagnun dau cou ou bén su le
cimeréte de la tàete, a lleù cralle dén lés ourelles. L’étant tout ébaubais, le savant pu ce que le
fasant, le pardant le nord é pi le rechtant. Le tunbant, le roulant den le foussai, den lés orties é pi
dame, lae ol ét bén rare si a lés fét pa marchàe su l’erbe a la détourne. A ! Més buns amis, si jhamae
o vous arivét ine afaere queme quale lae lae, ve savéz, ol ét sement pa rén. V’étéz pardu, ve savéz
pu iou que v’étéz !
Le nord, le sud, ve requeùnésséz maeme pu le chemin que v’avéz pris jhe sé pa cunbén de foes
pr ves en retornàe ché vousàutres. Durant toute la nuit jhusqu’au petit matin, ve tornéz, ve viréz sen
jamae retrovàe voutre routin. L’arbe a la détourne, bén ol ét pa rén. Pi yéle, la mantriblle, bén, o la
fét rire, o l’amuse sultout quant que l’arsoulle arive ché li, avéc la secouàie qui l’atend ! Bén voé
pasque la boune fame, yéle, al at atendu toute la nuit durant é pi al ét en pétrasse, moe jhe ve z-ou
di, ce qui fét que, é bén, le bounoume, l’en prend yine sapràie secouàie, é pi ine béle ! Pi, yéle, o
l’amuse, o la fét rire ! Bén Dame, un s’amuse bén queme un pet !
Quou soer lae, la mantriblle étét lae, aus aguéts queme de coutume. Y avét yut fàete toute la
sénte jhornàie alore a se doutét bén qu’y en arét çheùquesins qu’aliant rentràe pi pa den in bél état.
Tén, le prmàe a se présentae, ol at étai le Jhilbért. Al étét bén acoutumàie de le voer, le Jhilbért.
Ooooo ! Le Jhilbért ! Queme arsoulle, y avét pa meù, moe, jhe vous z-ou di. A ! Le l’aimét quale
sapràie boutélle. Mé quou soer lae, jhe sé pa si ol ét que l’avét bu du noa, ve savéz bén, quou vin
qui fét foléyàe, mé trjhou bén, quou soer, l’étét rognous le Jhilbért ! Voé ! A dés foes, le vin fasét
que l’étét de la boune afaere, mé lae, l’étét remuntai. Le se disét que le pevét bén rentràe ché li
quant que l’ou velét, que sa boune fame avét rén a y dire, qu’ol avét durai tant qu’assé de faere tout
ce qu’a vlét, qu’a n’étét pa sun comandant ! E pi se faere rouspétàe de maeme durant tout le
rechtant de la jhornàie pasque l’étét rentrai a pa d’eure. O sufisét… A ! Num de dla, l’étét remuntai,
le Jhilbért, voé. L’alét y teni la drajhàie hàute, voé, a sa bounefame. Voé, pr ine foes, ol alét
chanjhàe. Ol tét pa yéle qu’alét maniàe quou manche a balai.
- 20 -
Mé quant que l’at arive au petit punt de piares, lae, a la sortence de Loudun, en bas de la rue du
Sanitat, bén, la mantriblle, a s’at muntrai. Mé dame, ol ét yéle qu’at pri la prmiére bordàie de sotises
qui y ét sortie de la goule, au Jhilbért ! A pi, le y en at dit, a pi le l’at traetai de touts lés nums ! A
saprai Num de dzi ! Que l’avét sement assé du comandement de toutes qualés fames é pi que ol alét
bén chanjhae, o sufisét. Ce qui fét que, la mantriblle, a ne savét pu quoé dire, o t’y at coupai le sét é
le uit. Mé ol at pa durai bén luntenp, ol alét pa se passàe de maeme. A bén nun alore, al alét pa …
Atend voer, in petit… Pasque la mantriblle a pevét rigolàe, mé a pevét aussit étre tout pllén chétie.
Quant qu’ol alét pa queme a velét, a daus foes, a lleù sautét su l’échine pi a te lés gnaquét au cou pi
a te lés segnét a mort !
Bén le Jhilbért ! Bén… A ! Bén mé, al alét quant maeme pa y faere in cop parell, au Jhilbert,
l’étét yine de sés pratiques atitràies. A bén alore quant maeme !
– Atend voer qu’a y dit, t’as fini, lae, asteùre ? Aléz, a moe de causàe ! Te sés ce que jhe peràe te
faere, alore boujhe pa de lae é pi acoute bén qui qu’i va te dire. Jhe va te pousàe troes quésciuns si
t’y répunds te seras quite, sinun gare a toe !
Le Jhilbért l’at cunpris que la mantriblle, a sotinét pa quale foes lae. O t’y at ressacai lés idàies
en pllace, au Jhilbért moe, jhe te le di !
Prmére quésciun qu’a y at ésplliquàie, la mantriblle :
– Le quenét a la vielle Cllémence, le s’at rendu den le jhardin au pére Nicolas. Le pund in eù pi
le s’en retourne ché li. A çhi qui l’ét qual eù ? A la Cllémence ou bén au Nicolas ?
Quale afaere lae, le l’avét déjha vu dire mé l’ét télement bén avinotai que l’en ét tout
enbrlificotai.
– Répéte-zou, que l’at demandai Jhibért
é la mantriblle, al o z’at redit ;
– Le quenét a la vielle Cllémence, le s’at rendu den le jhardin au pére Nicolas. Le pund in eù pi
le s’en retourne ché li. A çhi qui l’ét qual eù ? A la Cllémence ou bén au Nicolas ?
– Tu pes, vantié bén, m’ou redire core ine foes ?
– Nun, mé, te vas répundre, crai fi de bougre !
– Atend voer, que le dit le Jhilbért, qui quemencét a dégoulinàe de sueùr télement que l’avét pou.
In quenét que tu dis, in quenét, t’as bén dit in quenét ?
– Voé, in quenét !
– Bén, ol aurét étai ine quene, al aurét pu pundre in eù, mé in quenét, o y at pa d’eù !
– Ol tét aesai. Un vat voer si t’és si fin que çheù pr la deùsiaeme :
Quant que jhe me mét en pétrasse, jhe prévén pa, jh’ae pa de bras, pa de jhanbes mé jhe souléve
- 21 -
tout. Çhi que jhe sé ? »
O bén lae, o devént cunpllicai. Qui qu’o pevét bén étre ? Qui ? « Quant que jhe me mét en
pétrasse, jhe prévén pa », o perét bén étre ma bounefame, a dés foes, a se mét en pétrasse, pi a dés
foes, jhe sé trjou bén pa prquoe. Mé pa de bras, pa de jhanbe, o marche pa é pi « jhe souléve tout, o
pet pa étre ma bounefame »
Qui qu’o pet bén étre ? A quou moument lae, ol at in petit cop de vent qui y fét volàe lés
cheveùs. O y doune ine idàie :
Ine sorcére ?
– A, t’és trjhou bén rusai. T’o z-as trovai. Fé dun pa tun fin finàud, o y at core yine de quésciun.
Acoute bén pasque jhe t’ou redirae pa trente sis foes !
In oume at 17 oualles, le veùt lés partajhàe entr sés troe draules.
Au prmàe, le veùt en dounàe la moetai.
Au segund, le veùt en dounàe in tier.
Au deràe, le veùt en dounàe le neùviéme.
Quement le pet o faere ?
Bén ça més bounes jhents o le dépasse, le ga Jhilbért. L’at bu pu que de résun, pi la nuit ét
avançàie. Le vat pa en veni a bout tout seùl. Alore le dit :
– La répunse, jh’ae trjhou bén toute la nuit pr la trovàe ? Jhe pe bén réflléchi in petit. Jhe fé in
tour, pi jhe revén.
– Sur, t’o pes, mé pa apràe la piquéte-dau-jhour, t’o sés, trjhou bén !
– Jh’ou sé. Jhe revén !
L’alét pa s’en tiràe quale foes lae. Tout d’in cop, l’at entendu ine aùtre pochetrun qui décendét la
rue du Sanitat. La mantriblle s’at précipitai, li l’en at profitai, le s’at ensauvai. Mé le savét bén qu’ol
étét que partie remise, que la mantriblle a le tauperét bén in àutre cop. Tout le lun du chemin le
cherchét la soluciun, mé le trouvét rén. Quant que l’arive ché li, bén sa bounefame at quemençai a y
faere dés remuntrances, mé li le sunjhét den sen afaere. Sa borjhoese at bén vu qu’o y avét queùque
chouse qu’alét pa. Le y at tout racuntai pi le y a dit que si le pouvét pa répundre avant le matin, la
mantriblle le saegnerét la prchaene foes que le la verét.
– Moe jhe l’ae ta soluciun, t’és bén qu’in pauve inocent ! In insunifiant, ol ét bén sur ! Jhe sé
d’assent pr t’ou dire, mé fàut que te me jhures de pu jhamae reveni au soer pllén queme ine barique,
fin arsoullai, avinotai queme pa prmi ! Jhamae ! T’ou z’entends bén ? Jhamae ! Bun, jhe va te la
dounàe !
Quoe dire ? L’ou z-at jhurai.
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Yéle, a y at espllicai :
Pr quemençàe l’en enprénte yine a sun voesin. Ol ét le pu inportant, t’ou z-oubllies pa trjhou !
17+1, o fét 18 oualles
Apràe, o vat tout seùl, o y at pu qu’a faere lés partajhes.
au 1ae, le doune18 : 2 = 9 oualles.
au 2e, le doune 18 : 3 = 6 oualles.
au 3e, le doune 18 : 9 = 2 oualles.
9 + 6 + 2 = 17 L’en rechte yine que le redoune a sun voesin !
T’ou z-as bén cunpri ? Répéte z-ou.
L’ou z’at répétai é le vela parti é den sa tàete, l’ou répétét. « L’en enprénte yine a sun voesin… »
Fàut pa oubllàe trjhou !
Quant que l’arive, sen prendre in cop de respire, le y at dit, a la mantriblle, tout, sen se
cunfundre.
Al at étai bén rubricàie su in cop de maeme. Pi vu que le Jhilbért, l’at tenu sa proumésse, l’at pu
jhamae rentrai arsoullai, la mantriblle, al at jhamae pu y faere de chétis tours.
Après quale afaere la, al at pu jhamae pris le maeme pllési a enrousinàe le munde. A s’at senti
dominàie, télement, qu’al at parti, un ne sét seùlement pa iou.
La mantrible, c’est un petit animal étrange, un animal comme un bitard, quoi. C’est… Tiens,
pour vous l’explique, elle a un corps comme un écureuil, mais gros comme un chien. Elle a une tête
de jeune fille avec de très beaux yeux qui brillent dans le noir. Elle guette les gens qui passent sur
son chemin et elle les regarde si intensément avec ces yeux si beaux qu’ils ne peuvent plus regarder
ailleurs. Oui, la mantrible, elle a vécu sur les bords d’un ruisseau (chez nous, des cours d’eau, il
n’y en a pas de gros, il n’y en a que des petits, des ruisseaux, des « vedes », comme on dit). Donc,
une toute petite rivière qui court le long de Loudun, le Martiel, c’est son nom. Elle vit là, la
mantrible, et elle plonge comme une loutre, elle surgit, elle tourne, elle tournoie, elle fait mille
tours… Enfin bon, pendant la nuit, c’est la nuit bien sûr, puisqu’il n’y a que là qu’on la rencontre.
Eh bien oui, dans la journée, elle se cache dans un trou, là, pas bien loin, du côté des vers Nirai.
La mantrible, elle aime bien faire des farces à ceux qui trainent la nuit tombée. Alors elle se cache
sous le petit pont de pierres en bas de la rue du Sanitat et elle attend. Elle guette tous ces trainards,
tous ces ivrognes, et là ! haaaaa ! Ceux qui ont un peu trop bu, qui ont abusé de ce bon vin
d’Anjou, hein ! Ah ça, elle les attend, oui, et elle leur joue quantité de mauvais tours. Elle, ça
l’amuse, quoi ! Elle commence par les attirer avec ses grands yeux. Alors les hommes, vous savez
bien, ils ne voient que ces yeux. Ils la suivent à droite, à gauche, ils la suivent partout et elle, une
fois qu’elle les a bien perdus, elle leur saute sur la nuque ou sur le haut de la tête, elle leur crie
dans les oreilles. Ils sont tout hébétés, ils ne savent plus ce qu’ils font, ils perdent le nord et le reste.
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Ils tombent, ils roulent, dans le fossé, dans les orties et là, ma foi, là c’est bien rare qu’elle ne les
fasse pas marcher sur l’herbe à la détourne. Ah ! Mes bons amis, si jamais il vous arrivait une
chose pareille, vous savez, ce n’est pas rien. Vous êtes perdu, vous ne savez pas où vous êtes.
Le nord, le sud, vous ne reconnaissez même plus le chemin que vous avez pris je ne sais combien
de fois pour revenir chez vous. Toute la nuit, jusqu’au petit matin, vous tournez, vous virez sans
jamais retrouver votre sentier. L’herbe à la détourne, eh bien ce n’est pas rien. Et elle, la mantrible,
bien, ça la fait rire, ça l’amuse surtout quand l’ivrogne rentre chez lui, avec le savon qui l’attend !
Eh bien oui, parce que la femme, elle, elle a attendu toute la nuit et elle est en colère, je vous le dis,
ce qui fait que le bonhomme, il en prend pour son grade, pour de vrai ! Et elle, ça l’amuse, ça la
fait rire ! Eh bien, on s’amuse comme on peut !
Ce soir là, la mantrible était là, aux aguets comme à l’habitude. Il y avait eu fête toute la
journée, alors elle se doutait bien que certains allaient rentrer, et pas dans un bel état. Tiens, le
premier à se présenter, ça a été Gilbert. Oh ooooo ! Gilbert ! Comme ivrogne, on ne faisait pas
mieux, moi je vous le dis. Ah ! Il l’aimait cette sacrée bouteille. Mais ce soir là, je ne sais pas s’il
avait bu du noah, vous savez bien, ce vin qui rend fou, mais toujours est-il que ce soir là il était de
mauvaise humeur ! Oui ! Parfois il avait le vin gai, mais là, il était remonté. Il se disait qu’il
pouvait bien rentrer chez lui quand il voulait, que sa femme n’avait rien à dire, qu’il avait fait ses
quatre volontés depuis assez longtemps, que ce n’était pas elle le commandant ! Et se faire
rouspéter ainsi tout le reste de la journée parce qu’il était rentré à pas d’heure. Ça suffisait… Ah !
Nom de dieu, il était remonté, Gilbert, oui. Il allait lui tenir la dragée haute, oui, à sa bonne femme.
Oui, pour une fois, ça allait changer. Ce n’était pas elle qui allait manier le manche à balai.
Mais quand il est arrivé au petit pont de pierres, là, à la sortie de Loudun, en bas de la rue du
Sanitat, eh bien, la mantrible, elle s’est montrée. Mais là, c’est elle qui a pris la première bordée de
sottises qui lui est sortie de la bouche, à Gilbert ! Ah ! et il lui en a dit, et il l’a traitée de tous les
noms ! ah sapristi de nom de dla ! Qu’il en avait assez du commandement de toutes ces femmes et
que ça allait changer, ça suffisait. Ce qui fait que la mantrible, elle ne savait plus quoi dire, ça lui a
coupé le sifflet. Mais ça n’a pas duré bien longtemps, ça n’allait pas se passer comme ça. Ah bien
non alors, elle n’allait pas… Attends voir, un peu… parce que la mantrible elle pouvait rire, mais
elle pouvait aussi être très mauvaise. Quand ça n’allait pas à sa guise, parfois, elle leur sautait sur
le dos et elle les mordait au cou et elle te les saignait à mort !
Eh bien Gilbert ! Eh bien… Ah ! elle n’allait quand même pas lui faire un coup pareil, à Gilbert,
c’était un de ses clients attitrés. Ah bien alors quand même !
– Attends voir, dit-elle, tu as fini, là, maintenant ? Allez, c’est à moi de parler ! Tu sais ce que je
pourrais te faire, alors ne bouge pas de là et écoute bien ce que je vais te dire. Je vais te poser trois
questions et si tu y réponds tu seras quitte, sinon, gare à toi !
Gilbert a compris que la mantrible, elle ne plaisantait pas, cette fois. Ça lui a remis les idées en
place, à Gilbert, moi je te le dis !
Première question qu’elle lui a posée, la mantrible :
– Le canard de la vieille Clémence s’est rendu dans le jardin du père Nicolas. Il pond un œuf et
il s’en retourne chez lui. A qui est cet œuf ? A Clémence ou à Nicolas ?
Cette question, il l’avait déjà entendu poser, mais il était tellement aviné qu’il en avait l’esprit
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tout embrouillé.
– Répète, a demandé Gilbert.
Et la mantrible a répété.
– Le canard de la vieille Clémence s’est rendu dans le jardin du père Nicolas. Il pond un œuf et
il s’en retourne chez lui. A qui est cet œuf ? A Clémence ou à Nicolas ?
– Tu peux, peut-être, me le redire encore une fois ?
– Non, mais tu vas répondre, sacré fils de bougre !
– Attends voir, dit Gilbert, qui commençait à ruisseler de sueur tellement il avait peur. Un
canard, tu dis, un canard, tu as bien dit un canard ?
– Oui, un canard !
– Bah, ç’aurait été une cane, elle aurait pu pondre un œuf, mais un canard, ça n’a pas d’œuf !
– C’était facile. On va voir si tu es aussi malin pour la deuxième : Quand je me mets en colère,
je ne préviens pas, je n’ai pas de bras, pas de jambes, mais je soulève tout. Qui suis-je ?
Oh là ça devient compliqué. Qui ça pouvait bien être ? Qui ? « Quand je me mets en colère, je
ne préviens pas », ça pourrait bien être ma bonne femme, parfois, elle se met en colère et je ne sais
pas toujours vraiment pourquoi. Mais pas de bras, pas de jambes, ça ne marche pas. Et puis « je
soulève tout, ça ne peut pas être ma bonne femme. »
Qui ça peut être ? A ce moment-là, il y a un petit coup de vent qui lui fait voler les cheveux. Ça
lui donne une idée : une sorcière (un tourbillon)?
– Ah, tu es vraiment rusé. Tu as trouvé. Ne fais donc pas ton malin, il y a encore une question.
Ecoute bien, parce que je ne te le redirai pas trente six fois !
Un homme a 17 moutons, il veut les partager entre ses trois enfants.
Au premier, il veut en donner la moitié.
Au second il veut en donner un tiers.
Au dernier, il veut donner le neuvième.
Comment peut-il faire ?
En bien ça, mes braves gens, ça le dépasse, Gilbert. Il a bu plus que de raison, et la nuit est bien
avancée. Il ne va pas pouvoir en venir à bout tout seul. Alors il dit :
– La réponse, j’ai bien toute la nuit pour la trouver ? Je peux réfléchir un peu. Je fais un tour, et
je reviens.
– Bien sûr, tu peux mais ne reviens pas après l’aube, tu le sais, au moins !
– Je le sais. Je reviens.
Cette fois, il ne s’en tirerait pas. Tout à coup, il a entendu un autre ivrogne qui descendait la rue
du Sanitat. La mantrible s’est précipitée, lui en a profité pour se sauver. Mais il savait bien que ce
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n’était que partie remise, que la mantrible l’attraperait bien une autre fois. Tout au long du chemin
il cherchait la solution, mais il ne trouvait rien. Quand il arrive chez lui, sa femme a commencé à
lui faire des remontrances, mais il songeait à son problème. Elle a bien vu que quelque chose
n’allait pas. Il lui a tout raconté et il lui a dit que s’il ne pouvait pas répondre avant le matin, la
mantrible le saignerait la prochaine fois qu’il la verrait.
– Moi je l’ai ta solution, tu n’es qu’un pauvre idiot ! Un insignifiant, c’est sûr ! Je veux bien te la
dire, mais il faut que tu me jures de ne plus jamais revenir, le soir, plein comme une barrique,
complètement ivre, aviné comme il n’est pas permis ! Jamais ! Tu entends bien ? Jamais ! Bon, je
vais te la donner !
Quoi dire ? Il l’a juré. Elle, elle lui a expliqué :
Pour commencer il en emprunte une à son voisin. C’est le plus important, tu ne l’oublies surtout
pas !
17+1, o fét 18 moutons.
Après, ça va tout seul, il n’y a plus qu’à faire la répartition.
Au premier, il donne 18 : 2=9 moutons.
Au 2e, il donne 18 : 3 = 6 moutons.
Au 3e, il donne 18 : 9=2 moutons.
9+6+2=17. Il en reste un qu’il redonne à son voisin !
Tu as bien compris ? Répète !
Il a tout répété et le voilà parti et dans sa tête, il répétait. « Il en emprunte une à son voisin… »
Il ne faut surtout pas l’oublier !
Quand il arrive, sans prendre le temps de souffler, il lui a tout dit, à la mantrible, sans se
tromper.
C’est ainsi qu’elle a bien été attrapée. Et comme Gilbert a tenu sa promesse, il n’est plus jamais
rentré ivre, et la mantrible n’a jamais pu lui jouer de mauvais tours.
Après cet épisode, elle n’a plus jamais trouvé le même plaisir à ennuyer les gens. Elle s’est
sentie dominée, tellement, qu’elle est partie, on ne sait où.
Marie-Hélène Coupaye (inédit) 2
Liliane Jagueneau (FORELL et Faculté des Lettres et des Langues, Université de Poitiers,
avec la collaboration de Marie-Hélène Coupaye, conteuse)
2 Marie-Hélène Coupaye recherche et met en récit les éléments de littérature orale présents dans le Loudunais, avec
l'association « Coutumes, contes et légendes. » Elle est l’auteur de Contes et Légendes entre Anjou et Poitou et d’un
autre recueil de contes d'inspiration plus personnelle (à paraitre).
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Animaux et sciences
Les Bestiaires au Moyen Âge
Les Bestiaires présentent les propriétés des animaux réels et légendaires ainsi que
l’enseignement spirituel que l’on peut en tirer. Ces ouvrages, souvent richement illustrés, ont pour
source principale un traité grec, intitulé Physiologus (le « naturaliste »), rédigé au IIe siècle à
Alexandrie. Il comporte aussi des chapitres sur les pierres précieuses et des plantes. Dès le
IVe siècle, il a été traduit en latin et a connu plusieurs versions. Les Bestiaires proprement dits,
traitant seulement les animaux, figurent parmi les livres les plus populaires au Moyen Âge. Les
adaptations en langue vulgaire apparaissent dès le début du XIIe siècle.
La clé du succès des Bestiaires est double. D’une part, ils racontent des fables amusantes sur la
nature des animaux, dont la description n’est jamais fondée sur l’observation de la réalité, même
dans le cas des animaux familiers. D’autre part, leurs qualités imaginaires, calquées sur le
comportement humain, donnent lieu à de nombreuses interprétations allégoriques, religieuses et
morales.
Par exemple, l’une des particularités du lion serait de mettre au monde un lionceau mort-né ; le
troisième jour, son père souffle sur lui, lui donnant ainsi la vie. Cette anecdote est présentée comme
l’allégorie de la résurrection du Christ. Le renard, qui attire ses victimes par la ruse, représente le
diable qui trompe les humains. La licorne, animal mythique, est censée aimer s’endormir sur les
genoux d’une jeune vierge ; c’est alors que les chasseurs peuvent l’attraper. Cette légende est mise
en parallèle avec l’Incarnation et le sacrifice du Christ. Ou encore, la peau de l’éléphant, une fois
brûlée, aurait le pouvoir de chasser les serpents. Cette propriété est l’allégorie des bons chrétiens
qu’aucune mauvaise pensée ne peut atteindre.
Au Moyen Âge, l’iconographie, la poésie, la prédication s’inspirent fréquemment de la matière
des Bestiaires. Les encyclopédies médiévales y puisent également une partie de leurs informations.
Edina Bozoky
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Classes et frontières
L’Environnement
Longtemps appelé « hirondelle de mer », le poisson volant vérifie cette idée, que les humanistes
lisaient au livre IX de l’Histoire naturelle de Pline, que chaque bête terrestre ou volatile trouve son
correspondant dans la mer, « les unes, pour la grande similitude qu’elles ont avec les bêtes
terrestres », précise le zoologue Pierre Belon (1553), « les autres pour ce qu’elles approchent
aucunement de la nature d’icelles ». Cette nomination par analogie trouve la caution de la Bible :
Adam, chargé de nommer les êtres vivants de la Création, n’a pas donné de nom aux poissons.
Mais le poisson volant ne fait pas qu’offrir une ressemblance morphologique ou
comportamentale commode avec l’oiseau : voilà qu’avec ses prétendues ailes, ce « cauchemar de la
nature », selon les termes de Bachelard, s’élève réellement en l’air et quitte le milieu aquatique.
Comme par surenchère Jean de Léry, qui raconte la traversée maritime qui l’a conduit en 1557
jusqu’à la baie de Rio de Janeiro, ne décrit pas les poissons volants sans évoquer immédiatement
après de curieux rapaces palmipèdes, auxquels il laisse la dénomination d’« oyseaux marins ».
L’expression, de toute évidence, est choisie pour faire pendant à celle de « poissons volants » : de
même que l’air est le milieu naturel de l’exocet, le milieu naturel de ces rapaces est l’eau.
Léry rend compte de la faune qu’il observe avec les habitudes scientifiques de son époque. A la
Renaissance, la classification aristotélicienne des animaux par genre et par espèce fait bon ménage
avec un autre type de classification, qui prend comme critère le milieu de vie. Ainsi la chauvesouris, comme la souris et d’autres quadrupèdes terrestres, a quatre membres, la peau couverte de
poils et une queue, et la femelle est pourvue de mamelles. Il faut cependant qu’elle participe des
volatiles, puisqu’elle est pourvue d’ailes et qu’elle se déplace et se nourrit dans les airs : elle mérite
alors d’être classée parmi les oiseaux.
Chauve-souris
Oeuvres / Jacques et Paul Contant... – Poitiers : Julian Thoreau & la veuve d'Antoine Mesnier, 1628 (Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien,
Méd. 3)
Ce jeu dans la classification des êtres (au sens où une pièce d’un système a du jeu) a été au
centre de débats religieux au XVIIe siècle. Les bernaches, petites oies noires que l’on prétendait
nées d’un coquillage, ou des feuilles d’un arbre au contact de l’eau de mer, ou encore de la
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pourriture du bois des navires, pouvaient se voir refuser le statut d’oiseaux, puisqu’elles ne
naissaient pas d’un œuf… Aussi les communautés religieuses soumises à la règle d’abstinence de
viande s’autorisaient-elles à en manger. Après que les découvertes des explorateurs à la fin du
XVIe siècle furent venues apporter un démenti aux légendes, on a continué en France à mettre en
avant l’environnement aquatique de la macreuse pour permettre aux chrétiens de la cuisiner les
jours dits maigres. On a poussé le raisonnement jusqu’à considérer que le castor cessait d’être un
quadrupède dans la partie de son corps qu’il s’ingénie à toujours laisser en milieu humide : il était
donc permis de manger de la queue de castor en Carême !
Les « âmes moyennes »
Chauve-souris, poisson volant et oiseau aquatique ne sont pas vraiment des êtres de cauchemar
pour l’homme de la Renaissance. Êtres mal classables, certes, mais surtout êtres intermédiaires, ils
sont pensés comme la preuve qu’il n’y a pas de rupture entre les règnes de la Création, une Création
continue et harmonieuse depuis l’inanimé jusqu’à l’ange. Une espèce animale aussi monstrueuse,
aussi chimérique, au sens propre du terme, que le paresseux, conduit A. Paré à célébrer la toutepuissance de Dieu, ainsi démontrée dans la prodigieuse diversité des êtres qui peuplent la Création.
La continuité de la Création est encore manifestée par des formes qui tiennent le milieu entre
deux des trois grandes classes d’êtres vivants, le règne végétal, le règne animal et les humains.
Le borametz
Emblemes sacrez sur le très-saint et très-adorable sacrement de l’Eucharistie / Augustin Chesneau. - Paris : Florentin Lambert, 1667 (collection particulière
C’est à nouveau Aristote qui est à l’origine de ce grand principe de classification des êtres selon
leur capacité à développer leur organisme, à se mouvoir et à produire de la pensée : soit trois sortes
d’êtres vivants, commandés par une âme végétative pour les végétaux, plus une âme sensitive pour
les animaux, plus une âme raisonnable pour les hommes. Mais ce cadre ne parvient pas à rendre
compte de façon satisfaisante d’un certain nombre d’êtres intermédiaires qui incarnent la notion
d’âme moyenne, et dont le modèle est l’huître. Si l’organisation de sa structure en fait bien un
animal, dans la mesure où, fixée à son rocher, l’huître ne se déplace pas, et dans la mesure où elle
est pratiquement insensible, dit Aristote, il faut la considérer comme un végétal. Philon le Juif
appelle un tel moyen terme entre règne végétal et règne animal un zoophyte ; Théodore de Gaza
décalque le terme grec en proposant le latin plantanimalium, que la Renaissance adoptera en
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français sous la forme « plant’animal ».
L’exemple le plus étonnant de ces plant’animaux est sans doute le borametz ou Agnus Scythicus,
que voyageurs et scientifiques décrivent comme un mouton relié par le nombril à une tige qui fait
de l’animal en même temps une fougère… Une tradition plus marginale, qui remonte au récit d’un
moine franciscain du début du XIVe siècle, frère Odoric de Pordenone, veut que l’agneau de Scythie
soit une combinaison de cucurbitacée et de mouton – un mouton-courgette, en quelque sorte…
Plant’animal, et non pas animal-plante : si l’on reconnaît un statut d’intermédiaires à de tels
êtres, c’est, dans une optique chrétienne, dans le sens d’un progrès, celui d’un mouvement
ascendant qui conduit de la matière à Dieu. De même il arrive, pense-t-on, que la matière engendre
le vivant, la pierre donne naissance au crapaud, la boue aux rats, le bois pourri aux bernaches… Le
concept de génération spontanée trouve là une cohérence, celle de la chaîne ininterrompue de la
Création.
Et si la nature peut être « lue » comme le livre que Dieu adresse aux illettrés pour y reconnaître
sa toute-puissance et son infinie bonté, les êtres les plus rares et les plus bizarres doivent être
considérés comme des hiéroglyphes, chargés d’encoder les mystères les plus élevés. Tel est le cadre
de pensée qui conduit le Père Chesneau, moine augustin du XVII e siècle, à faire du borametz un
symbole de l’Eucharistie, dans un étonnant emblème qui met le zoophyte au service de la théologie
catholique de l’eucharistie et des positions de la Contre-Réforme.
Pierre Martin
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La Magie naturelle de Giambattista Della Porta
La Magie naturelle de Giambattista Della Porta (1535-1615), publiée en 1558, s’inscrit dans une
phase importante de l’histoire de la science et de la culture en Europe. Les hommes de la
Renaissance ont été les auteurs et les spectateurs de nombreux progrès et bouleversements issus
d’un mélange savant entre retour aux sources antiques et approfondissement du savoir médiéval.
L’Italie, pays d’avant-garde, a su faire la synthèse de ces expériences. Cette grande évolution a
conduit les contemporains vers plus de science et de connaissance, vers une meilleure maîtrise de la
nature, vers plus d’amour de la beauté. Mais cette période n’est pas exempte de doutes, c’est un
« océan de contradictions » 1, entre mystère et clarté, crédulité et esprit critique. Ces contradictions
et ces avancées apparaissent dans l’œuvre de Della Porta.
L’auteur, par ailleurs, incarne l’idéal du savant et du courtisan au XVIe siècle. Ce Napolitain, issu
d’une ancienne famille, est un enfant autodidacte. Sa formation est riche, de la littérature à la
philosophie, des mathématiques aux sciences de la nature, sans oublier la danse et la musique. Cet
apprentissage humaniste a fait naître chez lui une curiosité sans limites. C’est ainsi qu’il publie en
1558 la première édition latine de son œuvre majeure, La Magie naturelle. Il n’a alors que vingttrois ans. Les phénomènes magiques qu’il étudie ne font pas appel au surnaturel ; ce sont des effets
de la nature dont les causes restent obscures. La Magie naturelle est une étude fondamentale dans la
vie de Della Porta, un catalyseur de toute sa curiosité intellectuelle et scientifique. Son jeune âge
laisse supposer que cette œuvre est le fruit de ses lectures plus que de son expérience. Mais ses
voyages et son intense activité lui permettent d’écrire ensuite La Magie naturelle en vingt livres
(1589) qui constitue une seconde édition très largement étoffée.
La Magie naturelle se présente comme un manuel de recettes transmettant au mage une science
capable de reproduire les merveilles de la nature afin de susciter l’émerveillement. Cette œuvre est
en harmonie avec son époque car c’est avant tout une œuvre européenne de par son rôle dans le
débat scientifique mais aussi de par sa réception. Cette œuvre, d’abord écrite en latin puis traduite
en italien, en français, en hollandais et en allemand, a eu un écho considérable en Europe. Le latin
n’est donc plus la langue exclusive du savoir. D’autre part les références aux auteurs antiques sont
permanentes, notamment dans le premier livre qui étudie les fondements théoriques de la magie
naturelle. Les trois autres livres abordent des thèmes divers. L’auteur étudie aussi bien les plantes
que les animaux et leurs rapports avec les hommes. Il explique que les animaux ont des propriétés
mystérieuses ; ils font donc partie du paysage magique du XVIe siècle.
Du loup au monstre
La Magie naturelle de Della Porta offre au mage la possibilité de comprendre les merveilles que
produit la nature. Parmi ces merveilles, les animaux ont un rôle important. Ils ont des vertus dont les
origines peuvent être parfois obscures mais ce sont ces propriétés qui régissent les relations qui
existent entre les animaux, leur environnement et les hommes. Ainsi, la thématique des affinités ou
sympathies et des aversions ou antipathies naturelles est reprise par l’auteur. Ce sont des liens dits
d’amitié ou de haine : les brebis craignent les loups, tout comme les hommes d’ailleurs. En effet le
regard du loup est dommageable à l’homme. L’auteur reprend les idées de Platon selon lesquelles
« en Italie, on croit que la vue des loups est maléfique. S’ils regardent un homme avant d’être vus,
celui-ci perd momentanément sa voix » (République, 336d). Le loup est privatif, la peur qu’il
1 Jean Delumeau, La civilisation de la Renaissance, Paris, Arthaud, 1984.
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provoque nuit à l’homme qui, privé de voix, apparaît comme sa victime. Le regard est important, il
conditionne les rapports, il concentre les vertus de l’animal provoquant ainsi engourdissement et
aphonie. Della Porta écrit qu’il existe « plusieurs animaux qui opèrent selon leurs parties » (Livre I,
chap. 13). Pour le loup, ce sont ses yeux qui sont à craindre car ce sont eux qui opèrent. Autrement
dit, il a le mauvais œil.
De son vivant, les yeux du loup concentrent les vertus de l’animal. Mais l’auteur explique
également que, même après la mort de l’animal, sa dépouille garde ses propriétés. Le loup, même
mort, est effrayant. Ainsi, une peau d’agneau placée face à une peau de loup perdra ses poils. Le
maintien de cette vitalité dans le corps mort du loup est essentiel pour le mage qui peut alors utiliser
ces propriétés. Par exemple « celui qui portera avec luy l’œil d’un loup [...] ne sera veu à regret »
(Livre I, chap. 14). Le mage n’est donc pas seulement un observateur des merveilles de la nature, il
cherche à les reproduire, à en user.
Le mage peut devenir à son tour un créateur de merveilles. Della Porta explique par exemple
comment créer des monstres. Le monstre est un « animal meslé de plusieurs especes », c’est un être
hybride (Livre 2, chap. 24). Sa conception du monstre est issue de l’imaginaire et de la mythologie
gréco-latine. Ainsi, comme le montre Aristote, la bête appelée Crocura est mi-loup mi-chien. Ce
chapitre sur la création des monstres rapproche Della Porta de la magie noire, bien loin de la magie
naturelle dite aussi magie blanche ou « suprême science ».
Dans La Magie naturelle, le loup est un animal terrifiant aussi bien vivant que mort. Cependant il
n’est pas l’image de la voracité, de la cruauté, de la luxure ou au contraire de la bravoure et de la
ruse. Il n’est pas non plus le symbole du Mal, du péché ou du pécheur. Della Porta se distingue de
cette manière des écrits anciens en ayant un regard plus scientifique sur les merveilles de la nature
sans pour autant désenchanter le monde qui l’entoure.
Laurine Poinot
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La Physiognomonie zoomorphique :
l'animal passerelle entre l'homme intérieur et l'homme
extérieur
La physiognomonie est une méthode qui prétend reconnaître les sentiments et les émotions d'un
homme ou d'une femme par l'observation de son apparence physique et des traits de son visage.
Au XVIe siècle, elle s'inspirait d'une double tradition, venue du Moyen Âge arabe et de
l'Antiquité classique. Le legs médiéval arabe privilégiait une approche divinatoire censée
reconnaître la destinée des gens à partir des marques que laisseraient les astres sur le front
(métoposcopie). L'héritage antique s'intéressait pour sa part davantage à l'analogie animale. Un
traité intitulé Physiognomonica, attribué à Aristote et traduit en latin au XIIIe siècle, développait
l'idée que le rapprochement du visage d'un être humain avec une figure du monde animal permettait
de lire son âme. Cette conviction se fondait sur ce qu'on pourrait appeler le « syllogisme
physiognomonique ». Par exemple, le bœuf est, dans l'imaginaire collectif, un animal paresseux, qui
a de grands yeux et un nez épais. Tout individu pourvu d'un nez épais et de grands yeux, faisant
penser à un bœuf, sera donc, lui aussi, forcément paresseux.
Comparaison avec le chameau chez Lebrun
L'art de connaître les hommes par la physionomie / Gaspard Lavater.- Nouv. éd.- Paris : Depélafol, 1820 (Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien,
Jm 46-9)
Dans l'Historia de Animales y Phisiognomonia (1591) du médecin espagnol Luis Fernandez,
l'étude zoologique précède le traité de physiognomonie proprement dite pour mieux mettre en
évidence les marques de tempérament que « l'animal porte dans son corps à l'état brut, non corrigé
par la raison ». Les ressemblances physiques entre un homme et tel membre du bestiaire révèlent
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ensuite des tendances qui domineraient cette personne pour peu qu'elle s'abandonnât à ses instincts.
L'influence de cette « physiognomonie naturelle » se retrouve aussi et surtout dans l'oeuvre de
Giovanni Battista Della Porta, dont la physiognomonie humaine (De humana physiognomonia,
1586) revendique toujours l'intérêt de l'analogie zoomorphique : « n'est-il pas vrai que l'homme [...]
rassemble et résume les complexions et caractères des différentes espèces animales, qu'il est le
condensé de toute la création ». Tout en s'éloignant de la tradition astrologique issue du Moyen Âge
arabe, Della Porta reste fidèle à une perception du corps gouverné par les analogies et les
sympathies, elles-mêmes déterminées par une codification plutôt conventionnelle des tempéraments
animaux (le lion « hardi », le lièvre craintif, le corbeau austère, la tourterelle pieuse, le chien avare,
etc.). Le corps, quoique affranchi des étoiles, est ainsi toujours soumis à l'univers naturel, intégré
dans un système de signes où le visible renvoie à l'invisible, l'homme extérieur à l'homme intérieur,
par la similitude animale.
Le traité de Della Porta, maintes fois réédité et traduit dans toute l'Europe, connut un immense
succès et ses illustrations ont souvent été reproduites. Cette physiognomonie zoologique fut remise
au goût du jour à la fin du XVII e siècle par le peintre Charles Lebrun. Ce dernier reprend la théorie
analogique en y intégrant une méthode de démonstration géométrique supposée traduire le degré de
courage, de timidité, d'intelligence ou de bêtise de l'animal en question, et donc de l'être humain qui
s'en rapproche par la forme de son visage (Conférence sur la physiognomonie, 1671).
Sébastien Jahan
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Un Animal lointain, le tatou
La connaissance du tatou est liée à l'histoire de la constitution d'un savoir scientifique à l'époque
moderne. En effet, il est découvert au moment-même où la zoologie se structure. C'est son aspect
qui sert aux explorateurs du début du XVIe siècle pour le nommer : la découverte du Nouveau
Monde fait naître à partir des années 1520 un mouvement de description zoologique inédit ;
confrontés à des animaux qui échappent à la taxinomie des Anciens, les découvreurs, à l'image de
G. Fernandez de Oviedo, enrichissent les connaissances par l'observation et font appel à des
analogies avec les choses connues pour décrire les nouvelles espèces. Le tatou apparaît comme « un
cheval en armure » et, pour le désigner, le naturaliste espagnol utilise l'expression vague
« d'animaux cachés » (ou à couvert) qui fait référence à sa tendance à se dissimuler sous sa carapace
en cas de danger.
Le tatou du cabinet de curiosités de Paul Contant
Les oeuvres / Jacques et Paul Contant – Poitiers : Julian Thoreau & la veuve d'Antoine Mesnier, 1628 (Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien,
Méd. 3)
Pourtant sa dénomination n'est pas fixée et encubertado, tatou, armadillo, kirkinchu, aiatotchli sont
utilisés en 1635 par Nieremberg qui ne fait que reprendre les dires de ses contemporains. Le
naturaliste n'est pas nécessairement, à l'époque, celui qui observe mais celui qui rapporte,
mélangeant parfois réalité et « superstition », comme le dénoncera Cuvier. La limite entre sciences
et magie n'est pas imperméable et Jean-Baptiste du Tertre, en 1667, raconte que le tatou possède des
vertus curatives contre la vérole et la surdité.
Au sein des traités scientifiques des XVIe et XVIIe siècles, les animaux existant et ceux relevant
du mythe ne sont pas distingués puisque les sources principales utilisées étaient les écrivains de
l'Antiquité. L'évocation de l'animal suffit même à lui donner à l'époque une certaine réalité. Le
statut du tatou n'est pas encore clair, il est un animal bien plus lointain que la licorne et donc peutêtre bien moins réel pour les hommes de la Renaissance ; mal connu, il est décrit à part des animaux
familiers dans les livres de zoologie.
Une fois l'observation des comportements animaux réalisée de manière précise, l'imaginaire peut
s'en emparer : Nieremberg raconte que le tatou laisse les fourmis monter sur sa queue immobile
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avant de la glisser dans sa gueule pour les dévorer ; le Père Chesneau utilise ces remarques pour
constituer l'emblème eucharistique « l’ennemy l'avale au moment qu'elle recherche le froment »,
dans lequel le tatou devient la figure du diable qui s'en prend aux âmes fragiles.
L'exemple du tatou permet de suivre le cheminement d'une science en constitution à l'époque
moderne ; peu à peu la zoologie glisse du savoir livresque à l'observation du réel mais l'imaginaire y
joue encore un rôle important.
Benoît Traineau
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Jonas a-t-il vraiment été avalé par une baleine ?
Dans l'Ancien Testament, Jonas est ce prophète récalcitrant qui, refusant d'aller convertir la ville
de Ninive, embarque sur un bateau pour fuir le commandement divin ; une tempête se déchaîne
alors : pour calmer les éléments, les marins passent le petit prophète par dessus bord ; il est avalé
par une grosse bête marine, qui le recrache indemne trois jours plus tard, après qu'il s'est converti
dans le ventre-même de l'animal.
À la lecture du livre de Jonas, deux questions se posent : cette histoire a-t-elle effectivement eu
lieu ? Si, aujourd’hui, on répond sans hésiter par la négative, il en allait tout autrement jusqu’au
cœur de l’époque moderne. L’autre question porte sur l’identité même de la bête qui engloutit : d’un
animal indistinct, elle devient peu à peu une baleine au cours du Moyen Âge.
La Bible mentionne l'animal qui avale Jonas dans deux textes différents, l’Évangile de Matthieu
et le livre de Jonas. La Vulgate, qui est une traduction de la Septante réalisée par saint Jérôme, était
le texte de la Bible utilisé pendant presque tout le Moyen Âge. Dans cette version du texte biblique,
le livre de Jonas dit piscis grandis, le grand poisson, tandis que l’Évangile selon saint Matthieu
utilise cetus, qui peut être traduit par gros poisson de mer ou monstre marin. Le terme latin de
balena, baleine, n'apparaît pas. Il en est de même dans presque tous les textes religieux,
commentaires ou sermons, de l'Antiquité et de l'époque médiévale.
Jonas dans une Bible du XVIIe siècle
Biblia sacra cum glossa ordinaria… Tomas quartus. – Douai : Balthazar Bellère, 1617 (Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien, Folio 805-4)
Dans les écrits de saint Augustin ou d’Isidore de Séville, on devine que, déjà dans l’Antiquité,
certains avaient fait le rapprochement entre l’animal baleine et la bête qui avale Jonas. Saint
Augustin, dans une de ses lettres, rappelle au sujet du séjour de Jonas dans le cetus la présence du
squelette d’une baleine sur la côte, faisant implicitement du cetus et de la baleine une seule et même
figure1. Isidore de Séville2, tout comme Raban Maur qui lui emprunte beaucoup, dit que les
ballenae sont appelées cete à cause de leur grande taille. Il n’utilise que pour cet animal le terme
cetus, au sujet duquel il rappelle les aventures de Jonas. Ainsi, dans un même passage, sont
Augustin (saint), Epistulae, Library of latin Texts LLT-A, Cl. 0262, epist. 102, vol. 34.2, par. 31, p. 571,
l. 7-10.
2 Isidore de Séville, Etymologiarum sive Originum libri XX, LLT-A, Cl. 1186, liv. 12, ch. 6, par. 8.
1
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rapprochés la ballena et Jonas.
A partir du XIe siècle, les textes profanes en langue vernaculaire, comme les bestiaires, les
chansons de geste ou les poèmes, utilisent parfois le terme de baleine, en français, de whale, en
anglais ou de Wal, en allemand, pour nommer la bête qui avale et recrache Jonas. On lit par exemple
dans le Livre dou Tresor, que Brunetto Latini a été rédigé entre 1262 et 1266 : « Ce est li peissons
qui recut Jonam le prophete dedans son ventre selonc ce que l’estoire dou Viel Testament nos
raconte, qu’il cuidoit estre alez en Enfer por la grandor dou leu où il estoit 3. » Il désigne clairement
le monstre qui avale Jonas comme une baleine.
L'usage se répand peu à peu dans les derniers siècles du Moyen Âge de désigner la bête qui avale
Jonas comme une baleine.
Une baleine dans l’Apparatus biblicus de Bernard Lamy
Introduction à l'écriture Sainte / Bernard Lamy. - Lyon : Jean Certe, 1699 (Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien, M 7580)
Dans l’art paléochrétien, l’attribut principal de Jonas est la plante sous laquelle il se réfugie après
avoir converti Ninive, tandis que la bête qui avale Jonas ressemble bien souvent à un gros serpent à
tête de loup. La situation change au Moyen Âge où la baleine prend peu à peu la première place
dans l'iconographie.
Quel que soit le support de la représentation, vitraux, manuscrits, pierre ou bois, les images
médiévales du petit prophète montrent un animal bien souvent inquiétant. Si le corps, quand il est
représenté, a en général des caractéristiques de poissons (ouïes, queue bifide, nageoires ou écailles),
la tête revêt des particularités effrayantes, qui l'apparentent plutôt à un animal terrestre, d'aspect
repoussant : poils, museau, dents proéminentes le rendent terrifiants.
Peut-on penser que l’animal ne ressemble pas à une baleine, parce que, avant la fin du Moyen
Âge, la plupart des gens ne considèrent pas que la bête qui avale Jonas en est une ? C’est une
explication valable pour certaines images, mais qui n’est pas suffisante dans bien des cas. En
représentant un être hybride, aux caractéristiques d’animal terrestre comme aquatique, les artistes
médiévaux cherchaient-ils à figurer un monstre, une des caractéristiques de ce dernier étant
justement sa dualité ? Ou ce type de représentations ne fait-il que traduire leur manque de
connaissance de la baleine ? Certes, elle évoluait loin des côtes ; mais elle venait parfois s’échouer
et elle aurait pu être reproduite à partir des restes trouvés sur les plages : des représentations fidèles
à la réalité d’animaux méconnus, vivant dans des contrées lointaines, circulaient. De plus, elle était
3 Brunetto Latini, Li livres dou tresor, éd. P. Chabaille, Paris, Imprimerie impériale, 1863 (Documents inédits
sur l’Histoire de France, 1re série, Histoire littéraire), p. 186.
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pêchée et faisait partie du quotidien de nombreuses personnes au Moyen Âge ; si le corps entier
restait mal connu, son corps dépecé pouvait servir à bien des emplois différents. Il faut de plus
souligner que la peur de la mer était largement répandue au Moyen Âge et qu’il était admis qu’elle
abritait des monstres redoutables ; il est donc possible que les artistes aient laissé libre cours à leur
imagination pour exprimer la peur que la mer leur inspirait. En insistant sur les détails effrayants, ils
donnaient également à la représentation de l’animal un sens particulier : il est l'image de la mort, de
l'Enfer ou plutôt des Limbes, un lieu, dont, contrairement à l’Enfer, on sort indemne. Faire de la
baleine un être repoussant ou même terrifiant rend le Salut de Jonas après son séjour dans la baleine
encore plus remarquable : la baleine entretient ainsi la foi en la résurrection du Christ, dont Jonas
est, par son séjour dans le monstre marin, une préfigure dans une perspective typologique (selon
laquelle le Nouveau testament est annoncé par l'Ancien). Elle traduit également une fascination
pour le merveilleux, qui, au Moyen Âge, est ce qui échappe à la compréhension, suscite
l'étonnement, mais qui existe réellement, rien n'étant impossible à Dieu : en effet, nul ne mettait en
doute que Jonas avait réellement été avalé par la baleine et en était sorti indemne.
À la fin du Moyen Âge, quand les hommes découvrent que l’observation de la nature permet
d’atteindre et de connaître le vrai, Jonas apparaît parfois accompagné d’une bête qui a la forme et
l’évent des baleines ; le terme de baleine s’est alors répandu pour parler de la bête qui avale Jonas.
Mais l’animal resemble le plus souvent bien peu à une baleine : la science reste durant la première
partie du XVIe siècle très marquée par les savoirs de l’Antiquité : les connaissances sur la baleine
viennent alors plus de la lecture des Anciens que de l’observation. De plus, le goût pour le
merveilleux et la pensée analogique et symbolique sont encore très prononcés et la peur de l'élément
marin est loin d'avoir disparu.
Anne-Sophie Traineau-Durozoy
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Animaux et identité
L’arène emblématique
Luttes et diffamations d’animaux emblématiques en Europe à
la fin du Moyen Age
Aux côtés des armoiries, principal outil de représentation emblématique depuis la fin du
XIIe siècle, les derniers siècles du Moyen Âge voient se développer un nouveau type d’emblèmes :
les devises. Ces signes, principalement employés par les princes et les membres de leurs cours à
partir des années 1350, se libèrent des contraintes formelles et structurelles du blason et permettent
à leurs utilisateurs d’adopter un signe personnel, figuré selon les nouveaux canons de la mode et
chargé à la fois de sens emblématique – ils associent un signe à une personne – et symbolique – ils
joignent une figure à une idée. Ces devises, destinées à représenter leur titulaire, y compris par
abstraction, peuvent encore être largement partagées dans le cadre occasionnel d’une fête de cour ou
d’un tournoi, dans celui plus fonctionnel de l’hôtel ou du parti politique, ou plus solennel et sélect
de l’ordre de chevalerie.
Ces emblèmes retenus par les princes de la fin du Moyen Âge puisent dans une multitude de
registres figuratifs et symboliques : plantes, outils, armes, histoire sainte, bestiaires, croyances
populaires, etc. Dans cet ensemble, les animaux occupent une place de choix, en particulier ceux
qui n’avaient pas été retenus dans le Blason pour des raisons symboliques, sociales ou esthétiques.
Entre le début du XVe siècle et celui du siècle suivant, ces emblèmes servent d’outil de
représentation et de pouvoir et jouent un rôle prépondérant dans ce que l’on qualifierait aujourd’hui
de « communication politique ».
Plus encore que les autres signes, les animaux emblématiques, véritables abstractions de leurs
utilisateurs, deviennent donc les supports et les cibles des luttes politiques qui enflamment alors les
royaumes d’Europe agités par la difficile genèse des Etats-Nations.
L’animal emblématique véritable projection du prince
C’est avant tout en raison de sa capacité à représenter le prince que sa devise animale peut faire
l’objet d’une mise en scène tant laudative que péjorative.
Cette aptitude de l’animal emblématique à devenir une sorte de projection totémique de son
utilisateur n’est pas à proprement parler une innovation de la devise. On sait qu’à l’origine des
armoiries déjà, les noms, noms de terre et cognomen peuvent avoir inspiré les figures « parlantes »
héraldiques retenues ou, à l’inverse, les meubles choisis pour orner l’écu peuvent avoir suscité le
surnom. C’est par exemple le cas de Richard I er d’Angleterre, le Cœur de Lion, et de son écu aux
léopards qui s’interpolent pour magnifier le prince 1. L’empereur Henri le lion (†1195) doit
semblablement son surnom au lion de ses armes dont la figure sert à le représenter ou à marquer ses
partisans à l’instar de la statue de lion monumentale qu’il fait ériger en 1166 sur la place de
Brunswick. C’est par ce biais « parlant » encore que Guillaume Le Breton explique les merlettes
des armes du comte d’Arundell (aronde-hirondelle-merlette). Les exemples pourraient ainsi être
multipliés. Dans bien des cas pourtant le principe héréditaire des armoiries réduit rapidement cette
portée totémique du signe héraldique initialement choisi. Mais cette fonction ontologique de
1 Sur le sujet voir Michel Pastoureau, L’Art héraldique au Moyen Age, Paris, 2011, p. 207.
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l’emblème n’a pourtant pas été oubliée dans les multiples évolutions de l’héraldique. Les ornements
dits para-héraldiques, développés dès la fin du XIIe siècle, ont pu notamment supporter un discours
de ce type. C’est en particulier le cas des cimiers qui ornaient les heaumes et, ce faisant,
dissimulaient le visage en une sorte de masque. De la même façon qu’il s’était parfois dissimulé
derrière la figure animale de son bouclier, le combattant ainsi coiffé devenait véritablement l’animal
sous lequel il se masquait. Cela semble déjà être le cas d’un des premiers exemples connus de
cimiers, celui aux fanons de baleine de Guy de Dammartin, célèbre adversaire de Philippe Auguste 2.
Ce casque était probablement chargé d’investir son utilisateur des principes de puissance et de Salut
chrétien que l’animal symbolisait alors. Cette pratique se trouve fréquemment mise en scène dans
l’image héraldique où les artistes se plaisent véritablement à engloutir le heaume – et ce faisant la
tête du combattant - dans la gueule ou le corps de l’animal emblème comme avec le mufle de lion
des ducs de Savoie ou la tête de Taureau de la maison de Geldre.
Détail du sceau d’Amédée VII de Savoie. La devise du faucon parée du célèbre heaume cimé du lion engoulant dans un vol et tenant la bannière
de Savoie.
La devise, beaucoup plus souple encore que le blason, admet volontiers ce type de jeux
graphiques ou phoniques qui, par delà les effets de style, soulignent la dimension totémique du
signe. Dans la Bretagne des Montfort, le jeu sur l’hermine héraldique et l’hermine animale, qui
composent l’une et l’autre l’emblématique des ducs, permet véritablement au prince d’exister dans
son signe emblématique, armoirie et ou devise. En 1514 encore, la mort d’Anne de Bretagne sera
annoncée comme Le Trespas de l’Hermine regrettée3. Dans l’Angleterre des Plantagenêt et des
Lancastre, les princes font pareillement de leur devise l’abstraction de leur corps politique et
physique. Ainsi le cerf de Richard II est, sur un jeu de mot attesté dans la littérature politique du
temps, le rich hart (le cerf précieux) parlant du souverain.
Les devises animales se prêtent évidemment plus volontiers à la métamorphose dans la mesure
où il est plus aisé de se « projeter » dans un être animé que dans un objet mais également par le fait
qu’il est possible de faire porter à un animal un certain nombre d’attributs emblématiques : heaume,
écu, arme, collier, cape, couronne, bannière. Parfois inspirées par les supports héraldiques apparus
2 Ce cimier est notamment mentionné par Guillaume Le Breton dans sa Philippide : « Sur le haut de sa tête le brillant
cimier de son casque agite dans les airs une double aigrette, tirée des noires côtes que porte au-dessous de l'antre de
sa gueule, la baleine habitante de la mer de Bretagne; en sorte que le chevalier, déjà grand de sa personne, ajoutant
ainsi à sa taille ce bizarre ornement, semblait encore plus grand… ».
3 Trépas de l’Hermine regrettée, Paris, Petit Palais, Ms. 665, coll. Dutuit.
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au milieu du XIVe siècle, ces devises animales sont usuellement associées à la panoplie héraldique
figurant non seulement l’écu mais encore le heaume, le cimier, la bannière. Le transfert de ces
attributs vers les animaux-emblèmes s’opèrent donc relativement facilement, faisant de l’animal
support des armoiries un double du possesseur des armoiries. Il reste important de préciser toutefois
que, dans les mentalités médiévales pétries des enseignements des clercs, l’animal est le produit
inabouti de la Création. L’homme, créé à l’image de Dieu, qui se transforme en animal est le plus
souvent doté de pouvoirs maléfiques comme le rappellent les croyances à la lycanthropie ou les
travestissements de carnaval. Se projeter dans un animal ne peut être valorisant pour le prince et
acceptable pour le chrétien que si cet animal supporte une symbolique chrétienne et peut être
associé au Christ, à la Vierge ou aux saints. Cette donnée n’empêche pourtant pas l’utilisation de
figures unanimement reconnues comme négatives dans un procédé de communication connu
comme la « stratégie de l’écart » et qui consiste en réalité à choquer pour attirer l’attention.
Une fois encore le heaume, dissimulant la tête, permet, plus que tout autre signe, ce transfert, à la
nuance près que ce n’est plus cette fois-ci, le seigneur qui se masque derrière son cimier animal
mais l’animal emblématique qui se dissimule sous le heaume cimé de son possesseur. A la fin du
XIVe siècle et au siècle suivant, cette mise scène se retrouve fréquemment sur les sceaux tels ceux
de Jean de Berry, qui le figurent en pied accosté du cygne portant ses armes en encolure et de l’ours
coiffé de son heaume ou qui dotent ces animaux des mêmes attributs4.
Sceau de Jean de Berry (1379), avec ses devises de l’ours et du cygne parés de son heaume et de son écu 5.
Ce type de représentations d’animaux coiffés du heaume de leur utilisateur se retrouve également
dans le décor du manuscrit comme par exemple le lion casqué de Galeazzo Maria Visconti qui
cumule de multiples raccourcis emblématiques en jouant sur le prénom du prince (galeazzo =
galeatus). Portant soit le heaume dynastique à la guivre soit le heaume à plumail chargé du mot
ICH HOF (j’espère), ce lion est fréquemment représenté tenant la devise du prince, le tison
supportant deux seaux. Il est de façon évidente le prince mis en image.
4 Voir Marie-Adélaïde Nielen, Sceaux des reines et de enfants de France, Paris, 2011, notices Jean de Berry. Voir
aussi les sceaux de Charles III de Navarre et de son cousin Charles de Beaumont, figurant le lévrier coiffé du
heaume dynastique à plumail, ou encore le magnifique sceau d’Amédée VII de Savoie où, sur un fond semé de sa
devise du nœud, le faucon est coiffé du heaume familial au mufle de lion et tient la bannière de saint Maurice
5 Paris, AN, D. n°421.
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Le lion casqué de Galéas II Visconti repris par Galéas Marie Sforza associé au tison et au chiffre ducal GZ MA 6.
Mais d’autres attributs permettent encore de faire de la devise animale la projection totémique et
emblématique du prince, notamment le port d’écus, de couronne ou de capes armoriées et surtout,
celui de colliers à la devise liés à des ordres de chevalerie. Les devises animales de Charles VI, cerf
ailé, tigre ou paon7, se voient ainsi régulièrement dotées du collier de la Cosse de genêt ou de
couronnes royales. On retrouve le même usage pour l’aigle des Anjous paré de la croix double, du
lion des Bourgogne portant celui de la Toison d’or, du porc-épic des Orléans portant le Camail, etc.
Les devises animales de Charles VI, du maréchal Boucicaut et de René d’Anjou colletées de leurs colliers d’ordre 8.
Plus encore que les animaux supportant de part et d’autre l’écu, l’animal figuré seul en train de
tenir le bouclier renforce l’impression de métamorphose du prince lui-même. On l’observe par
exemple sur le sceau secret de Louis Ier d’Anjou où sa devise de l’aigle porte un écu aux armes
suspendu par une courroie exactement comme le prince pourrait tenir son propre bouclier. Cette
association avec les armoiries peut aussi prendre la forme d’une cape armoriée que revêt l’animal
emblématique. On retrouve cette figuration sur un sceau de Jeanne de Bourbon ou encore sur un
signet de Philippe le Hardi9. Cette mise en forme apparaît également sur le décor d’une nef de Louis
d’Orléans vendue en 1390 où les loups portent des capes à ses armes 10. Sur la lettrine initiale d’un
6 Paris, BNF, Ms. Lat. 4586, fol. 1.
7 Pour le paon colleté d’une couronne, voir en particulier la marge du folio 4 des Demandes à Charles VI de Genève
(BPU, Ms. Fr. 165). Le roi couché sur son lit est vêtu d’une houppelande brodée de plumes de paon. Oiseau et
souverains sont une même personne.
8 (Tigre) Armorial de la Cour Amoureuse, Vienne, österreichisches Staatarchiv, Haus-, Hof- und Staatsarchiv, Archiv
des Ordens vom Goldenen Vlies, cod. 51, fol. 1 ; (aigle) Heures du roi René, Paris, BNF, Ms. Lat. I156 A, fol. 81v°.
9 Marie-Adélaïde Nielen, Sceaux des reines et de enfants de France, Paris, 2011, sceau n°35 et n°144.
10 Paris, BNF, Ms. Na. Fr. 3638, “ item pour une nef d’argent doré et sur les deux bouz en chascun un loup d’argent
emmantelé esmaillé des armes dudit seigneur… ”.
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inventaire des chartes du Brabant de 1438 le duc Jean III assisté du duc Edouard de Bar symbolisé
par leurs devises animales, un sanglier et un lévrier vêtus de capes à leurs armes, font face à leurs
ennemis11.
Au XVIe siècle encore la salamandre couronnée de François Ier supportera la même valeur de
projection en image du prince. Cette interprétation est confirmée par le fait que, sur la plupart des
représentations réalisées durant la période des prétentions impériales du roi, la salamandre n’est pas
couronnée d’une simple couronne mais bien d’une couronne impériale fermée comme par exemple
sur les façades de Chambord.
François Ier ou la salamandre impériale, château de Chambord.
Ce type de dédoublements emblématiques, dont on pourrait multiplier les exemples, s’inscrit
parfaitement dans l’état d’esprit du temps pour lequel le mode de pensée allégorique est une sorte
de seconde nature qui a très largement imprégné la littérature courtoise. Appliqué aux textes à
caractère politique, ce code, fondé sur les animaux emblématiques, permet d’exprimer ouvertement
des opinions et des critiques autrement indicibles. Le Roman de Fauvel, après celui de Renard,
ouvre grandes les portes de l’arène emblématique.
La guerre des signes dans les devises
Représentés par leurs devises, les princes en font un performant outil de communication qui
intrigue, interroge, révèle et renseigne. Mais cet instrument de pouvoir peut pourtant profiter à
l’adversaire qui ne manquera jamais d’exploiter les failles de l’emblème de son rival. L’animal
emblématique de ce dernier deviendra, s’il le peut, la cible privilégiée de sa propre devise animale,
le gibier d’une traque sans merci, un sujet d’opprobre et de diffamation.
Un des premiers exemples que l’on puisse mentionner de ces combats d’animaux emblématiques
est celui qui s’inscrit sur le signet utilisé par le roi Jean le Bon durant sa captivité anglaise entre
1357 et 135912.
11 Bruxelles, archives générales du royaume, Manuscrits divers, fol. 226, 1438. Cette figuration est sans doute inspirée
d’une page de l’armorial du héraut Gelre où Jean III est représenté de façon identique.
12 Paris, AN, coll. des sceaux D. 62. et Martine Dalas, Corpus des sceaux français du Moyen Age, t. II, Les sceaux des
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Nous sommes alors aux premiers temps de la devise. Sur ce petit sceau personnel, utilisé
exclusivement par le roi, Jean le Bon se met en scène sous forme emblématique. Un grand cerf
couché, emblème personnel d’Edouard III d’Angleterre, paré d’un collier de cuir, y porte enchaînés
les lettres entrelacées JR (Johannes Rex) et un aigle, animal emblématique de Jean le Bon 13, tentant
de prendre son envol. Employé dans un cadre privé, ce discours politique par emblèmes interposés
n’échappe sans doute pas aux rares observateurs du sceau, assurément presque tous versés dans l’art
du discours allégorique, habitués à lire en détail les allusions sigillaires. Cet exemple annonce
pourtant une dimension beaucoup plus ample de ce mode de discours.
Longtemps confiné à des jeux de cour réservés aux initiés, ces mises en abîme des devises
animales princières connaissent une expansion sans précédent à l’occasion des conflits politiques,
plus spécifiquement ceux qui se déroulent à l’échelle locale ou nationale, guerres de partis et
conflits civils.
La devise de la tourterelle de Gian Galeazzo Visconti est un des exemples particulièrement
précoces et parlants de ces pratiques. Co-Seigneur de Milan aux côtés de son oncle, beau-père et
rival Barnabo Visconti, Gian Galeazzo fini par déposer celui-ci, en 1385, et gouverner seul la cité.
Pour signifier la justesse de son action, il adopte pour devise une tourterelle figurée seule
contrairement à l’enseignement des bestiaires qui font de ce volatile le plus fidèle des animaux,
toujours représenté en couple. Le mot qui lui est alors associé - A BON DROIT – insiste sur le sens
donné à l’emblème et suppose la capacité des lecteurs à en interpréter le discours 14. Il rappelle à
tous l’enjeu politique de cette mise à l’écart.
La devise du cerf couché de Richard II, le rich hart censé gagner le cœur (heart) des sujets, avait
été largement employée dans la mise en scène et en valeur de son pouvoir.
rois et de régence, Paris, 1991, notice 127.
13 Ce choix de Jean le Bon s’opère en possible référence à l’attribut de l’évangéliste éponyme. On retrouve l’aigle
formant les montants de son siège curule sur son sceau de majesté.
14 Pétrarque, à l’occasion de son dernier séjour à Pavie, aurait apporté son concours à la création de cette devise pour
Jean Galéas Visconti : un soleil d’or chargé d’une tourterelle posée seule sur une branche et tenant dans son bec un
listel chargé du mot A BON DROIT. Ce fait est rapporté par l’humaniste Pier Candido Decembrio, secrétaire ducal,
qui rédigea la vie du duc Philippe-Marie vers 1430, d’après les souvenirs de son père Uberto alors au service du duc
et qui avait rencontré Pétrarque à Pavie. Une note de Fransesco da Vannozzo, ami de Pétrarque, soutient cette
théorie. Ce dernier rapporte dans Canzone Morale fatta per la divisa del conte di Virtù, ces vers que Pétrarque lui
aurait dit : “Il sole e l’azur fino / Che tengon in sua brancha / Quella ucellata bianca / Qual a bon droit en dolce
becco teno / Che la sentenza mi tutta contene” (Carlo Maspoli, “ Arme e imprese visconte e sforzesche Ms.
Trivulziano n°1390 ”, Archives héraldiques suisses, 1996, I, p. 151, note 9). M. Boulton précise que cette création a
pu intervenir avant 1395, élévation du prince au titre ducal, puisque cette devise apparaît associée à Jean Galéas,
encore qualifié de comte, sur une miniature du livre d’Heures conservé à la bibliothèque de Florence (D’A.J.D.
Boulton, « Insigna of Power, the use of heraldic and Paraheraldic devices by italians princes, c. 1350-1500 », dans
C. Rosenberg (dir.), Art and Politics in Late Medieval and Renaissance Italy, 1250-1500, Londres, University of
Notre-Dame Press, 1990, p. 118). Si l’on admet la véracité de l’intervention de Pétrarque dans cette devise, sa
création doit avoir eu lieu entre 1368 et 1374, soit entre le mariage de Violante Visconti en 1368, supposé avoir été à
l’origine de l’adoption de devises par les Visconti, et la mort du poète en 1374. La lecture symbolique de cette
devise semble pourtant contredire cette attribution au poète et cette datation. Il est en effet probable que cet
emblème, en référence au bestiaire, qui normalement représente toujours la tourterelle en couple, soit une allusion
au principat unique de Gian Galéas sur Milan dont il a partagé la co-seigneurie avec son oncle Barnabo entre 1378 et
1385 avant d’évincer ce dernier… à bon droit.
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Deux mises en scène de la devise du cerf de Richard II d’Angleterre sur le Diptyque Wilton, un détail de la robe du roi avec le cerf enclos dans le collier à la
devise du roi de France, la cosse de genêt, et couché sur un buisson de romarin, devise de la défunte reine, et une broche au cerf telle qu’en recevaient
les fidèles du roi.
Comme chez le roi de France, ce cerf blanc colleté d’une couronne enchaînée renvoyait aux
chasses mythiques des empereurs Jules César ou Charlemagne et supportait la symbolique
christologique, nécessaire miroir de tout pouvoir souverain au Moyen Âge. Par son biais, le roi
apparaissait tel un nouvel empereur, un alter christus, roi de Justice et de Paix. Couché sur un
buisson de romarin, devise de la reine Anne de Bohême, ce cerf évoquait également l’amant idéal et
courtois. S’il semble que la version française de la devise du cerf – un cerf blanc paré d’ailes et
colleté d’une couronne prenant librement son envol vers le ciel – se soit construite par opposition au
cerf couché et soumis anglais, la politique de paix et d’alliance entre les deux royaumes à partir des
années 1395 conduit rapidement à faire de ces deux cerfs l’image même de l’union entre les
princes. Charles VI abandonne d’ailleurs cet animal au profit du tigre puis du paon et de diverses
devises végétales, notamment le genêt qui remplit un rôle analogue.
En Angleterre, l’opposition au renforcement autoritaire du pouvoir par Richard II s’incarne dans
la maison de Lancastre, à travers son oncle Jean de Gand puis le fils de ce dernier, Henry
Bolingbroke, futur Henry IV. Leur devise du lévrier tombe à point nommé pour se lancer dans un
haletante chasse au cerf, allusion à son projet de renverser Richard II du trône. Dans les années
1399, cette devise est complétée par un emblème figurant un cerf couché enfermé dans un enclos 15.
Il est difficile de ne pas y voir une allusion à sa prise de pouvoir effective par la déposition puis
l’assassinat de son cousin en 1400.
Outre-Manche, la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons qui ravage la France des
années 1405-1430 est sans doute une des arènes privilégiée de cette lutte emblématique. Elle
oppose dans un premier temps le frère du roi Charles VI, Louis d’Orléans, à leur oncle, le duc de
Bourgogne Philippe le Hardi puis, après la mort de celui-ci en 1404, à leur cousin Jean sans Peur.
Après l’assassinat de Louis d’Orléans (1407) puis de Jean sans Peur (1419) la lutte est reprise par
15 Plusieurs figurations liées aux Lancastre présentent le cerf couché enfermé dans un enclos palissadé. Une pierre
sculptée aux armes de Thomas de Mowbray, provenant de Venise et conservée au château de Corby, présente un cerf
blanc dans un enclos palissadé, enchaîné à un heaume, entouré d’un collier aux SS, porté par un cygne, lui-même
enchaîné à un autre collier aux SS. Un autre exemple de cette devise est offert par un collier porté, sur sa plaque
funéraire, par sir Thomas Markenfield, mort vers 1390, apogée de l’affrontement Richard II/ Henri de Lancastre et
qui présente là encore un cerf couché enclos dans un collier constitué de pals. Ce même collier se trouve également
figuré, sur une miniature française, au cou de Ralph Neville, comte de Westmorland, et de huit de ses fils, issus d’un
mariage avec Jeanne Beaufort, fille de Jean de Gand (Paris, BNF, Ms. Lat. 1158). On retrouve encore cette figure
sur un sceau du Derby dont Henri était comte et enfin parmi les plombs trouvés dans la Tamise et conservés au
British Museum.
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Charles d’Orléans, son beau-père Bernard d’Armagnac et le dauphin Charles (futur Charles VII)
d’un côté et Philippe le Bon de l’autre. L’exemple de l’opposition de l’emblème du bâton noueux de
Louis d’Orléans et du rabot, censé l’aplanir, de Jean sans Peur, même s’il n’est pas attesté
clairement par les sources, révèle bien la dimension de « guerre des signes » rapidement adoptée par
ce conflit16.
Les animaux y ont aussi leur part. Avant le porc-épic, Louis d’Orléans avait retenu pour devise
l’emblème du loup associé au mot IL LEST, sans doute en raison de l’homophonie entre Loup et
Louis, à moins qu’il ne s’agisse d’agacer son oncle Philippe le Hardi, le trop puissant duc de
Bourgogne, qui a choisi la délicate brebis comme emblème ? Ce choix du frère du roi n’est
d’ailleurs pas très judicieux quand on sait l’image négative qui pèse sur le loup à cette époque. Pour
souligner qu’il prend à son compte la bonne part du loup, Louis lui ajoute un collier muni d’une
cloche : il est la sauvagerie domestiquée ! Ces subtilités de cour prennent un autre ton quand Jean,
dit « Sans Peur », succède à son père Philippe en 1404. Le conflit entre les cousins aboutit à
l’assassinat de Louis dont Jean se justifie publiquement par la voix de ses clercs et le pinceau de ses
peintres à travers la Justification de Jean Petit. Placardée partout dans Paris, une affiche montre le
loup tentant de ravir la couronne et meurtri par le lion qui veille sur le royaume. Le premier folio du
manuscrit de Vienne joint le texte à l’image pour faire passer un certain nombre d’idées 17 : « Par
force le leu (le loup = Louis d’Orléans) rompt et tire / A ses dens et gris (griffes) la couronne / Et le
lyon (Jean sans Peur par allusion aux armes de Flandre) par tresgrant ire / De la pate grant coup luy
donne ». Cette introduction à clefs d’un propos qui désigne au contraire clairement la cible permet
de comprendre l’intérêt de ces textes à code. L’effort accompli pour décrypter le discours renforce
sa portée et l’impression d’avoir été capable de l’interpréter flatte le lecteur et le dispose
favorablement au sens du texte, en une sorte de captatio bene volentiae.
Dans les mois qui suivent, Jean sans Peur organise de grandes chasses aux loups dans les bois de
Vincennes et encourage la rédaction de Pastorales dans lesquelles le bon berger, alias le duc de
Bourgogne, veille sur le troupeau de France menacé par les loups.
Cet exemple confirme la portée véritablement commune de cette lutte emblématique devenue
désormais un langage politique à part entière destiné à atteindre l’opinion. Ce type de discours est
d’ailleurs de plus en plus sollicité dans la littérature politique à la fin du Moyen Âge.
La mise en scène de l’animal emblématique, un genre littéraire ?
La devise offre un moyen commode et populaire pour encoder les textes : littérature politique,
poèmes de cour, chansons populaires. La fin du Moyen Âge semble d’ailleurs montrer un goût
particulier pour le secret ou au moins pour le sous-entendu 18 et cette pratique transparaît autant dans
l’image que dans le texte et ne cessera de s’accentuer à l’époque moderne. La devise, à la fois texte
et image, participe pleinement de cette vogue. Par ailleurs, la plupart des figures emblématiques
efficaces, les animaux notamment, connaissent une réelle pérennité qui, si elle contredit la fonction
personnelle du signe, souligne bien leur valeur d’outil de légitimation et la pertinence de leur usage
politique.
16 La chronique d’Enguerrand de Monstrelet, même si elle n’est pas un poème politique, fait allusion au code des
devises et illustre bien ce phénomène : “ si fut lors dénoncé par toute la cité de Paris et tout commun, que ledit duc
de Bourgongne avoit fait faire cet homicide (le meurtre de Louis d’Orléans le 23 novembre 1407). Dont le peuple de
Paris, qui n’estoit pas bien content dudit duc d’Orléans, et point ne l’avoient en grace pour ce qu’iz entendoient que
par son moien les tailles et autres subsides s’entretenoient, commencèrent à dire l’un à l’autre en secret : le bâton
noueux est plané ” La chronique d'Enguerran de Monstrelet : en deux livres, avec pièces justificatives 1400-1444,
Paris : Mme veuve J. Renouard, 1857-1862, t. I, p. 164-165.
17 La Justification de JEAN PETIT, Vienne, Osterreischische Nationalbibliothek, cod. 2657, fol. 1v°.
18 Il faut toutefois relativiser cette impression. Les poésies médiévale ne désignent que rarement les personnages par
leurs noms. Elles utilisent en général des sobriquets, le senhal des troubadours.
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Peu de chansons populaires de la période ont été conservées mais, parmi les exemples qu’il nous
est encore permis de connaître, on peut citer les chants populaires bretons recueillis par M. Hersart
de la Villemarqué19. Ann Ermnik, vraisemblablement écrit à la veille de la Bataille d’Auray en 1364,
utilise un registre codé qui peut nous éclairer sur les références qui ont présidé au choix des
premières devises. Trois animaux sont cités, Charles de Blois y est le loup d’après une déformation
de son nom en breton (bleiz = loup), Jean de Monfort y est le taureau, peut-être en référence à une
des devises d’Edouard III, son tuteur, et en véritable préfiguration de John Bull, et l’hermine évoque
le peuple breton.
A la fin du Moyen Âge, les textes politiques et leurs illustrations jouent souvent sur ce registre
pour parler des princes à mots couverts, y compris de façon laudative. La poésie d’Eustache
Deschamps, célèbre auteur de la cour de Charles VI, est ainsi truffée d’allusions animales 20. Le roi y
est le cerf volant dont le nombre d’andouillers des bois est assorti à l’âge du souverain.
Le cerf volant connaît d’intéressants développements sous le règne de Charles VII. Cette figure
sert dans le décor de différentes entrées royales pour établir un trait d’union entre les rois Charles
VI et son héritier contesté Charles VII comme en atteste par exemple la Ballade du sacre de Reims
de 1429 : « Voici venir le noble cerf volant / asnel saillant de la claire fontaine / qui vient régner
comme fort et puissant / En la forêt de son noble domaine / Voici venir le second
Charlemagne21… ». Dans l’ouvrage d’Henri Baude, De la vie condition et complexion du roi
Charles VII, texte et image jouent sur cette figuration du roi Charles VII représenté par un cerf
volant fuyant les princes révoltés de la Praguerie de 1440 et le dauphin Louis symbolisé par un
jeune cerf aptère tenté par les chasseurs. L’auteur lui même a utilisé ce procédé pour se mettre en
scène dans le chien, « un baude » qui contemple l’événement22. La célèbre Tapisserie aux cerfs du
musée des Beaux-arts de Rouen, où le roi et ses provinces ou ses fils sont figurés en cerfs volants
colletés d’une couronne, prolonge ce discours23, tandis que dans le décor de l’hôtel Jacques Cœur à
Bourges, c’est la reine Marie d’Anjou qui prend la forme d’une biche ailée. Mais cette association
entre le prince et sa devise ne se limite pas à la politique comme le prouvent les ouvrages de Nicaise
Ladam, La prise et la mort du cerf volant24, écrit à l’occasion de la mort de Charles VIII en 1498.
Il en va de même du loup d’Orléans qui n’achève pas sa carrière le soir de la Saint-Clément
1407. Le petit-fils de Louis, duc d’Orléans et bientôt roi sous le titre de Louis XII, reprend à son
compte l’emblématique de son grand-père. Il remploie bien sûr le loup de Louis, également attribut
du Dieu Mars auquel il s’identifie, mais utilise aussi l’autre grande devise des Orléans : le porcépic. La capacité de celui-ci à projeter ses épines sur ses ennemis en fait la panacée des emblèmes
politiques. Les ennemis de l’animal sont nombreux en ce tournant du XVIe siècle. Il y a par
exemple la guivre des Visconti dont on ne sait si on doit l’aimer ou la haïr comme le rappelle le
sceau du duc d’Orléans sur lequel porc-épic et guivre semblent s’affronter. Il y a l’aigle de l’empire
19 Vte Hersart de La Villemarqué, Chants populaires de la Bretagne, Paris, 1929, p. 202-204 et 228-233. La chanson du
Cygne, Ann Alarc’h, est quant à elle relative au débarquement de Jean de Monfort en Bretagne en 1379. On peut
mettre cette dénomination en rapport avec la situation du duc qui, tel le chevalier au cygne, arrive à délivrer sa
« princesse », la Bretagne. Mais il faut aussi rapprocher cette appellation de la devise de la maison de Lancastre, le
cygne, vraisemblablement résumé dans le collier aux SS que Jean portait lors de son arrivée en Bretagne comme le
confirment les sources.
20 Voir à ce sujet Thierry Lassabatère, « Le bestiaire prophétique et politique d’Eustache Deschamps : origines et
significations », dans Autour d’Eustache Deschamps, Actes du colloque du Centre d’Etudes Médiévales de
l’Université de Picardie-Jules Verne, Amiens, 5-8 novembre 1998, Amiens, 1999, p. 141-152 et La Cité des
hommes. La vision politique d’Eustache Deschamps, Paris, 2005.
21 P. Champion, « La Ballade du sacre de Reims », dans Le Moyen Âge, t. 22, 1909, p. 317-377.
22 Colette Beaune, Les manuscrits des rois de France au Moyen Age, le miroir du pouvoir, Paris, 1989, réimp. 1997,
p. 154.
23 Rouen, Musée des Beaux-Arts.
24 Nicaise Ladam, La prise et la mort du cerf volant, Londres, B. L., Royal Ms. 19 A xvii.
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et le lion bourguignon, il y a bientôt aussi la salamandre du successeur mal-venu, l’ambitieux
François d’Angoulême et futur François Ier25. Ainsi, sur le manuscrit peint pour Jacques IV Stuart
vers 151026, du poème de Pierre Gringoire, Les Abus du Monde, qui évoque la ligue de Cambrai, les
différents intervenants sont figurés sous forme d’animaux héraldiques ou emblématiques.
L’empereur est symbolisé par l’aigle bicéphale, l’Espagne par deux chiens – peut-être la Castille et
l’Aragon ? -, le pape Jules II della Rovere par le chêne tiré de ses armes parlantes, Venise par un
lion et Louis XII par un porc-épic projetant ses épines sur le lion27.
Ce sont toutefois les sources anglaises qui fournissent le plus d’exemples de poèmes de ce type.
Parmi les premiers répertoriés sur notre sujet on pourrait citer Mum and the Sothsegger, œuvre
satirique anonyme écrite vers 1399 pour critiquer, une fois encore, les distributions abusives
d’emblèmes par Richard II et la protection implicite que ses fidèles en retiraient. L’auteur y dénonce
« les serviteurs qui portent crânement leurs cerfs sur la poitrine et s’enhardissent à cause de leurs
broches aux couleurs vives28… ». Dans un autre poème un jeu de mot ajoute que, pour un cerf
(hart) donné, le roi perdait de nombreux cœurs (hearts) loyaux29.
Un poème rédigé vers 1448-1449 dresse un véritable recueil des devises employées par les
grands personnages du temps : « La souche est morte (Jean de Bedford) et le cygne est parti
(Humphrey de Gloucester), / La torchère a perdu sa flamme (John Holland, duc d’Exeter) /
Désormais l’Angleterre peut faire grand deuil (?) / Car aucune aide ne viendra de Dieu / Le château
(de Rouen) est perdu d’où venait le secours / La herse est baissée (Edmund Beaufort, duc de
Somerset), / Nous avons rangé notre chapeau cardinalice (Cardinal Beaufort) qui nous protégeait
des éclairs / Le lion blanc est parti se coucher (John Mowbray, duc de Norfolk) / Dédaignant la
jalousie du cabestan (William de la Pole, duc de Suffolk) / Et il est abattu celui qui devait garder
notre porte / C’est le talbot, bon chien (John Talbot, comte Shrewbury) / L’hameçon a perdu son
crochet (William Neville), etc.30 ».
25 Sur la mise en scène de la Salamandre dans les luttes emblématiques voir Anne-Marie Lecoq, François Ier
Imaginaire, Paris, 1987.
26 New York, Pierpont Morgan Lib., M. 42, fol. 49.
27 Cité dans Anne-Marie Lecoq, François Ier Imaginaire, Paris, 1987, p. 137-136.
28 “ Laverers… that had hertis on hie on her brestis… / they bare hem the bolder for her gay broches ”, d’après Mum
and the Sothgesser, M. Day et R. Steele éd, dans Early English Text Society, series n° 199, Londres, 1936, II, I. 35
39 et 41 43.
29 Political Poems and Songs relating to English History, T. Wright éd., vol. I, Rerum Britanicum Medii Aevi
Scriptores, Londres, 1859, t. I, p. 379-382.
30 « The rote (Bedford) is ded, the Swanne (Humphrey duc de Gloucester (†1446) is gone, / The firy cressent ((John
Holland, duc d’Exeter †1446) hath lost his lyght / Therefore Inglond may make gret mone. / Were not helpe of
Godde Almyght. / The Castelle (of Rouen) is wonne where care begowne / The Porte colys (Edmund Beaufort, duc
de Somerset) is leyde adowne. / Iclosed we have our welevette hatte (chapeau de cardina, devise du card Beaufort
†1447) / That kiveryd us from mony stormys browne / The withe lion (John Mowbray, duc de Norfolk, †1447) is
leyde to slepe / Trough envy of the Ape clogge (cabestan, William de la Pole, duc de Suffolk) / And he is bowden
that our dore should kepe / That is Talbott good dogge (John Talbot, comte de Shrewbury) / The fishere hathe lost
his hangulhooke (hameçon devise de William Neville) / Gete theym agayne when it wolle be / Our Mylle-Saylle
(aile de moulin, Robert Willoughby) will not abowte / His hath so longe goone emptye. / The Bere (ours Rcihard
Neville, comte de Warwick) is bound that was so wilde / For he hath lost his ragged Staffe / The Carte-nathe (roue
de sainte Catherine = Humphrey de Stafford, duc de Buckingham) is spokeles / For the Counseille that the gaffe. /
The lily (Thomas Daniel) is both faire and grene / The Coundite (disque avec lignes ondées devise de John Norris)
rennyth not I wene / The Cornysse Chough (corbeau devise de David Trevillian) offt with his trayne / Hath made
oure Egulle (aigle ?) blynde / The withe Harde is put of mynde (cerf blanc Henri VI ) / Because he wolle not to him
consente / Therefore the Commyns saith is both trew and kynde / Both the Southsexe and in Kent. / The Water
Bowge (porte seaux = Henry, lord Bourchier)and the wyne Botelle (devise de Vere conférée à James Buttlet comte
d’Omond) / With the Vetturlockes (cadenas Richard, duc d’York) cheyne been fast / The Whete-yere (épi de blé
devise de Henri Holland, duc d’Exeter) wolle theym susteyne / As long as he may endure and last. / The boore
(Thomas Courtenay, comte de Devon ? ou Richard III voir) is farre unto the west / That shold us helpe with shilde
and spere / The Fawkoun (edward, duc d’York) fleyth and hat no rest / Tille he witte where to bigge hys nest ».
D’après Political Poems and Songs, 1861, p. 221.
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Les adversaires de Richard III d’York (†1485) l’avaient affublé du surnom Porc ou Verrat par
allusion à sa devise du sanglier blanc. Il est couramment désigné par cette figure dans les œuvres
littéraires de la période sans d’ailleurs que cette appellation soit nécessairement injurieuse 31. Mais,
autant le sanglier peut être estimé pour certains traits flatteurs, autant son parent domestiqué prête à
la moquerie. Le glissement était facile et les détracteurs ne manquèrent pas de s’en servir. Dans son
Mirror for Magistrate, le poète Colyngbourne précise : « Quand je désigne le roi par le terme de
verrat / je ne fais allusion qu’à sa devise du sanglier 32 ». Quelques années plus tard, cet auteur fut
exécuté pour un autre poème critiquant le roi et ses favoris : « The Cat, The Rat, and Lovell our
Dogge / Rules all England under an Hogge ». Le chat désignait William Catesby, le rat, sir Richard
Ratcliffe, le chien, Lord Lovell et le porc Richard III33.
Ce type d’œuvres, destinées à une large diffusion et non limitées aux seules oreilles des érudits
des milieux courtois, éclaire notre perception de la devise comme référence commune à l’ensemble
d’une société. Ces sources confirment qu’aussi bien dans les rues de Paris que dans celles de
Londres et d’ailleurs le « tout commun » semble être à même d’attribuer les emblèmes cités et de
saisir les allusions politiques contenues dans ces pièces. Ces poèmes sont l’aboutissement d’une
culture commune dont les moyens et relais de diffusion nous échappent en partie mais dans laquelle
l’animal, plus que tout autre support, se prête à l’imaginaire politique.
Laurent Hablot
31 Dans Les douze triomphes de Henri VII, Richard III est comparé au sanglier d’Arcadie chassé par Hercule. L’auteur
fait dire à Henri VII : “ De ce senglyer c’est droit que je l’applique au roy Richard ”. De même à la ligne 13 de The
Rose of England : “ A beast men calla bore ” et ligne 32 : “ The bore so withe ”, cité dans Pierrepont Barnard,
Edward IV’s French Expedition of 1475, Bath, 1925, réed. Dursley, 1975, p. 11 et notes.
32 “ For where I meant the King by name of hog / I only alluded to his badge the bore ”, d’après Colyngbourne, Mirror
for Magistrate, chap. II, i, p. 377, cité dans Pierrepont Barnard, Edward IV’s French Expedition of 1475, Bath, 1925,
réed. Dursley, 1975, p. 11, notes 3 et 4.
33 Cité dans Johan Herman Diederik, English Inn Signs, being a revised and modernized version of “ History of
signboards by Jacob Larwood and John Camden Hotten… ”, Londres, 1951, p. 70.
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L'animal et l'imaginaire dans les légendes héraldiques, du
Moyen Âge à l'époque moderne
A la fin du Moyen Âge, les raisons qui avaient conduit des individus à choisir certaines figures
pour leurs armoiries – créées depuis les XIIe-XIIIe siècles – étaient tombées dans l'oubli. C'est pour
cette raison que les familles, parfois aidées des hérauts d'armes, ont créé et diffusé des légendes
racontant comment, suite à un événement particulier, un ancêtre avait décidé de placer telle ou telle
figure sur son écu. Ces légendes héraldiques, exaltant la gloire familiale, ont ainsi permis de
rehausser le prestige de ces lignages et de légitimer leurs ambitions politiques.
Les animaux, figurant dans une grande part des armoiries du Moyen Âge 1, se retrouvent
naturellement dans les légendes qui expliquaient leur présence dans l'écu. Le rôle qu'ils jouaient
dans le récit, qu'il fût passif ou actif, dépendait souvent de l'image qui leur était associée dans les
mentalités de l'époque et du sens symbolique que l'on voulait donner au récit, ce qui pouvait évoluer
avec le temps. Mais à partir de la Renaissance, grâce au développement de l'esprit critique, ces
légendes furent de plus en plus contestées par certains auteurs comme Claude-François Ménestrier,
alors que d'autres continuaient d'y croire et de les diffuser2.
Cet article propose de voir comment, à travers différents récits des quelques exemples fameux de
légendes héraldiques, la perception que les hommes avaient des animaux a pu évoluer entre les
époques médiévale et moderne. L'étude s'appuiera sur trois différentes figures héraldiques
représentant des animaux réels et non imaginaire. La guivre de la famille Visconti possède au moins
trois légendes, toutes différentes les unes des autres, dans lesquelles le serpent est tantôt
monstrueux, tantôt naturel, ou encore représenté sous forme d'emblème. Le second cas est celui des
crapauds que Clovis aurait porté dans son écu avant l'adoption des fleurs de lis. Alors que l'animal
lui était attribué par les auteurs médiévaux, ceux de l'époque moderne ont nié de plus en plus
l'existence des crapauds dans les armoiries royales. Le dernier cas est celui du porc des Porcelet,
dont le récit de la légende variait selon l'évolution de la perception du cochon, entre fertilité et
luxure.
La guivre des Visconti dans les légendes, à la fois monstre, animal et emblème
Les armoiries de la famille Visconti, duc de Milan, comportaient une figure très originale : un
serpent aux allures de dragon, appelé guivre dévorant ou vomissant un personnage rouge. Cette
figure a peut-être été adoptée car les Visconti possédaient le titre de seigneur d'Angera, nom se
rapprochant du mot latin anguis, signifiant serpent. Il se peut également que ce motif s’inspire des
représentations paléochrétiennes assez nombreuses en Lombardie du Cetus, le monstre biblique
dont on fera plus tard une baleine, vomissant Jonas, La présence de cette guivre a donné naissance à
au moins trois récits, dans lesquels le rôle de l'animal n'est jamais le même.
Au XIVe siècle, Pétrarque3 a écrit l'histoire d'un chevalier nommé Azo, parti en campagne
1 Michel Pastoureau, Traité d'héraldique, 2008 [1979], p. 135 : d'après six armoriaux du XIIIe au XVe siècles, la part
des animaux représentait environ 30% des armoiries.
2 Claude-François Ménestrier, (Origine des armoiries, Paris, Thomas Amaulry, 1680), mettait régulièrement en cause
les légendes héraldiques qui pour lui n'étaient pas crédibles, c'est-à-dire principalement celles qui se déroulaient
avant le XIe siècle, car il avait bien compris que les armoiries n'existaient pas auparavant.
3 Cité dans Marc de Vulson de la Colombière, La Science héroïque traitant de la noblesse, de l’origine des armes, de
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militaire dans les Apennins. Un jour, voulant se reposer, il ôta son casque pour s'allonger sur le sol.
Mais alors qu'il était endormi, un serpent se glissa à l'intérieur. Sans se rendre compte de la présence
de l'animal, il remit le casque sur sa tête et le serpent retomba le long de sa joue sans chercher à le
mordre. C'est en souvenir de ce signe de bon augure qu'il aurait choisi la figure de cet animal pour
ses armoiries. Le serpent est ici considéré de façon réaliste, tel qu'il existe dans la nature.
Dans ses Mémoires datant de la fin du XVe siècle, Olivier de La Marche4 décrit l'aventure de
Boniface, comte de Pavie marié à l'héritière de Milan. Alors qu'il était parti en croisade contre les
Musulmans, un serpent de merveilleuse grandeur terrorisa la Lombardie et dévora son fils. Une fois
revenu, Boniface retrouva cette beste qui emportait alors un enfant dans sa gueule. Après un combat
acharné au cours duquel la tête du serpent se renouait une fois coupée, le chevalier fini par tuer
l'animal. C'est en la mémoire de ce combat que ses enfants prirent l'emblème d'un serpent avec un
enfant dans sa gueule. L'animal est ici imaginaire, représenté comme un géant, tel un dragon.
Emblemata / André Alciat - Paris : Jérôme de Marnef et Veuve Guillaume Cavellat, 1583 (Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien, XVI 688)
Au XVIe siècle, Paul Jove et André Alciat5 situèrent la légende en Terre Sainte, pendant la
première croisade. Othon, vicomte de Milan, aurait, pendant le siège de Jérusalem, combattu un
redoutable Sarrasin, un géant nommé Volux. Ce dernier portait sur son casque un cimier
représentant un serpent dévorant un enfant, afin d'effrayer ses ennemis. Ayant obtenu la victoire,
Othon aurait alors repris le cimier en signe de trophée, et placé la figure du serpent sur son écu.
Dans cette légende, le serpent apparaît déjà comme un élément emblématique : le cimier.
Le serpent de Milan a donc été représenté de manières différentes, en animal réel, en animal
imaginaire ou en animal emblématique. Dans les trois cas, son aspect négatif et dangereux reste
toujours présent. Les auteurs de l'époque moderne ont repris ces différentes versions, critiquant
celles qui leur paraissaient peu crédibles et choisissant les plus réalistes. Par exemple au
XVIIe siècle, Marc de Vulson, citant le texte d'Olivier de La Marche, n'a pas hésité à dire que « les
leur blason et symboles, Paris, Cramoisy,1644, p. 296 et dans Pierre Palliot, La Vraye et parfaite science des
armoiries, ou l'Indice armorial de feu maistre Louvan Geliot, Dijon, Hélie Josset, 1661, p. 355.
4 Mémoires d'Olivier de La Marche : maître d'hôtel et capitaine des gardes de Charles le Téméraire, éd. par Jean
d’Arbaumont et Henri Beaune, Paris, Renouard, 1888, vol. 4, p. 28-30.
5 Cités dans Pierre Palliot, La Vraye et parfaite science..., p. 355 et dans Marc de Vulson, La Science héroïque..., p.
296.
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impertinences de ceste narration estans trop visibles et apparentes, nous ne prendrons pas la peine
de les réfuter6 », préférant plutôt les deux autres. Mais malgré leur volonté de se rapprocher de la
vérité historique au sujet de l'origine réelle des armoiries familiales, ils ont participé à la diffusion
de ces légendes, en ne favorisant que les plus réalistes. La circulation de ces différentes versions
permettait de renforcer le prestige des Visconti et d'associer leurs armoiries à de glorieux
événements passés.
Il n'était pas précisé quelles armes – imaginaires – portait cette famille avant l'événement
légendaire, contrairement à la légende des fleurs de lis des rois de France, dans laquelle les
emblèmes primitifs et imaginaires avaient une grande importance.
Les anciennes armoiries au crapaud de Clovis dans la légende de l'origine des fleurs de lis,
de l'acceptation au dégoût
Pendant les époques médiévale et moderne, les rois de France n'ont cessé de vouloir faire
progresser l'autorité royale sur l'ensemble du territoire où le pouvoir des ducs et comtes était
important, puis dans le but de consolider l'Etat. Pour ce faire ils ont, grâce au sacre, instauré l'idée
de rois de droit divin. Cette idée s'est renforcée avec l'emploi des fleurs de lis dans les armoiries de
France, qui devenaient alors à la fois emblèmes des rois de France et symboles du caractère divin de
la monarchie7. Semées sur le champ de l'écu à l'origine, elles ont été réduites au nombre de trois
sous Charles V pour représenter la Sainte Trinité 8. Cette modification de l'emblème royal, causée
par une évolution du message symbolique faisant suite aux écrits de certains auteurs comme
Guillaume de Digulleville9 ou Philippe de Vitry10, a été associée à la réutilisation d'une légende
héraldique déjà existante.
Les souverains du monde... Tome IV.- Paris : Guillaume Cavelier, 1718 (Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien, 43882)
Depuis le XIVe siècle en effet, un récit rédigé par un moine de l'abbaye de Joyenval racontait
6 Ibid., p. 297.
7 Voir notamment Marc Bloch, Les rois thaumaturges, étude sur le caractère surnaturel attribué à la puissance royale
particulièrement en France et en Angleterre, Paris, 1983 [1924] et Colette Beaune, Naissance de la nation France,
Paris, Gallimard, 1985.
8 Max Prinet, « Les variations du nombre des fleurs de lis dans les armes de France », dans Bulletin monumental,
1911, p. 469-488.
9 Faral Edmond, « Le Roman de la fleur de lis de Guillaume de Digulleville », dans Mélanges de philologie romane et
de littérature médiévale offerts à Ernest Hoepffner, Paris, les Belles Lettres, 1949, p. 329-338.
10 Arthur Piaget, « Le Chapel des fleurs de lis par Philippe de Vitri », dans Romania, 27, 1897, p. 55-92.
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l'histoire de l'origine de fleurs de lis 11. Il était écrit que Dieu avait, par l'intermédiaire d'un ange,
envoyé l'écu fleurdelisé à un ermite se trouvant sur l'emplacement de la future abbaye. Cet homme
l'avait ensuite livré à la reine chrétienne Clotilde qui venait régulièrement le voir, pour qu'elle les
donne à son mari Clovis, qui persistait alors dans sa foi païenne. La légende racontait ainsi qu'elle
avait remplacé les armoiries au croissant du roi des Francs par les fleurs de lis juste avant une
bataille qui opposait Clovis à Conflac, puissant chef ennemi, païen lui aussi. C'était ainsi grâce à
l'écu fleurdelisé – symbole de l'aide de Dieu – que le Mérovingien a pu remporter la victoire et qu'il
a ensuite choisi le christianisme comme religion. L'événement correspondait à la bataille des Francs
contre les Alamans en 496, racontée par Grégoire de Tours au VI e siècle et s'achevant par la
conversion de Clovis12. La reprise de la légende de Joyenval par Raoul de Presles, commanditée par
Charles V13, offrait à la monarchie française un récit devenu officiel. Il a été relayé plus tard par les
hérauts d'armes et les érudits de l'époque moderne, avec des versions pouvant légèrement varier de
l'une à l'autre.
Les armoiries portées par Clovis avant l’utilisation des fleurs de lis étaient l'élément principal de
la légende qui pouvait évoluer selon les auteurs14. Dans la plupart des récits, ce furent trois crapauds
ou trois croissants15. La légende de Joyenval est la première à parler des croissants, mais par la suite
aux XVe siècles ces deux figures imaginaires attribuées à Clovis coexistaient. Elles étaient surtout
symboliques, pour affirmer son caractère païen ou sarrasin – termes synonymes – et aussi
diabolique. Le croissant était en effet attribué à l'Islam et au paganisme 16, et le crapaud, en plus
d'être associé aux païens, était porté par Satan dans différentes représentations. Paganisme et Islam
étaient en effet similaires dans la conception médiévale, à tel point que les différents récits
décrivirent l'ennemi de Clovis comme ayant été tantôt païen, tantôt sarrasin 17. Les auteurs
médiévaux n'hésitaient d'ailleurs pas à attribuer aux Musulmans, qui pourtant étaient monothéistes,
la foi aux dieux romains Apollon, Jupiter ou Mercure18. Dans la légende, l'orientation religieuse de
Clovis s'exprimait par le choix des figures portées dans l'écu. Par l'attribution du croissant ou du
crapaud, l'important était donc d'insister sur le côté néfaste de la croyance du roi Mérovingien, pour
mettre en lumière la pureté de sa foi après sa conversion, dont l'éclat devait rejaillir sur les fleurs de
lis. Crapauds et croissants, vus comme « synonymes » et interchangeables à l'époque médiévale,
11 Robert Bossuat, « Poème latin sur l’origine des fleurs de lis », dans Bibliothèque de l’Ecole des Chartes, t.101,
1940, p. 80-101.
12 Grégoire de Tours, Histoire des Francs, trad. Latouche Robet, Paris, 1965. Ayant vécu avant l’apparition des
armoiries, il n'a pu parler des fleurs de lis.
13 Raoul de Presles, Traduction de la Cité de Dieu de saint Augustin, BnF, ms. fr. 22912 fol. 2v. Sur le parrainage de
Charles V envers Raoul de Presles, voir Anne Lombard-Jourdan, « A propos de Raoul de Presles. Documents sur
l’homme », dans Bibliothèque de l’Ecole des Chartes, t.139, 1981, p. 191-207.
14 Il est remarquable que, parmi les auteurs étudiés, aucun n'a remis en cause la légende des fleurs de lis. Même
Claude-François Ménestrier, qui savait bien qu'à cette époque les armoiries n'existaient pas encore, n'a pas critiqué la
légende. L'influence du pouvoir royal sur l'évolution du récit devait à cette époque être encore suffisamment forte
pour éviter une contestation de ce qui fondait l'autorité du roi.
15 Quelques auteurs parlent aussi de trois diadèmes, comme Jérôme de Bara, Blason des armoiries (1579) cité dans
Claire Boudreau, L’héritage symbolique des hérauts d’armes. Dictionnaire encyclopédique de l’enseignement du
blason ancien (XIVe-XVIe siècle), Paris, 2006, p. 979, ou encore Paul Emile cité par Marc de Vulson, La Science
héroïque..., p. 221.
16 Fanny Caroff, « Différencier, caractériser, avertir : les armoiries imaginaires attribuées au monde musulman », dans
Médiévales, t.38, 2000, p. 137-147.
17 « pour soy combatre contre le roy caudat qui estoit sarrasin et aduersaire de la foy crestienne, et qui estoit venu
dalmaigne a grant multitude de gens aux parties de France », dans Raoul de Presles, Traduction de la Cité de Dieu...,
fol. 2.
18 John V. Tolan, Les Sarrasins, Paris, Flammarion, 2003, p. 184-192. Cependant Anne Lombard-Jourdan, Oriflamme
et fleur de lis, p. 34-36, voit les crapauds comme un ancien symbole solaire. Elle a notamment comme argument
celui que l’animal était une représentation d’Apollin, l’Apollon grec. Elle commet l’erreur de coller une
interprétation antique d’une divinité dans un contexte médiéval, alors que les deux schémas de pensée sont
différents. Dans les textes du Moyen Âge, Apollin était surtout un dieu païen, que les musulmans pouvaient vénérer,
plutôt qu’un dieu solaire.
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étaient utilisés uniquement en tant que symboles négatifs dont les valeurs restaient identiques ; mais
le sens symbolique a évolué à l'époque moderne.
A partir du XVIe siècle, les auteurs se mettaient à rassembler les différentes versions existante,
afin de savoir quelles armoiries furent effectivement portées par Clovis avant sa conversion, entre
les croissants et les crapauds. Ils différenciaient ainsi ces deux figures, et les interprétaient
symboliquement de manière différente. Le crapaud, animal nauséabond des marécages, était ainsi
rejeté par certains auteurs du XVIIe siècle, qui voyaient son association avec Clovis salir l'image
des rois de France. Il ne s'agissait plus d'interpréter le crapaud comme animal païen, dont le
symbole est opposé à celui de la fleur de lis chrétienne au cours d'un même récit. Les auteurs
réfléchissaient sur le symbole de l'animal en lui-même, sans le relier à son rôle dans le récit.
A la même époque, les auteurs attribuaient des armoiries aux souverains qui avaient régné en
France depuis les Gaulois et le mythique roi Pharamond 19. L'idée généralement admise à cette
époque, bien que parfois critiquée, était que les armoiries remontaient à un temps très ancien 20, ce
qui plaçait Clovis au sein d'une longue lignée de rois. Pour se revendiquer de ce peuple ancêtre des
Français, dont les rois de France étaient les successeurs 21, il importait d'attribuer à ces derniers des
armoiries nobles qui ne dévalorisaient pas leur image, malgré leurs croyances païennes. C'est
pourquoi il n'était plus acceptable pour certains auteurs de laisser penser que Clovis et les rois qui le
précédaient portaient sur leurs armes des crapauds. Afin de mettre un terme à cette tradition des
crapauds dans les armes de Clovis, Pierre Palliot prétendait que l'idée avait été créée par les
ennemis de la France, qui voulaient discréditer les rois, et reprise par le peuple ignorant qui croyait
et répandait de fausses informations22. D'autres auteurs, moins nombreux comme le héraut du
XVIe siècle Jacques le Boucq, pouvaient accepter l'idée que Clovis ait pu porter des crapauds et le
justifiaient en donnant à cet animal une valeur positive23.
Les armoiries primitives et imaginaires de Clovis étaient créées et modifiées afin d'exprimer un
message symbolique au sein du récit. C'est pourquoi, avec l'évolution des mentalités et des
perceptions, les auteurs ne se contentaient pas seulement de modifier la valeur symbolique, mais
aussi les figures imaginaires elles-mêmes afin de mieux correspondre à leurs idées. Les armes
réellement portées par les familles recevaient quant à elles une valeur symbolique uniquement à
partir de figures déjà existantes et fixes. L'évolution des mentalités ne modifiait donc que le
symbole de l'animal au sein de la légende, comme c'était le cas du cochon des Porcelet.
19 Jean le Féron, Simbol Armorial, 1555, cité par Claire Bourdeau, L'héritage symbolique..., p. 757 : « attendu que les
Gauloiz ou Françoiz ont porté depuis Pharamond jusques audict Clovis le lion dragonné de gueulles en champ d’or,
colligant de sa queue l’aigle de sable par le col. », ou encore Jérôme de Bara dans Ibid., p. 979 : « devant et après
Pharamond, premier roy des François, qui portoit : de gueulles a trois diademes, ou couronnes, d’or ».
20 Voir Claude-François Ménestrier, Origine des armoiries, p. 3-32, où il résumait et argumentait contre les dix-huit
théories à propos de l'origine des armoiries, dont la plus ancienne les fait remonter à l'époque de la Création du
Monde.
21 Sur les origines gauloises et troyennes des Francs, voir Colette Beaune, Naissance de la nation..., p. 19-55.
22 Pierre Palliot, Vraye et parfaite science..., p. 39: « c’est une ineptie de croire que aucuns de nos Roys ait oncques
porté des Crapaux. Au contraire ce qui en à esté escrit est venu de l’invention des ennemis de l’honneur François, et
en derision de ce qu’ils estoient issus des Paluds Meotides, ou ce sale et infecte animal abonde, comme en tous
autres lieux boüeux et marescageux. », puis p. 428 : « Il est vray que suivant une erreur populaire et des plus
grossieres, il les substituë à des Crapaux ».
23 Dans un passage de son Noble blason des armes, cité dans Claire Boudreau, L'héritage symbolique..., p. 753-754, il
pensait que les crapauds symbolisaient l’humilité parce qu’ils n’attaquent que s’ils sont eux-mêmes attaqués. Il les
associait ainsi à la Vierge Marie, en disant qu’en l’honneur de celle-ci, Clotilde avait donné à Clovis les trois
crapauds, changés ensuite en lis quand Dieu s’aperçut de la réelle humilité du roi.
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Le cochon des Porcelet, symbole de fertilité ou de luxure
Les Porcelet, ancienne famille de la noblesse provençale, 24 avaient dans leurs armoiries une
figure parlante, liée au nom qu'ils portaient : un cochon de sable sur champ d'or. La légende sur
l'origine de leurs armoiries, connue au XVIe siècle mais pouvant avoir une origine médiévale, était
également une légende fondatrice de la famille. Savoir d'où venaient les armoiries parlantes pouvait
poser problème aux hérauts et érudits de l'héraldique, qui rejetaient ces armes, prétendant parfois
qu'elles étaient une caractéristique des roturiers 25. La plupart des légendes héraldiques situaient
l'événement fondateur des armoiries pendant une guerre, au cours de laquelle le héros avait
accompli un haut fait militaire, lors d'une bataille historique, comme les croisades ou Bouvines par
exemple26. Les auteurs avaient recours à ce type de légende quand ils plaçaient le temps de la
création des armes familiales à un moment différent de celui – souvent plus ancien – de la famille et
de son nom. Si en revanche on admettait un lien – donc une origine commune – entre le nom et les
armoiries, on ne pouvait faire remonter le moment de l'adoption de la figure héraldique – et
également celui du nom, donc celui de la « naissance » de la famille – à un conflit assez récent dont
la date était connue. Le prestige du lignage dépendait en effet de son ancienneté et il était préférable
de raconter son origine légendaire sans préciser de date ni de nom, de manière à faire croire à une
fondation du lignage infiniment lointaine dans le temps27. C'est pourquoi la légende de l'origine des
armoiries des Porcelet telle qu'elle est relatée au XVI e siècle est censée se dérouler à une époque
non datée, avec des personnages anonymes dans un contexte qui n'était pas guerrier. Il existait au
moins deux versions connues de la légende.
Pour la première28, l'histoire racontait qu'une comtesse marchait, quand elle vit une pauvre
femme assise et qui demandait l'aumône. La noble dame ne voulut pas l'aider et, afin de se venger,
la mendiante qui était une sorcière, lui jeta un sort : la dame de haut rang devait avoir autant
d'enfant en une grossesse que le prochain animal qu'elle allait croiser pouvait en avoir en une
portée. Il s'avéra que ce premier animal rencontré par elle fut un cochon, ce qui la conduisit à
enfanter neuf mois plus tard de neuf enfants, donc autant que ce qu'une truie pouvait avoir par
portée. Ces enfants devinrent alors par la suite tous d'importants personnages, et prirent, en
mémoire de cet événement, le cochon dans leurs emblèmes héraldiques.
Dans la seconde version29, la mendiante n'était pas une sorcière, mais une pauvre femme qui
avait avec elle des jumeaux. Considérant que seules celles qui ont connu charnellement deux
hommes à peu d'intervalle pouvaient donner naissance à des jumeaux, la comtesse qui avait croisé
son chemin ne s'était pas contentée de lui refuser l'aumône, mais l'avait également insultée en la
traitant de putain et d'adultère. Blessée par ces propos, la mendiante qui se trouvait être innocente,
pria alors Dieu de punir la noble dame si jamais elle venait à tromper son mari et de lui faire donner
naissance à autant d'enfants qu'une truie pouvait avoir en une portée si l'infidélité avait lieu. Or
quelques temps plus tard, la comtesse coucha avec un autre homme que le sien et tomba enceinte de
neuf enfants. Leur devenir devint le même que celui de la première version : d'importants
24 Sur l'histoire de la famille Porcelet au Moyen Âge, voir Martin Aurell, Une famille de la noblesse provençale au
Moyen Age : les Porcelet, Avignon, Aubanel, 1986 et sur leurs armoiries, voir du même auteur « Autour de l'identité
héraldique de la noblesse provençale au XIIIe siècle », dans Médiévales, t. 19, 1990, p. 17-27.
25 Claire Boudreau, L'héritage symbolique..., p. 21-22. De plus, Claude-François Menestrier était l’un des rares auteurs
de l’époque moderne à assumer l’idée d’armoiries parlantes pour expliquer l'origine de certaines figures plutôt que
de recourir aux légendes, même s’il ne l’appliquait pas toujours : Origine des armoiries, p. 112-135.
26 Sur quarante-et-une armoiries de familles étudiées durant notre mémoire de Master 1, trente-et-une étaient d'après
les légendes, créées dans un contexte guerrier.
27 Michel Nassiet, Parenté, noblesse et Etats dynastiques, XVe-XVIe siècles, EHESS, Paris, 2000, p. 32.
28 Pierre Palliot, La Vraye et parfaite science..., p. 551.
29 Mac de Vulson, La Science héroïque..., p. 261-262 et Gilles-André de la Roque, La Méthode royale, facile et
historique du blason, avec l’origine des armes des plus illustres Etats et Familles de l’Europe, Paris, Charles de
Sercy, 1671, p. 213-215.
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personnages, contrairement à ce que prédisaient les astrologues, et qui placèrent le cochon dans leur
écu.
Le cochon, symbole de fertilité dans le premier récit, est associé au mauvais sort donné par une
sorcière ayant voulu se venger contre la fondatrice du lignage. Dans le second au contraire, la noble
dame était coupable d'avoir insulté une pauvre innocente, puis d'avoir été infidèle à son mari, ce qui
a entraîné contre elle une punition divine. Il est difficile de savoir quel récit a été créé en premier à
cause de l'oralité primitive des légendes, mais nous savons que la version de la sorcière – donc la
moins négative pour la famille – a été mis par écrit par un membre de la famille au XVI e siècle,
François-Joseph Porcellet seigneur de Maillane. Les textes de la seconde version que nous avons
trouvés datent quant à eux seulement du siècle suivant. De plus, l'image du cochon s'est dégradée
avec le temps à partir de l'époque moderne, pour justement représenter la saleté et la luxure 30. Nous
pourrions donc penser que le récit de la sorcière était plus ancien, véhiculé par les Porcelet euxmêmes, mais que la légende fut modifiée suivant l'évolution des mentalités et de l'image de
l'animal, pour lui attribuer un rôle négatif.
L'animal dans les légendes héraldiques pouvait revêtir plusieurs fonctions complexes. Animal
réimaginé de manière monstrueuse, la guivre mangeuse d'enfants des Visconti était actrice du récit
et adversaire du héros victorieux, renforçant la gloire de ce dernier par la plus grande difficulté du
combat contre cette créature diabolique. Animal naturel comme le dangereux serpent de cette même
famille ou la fertile truie des Porcelet, leur rôle est rapproché de ce qu'ils étaient dans la réalité, avec
un choix fait sur leur trait distinctif31. Animal emblématique comme le terrifiant cimier au serpent
ou les crapauds païens et démoniaques des armoiries primitives de Clovis, il servait à mettre en
valeur la caractéristique principale de celui qui les portait. Quelle que soit la manière dont il
apparaît dans la légende, le rôle joué par l'animal – qu'il soit passif ou actif – restait lié à l'image qui
lui était attribuée dans l'imaginaire médiéval et moderne. Sa portée symbolique dépendait
principalement de l'espèce à laquelle il appartenait, et non des couleurs qui lui étaient associées
dans les armoiries32. Avec l'époque moderne, les animaux prenaient une place plus cohérente dans
les récits et délaissaient leur côté monstrueux, qui n'était peut-être plus assez crédible pour être
répété33. Mais, malgré l'évolution des légendes désormais adaptées aux mentalités, les récits déjà
mis par écrit plus tôt ne pouvaient être effacés. Des versions différentes cohabitèrent, les plus
anciennes étant critiquées mais diffusées malgré tout. La relation entre les familles et les animaux
qu'elles arboraient variait dans les légendes selon ce qu'ils représentaient, mais correspondaient
toujours à une recherche de prestige et de renommée, avant que les érudits modernes ne vinssent
actualiser et faire évoluer les récits. Ces légendes sont donc un bon moyen pour les historiens pour
mieux comprendre les politiques familiales ou l'évolution des mentalités avec celle de la perception
des animaux dans le temps.
Nicolas Fromentin
30 Michel Pastoureau, Couleurs, images, symboles: études d'histoire et d'anthropologie, Paris, 1989, p. 277-280 et du
même auteur, Le cochon : histoire d’un cousin mal aimé, Paris, Gallimard, 2009.
31 Par exemple, grâce à un cheval, dont le rôle est positif et protecteur, le chevalier de Pardubice a pu survivre au siège
de Milan, raison pour laquelle il l'a placé dans son écu (Claude-François Ménestrier, Origine des Armoiries, p. 165166 et Jiri Louda, « Bohemian and Moravian armorial legends », dans The coat of arms, t8, 1964-1965, p. 110-114).
32 Il n'y a par exemple aucune allusion ni référence à la couleur noire du cochon que les Porcelet portaient dans leurs
armoiries. Quant aux crapauds de Clovis, qui pouvaient être tantôt de sable, tantôt d'or, les auteurs n'y prêtaient
guère attention dans leurs interprétations.
33 La légende de Mélusine racontée dans deux romans médiévaux – de Jean d'Arras et de Coudrette – était la célèbre
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Les animaux et la justice
Le lien entre figurations d’animaux et lieux réservés à l’administration de la justice a des racines
anciennes. Dans la Bible, le trône de Salomon, le juge équitable par excellence, était flanqué de
deux lions, tandis que douze autres étaient situés tout au long de l’escalier qui y conduisait (Rois, I,
10, 18-20). Symbole traditionnel du pouvoir, la bête était une présence adaptée aux sièges des
autorités qui étaient pourvues d’un pouvoir à la fois politique et juridique.
Pendant le Moyen Âge l’interprétation moralisée des animaux exalte le lion pour sa clémence et
le transforme en une présence habituelle des lieux de justice. Ainsi, spécialement en France et en
Italie, à l’âge roman, les débats judiciaires advenaient fréquemment sur le parvis des églises entre
les lions de pierre qui en surveillaient les portails (« inter leones »).
Enseigne du tribunal de la Regina Leona, dernier quart du XIII e siècle ( ?)
Vérone, Palais de la Ragione (Photographie Matteo Ferrari)
Toutefois, dès la seconde moitié du XIII e siècle, dans les Communes italiennes, le rapport entre
animaux et justice se resserre de façon inédite. Nées entre la fin du XIe et le début du XIIe siècle, les
Communes étaient des structures de gouvernement local dirigées par des magistratures temporaires
et électives et par des assemblés qui réunissaient une grande partie de la population. Vers la fin du
XIIIe siècle les Communes monopolisèrent l’administration de toutes les affaires judiciaires pour la
ville et pour le territoire qu’elle contrôlait. Cette fonction était généralement confiée à plusieurs
tribunaux, dont chacun délibérait en une matière spécifique (civile, pénale, fiscale etc.) ou, en
alternative, étendait sa juridiction sur un seul quartier de la ville.
Puisque les juges travaillaient simultanément et dans le même endroit (le porche ou la salle des
palais publics), on décida de peindre des enseignes au-dessus de leurs bancs pour aider les citoyens
à identifier le tribunal auquel ils devaient s’adresser. Il arriva ainsi que le tribunal prît le nom de la
figure qui l’indiquait. À partir des années 1270-1280 le système fut adopté par de nombreuses
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villes, come Padoue, Bologne, Côme et Mantoue, mais il se répandit rapidement dans la plupart des
chefs-lieux de la Plaine du Pô. Peu d’enseignes ont survécu. Parmi d’autres, à Milan on conserve
l’enseigne du juge du bœuf, tandis que dans les Palais de la Ragione de Padoue on voit la série des
peintures renouvelées après l’incendie de 1420. Ces rares vestiges et les chartes d’archives
démontrent, en effet, que plus de 80% des enseignes présentaient des figures animales : lion (12%),
aigle (11%), bœuf et cheval (9%), ours (8%), griffon et cerf (6%), et ainsi de suite. Dans d’autres
cas, les panneaux pouvaient montrer des figures de saints (Mantoue) ou même d’êtres monstrueux
(Vérone).
Toutefois, cette prédilection pour les animaux ne présente aucune valeur symbolique. En
revanche, ces images avaient clairement une fonction mnémotechnique, en répondant à l’exigence
de créer des séries qui pouvaient être facilement augmentées tout en restant aisément identifiables.
Matteo Ferrari
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Les animaux dans les enseignes d’auberges sous l’Ancien
Régime
Les enseignes font partie de l’univers et du décor urbain d’Ancien Régime 1. En effet, ces
« marques » commerciales -généralement situées sous l’auvent des boutiques- sont particulièrement
nombreuses dans les villes françaises des XVII e et XVIIIe siècles2. Pour ne prendre que ces
exemples, on en rencontre plusieurs dizaines dans des cités comme Limoges, Poitiers ou Angers,
plusieurs centaines à Lyon, Toulouse ou Bordeaux, et même quelques milliers dans la seule
agglomération parisienne3. Souvent très voyantes et massives, elles jouent alors essentiellement un
double rôle. Elles servent d’abord de supports publicitaires aux commerces qui les abritent. Comme
aiment à le répéter les dictionnaires du siècle des Lumières, « les marchands mettent une enseigne à
leur boutique afin qu’on les […] connaisse », et pour « indiquer aux passants, ou à ceux qui ont
besoin d’eux, leur demeure, leur profession 4 ». Par ailleurs, ces signes commerciaux ont aussi
indirectement une seconde fonction : ils sont presque systématiquement utilisés comme points de
repérage aux maisons des rues (avant la numérotation des demeures qui n’intervient que dans les
toutes dernières années de l’Ancien Régime)5.
De façon à se différencier les unes des autres, ces enseignes sont d’apparence très variée,
notamment celles des établissements hôteliers qui sont de loin les plus nombreuses. Or, si l’on en
juge par les archives de l’époque, journaux de voyage, rôles de taille, mémoires, documents
administratifs, et beaucoup d’entre elles représentent alors des animaux. Quelle est exactement la
part de ces enseignes animales dans les rues des villes et bourgs français des XVII e et
XVIIIe siècles ? Sous quelles formes se présentent-elles habituellement ? Enfin, quels sont les
animaux les plus usités –et donc les plus « populaires »- parmi ces signes commerciaux d’Ancien
Régime ?
1 Plusieurs personnes m’ont donné d’utiles informations –ou m’ont apporté leur aide- pour la réalisation de ce
modeste travail. Je remercie notamment Anne-Sophie Traineau-Durozoy, Mathilde Beslier, Laurence Caillaud, Jane
Demai, Olivier Jeanne-Rose, Régis Rech et Elise Bernier.
2 Sur les enseignes françaises d’Ancien Régime, les deux études de référence -malgré leur ancienneté- restent les
travaux suivants : Jean-Daniel Blavignac, Histoire des enseignes d’hôtelleries, d’auberges et de cabarets, Genève,
1878 ; John Grand-Carteret, L’Enseigne. Son histoire, sa philosophie, ses particularités, Grenoble et Moutiers,
1902, 2 volumes [très intéressante et très complète bibliographie de l’enseigne, classée par villes et régions, t. II,
p. 397 à 444].
3 Christophe Audebaud, « Le milieu de l’hôtellerie à Limoges au XVIIIe siècle : spécificités et occurrences avec le
marchand négociant », dans Bulletin de la Société Scientifique, Historique et Archéologique de la Corrèze, 1998,
p. 209-219, en particulier p. 211 ; Jacques Maillard, Le pouvoir municipal à Angers de 1657 à 1789, Presses
Universitaires d’Angers, 1984, t. I, p. 183 et 185 ; Fabrice Vigier, « Le paysage hôtelier des villes du Haut et du
Moyen Poitou aux XVIIe et XVIIIe siècles », dans Terres marines. Etudes en hommage à Dominique Guillemet (sous
la direction de Frédéric Chauvaud et Jacques Péret), Rennes Presses Universitaires de Rennes, 2005, p. 293-298 ;
Paul Butel et Jean-Pierre Poussou, La vie quotidienne à Bordeaux au XVIIIe siècle, Paris, 1980, p. 222-226 ; Sabine
Juratic, « Réseau hôtelier et accueil des étrangers à Paris XVIIIe-XIXe siècle », dans Les étrangers dans la ville.
Minorités et espace urbain du bas Moyen Age à l’époque moderne (sous la direction de Jacques Bottin et Donatella
Calabi), Maison des Sciences de l’homme de Paris, 1999, p. 271-282.
4 Dictionnaire universel françois ou en latin, vulgairement appelé dictionnaire de Trévoux, Paris, 1771, t. III, p. 734735, article « Enseigne » ; Jacques Savary des Bruslons, Dictionnaire universel de commerce contenant tout ce qui
concerne le commerce qui se fait dans les quatre parties du monde, Paris, 1723, t. I, p. 1822, article « Enseigne ».
5 Alfred Franklin, La vie privée d’autrefois. Arts et métiers, modes, mœurs, usages des Parisiens du XII e au XVIIIe
siècle. Variétés parisiennes, Paris, 1901, p. 1-26.
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Des enseignes animalières partout très présentes
Il est évidemment impossible de connaître, à l’échelle du royaume, la proportion d’enseignes
animalières parmi toutes les « marques » commerciales ayant pignon sur rue à l’époque moderne.
Toutefois, les quelques études existant sur le sujet relèvent leur présence dans quasiment tous les
cadres de vie des habitants du pays.
Tout d’abord, les figures d’animaux servent d’appellation à un grand nombre d’auberges des
principales villes françaises. C’est le cas, en premier lieu, à Paris qui est alors la seule
agglomération à dépasser le demi-million d’âmes. Environ 12% des établissements hôteliers y
portent des noms animaliers à la veille de la Révolution de 1789 6. S’ils sont alors légèrement
distancés par les dénominations d’ordre historique et politique (19,5%), relatives aux objets
(19,5%), hagiographiques (19%) ou liées aux métiers (14%), ils devancent en revanche largement
les qualifications topographiques (5%), mythologiques (3,5%) ou de plantes (2,5%). Dans certaines
grandes cités de province, les enseignes animales arrivent parfois en meilleure position qu’à Paris.
À Nantes et Niort, elles sont apparemment les plus nombreuses (avec respectivement 20% et 23,8%
du total des hôtelleries), tandis qu’elles se situent à la seconde place à Poitiers (21,7%) et à Dijon
(21,5%) où seules les enseignes religieuses sont plus nombreuses 7. En revanche, dans le grand port
de Bordeaux, elles représentent moins de 5% des lieux d’accueil des voyageurs, loin derrière les
noms géographiques et les attributs royaux8.
Tableau 1: Les types d’enseignes des auberges de Bordeaux, Poitiers et Dijon aux XVII e et XVIIIe siècles
Dans les petites villes du royaume et les secteurs moins densément peuplés, on rencontre tout
autant des auberges avec des noms de mammifères, d’oiseaux ou autres bêtes. C’est le cas
indistinctement dans toutes les régions françaises. Ainsi, en Alsace, les termes animaliers ont inspiré
12 des 29 enseignes répertoriées à Barr, ou encore 7 des 22 commerces hôteliers de Molsheim ayant
fonctionné à l’époque moderne9. Il en est de même en Bretagne et en Normandie : à Vannes, 6 des
6 Daniel Roche, Le peuple de Paris. Essai sur la culture populaire au XVIIIe siècle, Paris, 1981, p. 230.
7 Robert Posnic, Le monde des cabarets et des auberges à Nantes au XVIIIe siècle, mémoire de maîtrise (direction M.
Noël), Nantes, 1979, p. 14-18 ; Fabrice Vigier, « Les structures hôtelières de deux villes du Centre-Ouest français
sous l’Ancien Régime : Niort et Poitiers aux XVIIe et XVIIIe siècles », dans Annales de Bretagne et des Pays de
l’Ouest, t. 118, mars 2011, n° 1, p. 113-142, en particulier p. 119-122 ; Monique Michaux, « Les hôtelleries
dijonnaises au XVIIe siècle », dans Mémoires de l’Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Dijon, 1961, p.
69-97.
8 Monique Lambert, « Des hôteliers à Bordeaux au XVIIIe siècle », dans Généalogies du Sud-Ouest, 2001, n° 43, p.
17-23.
9 Jean-Marc Le Minor, « Auberges barroises (XVIe-XVIIIe siècles) », dans Société d’Histoire et d’Archéologie de
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26 hôtelleries qui ont accueilli des clients entre le XVI e et le XVIIIe siècle ont des enseignes
d’animaux, ainsi que 6 des 23 auberges de Coutances sous l’Ancien Régime 10. Sans surprise, des
maisons de ce type se recensent également dans le Sud-Ouest et le Midi : par exemple à Uzès dans
les Cévennes (3 sur 10 appellations d’auberges), à Beaucaire en pays nîmois aux XVI e et
XVIIe siècles (3 sur 8), ou encore à Bergerac en Périgord au siècle des Lumières (6 sur 15) 11. Quant
aux petites bourgades rurales, elles sont toujours bien moins loties en hôtelleries que les villes, en
raison de leur population moindre : on n’y trouve généralement qu’une voire quelques rares
auberges offrant le gîte et le couvert aux clients de passage. Pourtant, il est relativement fréquent de
rencontrer, dans ces campagnes, des établissements aux consonances animalières : c’est le cas, par
exemple, dans les petites localités de Châteauneuf en Cognaçais, de Largentière en Vivarais, de
Montbazon en Touraine, ou encore de Houdan en région parisienne 12 C’est dire si ces commerces
avec des noms d’animaux sont familiers des Français d’Ancien Régime !
Des « signes » commerciaux aux formes variées
S’ils sont relativement nombreux, ces animaux ainsi représentés au devant des établissements
hôteliers revêtent des formes variées à l’époque moderne13. Bien qu’il soit impossible d’en
déterminer précisément la répartition, on rencontre alors toujours en France trois grandes catégories
d’enseignes animalières différentes14.
Les premières sont celles qui sont gravées ou sculptées dans la pierre ou dans le bois. Elles sont
généralement installées au dessus des portes d’entrée, entre le rez-de-chaussée et le premier étage 15.
Ce sont, de loin, les plus anciennes dans leur conception. Selon toute vraisemblance, les plus
vieilles remonteraient aux XIIIe-XIVe siècles et seraient les seules à être utilisées en France jusqu’à
la Renaissance16. Cependant, on continue à en tailler et en sculpter, sans discontinuer, jusqu’à la fin
de l’Ancien Régime. Elles se présentent, dans la majorité des cas, sous la forme de statues, de
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Dambach-la-Ville-Barr-Obernai, 1979, t. 13, p. 61-76 ; Louis Schaefli, « Auberges et aubergistes à Molsheim sous
l’Ancien Régime », dans Annuaire de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Molsheim et ses environs, 1997,
p. 35-104.
André Viaud-Grand-Marais, « Vieilles auberges et hôtelleries de Vannes », dabs Bulletin de la Société Polymathique
du Morbihan, 1930, p. 34-43 ; Christine Daireaux, « L’hôtellerie coutançaise sous l’Ancien Régime », dans Revue
de la Manche, t. 36, janvier 1994, fascicule 141, p. 17-30.
Jeannine Flaugère, « Les hostelleries uzétiennes (Gard) », dabs Rhôdanie. Société d’Etude des Civilisations
Antiques Bas-Rhôdaniennes, 1984, n° 10, p. 36-45, n° 11, p. 33-43, en particulier n° 11, p. 38 ; Jean Roche, « Le gîte
et le couvert. Les hôtelleries à Beaucaire du XVIe au XVIIIe siècle », dans Bulletin de la Société d’Histoire et
d’Archéologie de Beaucaire, 1994, p. 14-17 ; François Villepelet, « Vieilles enseignes d’auberges à Périgueux et en
Périgord », dans Bulletin de la Société Historique et Archéologique du Périgord, 1909, p. 340-361, en particulier
p. 355-357.
Sans auteur, « A l’enseigne du Cheval Blanc. L’Hôtel Reveillon à Châteauneuf », dans Bulletin de l’Institut
d’Histoire et d’Archéologie de Cognac et du Cognaçais, 1974-1976, p. 57-58 ; Jean Charay, « Logis et auberges du
Vivarais d’autrefois [XVIIe et XVIIIe siècles] », dans Revue de la Société des Enfants et Amis de Villeneuve-deBerg, 1975, p. 21 ; Ludovic Vieira, « Les auberges et hôtelleries de Montbazon », dans Revue du Val de l’Indre,
1995, p. 9-17 ; Odette Paule Boucher, « Les anciennes auberges de Houdan », dans Le Mantois. Bulletin de la
Société des Amis du Mantois, 1972, n° 23, p. 30-33.
On trouvera une belle collection d’enseignes d’Ancien Régime dans : Jean-Pierre Willesme, Enseignes du musée
Carnavalet-Histoire de Paris. Catalogue raisonné, Paris, 1996.
Fabrice Vigier, « Un enjeu politique ? Les enseignes des auberges et des hôtelleries françaises en 1793-1794 », dans
Signes et couleurs des identités politiques du Moyen Âge à nos jours (s. d. de Denise Turrel, Martin Aurell, Christine
Manigand, Jérôme Grévy, Laurent Hablot & Catalina Girbéa), Rennes Presses Universitaires de Rennes, 2008,
p. 459-476, en particulier p. 461-462.
Docteur Patay, « Les enseignes, emblèmes et inscriptions du Vieil Orléans », dans Mémoires de la Société
Archéologique et Historique de l’Orléanais, 1880, p. 215-301, en particulier p. 225.
Jean-Pierre Leguay, La rue au Moyen Âge, Rennes, 1984, p. 104-110 ; Adolphe Berty, « Les enseignes de Paris
avant le XVIIe siècle », dans Revue Archéologique, avril-septembre 1855, p. 1-9.
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bas-reliefs, de rondes-bosses ou de bois sculptés, la plupart du temps peints 17. Aux XVIIe et
XVIIIe siècles, les enseignes d’hôtelleries de ce type sont d’ailleurs souvent associées à une
inscription gravée avec la formule publicitaire « bon logis à pied et à cheval »18.
Une enseigne sculptée : Au Cheval d’Argent (1743)
Ville de Lyon, 7 rue du Puits-Gaillot (photographie Elise Vigier)
Concurremment à ces décors sculptés, une seconde catégorie d’enseignes connaît un vif succès à
partir du milieu du XVIe siècle : celles constituées d’un tableau ou d’une image peinte. Qu’elles
soient de bois ou de métal, ces dernières sont généralement suspendues à une verge de fer
horizontale qu’arc-boute une autre placée obliquement. Ce genre d’enseignes semble avoir d’abord
fait son apparition dans les années 1550 à l’instigation du roi Henri II qui avait alors recommandé
aux marchands du royaume de mettre « sur le portail de [leur] maison l’Image d’un Saint » pour
« [confondre] les hérétiques19 ». Elles se multiplient assez rapidement par la suite, sans pour autant
prendre pour seules illustrations des thèmes religieux. Il faut dire qu’elles présentent un avantage
certain pour leurs tenanciers : comme elles s’avancent sur la chaussée, les éventuels clients peuvent
les apercevoir de relativement loin20. Progressivement, elles ont d’ailleurs tendance à devenir de
plus en plus grandes et massives, dépassant même parfois le milieu des étroites rues de cette
époque, afin d’attirer l’attention et la vue des passants21. Ce sont, en tout cas, les plus courantes dans
les cités françaises à partir du règne de Louis XIV. On relève d’ailleurs clairement leurs traces dans
les minutes notariales qui utilisent alors très fréquemment la formule « auberge où pend pour
enseigne l’image de … » pour les désigner.
Enfin, un dernier type de marque commerciale trône dans les rues des villes de France jusqu’à la
17 Henri Jadard, « Vieilles rues et vieilles enseignes de Reims. Notices suivies de la liste des rues actuelles et des
enseignes survivantes », dans Travaux de l’Académie Nationale de Reims, 1897, volume 99, p. 303-430, en
particulier p. 313-359.
18 Karin Depicker, Mikaël de Thyse, Yves Hanosset, Cristina Marchi, Enseignes, images de pierres. XVIIe et XVIIIe
siècles, Du Perron, 1991, p. 19, 20, 55, 78, 87.
19 Pierre Jacques Brillon, Dictionnaire des Arrêts ou Jurisprudence Universelles des Parlemens de France et autres
tribunaux, Paris, 1727, t. II, article « Enseigne ».
20 Alfred Franklin, Dictionnaire historique des Arts, Métiers et Professions exercés dans Paris depuis le XIIIe siècle,
Laffitte Reprints, Marseille, 1991, p. 303-306, article « Enseigne ».
21 Jean-Claude Bonnet (édition établie sous la direction de), Tableau de Paris de Louis Sébastien Mercier, Mercure de
France, 1994, p. 177-178, chapitre LXVI : Enseignes.
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Révolution française : les enseignes en fer forgé. Elles peuvent se présenter sous forme d’imposte,
parfaitement intégrée à une fenêtre, une porte d’entrée ou un portail. Plus souvent, elles sont
saillantes et avancent sur la rue : ce sont alors des pièces très complexes de ferronnerie, dont les
découpures forment un motif se détachant sur le ciel. Ce genre de supports publicitaires semble se
développer surtout à partir du siècle des Lumières, et paraît particulièrement répandu dans certaines
régions comme l’Alsace22. Plus légères et aériennes que les tableaux ou images suspendus, ces
enseignes offrent, il est vrai, quelques avantages : elles obscurcissent moins les rues, ont moins de
prise au vent et sont donc moins susceptibles de tomber –comme cela a parfois pu être le cas- sur
les piétons de passage23.
Des marques s’inspirant d’un pléthorique bestiaire
Qu’elles se présentent sous forme de pierres sculptées, d’images peintes ou encore de pièces de
ferronnerie, ces enseignes d’auberges ou d’hôtelleries adoptent bien souvent –en moyenne dans un
cinquième ou un quart des cas- une appellation animalière. Or, quels sont les noms et figures
d’animaux les plus souvent représentés sur ses « signes » commerciaux entre le XVIe et le
XVIIIe siècle ?
Tableau 2 : Les types d’animaux représentés (et identifiés) sur les enseignes des villes de Reims, Châlons-sur-Marne et Poitiers à l’époque moderne
A nouveau, il s’avère impossible de dresser une statistique globale pour l’ensemble des
établissements du royaume24. Pour plusieurs villes françaises, on dispose néanmoins de listes de
noms des commerces qui permettent d’avoir quelques données. Ainsi, si l’on se fie aux situations
existant dans les cités de Reims, Châlons-sur-Marne et Poitiers au cours des deux siècles qui
précédent la Révolution française, le bestiaire adopté s’avère très varié, malgré une répartition
inégale entre les différents types d’animaux25. Sans surprise, ce sont les espèces domestiques qui
22 Georges Klein, Les enseignes en Alsace, Edition Georges Klein, 1988, p. 23.
23 John Grand-Carteret, L’Enseigne. Son histoire, sa philosophie, ses particularités, Grenoble et Moutiers, 1902, t. I,
p. 8-11.
24 Michèle Boudignon-Hamon, « L’hôtellerie provinciale dans les récits des voyageurs de France », dans GéMagazine, n° 63, juillet-août 1988, p. 17-26.
25 Henri Jadard, « Vieilles rues et vieilles enseignes de Reims. Notices suivies de la liste des rues actuelles et des
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arrivent en tête, puisqu’elles concernent entre 40 et 50% de l’ensemble des enseignes. Parmi elles,
on rencontre d’abord les mammifères traditionnels de la ferme : Le Bœuf couronné, La Vache, La
Chèvre, L’Ane rayé, Le Mouton d’Or, Le Chat roux, le Mulet chargé, L’Agneau pascal, Le Petit
Veau, La Brebis, Le Porcelet ou encore Le Cheval noir. Toute la basse-cour y est également très
présente avec, par exemple, Le Blanc Canard, Le Petit Jard, Le Chapon Blanc, Le Cygne, Le
Pigeon Blanc, Le Coq d’Or, La Rouge Oye ou la Poule Blanche. Après cette domesticité, les
animaux sauvages viennent en seconde position et peuvent intéresser jusqu’à 40% des noms de ces
commerces. Ceux-ci ont trait aussi bien aux grands mammifères européens (Le Cerf Couronné, La
Laie, Le Chat Sauvage, L’Ours, Le Vieux Loup, Le Hérisson, Le Lièvre, Le Beau Chamois, etc),
voire extra-européens (Le Dromadaire, L’Eléphant, Le Petit Lion, Au Singe, Le Porc-épic, etc), qu’à
tous les oiseaux et rapaces (L’Aigle d’Or, Le Pélican, La Grue, Le Grand Faucon, L’Autruche, Le
Héron, Le Papegai, Les Deux Corbeaux, etc). Les poissons et les mammifères marins (La Baleine,
Le Barbeau, L’Ecrevisse, La Lamproie, Le Saumon, Les Trois Poissons, etc) semblent, en revanche,
beaucoup plus rares (autour de 10%), et plus encore les reptiles ou batraciens (La Salamandre, etc)
qui sont vraiment sous-représentés. Enfin, on relève presque toujours quelques animaux imaginaires
dans ce genre de corpus : les plus courants sont Le Griffon, Le Dragon, La Sirène et La Licorne.
Plusieurs de ces enseignes s’avèrent remarquables, tant par leur nomenclature que par leur grand
nombre dans la France d’Ancien Régime26. Ainsi certaines ne se contentent pas de l’évocation du
simple nom de l’animal, comme on peut le remarquer dans les exemples précédents. Beaucoup
d’entre elles sont effectivement affublées d’épithètes et de qualificatifs plus ou moins précis 27. Selon
les cas, ces derniers concernent la taille (Le Grand Chat Huant, Le Petit Cerf, Le Grand Barbeau,
Le Petit Lion, Le Petit Paon, etc), la couleur (Le Mouton Noir, Le Collet Vert, L’Aigle Noir, etc), la
qualité de la bête (Le Cheval Armé, L’Ours bridé, Le Cerf Monté, etc), voire leur nombre (Les Deux
Corbeaux, Les Trois Pigeons, Les Deux Lyons d’Or, Les Trois Perdrix, etc). Quelques marques de
commerces sont même de véritables expressions (souvent assez parlantes), et entendent se
distinguer par leur humour ou leur jeu de mots plus ou moins subtil 28. C’est le cas des
établissements ayant pour appellation Le Cygne de Croix, La Truie-qui-file, Le Porc-qui-trouille, La
Rouge Oye et Le Lion d’Or (qui signifie : le lit où on dort). Par ailleurs, au moins trois enseignes
animalières méritent une attention particulière, tellement elles paraissent alors répandues dans
toutes les provinces françaises : il s’agit en l’occurrence du Cheval Blanc, du Lion d’Or et du
Dauphin. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, des hôtelleries répondant à ces trois noms sont ainsi
implantées dans absolument toutes les grandes et petites villes du Haut et du Moyen Poitou : elles
ont notamment pignon sur rue aussi bien à Châtellerault, Chauvigny, Loudun, Mirebeau, Niort,
Poitiers qu’à Saint-Maixent. Mais on en relève également dans des bourgades beaucoup plus
modestes des campagnes poitevines. Au total, au moins 14 auberges se nomment Le Dauphin29, au
moins 16 autres Le Lion d’Or30, et au moins 37 (nombre record !) Le Cheval Blanc31. Peut-être est-
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enseignes survivantes », dans Travaux de l’Académie Nationale de Reims, 1897, volume 99, p. 303-430, en
particulier p. 313-359, en particulier p. 401-422 ; Louis Grignon, Topographie historique de la ville de Châlons-surMarne, Châlons-sur-Marne, 1889, p. 350-353 ; Emile Ginot, « Vieilles histoires d’hôtelleries à Poitiers », dans
Bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest, 1927, p. 551-584.
Emile Ginot, « Les enseignes. Leur origine et leur rôle », dans Le Mercure Poitevin, 1901, n° 34, p. 5-33.
Sylvain Livernet, « Enseignes et couleurs en France sous l’Ancien Régime », dans Fonctions de la couleur en
Eurasie, Editions Lharmattan, 2000, p. 75-94.
Jean-Claude Bologne, Histoire des cafés et des cafetiers, Larousse, 1993, p. 86.
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, on relève effectivement une auberge à l’enseigne du Dauphin dans les localités
suivantes du Haut et du Moyen Poitou : Argenton-Château, Bressuire, Châtellerault, Chauvigny, Loudun, Mauzésur-le-Mignon, Melle, Mirebeau, Niort, Parthenay, Poitiers, Saint-Maixent, Saint-Sauvant, Thouars.
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, on relève effectivement une auberge à l’enseigne du Lion d’Or dans les localités
suivantes du Haut et du Moyen Poitou : Châtellerault, Chauvigny, Chenay, Chizé, Civray, Lezay, La Mothe-SaintHéray, Loudun, Lusignan, Mirebeau, Montmorillon, Moulismes, Niort, Poitiers, Pranzay, Saint-Maixent.
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, on relève effectivement une auberge à l’enseigne du Cheval Blanc dans les localités
suivantes du Haut et du Moyen Poitou : Airvault, Allonne, Breuil-sous-Argenton, Brioux, Châtellerault, Chauvigny,
Civray, Coulombiers, Croutelle, Curçay-sur-Vonne, Jazeneuil, Lezay, Loudun, Lusignan, Mauzé-sur-le-Mignon,
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ce d’ailleurs cette dernière enseigne qui est la plus adoptée par les établissements hôteliers du
royaume (avec sans doute L’Ecu de France et La Croix Blanche) jusqu’à la Révolution française.
Conclusion
Au terme de cette rapide présentation, il s’avère nécessaire d’insister sur les éléments les plus
marquants concernant ces enseignes d’Ancien Régime.
Tout d’abord, force est de constater que les animaux représentent effectivement l’un des thèmes
d’inspiration premiers de ces signes commerciaux : seuls les noms religieux et les attributs royaux y
sont peut-être plus nombreux. Une telle situation ne doit cependant pas surprendre : la France est
alors un pays très rural où l’agriculture est prédominante, et dans lequel les animaux de ferme, mais
aussi sauvages, constituent des références essentielles et partagées par l’ensemble des Français.
Comme l’a très bien montré l’historien Daniel Roche pour Paris, ces enseignes sont aussi des
supports culturels de première importance dans les rues des villes et bourgades du pays 32. En alliant
textes et images, beaucoup d’entre elles –par leurs jeux de mots et leurs calembours- ont contribué à
la diffusion de l’écrit et joué un rôle modeste mais non négligeable dans l’acculturation des
populations et les progrès de l’alphabétisation au XVIIIe siècle.
Enfin, signalons que quelques enseignes animalières, si typiques de l’époque moderne, ont
survécu à la Révolution française. C’est le cas, en particulier, des dénominations du Dauphin, du
Cheval Blanc ou du Lion d’Or, que l’on rencontre encore aujourd’hui en assez grand nombre parmi
les hôtels contemporains. Même si ces commerces ont depuis plus de deux siècles beaucoup
changé, on peut voir dans cette permanence onomastique un héritage direct de l’Ancien Régime33.
Fabrice Vigier
Mirebeau, Moncoutant, Montmorillon, La Mothe-Saint-Héray, Niort, Pamproux, Parthenay, Poitiers, Pranzay,
Rouillé, Saint-Gervais-les-Trois-Clochers, Saint-Hilaire-le-Pallud, Saint-Léger-lès-Melle, Saint-Maixent, SaintRémy, Saint-Varent, Sanxay, Soudan, Thénezay, Thouars, Vautebis, Vouillé.
32 Daniel Roche, Le peuple de Paris. Essai sur la culture populaire au XVIIIe siècle, Paris, 1981, p. 229-232.
33 Sylvain Livernet, « Géographie d’une mémoire collective : les enseignes de France sous l’Ancien Régime » dans
Géographie historique et culturelle de l’Europe : hommage au professeur Xavier de Planhol (s. d. de Jean-Robert
Pitte), Paris, 1995, p. 262-286.
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LE COQ (Paschal), docteur régent et doyen de la Faculté de
Médecine (1597-1632)
Paschal Le Coq est sans doute le médecin poitevin le plus marquant de tout l’Ancien Régime. En
effet, son décanat (1616-1632) correspond pratiquement à la seule période où la Faculté de
Médecine de Poitiers – globalement assez moribonde - a fait montre d’un certain dynamisme entre
la fin du Moyen Âge et la Révolution française.
Né en 1567 dans « une famille distinguée par ses richesses, son ancienneté & sa noblesse » de
Villefagnan (près de Ruffec), il se passionne très précocement pour les études médicales, et plus
particulièrement la botanique. A cette fin, il parcourt pendant plus de neuf années les « universités
les plus célèbres » d’Europe, et rencontrent les meilleurs savants de Suisse, d’Italie, d’Allemagne,
de Hongrie, de Bohême, des Pays-Bas et d’Angleterre. Cela lui permet de publier –à l’âge d’à peine
23 ans- l’un des premiers catalogues alphabétiques des médecins écrivains, avec des notices
bibliographiques et biographiques [Bibliotheca medica, sive catalogus illorum qui ex professo
artem medicam in hunc usque diem scriptis illustrarunt, Bâle, Waterick, 1590]. Il suit également les
cours de la Faculté de Médecine de Montpellier, s’y distingue en y remportant « le prix de
botanique avec l’applaudissement des professeurs & des personnes les plus éclairées de cette
fameuse Ecole » et obtient son doctorat en 1594. Il ne semble revenir en Poitou qu’en 1597,
lorsqu’il devient docteur régent à Poitiers. Le 13 décembre 1613, il remplace le doyen Pierre Milon,
alors souffrant, pour la rentrée de l’École de Médecine, et profite de l’occasion pour prononcer un
discours – très savant et très humoristique - sur les prétendues vertus médicinales du coq (l’animal
de basse-cour dont il porte presque le nom), ce qui lui vaut une franche popularité.
Toutefois, plus que son texte sur le fameux gallinacé, Paschal Le Coq est surtout resté à la
postérité pour les nombreuses initiatives prises durant son décanat. Devenu doyen en 1616, il entend
effectivement donner à la Faculté de Médecine sa pleine autonomie au sein de l’Université, et en
faire une vraie institution d’enseignement et de référence scientifique dans la ville (ce qui n’était
pas vraiment le cas jusqu’alors). Poursuivant en cela l’œuvre de son prédécesseur (Pierre Milon,
doyen de 1610 à 1616), il prend différences mesures destinées à donner un certain lustre et une plus
grande liberté au corps médical poitevin. Dès le mois d’octobre 1616, il présente officiellement à
ses confrères la nouvelle « masse » (sorte de bâton porté dans un cortége par un corps assemblé) en
argent de Médecine (commandée à l’orfèvre parisien dénommé Bonnaire et achetée 554 livres
tournois) devant servir dans toutes les cérémonies publiques. L’année suivante, il fait adopter les
nouveaux statuts de sa Faculté par l’Assemblée Générale de l’Université (27 juillet 1617), qui
précisent notamment tous les droits et devoirs des docteurs régents et des étudiants, ainsi que le
règlement intérieur de cette compagnie. Du point de vue administratif, il crée aussi en 1619 un
nouveau registre (appelé « testimoniale ») pour y inscrire toutes les lettres de réception ou
d’adoption aux grades. Toutefois, la grande œuvre de Paschal Le Coq est, sans contestation
possible, la fondation d’un jardin botanique à Poitiers à la toute fin de l’année 1621. A l’instar de
Montpellier, une telle réalisation lui paraît une nécessité scientifique et pédagogique. C’est pourquoi
il n’hésite pas à vendre l’un de ses propres terrains –situé rue des Basses-Treilles (à l’angle des
actuelles rue de la Marne et rue Boncenne, près du Théâtre Auditorium de Poitiers)- à la Faculté, et
prévoit même la construction d’un superbe pavillon pour les enseignements, mais qui ne verra
jamais le jour faute de moyens financiers suffisants. En définitive, seul un « jardin des simples » est
créé, et semble utilisé et fréquenté par toutes les professions médicales pictaves (médecins,
apothicaires, chirurgiens) jusqu’au milieu du XVIIe siècle. C’est d’ailleurs en ce lieu que Paschal Le
Coq procède à la première « herborisation solennelle » devant les étudiants en médecine et les
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apprentis chirurgiens et apothicaires de Poitiers en 1629. Enfin, durant toute la durée de son
décanat, la Faculté lutte sans relâche contre toutes les formes d’exercice illégal de la médecine dans
la cité de Poitiers. Dès 1618, elle obtient du Corps de Ville une ordonnance contre les charlatans,
alors très nombreux. A ce titre, elle fait ainsi poursuivre un dénommé Chastelet, supposé astrologue
en 1622, un certain Desiderio Décombes qui distribue des remèdes à la population en 1624, ou
encore un quidam qui vend des baumes place du Marché Vieil en 1629… Pour les médecins de
l’Université – et pour le doyen de la Faculté en premier chef - il s’agit alors de montrer à tous leur
légitimité scientifique, en faisant poursuivre tous ces escrocs et autres bonimenteurs.
Si positif soit-il, l’exercice de Paschal Le Coq à la tête de la Faculté de Médecine n’en reste pas
moins difficile. Tout d’abord, au niveau personnel, il doit faire face à la disparition de deux de ses
enfants : l’un mort en 1624 à l’âge de 26 ans, et l’autre décédé en 1629 à 25 ans. Il lui faut
également affronter les dissensions religieuses existant entre les docteurs régents. En effet, dans ce
premier tiers du XVIIe siècle, plusieurs d’entre eux sont protestants, et doivent cohabiter avec des
confrères catholiques, souvent assez intolérants. Or, et ce n’est pas le moindre de ses mérites, Pascal
Le Coq (lui-même huguenot) réussit à faire travailler ensemble – et dans une relative concorde tous ces médecins poitevins aux opinions religieuses diamétralement opposées jusqu’à sa mort le 18
août 1632. Il reste néanmoins à la postérité le créateur du premier jardin des plantes de Poitiers, l’un
des tout premiers à avoir été fondé dans le royaume de France.
Buste de Paschal LE COQ, Archives Départementales de la Vienne, Carton 27 (détail, photographie Jean-Philippe Bozier)
Pascal Le Coq, qui avait un certain embonpoint, est ici représenté en habit de doyen de la Faculté
de Médecine de Poitiers (vers 1621). Il porte une robe noire ornée de broderies blanches, un
manteau écarlate avec fourrure, un bonnet et un pompon d’or. Par ailleurs, il tient un livre à la main
gauche, et une plante (Le Coq est un botaniste) à la main droite.
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Blason de Paschal LE COQ, Archives Départementales de la Vienne, L 143, détail du dessin de la masse de la Faculté de Médecine (1615) (Photographie
Jean-Philippe Bozier)
A l’instar des onze autres docteurs régents, les armes de Paschal Le Coq figurent sur le projet de
masse de la Faculté de Médecine commandée en 1615 à l’orfèvre parisien Bonnaire. Le Coq est
alors simplement vice-doyen, et son blason est « d’azur à un coq d’or, crétté, becqué, et membré de
gueules ».
Fabrice VIGIER
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Les animaux dans les marques d’imprimeurs-libraires
Du colophon à la page de titre
Les marques de libraires et d’imprimeurs apparurent peu après l’invention de l’imprimerie.
Placées sous le titre ou à la fin du livre, elles pouvaient être un simple signe analogue à celui que les
imprimeurs mettaient sur les ballots de livres qu’ils expédiaient ou évoquer l’enseigne de
l’imprimeur.
Les premiers éléments de l’adresse, comme les lieu et date de l’impression, le nom de
l’imprimeur-libraire, commencèrent à apparaître sous cette marque, sur la page de titre, à l’extrême
fin du XVe siècle, alors qu’ils étaient jusque là placés à la fin de l’ouvrage, au colophon.
Les marques permettaient de bien identifier l’imprimeur-libraire et les imprimés qu’il réalisait.
C’était également un moyen de lutter contre la contrefaçon. Elles se transmettaient souvent pour
tout ou partie aux héritiers.
Marque, devise, enseigne et nom : des relations complexes
Pour se faire connaître et marquer leurs œuvres de leur empreinte, tout en disant quelque chose
d’eux-mêmes et de leur travail, les libraires avaient plusieurs moyens à leur disposition. Ils avaient
parfois recours au cadre qui entourait la marque et qui pouvait reprendre certains éléments de la
symbolique pour l’enrichir. Mais ils utilisaient surtout la marque, la devise et l’enseigne.
La devise était le plus souvent en latin. Elle pouvait être une citation biblique, un emprunt à un
auteur de l’Antiquité ou à une œuvre plus contemporaine. Il s’agissait de quelques mots dont il est
souvent difficile de saisir le sens, tant le petit nombre de termes polysémiques employés permet
d’hypothèses. Elles devaient charmer le lecteur et montrer la qualité de l’imprimeur ou du libraire,
chargé de diffuser le savoir.
L’imprimeur utilisait aussi l’enseigne, cette image placée le plus souvent au dessus de la porte de
l’atelier, qui était signalée dans l’adresse, sur la page de titre, et au colophon, à la fin du texte : ces
quelques mots nous disaient que l’un était « au soleil d’or » et l’autre « à la poule grasse ».
Les marques à la Renaissance portaient souvent des personnages religieux, le Christ, la Vierge ou
les saints. Les animaux, comme les végétaux, étaient également très utilisés : ils pouvaient
accompagner le motif principal ou apparaître en figure centrale, symbolique.
En parcourant le siècle qui vit l’essor si fulgurant de l’imprimerie, on voit apparaître une grande
variété d’animaux dans les marques : elle va du chat ou de la poule, des bêtes très familières, aux
animaux exotiques, comme l’autruche ou l’éléphant, en passant par le lion, un animal rarement vu
par les Européens, qui fut, à cause de cela, longtemps représenté dans sa pose héraldique, mais qui
habitait l’imaginaire de beaucoup, tant son succès était grand. Le bestiaire imaginaire est présent
également : il englobe à la fois des animaux nés de l’imagination des hommes, comme la licorne,
que le Moyen Âge a beaucoup mis en avant, ou le chien Cerbère, hérité de l’Antiquité, et des bêtes
bien réelles, que l’on a parées de vertus qu’elles n’avaient pas, telles que la salamandre, réputée
survivre à un passage par le feu.
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Devise, enseigne et marque entretenaient des relations plus ou moins fortes, la signification de
l’un pouvant enrichir ou tout au contraire, du moins en apparence, contredire l’autre. Dans la
marque, la devise et l’enseigne, apparaissait en effet de manière plus ou moins claire le message que
l’imprimeur-libraire voulait transmettre : cela pouvait être sa soif de réussite, sa foi de réformé ou
ses idéaux humanistes, son engagement politique ou sa fidélité au Roi.
Marque à la salamandre de Charles Pesnot
Institutionum juris civilis commentarii / François Bauduin. - Lyon : Charles Pesnot, 1583 (Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien, XVIg 1320)
Mais le lecteur d’aujourd’hui doit lire aussi tout ce qu’il transmettait sans en être conscient, les
conceptions du monde propres à ce siècle de formidable essor intellectuel et de luttes sanglantes
religieuses.
Les marques parlantes
Parfois, la marque était « parlante », elle ne faisait que traduire, avec plus ou moins d’esprit, le
nom de l’imprimeur. Ainsi, Simon de Colines choisit un lapin (cuniculus en latin médiéval signifie
lapin), Cavalcalupo avait pour marque un homme chevauchant un loup ; l’un des premiers Frellon
préféra la bête qui porte le même nom que lui.
Certains n’avaient pas de nom « parlant », tandis que d’autres, qui en avaient un, ne firent pas le
choix de le traduire en image ; ainsi, Herbst, qui signifie automne en allemand, avait choisi le poète
et musicien Arion sur son dauphin.
La symbolique animale, un riche héritage
La Renaissance s’appuyait sur un riche héritage symbolique et puisa dedans pour les marques.
L’Ancien comme le Nouveau testament ont été convoqués. La Bible pouvait être utilisée
directement, comme matière première, ou elle pouvait être déjà passée par la lecture d’autres
auteurs. Ainsi, l’épisode de Samson et le lion est décrit dans l’Ancien Testament, tandis que, dans
toute la symbolique autour du lion et de la Résurrection, les textes bibliques n’ont pas été utilisés
directement, mais sont passés par la lecture des bestiaires.
En effet, ces derniers, qui ont tant emprunté aux textes chrétiens, comme au Physiologus antique,
étaient une réserve de symboles particulièrement importante. Nombreux furent les auteurs qui ont
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repris les mêmes légendes pour les transmettre en les transformant un peu, ajoutant ou retirant un
élément, en faisant une lecture plus ou moins religieuse.
Les imprimeurs et les libraires puisaient également dans le répertoire héraldique, qui influença le
style des premières marques comme leur symbolique.
La Renaissance redécouvrait également l’Antiquité et alla chercher des références dans les textes
des auteurs latins comme grecs, dont elle fit des commentaires et éditions critiques. Ainsi des
Hieroglyphica d’Horapollon, d’Eulien, de Virgile ou d’Ovide par exemple.
N’oublions pas enfin tous les auteurs contemporains, qui brassaient déjà cette matière
symbolique : Alciat et ses emblèmes, plus tard Cesare Ripa et son Iconologie. Tous empruntaient
aux travaux de leurs aînés, qu’ils utilisaient comme sources d’invention, au sens rhétorique du
terme, pour les figures comme pour les textes ; ils ajoutaient ce qu’ils avaient trouvé dans leurs vies
et leurs lectures.
Des animaux ambivalents
Tous les animaux étaient porteurs de nombreuses symboles et tous n’étaient pas cohérents les uns
avec les autres. Certains animaux étaient ambivalents, tels le scorpion, l’hydre et même le lion, qui
pouvait être pris en mauvaise part, alors qu’on le savait être le roi des animaux. Cette ambivalence
enrichissait la symbolique et empêchait toute lecture univoque.
L’utilisation de la gravure sur bois
Les marques étaient le plus souvent gravées sur bois, ce qui permettait d’insérer le bois encré
dans la composition typographique correspondant à la page de titre. Le bois de fil, taillé dans le sens
des fibres, ne donnait pas toujours un dessin d’une grande finesse et s’abîmait vite, ce qui explique
la mauvaise qualité de certaines marques.
La gravure sur cuivre, qui permettait de produire à partir d’une unique plaque des illustrations
d’une grande finesse, était encore peu utilisée au XVI e siècle. Elle était par ailleurs moins pratique :
nécessitant une pression très forte, elle ne passait pas sous la même presse que les caractères
typographiques. La page de titre ornée d’une marque gravée sur cuivre devait donc passer sous deux
presses différentes.
L’influence de l’art du temps
En dépit de ces difficultés, les imprimeurs-libraires voulaient avoir de belles marques, qui
traduisaient les goûts de leur époque. Ils abandonnèrent peu à peu le style encore très influencé par
l’art médiéval, avec des figures affrontées, qui avait pourtant peu à peu gagné en vie et en
mouvement, pour le remplacer par des motifs d’une grande finesse.
Le cadre était lui aussi un reflet des goûts de l’époque ; il se laissa envahir par les motifs
antiquisants et les grotesques que l’on avait redécouverts en Italie. Celui-ci n’était pas la propriété
d’un imprimeur-libraire qui pouvait l’emprunter ou le donner, comme il le faisait pour les
ornements typographiques, bandeaux, lettres ornées ou culs-de-lampe.
Certains imprimeurs et libraires faisaient appels à de grands artistes de leur temps pour le dessin
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de leur marque. Parfois, les marques étaient signées : pouvaient apparaître les noms du dessinateur
ou du graveur.
Marque au cerbère de Girolamo Polo
Decisiones rotae Avenionis / Hieronymus à Laurentiis. – Venise : Girolamo Polo, 1591 (Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien, XVI 979/01)
Les marques connurent leur apogée à la fin du XVIe siècle. Puis elles furent de plus en plus
souvent remplacées par un fleuron ou les initiales de l’imprimeur-libraire.
Anne-Sophie Traineau-Durozoy
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L'hydre de Lerne dans les marques typographiques
Le mythe
L'Hydre, un des nombreux monstres engendrés par Typhon et Échidna (nymphe dont le corps se
terminait en serpent), sévissait près d'Argos, dans la région de Lerne. Cette zone côtière du
Péloponnèse recelait des marais réputés sans fond, tombeaux des voyageurs imprudents, et
communiquait, pensait-on, avec les Enfers.
L'Hydre, dont le nom signifie serpent d'eau en grec, a été (re)présentée de manière diverse :
corps de saurien ou de chien, têtes en nombre variable, jusqu'à dix mille, qui repoussaient,
éventuellement en double, au fur et à mesure qu'on les tranchait ou les écrasait. On raconte aussi
que l'une d'elles était immortelle.
Le monstre massacrait le bétail, saccageait les récoltes. Son souffle suffisait à empoisonner
irrémédiablement quiconque l'approchait, même pendant son sommeil. L'odeur laissée après son
passage était fatale.
Au fils de Zeus et de l'humaine Alcmène échut la charge de débarrasser le monde de ce sinistre
fléau. L'épreuve constitua le deuxième de ses fameux Douze travaux, imposés par Eurysthée à titre
expiatoire : sous le coup de la folie, cadeau envoyé par la jalouse Héra, Héraclès, Hercule pour les
Romains, avait tué ses propres enfants. Revenu à lui, il se rangea au conseil de la Pythie et se mit au
service de son cousin, le roi de Tirynthe.
Conseillé par Athéna, aidé par son neveu Iolaos et malgré l'intervention de Carcinos, crabe ou
écrevisse géante aux ordres d'Héra, le héros triompha de la bête : la cautérisation des plaies
empêchait la régénération. Quant à la tête immortelle, elle fut enterrée, toute sifflante, sous un
rocher.
Trempant ses flèches dans les entrailles encore fumantes, le demi-dieu en fit des armes
redoutables. Par contact, voire simple proximité, les cibles, avant de périr, contaminaient même les
cours d'eau : ils dégageaient une odeur fétide, n'abritaient plus que des hôtes impropres à la
consommation, bouillonnaient, charriaient des caillots de sang. « Tout ce que fait pousser la terre
ensoleillée, herbe ou arbre, si cette sanie le touchait, comme desséché par le feu, prenait l'aspect de
la cendre grise », affirmait Euphorion.
La créature polycéphale causa la perte d'Héraclès : le centaure Nessos, frappé par les flèches
empoisonnées car il avait voulu violer Déjanire, confia à celle-ci philtre d'amour, laine ou tunique
avec son sang, don censé la prémunir de l'infidélité de son époux. Lorsqu'elle en testa l'effet, celuici ressentit une douleur si atroce qu'il dressa son propre bûcher, avant de rejoindre l'Olympe où il
devint immortel et épousa Hébé, déesse de la jeunesse.
La règle : l'Hydre, un animal maléfique
Selon Le grand Robert de la langue française, c'est à partir de 1628 que le mot Hydre, au sens
figuré, serait devenu synonyme de « mal qui se développe ou se renouvelle en dépit des efforts
qu'on fait pour s'en débarrasser ». Dans les marques d'imprimeurs-libraires antérieures à cette date
la créature polycéphale avait déjà cette signification.
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Figurée avec Hercule
La plupart du temps l'Hydre n'est pas représentée seule mais avec son adversaire. Dès l'Antiquité,
le combat entre Hercule et le monstre ornait les vases, les mosaïques, inspirait la sculpture.
Dans nos marques, le héros apparaît avec ses attributs traditionnels, hérités du précédent Travail :
la massue et la peau invulnérable du Lion de Némée. Il avait taillé la première dans un olivier
arraché à mains nues, obtenu la seconde en écorchant le fauve avec ses propres griffes après
étouffement. Il usa de la tête comme d'un casque. Seuls Bernardo Paperini et Anselmo Giaccarelli
rappellent le rôle décisif du feu dans la victoire contre l'Hydre. Chez le dernier, un glaive gît à côté
du chef tranché.
Le monstre et le demi-dieu nous sont généralement montrés en plein affrontement, le caractère
terrifiant de la bête, sa résistance faisant ressortir le courage de son opposant. Chez Jean Mariette et
son fils Pierre-Jean, le vainqueur jouit au contraire d'un repos bien mérité, entre les cornes
d'abondance, le laurier de la victoire ou/et l'olivier de la paix. L'Hydre gisant aux pieds, voire sous
les pieds d'Héraclès, fait songer au dragon piétiné par saint Michel.
Dans les marques typographiques les plus anciennes, l'Hydre ressemble d'ailleurs à ces créatures,
images de Satan, dotées à partir du XVe siècle d'ailes membraneuses de chauve-souris plutôt que
d'ailes en plumes. L'hydre est aussi souvent pourvue de sept têtes, comme le Dragon rouge et les
deux Bêtes de l'Apocalypse. Sept, c'est aussi le nombre des péchés capitaux mais déjà sur les pièces
de monnaie grecques ce chiffre était habituel : sans doute une allusion à l'embouchure à sept
branches du fleuve Amynoné, près duquel vivait le redoutable animal.
Les devises évoquent fréquemment la virtus nécessaire pour triompher, terme difficile à traduire
car désignant « les qualités qui font la valeur de l'homme moralement et physiquement » (Gaffiot).
Hercule se rencontrait déjà au revers de certaines médailles glorifiant des empereurs romains avec
les mots Virtus aug(usta) : vertu ou courage ? Dans ses Mémorables, Xénophon nous transmet
l'apologue d'un certain Prodicos, sophiste grec : il raconte comment Heraclès, en sa jeunesse, a été
amené à choisir entre la voie du plaisir, facile et celle, plus ardue mais plus honorable, de la vertu.
Le thème du héros à la croisée des chemins a inspiré de nombreux artistes mais même seul il en est
venu à incarner ces valeurs. Dans l'Iconologie de Cesare Ripa, traduite par Jean Baudouin, il
apparaît à la rubrique « Vertu héroïque » et « Vertu de corps et de courage ».
L'Hydre, par opposition, symbolise le Mal, qui sans cesse renaît. Les monstres, qui n'effraient
pas cette virtus (devises d'Antoine Vitré et de Claude Plaignard, faisant mentir son nom), sont avant
tout des monstres moraux. Dans l'Iconologie, l'Hydre se rencontre à « Vice », « figuré par un Hydre
à sept têtes, symbole des sept péchés mortels », et « Envie », « car comme ce monstrueux animal
aime naturellement à infecter de son venin tous ceux qui l'approchent ; l'envieux de même par une
secrète contagion se plaît à perdre les gens de bien, sans épargner ses plus proches, ni ceux dont il
fait semblant d'être ami ». Dans une de ses variantes, la marque d'Anselmo Giaccarelli porte la
devise Invidia virtute superatur (« l'envie est dominée par la vertu »). Une autre (Affectus virtute
superantur : « par la vertu on domine les passions humaines ») insiste sur la dimension intérieure de
cette lutte. Il s'agit en réalité d'une lutte contre soi-même, ses penchants, de « commandement sur
soi-même » pour reprendre le titre d'une vignette de l'Iconologie, nous montrant Héraclès dompteur
de lion.
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Iconologie ou, Explication nouvelle de plusieurs images, emblèmes, et autres figures / Cesare Ripa, trad. de J. Baudouin. - Paris : Mathieu Guillemot, 1644 (Poitiers,
Bibliothèque universitaire, Fonds ancien, FAM 1411)
L'Hydre symbolise plus largement toutes les difficultés rencontrées. Gilles Corrozet, dans
L'Hécatongraphie, l'avait choisie pour illustrer la multiplication de procès.
Les épreuves peuvent être celles affrontées par l'imprimeur-libraire dans l'exercice de son
activité, par exemple les soucis de Vincenzo Conti, probablement d'origine juive, à cause de ses
- nombreuses - impressions en hébreu. Les devises de Jean-Mariette et de son fils, celle de
Guillaume Faber (dont le nom signifie en latin « ouvrier, artisan » ou « ingénieux, fait avec art »)
suggèrent particulièrement ce rapprochement : le mot labor (« travail ») s'y affiche. À côté
d'Athéna, déesse présidant aux lettres et aux arts, se dresse un rocher aux initiales de Bernardo
Paperini : celui sous lequel a été enterrée la tête immortelle ? L'imprimeur-libraire, nouvel Hercule,
désire-t-il en acquérir la gloire ? Le héros grec, rendu fameux par ses travaux, devint en effet un
symbole de la renommée.
Marque d'Abraham Fabert ou Faber
Devise : Labor omnia vincit improbus (« Un travail acharné vient à bout de tout »)
Virgile, Géorgiques, I, 145 : Labor omnia vicit improbus (« Un travail acharné vint à bout de tout »)
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Marque d'Antoine Vitré
Devise : Virtus non territa monstris (« Le courage n'a pas été effrayé par les monstres »)
Collectio quorumdam gravium authorum, qui … Sacrae Scripturae ... in vulgarem linguam translationes damnarunt... - Paris : Antoine Vitré, 1661 ( Poitiers,
Bibliothèque universitaire, Fonds ancien, FAM 22)
Marque de Claude Plaignard, à l'enseigne Au Grand Hercule
Devise : Virtus non territa monstris (« Le courage n'a pas été effrayé par les monstres »)
Les règles du droit civil / Jean-Baptiste Dantoine. - Lyon : Claude Plaignard, 1725 (Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien, M 7301)
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Institution au droit ecclésiastique / Claude Fleury. - Paris : Pierre-Jean Mariette, 1740 (Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien, FAP 2957)
Marque employée par Jean Mariette et son fils Pierre-Jean
Marque de Bernardo Paperini
Devise : Tu ne cede malis (« Toi, ne cède pas devant les malheurs »)
Epitome operis Paschalis / Jacopo Bettazzi. - Florence : Bernardo Paperini, 1733 (Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien, M 6565)
Et la Sibylle de poursuivre (Virgile, Énéide, VI, 95-96) : sed contra audentior ito, qua tua te
Fortuna sinet... (« mais affronte-les, avec plus d'audace que ne semblera te le permettre la
Fortune... »)
Figurée avec la flamme
L'Hydre à six cous délestés et le flambeau apparaissent pour la première fois en 1584 dans Il
torneo amoroso (Le tournoi amoureux), ouvrage hors commerce probablement édité aux frais de
l'auteur, Cesare Ottinelli. La préface explique que ce sont ses emblèmes. Dans ce tournoi il assure le
bon déroulement de la joute sous le nom de Cavalier Verace (« vrai, véridique »). Il utilisa cette
marque, qui existe en deux variantes, pour d'autres œuvres de sa composition. La seconde variante
fut reprise par par Niccolo Muzi, Stefano Paolini.
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Si le feu purificateur incarne la vérité, l'Hydre est donc l'image du mensonge, de l'hypocrisie, de
la fausseté, ce qui n'est pas sans rappeler l'emblème d'Alciat consacré à la feinte religion, même si
dans ce denier cas il s'agit de la Bête mentionnée par l'Apocalypse, celle montée par Babylone, la
grande prostituée.
L'exception : l'Hydre, le renouveau positif
Point d'Hydre symbole de maux divers et variés qu'il conviendrait de dominer par la vertu, le
courage, le travail ou la vérité chez Girolamo Bartoli, ses héritiers et chez Guillaume de La Nouaille
ou de la Novaille.
Le monstre, qui iconographiquement n'a rien perdu de son caractère terrifiant, est même
particulièrement impressionnant chez le dernier, avec ses treize têtes, toutes différentes.
Le sens est éclairé par la devise : l'animal incarne ici la fameuse virtus, qui sans cesse renaît et
s'affirme avec d'autant plus de force qu'elle est contrariée.
Simple message d'espoir, mise en garde contre ceux qui oseraient s'en prendre à l'imprimeurlibraire (l'Hydre aurait alors une fonction apotropaïque, censée prémunir du danger) ou/et allusion à
des oppressions bien précises ?
Selon Alfred Leroux (Histoire de la Réforme dans la Marche et le Limousin), de La Nouaille
était protestant et il évoque l'audace de celui qui en 1558, c'est-à-dire trois ans après le bûcher de
Guillaume du Dongnon, prêtre condamné pour hérésie, n'hésitait pas à éditer à Limoges un
Catéchisme extrait de celui de Genève par Jean Reymond Merlin. Sa marque n'aurait-elle pas une
dimension provocatrice : retourner la signification traditionnelle de l'Hydre, créature maléfique
susceptible de figurer la religion réformée aux yeux des catholiques, et en faire un instrument pour
défendre sa propre foi ?
Le monstre, d'une extrême virulence puisque pour une tête coupée sept repoussent, ce qui lui en
fait treize, avec toutes les connotations négatives attachées à ce chiffre, tient un globe entre ses
serres : il s'agit d'une représentation du monde divisé en trois parties inégales, mais les deux bandes
qui forment un Tau symbolisent aussi le Christ en croix. La référence à la dernière lettre de
l'alphabet hébreu est également le signe de l'accomplissement de la promesse divine. L'Hydre
annoncerait-elle l'avènement de la religion réformée ?
La confiance semble en tout cas de mise avec cette Hydre farouche, dominant la situation de son
piédestal aux initiales du porteur d'un nom suggérant l'idée de nouveauté (Nouaille dériverait du
latin novalia : « terres nouvellement défrichées ») et qui, fort logiquement, fait du monstre un
animal de bon augure, du moins pour lui.
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Marque de Guillaume de La Nouaille ou de La Novaille
Devise : Sic virtus oppressa resurgit (« Ainsi renaît la vertu opprimée »)
Stéphanie Daude
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La licorne dans les marques d’imprimeurs-libraires
Dans l’iconographie occidentale, la licorne a longtemps été représentée sous des traits divers et
changeants qui ne se fixeront que tardivement. On trouve les plus anciennes représentations de
licornes sur des sceaux provenant de la civilisation de la vallée de l’Indus. Il existe un sceau
babylonien sur lequel deux licornes ailées se dressent de part et d’autre de l’arbre sacré (disposition
analogue dans la marque de Thielman Kerver). Les ailes dont était pourvue la licorne dans les
représentations antiques, à l’image de Pégase, disparaissent au Moyen Âge.
Imperium Babylonis et Nini ex monimentis antiqvis / Johann Friedrich Schroeer. – Francfort, Leipzig : Georg Markus Knoch, 1726 (Poitiers, Bibliothèque
universitaire, Fonds ancien, 71023)
Cette licorne ailée à queue de lion ( ?) est-elle la marque de Georg Markus Knoch, imprimeurlibraire en Allemagne de 1700 à 1756, ou une vignette en rapport avec le sujet de l’ouvrage ? Il
existe en effet un sceau babylonien représentant deux licornes ailées se dressant de part et d’autre de
l’arbre sacré. Ces ailes dont était pourvue la licorne dans les représentations antiques, à l’image de
Pégase, disparurent au Moyen Âge.
La licorne a pu prendre l’apparence composite d’un âne, d’une chèvre, d’un cerf, d’une antilope,
d’un rhinocéros… André Thevet décrit même une espèce de licorne à deux cornes, le pirassoipi,
dont Ambroise Paré reprend la description et l’illustration.
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Les Oeuvres d'Ambroise Paré... dixième édition – Lyon : Veuve de Claude Rigaud, 1641 (Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien, Méd. 21)
Dans la plupart des marques présentées, l’animal chimérique apparaît (à quelques détails près)
sous la forme d’un cheval, avec des sabots fendus, une grande corne au milieu du front, droite,
spiralée et pointue, et une barbiche de chèvre.
La première description écrite de la licorne et des légendes qui s’y rattachent fut donnée par
Ctésias, médecin grec à la cour perse au Ve siècle avant J.-C. Suivront les récits des auteurs antiques
Aristote, Pline, Elien, le Physiologus et les bestiaires médiévaux où elle occupa une place
prépondérante. Les récits de voyage de la fin du Moyen Âge à la Renaissance donnèrent aussi des
descriptions de la licorne que les explorateurs assuraient avoir observée (par exemple Marco Polo
dans Le devisement du monde). La licorne, animal que l’on croyait réel, faisait logiquement l’objet
de descriptions dans les ouvrages d’histoire naturelle.
La licorne fut l’animal le plus représenté sur les filigranes, peut-être pour y symboliser la pureté
du papier. Elle fut aussi très répandue dans les marques et les enseignes des imprimeurs-libraires, de
toute l’Europe, qui avaient bien des raisons d’adopter la licorne, de belle et fière allure, symbole de
pureté, de puissance, allégorie christique.
Les pouvoirs de la corne de licorne
Des pouvoirs miraculeux de guérison et de contrepoison universel étaient attribués à la corne de
licorne. L’absorption de poudre de corne ou le fait de boire dans un récipient taillé dans celle-ci était
censé remédier aux pires poisons et protéger de ceux-ci. Les rois et les princes du Moyen Âge
possédaient des gobelets, des aiguières en corne de licorne afin de déjouer les tentatives
d’empoisonnement assez fréquentes à l’époque.
Les prétendues cornes de licorne qui se répandirent en Europe durant le Moyen Âge étaient en
fait des dents de narval, ou licorne de mer, rapportées par les marins de l’océan Arctique. En raison
des vertus extraordinaires qui leur étaient conférées, elles se vendaient à un prix bien supérieur à
celui de l’or. Cependant les propriétés de cette corne (et plus généralement l’existence même de la
licorne) commencèrent à être mises en doute au XVIe siècle, notamment par Andrea Marini dans
son Discorso... della falsa opinione dell’alicorno et par Ambroise Paré qui procéda à des
expériences pour prouver son inefficacité.
Une légende raconte qu’un serpent, incarnation de Satan, avait souillé les eaux de son venin. Des
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bêtes sauvages voulant s’abreuver, attendaient d’abord que la licorne plonge sa corne dans l’eau en
y faisant un signe de croix et neutralise ainsi les poisons. C’est cette légende de la purification des
eaux qu’illustrent les marques de Philippe Fievet, Set Viotti et Balthazar Bellère, la devise de ce
dernier Venena pello - je chasse les poisons - explicitant l’image.
Marque de Balthazar Bellère, imprimeur-libraire à Douai de 1590 à 1639.
Historiæ evangelicæ unitas… / Alan Cope. – Douai : Baltazar Bellère, 1603 (Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien, XVI 1311)
Marque de Philippe Fievet, actif à Francfort de 1634 à 1649.
Observationum et curationum medicinalium affectionumcorporis humani causæ, prognoses & curationes graphicè depinguntur / Pieter Van Foorest. –
Francfort : Philippe Fievet, 1634 (Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien, FAM 1391)
La devise de P. Fievet« Nihil in explorato » (que l’on pourrait traduire par « la voie est libre »)
renvoie au fait que, dans la légende de la purification de l’eau, les animaux sauvages attendaient que
la licorne ait plongé sa corne dans l’onde et en chasse ainsi le poison pour y boire à leur tour.
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Marque de Set Viotti, imprimeur-libraire à Parme de 1545 à 1579.
Ragionamenti… sopra l'etica d'Arist. / Agostino Nifo. – Parme : Set Viotti, 1562 (Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien, XVI 356)
On distingue, dans la marque de S. Viotti, un dragon et des serpents dont le venin a souillé l’eau
que purifie la licorne en y plongeant sa corne. La devise : « Virtus securitatem parit » - la vertu
procure la quiétude - fait référence à la pureté de la licorne.
Symbolique christique de la licorne
La licorne, sauvage, farouche, puissante était réputée invincible et impossible à capturer vivante.
Les légendes antiques et médiévales relatent la ruse utilisée par les chasseurs pour l’attraper ou la
tuer. Attirée par l’odeur d’une jeune fille vierge à l’âme pure, l’animal venait poser sa tête sur ses
genoux et, confiant, s’endormait, devenant ainsi une proie facile.
Au Moyen Âge cette légende fut interprétée comme une symbolique de l’Incarnation, la jeune
fille personnifiant la Vierge Marie et la licorne, le Christ. La mise à mort de la licorne par les
chasseurs symbolisait le sacrifice du Christ accompli par les Juifs. La marque de Johann Kinckius
en est une illustration. La licorne, agenouillée devant la Vierge Marie, touche celle-ci de sa corne,
symbolisant l’Esprit Divin descendant en son sein. De cette scène Johann Anton Kinckius, fils de
Johann, n’a conservé que la licorne, symbole tout à la fois christique et marial si l’on considère les
monogrammes IHS et MRA qui surmontent l’animal. La licorne en vient également à symboliser la
virginité, la chasteté.
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Marque de Johann Kinckius, imprimeur-libraire à Cologne de 1605 à 1656.
Defensio pro immaculata deiparae virginis conceptione / Ferdinand Chirino de Salazar. – Cologne : Johann Kinchius, 1622 (Poitiers, Bibliothèque
universitaire, Fonds ancien, M 7868)
Le texte inséré dans la marque « Dilect’. Me.’ Quemadm. Fili’. Unicorniu. » est tiré du psaume
28 : « mon bien-aimé est comme le fils des licornes».
Aux angles figurent les quatre évangélistes et leurs attributs.
La licorne est aussi l’enseigne de Kinckius comme l’indique l’adresse : « sub Monocerote ». En
latin la licorne est désignée sous les termes de monoceros (d’origine grecque) ou unicornus, c’est-àdire qui n’a qu’une corne.
Marque de Johann Anton Kinckius, Imprimeur-libraire à Cologne de 1647 à 1679. Fils et successeur de Johann Kinckius.
Thesaurus politicorum aphorismorum… / Jean de Chokier de Surlet. – Cologne : Johann Anton Kinckius, 1653 (Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds
ancien, HAp 28 A)
Par sa devise, l’imprimeur-libraire s’en remet à la protection divine : In manibus Dei sortes
meae - mon destin [est] entre les mains de Dieu.
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Marque de Yolande Bonhomme, imprimeur-libraire à Paris de 1522 à 1557
Decretum Gratiani… – Paris : Yolande Bonhomme, 1550 (Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien, XVI 158)
Yolande Bonhomme est la fille de Pasquier Bohomme et épouse de Thielman Kerver dont elle
prend la succession à sa mort. Les licornes, tels deux supports héraldiques, sont héritées de la
marque de Thielman Kerver, mais dans l’écusson le chiffre et les initiales du défunt époux ont été
remplacés par les instruments de la Passion, désignés par la devise « Redemptoris mundi arma ».
C’est donc le Sauveur que symbolise ici la licorne, comme la légende de la chasse et de la capture
de la licorne symbolise également la Passion du Christ.
Licorne et héraldique
A partir du XVe siècle, la licorne se répandit en héraldique où elle symbolisait la pureté, la
chasteté, la fuite du vice, la force. Le caractère sacré attribué à l’animal au Moyen Âge est sans
doute la raison de cet usage tardif. Les marques des Kerver, Claude Chappelet, Pierre Gaudoul et
Andreas Cambier rappellent les représentations héraldiques. La licorne s’y présente comme support
de l’écusson au chiffre et aux initiales de l’imprimeur, ou, plus tard, simplement assise, l’écusson
alors attaché à son cou.
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Marque de Pierre Gaudoul, libraire à Paris de 1508 à 1537.
Postilla… / Hugues de Saint-Cher. – Paris : Pierre Gaudoul, 1530 (Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien, 72486/2)
Extravagantes communes.- Paris : Thielman Kerver, 1505 (Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien, XVI 155/3)
Marque de Thielman Kerver, imprimeur-libraire à Paris de 1497 à 1522.
Cette marque a la forme courante des premières marques parisiennes du XVI e siècle dans
lesquelles deux animaux, en position de supports héraldiques, tiennent un écusson accroché à un
arbre, porteur du chiffre et des initiales de l’imprimeur. L’héritage du Moyen Âge est encore
perceptible dans le décor rappelant les miniatures enluminées et dans la représentation de la licorne
qui tient plus de la chèvre (forme sous laquelle elle était plutôt représentée dans les bestiaires
médiévaux) que du cheval. Dans les marques des successeurs, Jacques Kerver et Claude Chappelet,
la licorne, assise seule, prend une allure chevaline.
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Marque de Claude Chappelet, libraire à Paris de 1586 à 1648
Du juge des controverses en general. Premiere partie / Jean Gontery. –Paris : Claude Chappelet, 1617 (Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien,
XVIg 1560)
C. Chappelet succéda à Jacques Kerver (fils de Thielmann Kerver) dont il reprend la marque à la
licorne sans même en avoir modifié les initiales.
La marque de Andreas Cambier montre un lion et une licorne s’affrontant. On peut y voir le
symbole du combat des forces instinctives de la nature (lion) et de la pureté divine (la puissance de
Dieu se transmettant à la licorne par sa corne pointée vers le ciel), ou celui de Dieu contre Satan.
Dans la symbolique chrétienne, le lion, figure ambivalente, peut en effet personnifier le Diable.
Le lion ainsi que l’éléphant était le seul ennemi naturel de la licorne. L’association lion/licorne
étaient par ailleurs assez fréquente, on la retrouve dans les armes du Royaume-Uni, du Canada et
dans la tapisserie de la Dame à la licorne.
Marque de Andreas Cambier, imprimeur-libraire à Heidelberg et Francfort de 1597 à 1620
Italiae illustratae seu Rerum urbiumque Italicarum Scriptores varii, notae melioris… - Francfort : Andreas Cambier, 1600 (Poitiers, Bibliothèque universitaire,
Fonds ancien, XVIg 1853)
Sandrine Painsard
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Animaux et écart par rapport à la norme :
Hybrides et monstres
Mélusine
Mélusine, personnage légendaire de la mythologie du Poitou, est l’ancêtre célèbre de la famille
des Lusignan. Dame-fée, elle est l’héroïne de deux romans généalogiques écrits à la fin du
XIVe siècle : La Noble Histoire de Lusignan (1393) rédigée par Jean d’Arras et Le Roman de
Mélusine (entre 1401 et 1405) composé par le poète Coudrette. Toutefois, l’origine de ce
personnage féerique plonge ses racines dans les récits oraux issus des mythologies païennes.
Récupérées par la littérature ecclésiastique, les fées ont alors été diabolisées et utilisées dans les
exempla (XIIe siècle) à des fins moralisatrices.
La double identité de Mélusine, mi-femme, mi-serpent, évoque la dualité de sa nature à la fois
humaine et surnaturelle. Par sa queue serpentine, la fée du Poitou véhicule les symboles attachés au
serpent qui, dans les mentalités médiévales, représente le mal, le diable et le péché originel. Sa
métamorphose en femme-serpent implique le déclin de l’homme vers l’animal et ainsi la notion de
« devenir-animal ». Dans la conception médiévale du monde, Dieu a créé l’homme à son image et
l’a désigné comme maître incontesté de toutes les espèces. Avec le péché originel l’homme a été
éloigné de sa ressemblance avec son créateur ; depuis, l’humanité se situe potentiellement entre
Dieu et l’animal, spiritualité et matérialité. Par sa nature mi-femme, mi-serpente, Mélusine est un
être hybride qui outrepasse les catégories de son époque. En effet, l’hybridation – qui suggère
l’animalité – évoque une déchéance car elle brise le tabou de l’ordre voulu par Dieu. Aussi, la fée
du Poitou est un être ambivalent au carrefour de plusieurs mondes humain, animal et surnaturel.
Néanmoins, son statut de grande dame belle, pieuse, maternelle, à la tête d’une importante et
puissante famille, fait d’elle un être bon ancré dans la société et répondant aux attentes de son
époque. Son image est donc extrêmement ambiguë. Elle est un être hybride qui oscille entre
humanité et animalité, ce qui finalement fait d’elle un personnage neutre se rapprochant plus de
l’humain que du diable. Ainsi, bien qu’elle soit repoussante par son aspect animal, Mélusine incarne
les désirs et les tabous de la société médiévale qui est captivée par son histoire et son statut d’être
hybride. Sa revendication comme ancêtre mythique par Jean duc de Berry, au XIVe siècle, reste le
témoin le plus flagrant de la fascination que pouvait susciter Mélusine dans l’imaginaire médiéval.
Aude-Lise Barraud
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Désordres dans les marges des manuscrits gothiques
À partir de la seconde moitié du XIII e siècle, un nouveau décor se met en place dans les marges
des manuscrits. Des motifs très variés se déplacent des initiales à la bordure et encadrent
progressivement le texte. Le répertoire est très riche : représentation des loisirs courtois, du
fin’amor, de la musique et de la danse, etc. Les thèmes sont souvent incongrus et renversent la
réalité : activités condamnées par l’Église, animaux imitant les hommes, parodies de la vie
religieuse et du rite chrétien, inversions sociales, scènes absurdes et objets non appropriés, le
comique visant également à la satire. Certaines figures sont parfois même irrévérencieuses, voire
obscènes : des hommes et femmes nus s’adonnant à des activités diverses, des animaux – comme
les singes – associés à l’analité, les escargots ou bien les lapins liés à la symbolique sexuelle jouent
sur les métaphores dans les marges. Il faut souligner l’abondance des hybrides dans les manuscrits,
figures de la confusion, êtres combinant les natures de plusieurs espèces réelles ou déformées, fruit
de l’imagination créative des peintres médiévaux. Parmi eux, les hybrides anthropomorphes,
expressions de la transgression humaine.
L’utilisation de la marge des manuscrits comme lieu du désordre s’explique par l’évolution de la
mise en page au cours du XIII e siècle, résultat du passage de la lecture orale à la lecture silencieuse.
La meditatio monastique est supplantée par l’ordinatio qui suppose des textes appris par cœur et
« mastiqués » pour les mémoriser et impose une séparation des mots et une mise en page
particulière. Avec l’ordinatio, l’écrit devient moins dense, accompagné d’un système de ponctuation
et de signes visuels entre les articulations du texte, paragraphes et chapitres tels que les initiales.
Ainsi, la page est organisée de manière plus claire, permettant un repérage rapide dans le contenu
du livre. Cette transformation va de pair avec l’enrichissement du savoir et sa mise à l’écrit : les
ouvrages constituent des réserves de connaissances où l’on peut alors trouver rapidement ce que
l’on cherche et le mémoriser plus habilement. Le passage du mot proféré au mot vu est fondamental
pour les images des marges. La page est structurée en deux pôles : le centre, espace ordonné du
texte et de l’initiale ou miniature principale, et la périphérie habitée par les images marginales. Le
genre des marginalia se développe simultanément en Angleterre et à Paris dans la seconde moitié
du XIIIe siècle puis se diffuse dans les centres urbains du Nord de la France et des Flandres (Arras,
Amiens, Cambrai, Tournai, Saint-Omer, diocèse de Thérouanne en particulier).
Dans un premier temps, le répertoire roman des initiales ornées se déplace dans la bordure par
des antennes à terminaison végétale ou en forme de dragons étirés. Il s’agit d’abord de
prolongement de thèmes romans dans la marge, une marge qui devient rapidement l’espace de
sujets profanes, comiques, monstrueux par opposition au « centre », espace noble, créant une
hiérarchie. Ensuite, les figures envahissent le champ de la marge de manière indépendante et se
déploient dans tous les espaces disponibles sans hiérarchie apparente. Les motifs romans sont
enrichis et diversifiés, comme la sirène des chapiteaux qui glisse dans la marge. Simultanément, de
nouvelles représentations apparaissent à partir des sources antiques et contemporaines. Ainsi, un
répertoire iconographique propre à l’époque gothique se constitue rapidement, croisant tradition et
innovation.
Les marginalia n’apparaissent pas dans tous les manuscrits ; il s’agit en majeure partie de livres
liturgiques (bréviaires, pontificaux), juridiques (décrets de Gratien, décrétales), dévotionnels
(psautiers, livres d’heures) et profanes (roman de la Rose, Histoire du Graal, chroniques). Les
ouvrages appartiennent surtout à l’aristocratie et aux prélats qui en sont issus, affichant ainsi leur
rang par la commande de manuscrits. Les universités possédaient également des livres richement
enluminés, comme les livres de droit dans la ville universitaire de Bologne, ou théologiques à Paris.
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Les marges sont peuplées d’animaux : domestiques, sauvages, lointains, certains hybrides, selon
nos critères, comme le dragon ou le basilic, mais réels dans l’imaginaire de l’époque. Ils
proviennent des bestiaires qui teintent leur représentation d’une coloration morale comme le renard,
animal fourbe par excellence. La littérature profane, telle que le Roman de Renart, fournit
également de nombreux sujets aux marges, en se libérant souvent de la tradition écrite. Dans les
abondantes scènes de chasse, la représentation reste fidèle à la réalité : les chiens coursent des
lièvres, des lapins ou des cerfs. Cependant, dans la majeure partie des images, les animaux peuvent
se substituer aux hommes, ce qui constitue déjà en soi un renversement comique. Roi, prêtre,
médecin, chevalier, acrobate, musicien, les animaux remplacent et imitent les hommes, se
retournant parfois contre eux. Le motif répandu du chevalier apeuré devant un escargot ou un lapin,
par exemple, est un sujet à connotation péjorative qui illustre la peur de l’homme devant la femme
et l’impuissance masculine. Dans un livre d’heures picard de la fin du XIII e siècle, un chevalier
armé recule devant un escargot hissé sur un bout d’antenne. L’homme se retourne, inefficace, vers
sa dame. Il est en quelque sorte coincé entre elle et l’image de cette dernière, l’escargot inoffensif. Il
faut souligner que ce motif n’existait pas dans l’art roman.
L’ordre a une valeur très forte à l’époque médiévale. Les hommes et les animaux sont deux
catégories diamétralement opposées car l’homme a été créé à l’image de Dieu, « ad imaginem et
similitudinem nostram » (Gen., I, 26) et une stricte hiérarchie est établie lorsqu’Adam nomme les
animaux (Gen., II, 19-20). L’opposition entre l’homme doué de raison et l’animal en proie à ses
instincts traverse le Moyen Âge. Comme le déclare saint Augustin au IVe siècle, « l’homme est un
animal mortel et rationnel ». Il situe la position humaine entre les anges immortels et les animaux :
l’animalité et la divinité sont les deux grandes bornes liminales de l’humain. Le renversement des
rôles est donc transgressif et souligne la part animale de l’homme ainsi que ses défauts, tels qu’ils
sont prêtés aux animaux dans les bestiaires.
Quelques animaux apparaissent plus fréquemment que d’autres dans les marges comme des
chiens chassant des lapins, des singes, des goupils tirés de la matière renardienne, des ânes, des
loups, et enfin des cerfs et de la volaille qui apparaissent soit en victime, soit en chasseurs lorsqu’ils
se révoltent. À l’exception des deux derniers exemples, les animaux figurés sont, d’après la
symbolique médiévale, particulièrement mauvais. La valeur didactique des bestiaires permet de
comprendre la fréquence de leurs représentations. Il s’agit des animaux qu’Isidore de Séville définit
au VIIe siècle comme des bestiae, des « bêtes sauvages » : « le terme de bestiae s’applique
proprement aux […] loups, renards, chiens, singes, etc., […] Bestiae vient de la violence de leur
cruauté. [Ces bêtes] jouissent d’une liberté naturelle et sont emportées par leurs instincts. Elles
donnent libre cours à leurs impulsions, errent çà et là et sont emportées où leur humeur les
entraine » (Etymologiae, livre xii). La marge, lieu de désordre et de contestation, est l’espace idéal
de leur représentation.
Le singe, « laid et difforme », imite tout ce qu’il voit faire, c’est pour cette raison qu’il est
considéré comme proche de l’homme. Il se travestit de façon troublante dans les marges. Figure de
l’ignorant et du pécheur, cet animal se prête aisément à toutes sortes de renversements. On le trouve
dans des parodies de l’enseignement et de la lecture, dans des combats et divers loisirs nobles,
comme une image tirée du Pontifical de Guillaume Durand (avant 1390), où un singe gras, l’air
féroce, festoie en présence d’un serviteur non moins primate alors que la tonsure du premier
l’identifie comme un clerc. Ici, la satire vise le clergé vorace et cupide qui ne suit pas les règles du
corps auquel il appartient. Le singe apparaît plus spécifiquement dans des scènes obscènes liées au
domaine de l’analité en particulier. En effet, les animaux imitent plus souvent les penchants de
l’homme pour la chair. La « bestialité » évoque non seulement les pulsions animales, mais aussi
celles bestiales de l’homme, et le travestissement homme/animal. Les singes, images des mauvaises
dispositions morales de l’homme, sont associés quasi exclusivement au vulgaire, au contraire
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d’autres animaux. En singeant les activités humaines, ils questionnement la validité de ces dernières
et parodient leur prétention, comme les tournois de chevaliers, où pour séduire la dame les hommes
montrent leur force et leur hardiesse. Certains manuscrits sont extrêmement riches en singes. Si le
sujet connaît une grande fortune, cela n’est pas un hasard : le terme attesté au XIVe siècle pour
qualifier les drôleries des marges est babewyns, « singes » ou « singeries » en français.
Au XIIIe siècle, l’essor de la culture laïque entraîne la mise à l’écrit des épopées animales où les
bêtes deviennent l’image des vices humains liés au corps irraisonné. Le plus célèbre des sournois, le
rusé goupil Renart intervient dans de nombreux manuscrits peu après la mise à l’écrit du Roman de
Renart. Les fables traditionnelles ainsi que les nouvelles branches comme Renart le Nouvel de
Jacquemart Giélée (1289) alimentent également les marges. Or les images marginales se libèrent du
texte pour constituer de véritables petits cycles, comme des pendaisons et des processions funéraires
de Renart, alors que cet antihéros ne meurt jamais. La matière renardienne d’origine cléricale vise
d’abord le clergé, puis la société chevaleresque dans la littérature vernaculaire, et enfin le clergé
traître et brutal au XIIIe siècle à travers l’image de Renart. La satire cléricale flatte évidemment le
goût des laïcs pour qui sont réalisés les manuscrits, mais également des hauts prélats séculiers
lorsque Renart et ses comparses sont assimilés aux nouveaux ordres mendiants, concurrents directs.
En effet, le goupil revêt souvent l’habit de prêcheur face à de la volaille. Les exempla, ces courtes
anecdotes exemplaires utilisées par les Mendiants dans leurs sermons, mettent d’ailleurs parfois en
scène des protagonistes animaux. En effet, ces histoires en langue vernaculaire ont pour objectif
d’édifier et de toucher les fidèles par le biais d’éléments connus, d’événements vraisemblables,
anecdotiques ou métaphoriques. Les activités de Renart sont nombreuses, il peut combattre,
assiéger des châteaux, dévorer des animaux (poules et lapins), parodier une Roue de la Fortune, se
faire pèlerin, moine, évêque, etc. Dans un bréviaire cambrésien de la fin du XIIIe siècle, le mauvais
prêtre Renart célèbre une eucharistie renversée où un coq se tient sur l’autel en guise d’hostie.
Renart est la figure du diable.
Le lapin est une figure subversive rapproché des métaphores sexuelles dès l’Antiquité et durant
le Moyen Âge. Le terme latin cuniculus devenu « connin » en français à la fin du XIIIe siècle a
suscité des jeux de mots obscènes avec le mot désignant le sexe de la dame, le « con ». L’allusion
prend tout son sens dans les chasses, qui expriment le rapport entre les sexes depuis l’Antiquité. La
métaphore est constamment reprise au Moyen Âge sous la forme d’une course après un cerf ou – en
grande majorité – un lapin, devenu l’image ou le symbole du sexe de la femme. Du fait de sa forte
codification, l’activité de la chasse se prête aisément à la parodie comme dans le bréviaire de
Renaud de Bar, évêque de Metz au début du XIVe siècle, où un homme est attaqué par un lapin (fig.
4). Lorsque le connin se révolte contre le chien ou le chasseur, on peut y voir sans doute l’image
d’un combat conjugal où la femme est dominante.
Enfin, l’âne, incarnation de l’ignorance et de l’obstination, apparaît souvent en musicien ou dans
des scènes d’inversion de l’Entrée du Christ à Jérusalem où des animaux, des hommes nus ou des
clercs chevauchent l’animal à l’envers. Ce renversement associé à l’âne souligne la lubricité de
l’animal et de la situation.
D’autres animaux ridiculisent le pouvoir des hommes dans les marges en stigmatisant les
mauvais comportements. On peut se demander pourquoi ces figures incongrues investissent les
manuscrits, notamment liturgiques et à usage dévotionnel. Leur emplacement à la périphérie du
texte souligne leur distance par rapport à l’ordre et invite à la moralisation. Dans une société très
hiérarchisée comme celle du Moyen Âge, tout écart à la norme constitue un désordre, un égarement,
voire une perversion. Cependant, ce type de structures sociales multiplie les possibilités parodiques.
Les figures marginales désordonnées – gesticulations, inversions ou absurdités en tout genre –
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représentent donc des dérèglements face à l’ordre. La représentation d’animaux trouve ici un champ
d’expression très varié. Le public médiéval associait en effet volontiers les bêtes aux différentes
fonctions de la société : les laïcs ne valaient pas mieux que les animaux aux yeux des clercs et
servaient à marquer la frontière entre le pur (les clercs) et l’impur (le monde laïc). Toutefois, les
clercs sont également la cible des inversions.
Les animaux contrefaisant les activités humaines ne sont pas les seuls moyens employés pour
représenter les troubles moraux, les vices. Une autre catégorie d’êtres, plus désordonnés, plus
méprisables encore occupent les marges auparavant vierges des manuscrits : il s’agit des hybrides,
les figures les plus présentes de cette périphérie. Leur extrême abondance crée une confusion sur la
surface des pages. Figures composites par excellence, caractérisées par des combinaisons très
diverses d’éléments hétérogènes, ils contredisent totalement l’ordre idéal de la Création. Les études
les ont longtemps laissés de côté – de même que l’étude des marges – en raison du manque de
« sérieux » de ces figurations, et ce malgré la très forte présence des monstres dans l’art médiéval.
Ils ont longtemps été qualifiés de « grotesques » ou de « créatures fantastiques », mais ces termes ne
conviennent pas pour les décrire. Il est nécessaire, dans un premier temps, de se dégager de la vision
d’un Moyen Âge binaire, notamment de la dialectique « sacré/profane », une opposition qui ne
fonctionne vraiment qu’à partir de l’époque moderne. Les réalisations médiévales, comme les
images du désordre au sein des manuscrits, suggèrent plutôt un goût pour l’ambiguïté. Il en résulte
que les hybrides sont des êtres représentatifs des mentalités médiévales plutôt que des œuvres
naïves ou gratuitement exubérantes. Cette idée est particulièrement vraie pour la catégorie des
hybrides anthropomorphes. Ces derniers apparaissent surtout dans les manuscrits à usage laïque
(dévotion privée, roman profane), puis dans les livres liturgiques et juridiques. Mi-hommes, mianimaux, ces figures se situent dans un entre-deux, une sorte de frontière comme la marge d’un
manuscrit. Elles mélangent deux catégories pourtant strictement opposées au Moyen Âge.
Cependant, la confusion en image, littéralement l’ « hybridation », de deux genres ne peut être que
fortement transgressive puisqu’il pousse la violation de l’ordre plus loin que les parodies animales.
Ce mélange les rend laids, à une époque où l’apparence du corps traduit la nature de l’âme. La
beauté intérieure se traduit à l’extérieur par un corps vertueux. Inversement, un esprit mauvais se
reconnaît de suite à son physique disgracieux, il porte la trace du désordre de son âme. Par leur
difformité, ces êtres sont les chantres de l’immoralité et de la souillure. De plus, l’insistance sur leur
corps évoque l’avilissement de leur âme.
En effet, après la Chute, l’homme perd une partie de son autorité sur les animaux car en
transgressant l’interdit divin, il a dépassé ses propres limites et fragilisé l’ordre de la Création. En
voulant égaler Dieu, il se rabaisse immédiatement au rang de l’animal. Ainsi, chaque péché (qui
entraine une dégradation morale) est traduit physiquement : l’apparence de l’homme s’éloigne de
celle de Dieu. Le péché originel est interprété par saint Augustin au IVe siècle comme un péché de
chair, résultat d’une pulsion animale plutôt que de la raison humaine. L’homme a perdu l’autorité
sur les bêtes qui sont en lui (la colère, la gourmandise et la luxure sont les péchés les plus graves au
Moyen Âge et sont souvent associés). Ce désordre se traduit par l’hybridation de l’homme et de
l’animal, image de l’homme bestial. Au-delà du ridicule, ces êtres composites traduisent la
déchéance de l’homme et son âme souillée. L’homme a perdu sa semblance divine et doit maîtriser
son corps pour la retrouver. Dans la volonté de renouer avec un ordre idéal, le corps constitue donc
un obstacle de taille, il est constamment déformé dans ces images. Cela constitue une différence
fondamentale avec la conception de l’homme qui est la nôtre depuis la Renaissance : au Moyen
Âge, l’homme n’est pas au centre du monde, mais se place sur ses franges, exprimant à cause de la
Chute la décadence d’un ordre idéal, celui de la Création. La conception duelle du centre et de la
périphérie est visible au sein de chaque espace : le monde avec des cartes géographiques où le
centre est Jérusalem et où les territoires lointains abritent les créatures les plus invraisemblables et
proches des hybrides anthropomorphes des marges ; la ville où les marginaux (jongleurs,
prostituées, aliénés, malades) sont montrés du doigt, tournés en dérision et refoulés dans les lieux
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périphériques, comme les ermites des forêts ; l’église dont les limites extérieures des murs et
ornements secondaires sont en jonction avec le monde laïc (gargouilles, monstres des chapiteaux,
modillons) ; enfin, la page du manuscrit. De fait, les hybrides anthropomorphes sculptés et peints
prolifèrent entre le XIIIe et le XIVe siècle, ils deviennent le moyen de penser la transgression en
images, dans le sens d’un passage des limites. Dans le pontifical de Guillaume Durand, un hybride
anthropomorphe jouxte le texte et l’initiale représentant la cérémonie de la Confirmation. Il est le
résultat d’un assemblage entre un oiseau aux couleurs vives et au bec crochu, aux pattes acérées et
d’une tête d’homme barbu posée sur un prolongement de la tête de l’oiseau. Ce visage est de profil
et a l’air mauvais, révélant les mauvaises dispositions morales de cet hybride en même temps que
son corps. L’hybridation est poussée encore plus loin par la présence d’oreilles d’âne ou de lapin.
Ce manuscrit contient une multitude d’hybrides, tous plus étonnants les uns que les autres.
Les hybrides anthropomorphes sont donc des représentations du désordre, monstrant (en latin,
monstrare signifie désigner) les désordres moraux à l’intérieur de l’homme, sous la peau mais avec
force aberrations corporelles. Dans les multiples combinaisons hybrides, l’une est plus rare mais
assez récurrente pour être soulignée : un visage lisse et un corps de bête, indiquant la nature
transgressive du pécheur et accentuant la différence entre l’apparence qu’il donne et la réalité de son
âme. Un être mi-homme mi-lion à l’aspect inoffensif se déplace au dessus du texte des Sentences de
Pierre Lombard conservé à Poitiers. Le lion est le roi des animaux par sa bravoure. Mais, comme la
majorité des animaux des Bestiaires, il est ambivalent et peut être un prédateur cruel, bestial – à
l’image de cet hybride. Lorsqu’un attribut s’ajoute à cette représentation déjà lourde de sens, des
individus ou des fonctions sont stigmatisés. Par exemple, une image de bas-de-page placée sous le
texte du même manuscrit présente un hybride anthropomorphe rattaché à une antenne mais
suffisamment détaillé pour que l’on puisse y voir une transgression. La tonsure signale
l’appartenance au corps clérical, mais le port d’une épée et d’une rondache font plutôt penser à un
laïc. Or, depuis le concile de Latran I, en 1123, les clercs doivent s’abstenir de verser le sang,
souillure qui provoque la corruption de l’âme. Avec la chasteté, cet interdit distingue clairement
l’élite des clercs de celles des laïcs, dont l’Église désapprouve mais tolère l’exercice de la guerre,
selon des prescriptions mises en place lors de la « Réforme grégorienne ». La confusion du corps à
moitié dragon condamne ici les hommes d’Église qui ne respectent pas leurs vœux, contrariant ainsi
l’ordre de la société voulu par Dieu. Le mauvais clerc regarde en direction d’une scène de chasse :
un renard saute sur un hybride à tête d’homme et corps de lapin, pendant que des chiens se dirigent
vers ledit « lapin ». Le thème de la morsure provient de l’iconographie romane. Le mélange d’un
homme avec un corps de léporidé, métaphore du sexe de la femme, sous-entend une série
d’allusions licencieuses amplifiées par cette scène de chasse et de dévoration.
Plus appropriés au monde profane, les combats des damoiseaux font l’objet d’une parodie en
mettant en scène des hybrides anthropomorphes. Dans les heures picardes, deux hybrides, l’un
centaure et l’autre à corps de poisson et à pattes d’oiseau, s’apprêtent à combattre, peut-être pour
une dame. Les activités profanes détournées par des hybrides permettent de railler l’orgueil ou la
prétention de leurs auteurs. En effet, les codes de la chevalerie élèvent certaines de ses pratiques
comme l’adoubement à l’équivalent des rituels liturgiques. La parodie des images marginales peut
être observée comme de l’autodérision dont l’usage est attesté par la littérature prisée par les nobles.
Les hybrides anthropomorphes musiciens sont également très nombreux et accompagnent
souvent le texte des Psaumes. Quelques instruments sont récurrents : la trompette, la vielle, le
tambour et surtout la cornemuse. Les hybrides créent une cacophonie gênant la lecture psalmodiée
des textes, une sorte de « bruit visuel » troublant le lecteur.
Les hybrides anthropomorphes sont donc des représentations des pulsions bestiales de l’homme.
Or, selon des recherches récentes, les figures du désordre seraient des « contre-modèles » visant à
- 94 -
renforcer l’ordre en présentant son contraire. Les figures du désordre sont « rangées » dans la
marge, elles consolident la norme par leurs écarts, tout en donnant à voir la conséquence de
l’immoralité : les hybrides. Ces figures entrent en résonnance avec le texte ou la miniature
principale. On peut parfois y déceler des rapports formels, des jeux de regards, des allusions à un
mot ou au texte en entier comme dans le cas des hybrides musiciens situés fréquemment autour du
psaume 97 ; mais les hybrides ne franchissent jamais la limite qui leur a été assignée. L’humour,
allié de la peur, passe par l’absurde, le ridicule, l’ironie ou la satire pour mieux convaincre. Il n’est
jamais innocent et invite à la moralisation.
L’apparence frappante de ces combinaisons retient l’attention du lecteur, cela expliquerait la
forte présence d’images de ce type dans les manuscrits laïques, comme l’expression d’un mal ayant
une valeur exemplaire. L’impact de ces désordres passe également par le langage : il semble
impossible, en effet, de classer tous ces êtres. Les aberrations formelles et taxinomiques entraînent
une confusion qui empêche toute classification. Les nommer reviendrait à annihiler leur efficacité et
leur capacité performative en annulant leur « pouvoir » moralisant.
Ces quelques remarques permettent de considérer comme importantes les figures des marges, en
particulier les hybrides anthropomorphes, afin de saisir les mentalités médiévales. L’histoire de l’art
cherche traditionnellement à donner un sens à une image. Or la notion même d’image au Moyen
Âge est très complexe. Cette idée est d’autant plus vraie pour les marginalia qui semblent ne
s’insérer dans aucune catégorie artistique traditionnelle. L’étude des figures marginales ne permet
pas d’élaborer une unique explication à ces représentations : le type d’ouvrage, le rapport avec le
texte et les images (initiales, miniatures et autres images marginales du manuscrit), l’emplacement,
le type de motif, le commanditaire, le moment, le goût de l’époque sont autant de paramètres à
prendre en compte pour les comprendre. Une recherche approfondie est inévitable, spécialement sur
l’image et l’imaginaire, sur le monde et sa perception, la culture médiévale, laïque et cléricale, les
pratiques de l’écrit et de l’oral, les pratiques liturgiques et dévotionnelles. Malgré le développement
des études sur le sujet, beaucoup de questions demeurent. La diffusion du genre des marginalia est
trop importante pour penser à des réalisations « fantaisistes » d’enlumineurs comme il a été proposé
par quelques chercheurs. On ne peut plus, en effet, souscrire à l’hypothèse d’Éric G. Millar en 1932,
dans une étude sur le Psautier Luttrell (vers 1230) : « L’esprit d’un homme qui a pu délibérément
orner un livre de tels sujets…peut difficilement avoir été normal » car la norme est au cœur de la
réflexion des peintres des manuscrits.
En guise de conclusion, il est important de rappeler que la définition de l’homme se construit au
Moyen Âge par rapport à celle des animaux. Les marges des manuscrits gothiques renferment de
très nombreuses figures animales et hybrides, et à ce titre, constituent un chantier de recherches très
vaste. Entre parodie et confusion animale, l’homme y est situé à la marge de sa propre humanité.
Lucie Blanchard
- 95 -
Les Cynocéphales : entre barbarie et sainteté
Le mot cynocéphale vient du grec kynokefalos (κῠνοκέφᾰλοι) et du latin cynocephalus (tête de
chien). Selon différents auteurs, les hommes à tête de chien sont considérés comme un peuple plus
ou moins civilisé.
Les érudits ont consacré en effet de nombreuses études à ces créatures auxquelles appartient saint
Christophe, un cynocéphale extraordinaire ou saint Guinefort, saint chien du XIIIe siècle.
De l’Antiquité au Moyen Âge
L’image du cynocéphale est récurrente depuis la plus haute Antiquité. Les Égyptiens représentent
dans leurs peintures des dieux à tête de chien comme Anubis. Dieu psychopompe, il est le « gardien
des âmes » et le gardien de la porte des cieux. Divinité de la mort, il a été l’un des dieux les plus
vénérés d’Égypte, et ce jusqu’à l’arrivée du christianisme.
Les écrits des Grecs informent davantage sur les cynocéphales. Le Ve siècle est en effet une
période de découvertes. Hérodote et Ctésias rédigent les premières notices sur les Cynocéphales. Le
premier situe ces êtres en Lybie et en Éthiopie, mais il n’apporte que peu de crédit aux témoignages
des Libyens sur le sujet. Le second, un médecin, les localise en Inde.
Ctésias parcourt le monde oriental et décrit ce peuple dans son Indika (Ἰνδικά) Histoire de l’Inde.
Les Cynocéphales vivent dans les montagnes jusqu’à la vallée de l’Indus. Ctésias décrit leurs
mœurs « […] Ils élèvent aussi beaucoup de bétails, chèvres et ânesses dont ils boivent le lait et le
lait caillé. […] » , leurs us et leurs coutumes « […] Ces cynocéphales n’ont pas de maison, mais
passent leur vie dans les grottes. Ils chassent les bêtes sauvages avec des arcs et des javelots et les
rattrapent à la course […] ». Il évoque également les rapports qu’ils entretiennent avec les autres
Indiens, notamment avec leur roi « […] et chaque année ils portent ainsi pour milles talents d’ambre
au roi des Indiens. Et ils emportent aussi d’autres produits qu’ils vendent aux Indiens contre du
pain, de la farine, et des vêtements de coton ». Le médecin grec dénombre jusqu’à 120 000
individus et estime leur âge moyen entre 170 et 200 ans.
Au IVe siècle, le conquérant Alexandre le Grand rapporte sa rencontre avec des cynocéphales et
des cynodontes (hommes à mâchoire de chien) en Inde. Mégasthènes, un autre voyageur grec,
apporte un témoignage supplémentaire sur ce peuple. Toutefois, il s’inspire beaucoup du texte de
Ctésias puisqu’il mentionne les mêmes éléments que son prédécesseur : leur habitat dans les
montagnes, leur moyen de communication en aboyant, leur manière de se vêtir avec des peaux
d’animaux sauvages et leur façon de se procurer de la nourriture en la chassant.
Pline l’Ancien et Arrien reprennent des fragments du récit de Mégasthènes. Ces ouvrages vont
inspirer les grands érudits du haut Moyen Âge et les encyclopédistes.
Le Moyen Âge donne de nombreuses références aux textes antiques mais y ajoute la théologie
chrétienne pour expliquer le monde et ses monstres.
Durant l’Antiquité tardive, les Pères de l’Église, comme saint Augustin, mentionnent les
cynocéphales mais de manière assez différente des auteurs antiques. En effet, la théologie
transforme l’image du monstre. Les Cynocéphales deviennent des créatures qui incarnent la magie
- 96 -
des païens et leur férocité. Saint Augustin en parle dans le Livre XVI de son ouvrage La Cité de
Dieu et déclare qu’ils ne peuvent être qualifiés d’hommes car ils n’ont pas d’âme. Au VII e siècle,
Isidore de Séville évoque également les Cynocéphales dans le livre XI de son œuvre
encyclopédique, les Etymologies (Etymologiae), où il décrit les êtres humains puis les monstres. Il
partage le même point de vue que saint Augustin sur ces créatures : ce ne sont pas des hommes. Au
VIIIe siècle, dans son ouvrage Historia gentis Langobardorum (787-789), le chroniqueur
carolingien Paul Diacre prétend que les Lombards se servent de Cynocéphales dans leur armée pour
effrayer les ennemis, en raison de leur sauvagerie et de leur amour du sang : « Ils prétendent qu’ils
ont dans leur camps des Cynocéphales, c’est-à-dire des hommes à têtes de chien. Ils répandent la
rumeur chez l’ennemi que ces hommes guerroient obstinément, boivent du sang humain et leur
propre sang s’ils ne peuvent pas atteindre l’ennemi1 ». Cet extrait traduit bien la pensée des clercs
qui ne voyaient dans l’hybridité que de la sauvagerie.
A contrario, certains encyclopédistes et autres érudits prétendent que les Cynocéphales sont des
êtres doués de raison. Ratramne de Corbie précise par exemple dans son Epistola de Cynocéphalis
que les vêtements qu’ils portent sont la marque de leur pudeur. Ce sont aussi des agriculteurs et des
éleveurs qui vivent dans une société ayant ses propres lois. À la suite d’une longue démonstration,
le clerc tranche donc le débat et considère que les Cynocéphales sont des hommes. Il explique que
si des êtres contrefaits, difformes ou monstrueux, naissent dans les sociétés humaines, pourquoi
n’existerait-il pas des êtres humains à têtes de chien sur la Terre ? Il insiste sur la part d’humanité
qui l’emporte sur la part animale. Ratramne de Corbie rappelle également que saint Christophe est
lui-même un cynocéphale.
Cynocéphale, Hieroglyphica / Pierio Valeriano.
Lyon, Frellon, 1610 (Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien, Rag 9)
Ce n’est qu’à partir du XIIe siècle que le culte de saint Christophe se développe en Occident. Cet
engouement pour un saint cynocéphale va de pair avec la réhabilitation du chien dans la société
médiévale.
1
Paul Diacre, Historia gentis Langobardorum, Livre 1, ch. 11
- 97 -
Zone de localisation des cynocéphales selon les auteurs antiques et médiévaux (carte de Marjorie Morel)
Les limites de « l’Orbis Terrarum » : en territoire barbare et merveilleux
Dés l’Antiquité, les hommes ont délimité le monde en associant peuples connus et régions,
donnant naissance à la géographie, à l’instar d’Homère qui énumère par exemple tous les peuples de
la coalition grecque. De nombreux voyageurs phéniciens et grecs découvrent de nouvelles terres.
Dans les premiers temps, la géographie est traitée de manière pratique grâce aux récits des
voyageurs et des explorateurs grecs, puis elle devient scientifique grâce à de nombreux
mathématiciens qui calculent la circonférence de la terre. Strabon est le premier décrire les
différentes terres connues. Les mondes inconnus deviennent alors des lieux peuplés de créatures
étranges et monstrueuses.
En inventant la géographie, on crée l’inconnu avec son corollaire, l’Autre, dont les monstres sont
les représentations et deviennent donc une catégorie. La distance entretient la peur et le sentiment
de différence, car le monde barbare est loin des mondes civilisés. Le Cynocéphale appartient aux
créatures de ce monde lointain.
Au Moyen Âge, cette perception du monde n’est pas modifiée puisque le monstre est un être
vivant en dehors de « l’Orbis Terrarum », un païen sans âme dévorant la chaire crue et aboyant pour
communiquer. S’y superpose, néanmoins, une interrogation, propre à cette période, sur la frontière
entre humanité et animalité.
Il n’est donc pas étonnant de voir dans les marges du monde chrétien comme en Orient (Libye,
Égypte, Éthiopie et Inde) et dans le Nord (Islande et Finlande) 2 des monstres comme les
Cynocéphales.
Les auteurs médiévaux opèrent toutefois une distinction entre les monstres présents dans la
société, expression vivante des péchés des hommes, et les peuples monstrueux. Ces derniers
appartiennent à la Création et sont réduits par une sorte de compromis avec Dieu à peupler les
confins du monde chrétien.
L’ouverture de l’Occident vers l’Orient suscite de nouveaux récits sur les Cynocéphales. Jacques
2
Aeticus Ister (VIIe siècle).
- 98 -
de Vitry les présente dans son Historia Orientalis où il décrit les curiosités zoologiques et ethniques
de l’Orient.
Les Cynocéphales figurent aussi dans les encyclopédies, les traités de géographie, les romans
ainsi que les épopées. Les récits de voyage qui décrivent les monstres apparaissent au XIII e siècle et
provoquent l’émerveillement des lecteurs. Marco Polo rédige l’un des ouvrages les plus connus de
son temps : Le devisement du monde, Le livre des Merveilles, dans lequel il entreprend un tour du
monde connu ou presque, s’écartant de la géographie classique. Le voyageur génois parle de choses
réelles et merveilleuses qu’il a vues. Il décrit une île inaccessible au large de l’Inde, appelée
Andaman, peuplée d’« hommes à têtes de chien, semblable a la race des grands chiens mâtins ». Les
Cynocéphales y sont présentés comme des idolâtres qui vénèrent des statues d’or. Ils mangent de la
chaire crue d’hommes étrangers à leur peuple et n’ont aucun gouvernement. Ce peuple est
l’archétype même de la sauvagerie païenne que l’Église a tant dénoncée durant les premiers siècles
chrétiens.
Le missionnaire Odéric de Pordenone (1286-1331) s’est également rendu en Extrême-Orient où
il effectue un tour de l’Asie Mineure jusqu’en Chine et au Tibet. Il rédige à son tour un récit de
voyage qu’il intitule Itinerarium (Livre des merveilles) où il mentionne les Cynocéphales de l’île de
Nicobar (non loin de l’île Andaman mentionnée par Marco Polo). Il décrit des êtres portant des
chapeaux sur lesquels trônent des taureaux. Ils sont également idolâtres et païens. Selon ces deux
voyageurs, ce sont des êtres à la marge du monde connu et du monde chrétien.
Grâce à ces récits, un monde merveilleux, fortement inspiré par un Orient fantasmé, a nourri
l’imaginaire médiéval. À la fin du XIII e siècle, les êtres hybrides commencent à être perçus
différemment grâce à la popularité croissante du merveilleux 3. Cet engouement a sans doute permis
le développement du culte de saint Christophe et a conduit saint Guinefort à avoir une existence
propre.
Du Salut retrouvé à la Sainteté : saint Christophe et saint Guinefort
Le christianisme oriental rapporte de nombreuses légendes sur les saints cynocéphales, celle de
saint Christophe est la plus probante. Il s’agit de Reprobos (« Réprouvé »), un soldat au service des
Romains pour persécuter les chrétiens. Mais face aux atrocités commises par les Romains, il se
convertit et demande à Dieu de lui donner l’usage de la parole afin de pouvoir communiquer avec
les païens. Commence alors sa mission d’évangélisation durant laquelle des miracles se produisent.
Il est ensuite baptisé par l’évêque d’Antioche et prend le nom de Christophe. Il subit maints
supplices sans renoncer à sa foi. Cette force de conviction entraîne des conversions massives en son
nom après sa mort.
En Occident circule au XIIIe siècle la légende rurale de saint Guinefort, le lévrier, diffusée par le
clerc Étienne de Bourbon qui la dénonce. Cette histoire montre la fidélité d’un chien accusé et tué
injustement par son maître, un chevalier. Alors que ce dernier s’absente, Guinefort se rend dans la
chambre du petit héritier. Il s’aperçoit qu’un serpent s’est introduit dans la pièce. Afin de protéger
l’enfant du reptile, le lévrier l’attaque. Au cours de la bataille, le berceau est renversé. Guinefort
réussit à tuer le serpent et jette sa dépouille loin des regards. Attirée par le bruit de la lutte, la
nourrice arrive dans la chambre de l’enfant et trouve le chien au museau ensanglanté. Croyant que
l’animal a dévoré l’enfant, elle pousse un hurlement qui attire l’épouse du chevalier. À la vue du
désordre et du sang dans la pièce, la dame pense la même chose et crie à son tour. Le chevalier
3
Jacques Voisinet, Bêtes et Hommes dans le monde médiéval, Le Bestiaire des clercs du Ve au XIIe siècle, Turnhout,
Brepols, 2000
- 99 -
entend ces hurlements et, en pénétrant dans la chambre, ne voit pas le serpent. Fou de colère et de
douleur, il tue Guinefort d’un coup d’épée. Le berceau est retourné, l’enfant est en vie et le serpent
mort est découvert derrière le rideau. Le chevalier comprend alors son erreur et jette le corps du
chien dans le puits situé devant la porte du château, le couvre de pierres et à proximité, y plante des
arbres en mémoire de cet événement. Le château est alors détruit et abandonné par ses habitants.
Les paysans entendent parler de la noble attitude du chien et en font un martyr protégeant les gens
mais surtout les enfants4.
La légende du saint Christophe à tête de chien s’est propagée dans tout l’Est de l’Europe. Durant
le XIIe siècle, en Occident, la vita de saint Christophe cynocéphale est supplantée par la légende du
Christophoros : un géant qui porte le Christ enfant sur son dos et lui fait traverser une rivière.
La légende de saint Guinefort naît au XIIIe siècle et ne reste que dans la localité de Lyon, plus
exactement en Dombes. Étonnamment, elle est diffusée par un prédicateur qui la dénonce. Dans son
sermon, Étienne de Bourbon condamne, en effet, ce qu’il a observé : les paysans rendent un culte à
Guinefort et l’honorent pour qu’il protège leurs enfants les plus faibles. Il dit qu’une vieille femme,
à l’aide de faunes et de démons, trompe les villageois en leur faisant croire qu’elle peut sauver leurs
enfants chétifs grâce à un rituel. La femme fait circuler les enfants entre les arbres, puis les fait
dormir toute la nuit dans la forêt avant de les plonger dans l’eau froide. Le prédicateur déclare que
plus de la moitié des enfants meurent durant le rituel qui était censé les protéger.
Mais quel lien peut-on établir entre saint Christophe, cynocéphale dont le culte perdure en
Orient, et saint Guinefort, au culte rural et somme toute éphémère ?
Les deux saints présentent des similitudes : ils ont certes des caractéristiques de la race canine,
mais leurs points communs ne s’arrêtent pas là.
Saint Christophe cynocéphale est très populaire dans les anciennes régions grecques et romaines,
mais surtout en Égypte. Avant l’arrivée tardive du christianisme dans ce pays, l’un des dieux les
plus populaires était Anubis, dieu à tête de chacal. Les villes proches de la frontière Egyptienne,
Siout et Denderah, avaient fait de lui un dieu tutélaire, désigné dans le dialecte local par le nom
d’« Anubis- Apherou5 ». D’après Pierre de Saint Yves, Christophe est en fait le substitut chrétien du
dieu païen. Cet auteur explique également que les populations de ces villes appelaient le saint
chrétien « Christ Apherou ». De surcroît, des similitudes existent entre les fêtes chrétiennes et celles
de l’Égypte encore païennes. Ainsi, dans le calendrier copte, saint Christophe est célébré le même
jour qu’Anubis, le 9 mai, date correspondant au coucher de Sirius, l’étoile principale de la
constellation du chien, et au début de la période que les anciens nomment « Canicule ». Il s’agit de
l’époque où les eaux des fleuves sont les plus basses, les températures les plus hautes et où les
chiens et les chiennes sont plus nombreux et semblent enragés. Le reverdissement du bâton de
Christophe lors de la traversée du fleuve dans la légende du Christophoros semble émaner des
anciens rites dédiés à Anubis qui comportaient des greffes végétales pour le renouveau des eaux du
Nil.
Saint Guinefort, quant à lui, est un saint bien particulier. Il est lié à la Canicule, puisqu’il est fêté
le 22 août pendant la période de chaleur et de baisse des eaux. Mais, d’où naît ce culte en Dombes ?
Jean Claude Schmitt, Le saint Lévrier, Guinefort guérisseur d’enfants depuis le XIIIe siècle, Paris, Flammarion,
1979
5 Pierre De Saint Yves, « L’origine de la tête de Chien de Saint Christophe », dans Revue Anthropologique, 1924,
p 376 - 383
4
- 100 -
En Italie, il existe bien un culte à un saint Guinefort, un saint humain, fêté en été. Les moines
clunisiens l’ont introduit depuis Pavie dans la région de Lyon. L’influence calendaire, la
coïncidence entre le jour de la fête du saint et de la Canicule, a peut-être induit la transformation de
Guinefort en un saint chien6. Toutefois, il est difficile d’expliquer précisément par quels
mécanismes cette « création » a pu voir le jour.
Les deux saints sont également des saints guérisseurs : saint Christophe protège des maladies
infectieuses, notamment de la peste, et de la mort subite. Saint Guinefort offre sa protection aux
enfants contre la faiblesse, les diverses maladies infantiles et la mort
Geographiae, libri VIII, Claude Ptolémée. – Bâle : H. Petri, 1552
(Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien, XVIg 1709)
Tantôt être vivant dans les montagnes d’Inde subvenant à ses besoins grâce à l’élevage et à
l’agriculture, tantôt monstre cannibale et païens, le Cynocéphale marque les esprits des hommes
durant de nombreux siècles. De nombreux chercheurs ont démontré que la cynocéphalie de
Christophe est une résurgence des dieux païens tels qu’Anubis, Hermès et Héraclès.
Les cultes de saint Christophe cynocéphale et de saint Guinefort le lévrier présentent des
similitudes. La Canicule s’étend de mai à août, entre le lever et le coucher de l’étoile Sirius dans la
constellation du Chien. Dans l’Égypte ancienne, Anubis, dieu psychopompe, était vénéré le jour du
lever de Sirius. Saint Christophe cynocéphale est lui-même fêté dans le calendrier orthodoxe le 9
mai et dans celui de l’Église romaine le 25 juillet. Ce jour marque d’ailleurs en Grèce les
kunophontes antiques, un massacre de chiens pour apaiser les dieux Mânes, et à Rome, un massacre
de chiens roux pour la déesse Furrina. Ces sacrifices sont destinés à calmer la fureur des dieux
infernaux car le lever de Sirius correspond à l’ouverture du monde souterrain. Anubis est aussi le
gardien des portes tout comme Christophe cynocéphale était à l’origine représenté à proximité des
lieux de passage comme protecteur du sanctuaire. Saint Guinefort, le lévrier, est un saint rural lié la
6
Jean-Claude Schmitt, Le saint Lévrier, Guinefort, guérisseur d’enfants depuis le XIII e siècle, Paris, Flammarion,
1979
- 101 -
canicule. Il est également considéré par les paysans comme le gardien des enfants contre les
maladies.
Si le christianisme oriental a conservé la représentation canine de saint Christophe, les clercs
d’Occident racontent une autre histoire : saint Christophe est un géant païen qui fait traverser une
rivière à un enfant qui se révèle être le Christ. Après sa conversion, pour signifier le changement
intérieur du géant, son bâton reverdi. Ce miracle semble émaner de l’Orient chrétien où le
reverdissement du bâton est fondamental dans le culte de Christophe cynocéphale car il permet le
renouveau de la vie après la sécheresse de la canicule. Le temps entre le début et la fin de la
Canicule est en effet considéré dans l’Antiquité mais aussi au Moyen Âge comme une période de
fléaux et de désastres.
Marjorie Morel
- 102 -
Le phénix
Le phénix, présent sous différents noms dans la mythologie de plusieurs civilisations (anqa
islamique, chilin chinois, etc), est un oiseau fabuleux d'une extraordinaire longévité. Selon le mythe
le plus répandu, dans l'impossibilité de se reproduire car unique de son espèce, il a le pouvoir de
renaître de ses cendres après s'être consumé sur un bûcher. Le phénix est de ce fait devenu un
symbole universel de résurgence cyclique ou de résurrection.
Venant probablement d'Orient, sa légende se retrouve en Égypte ancienne, avec l'oiseau bennou.
Dans l'antiquité gréco-romaine, évoqué par Ovide ou Pline, qui déjà se demande « si toutefois son
existence n'est pas une fable », le phénix incarne l'immortalité, le retour de l'âge d'or ainsi que la
piété filiale et la légitimité de la succession dynastique. Les chrétiens, Lactance le premier,
reprennent l'image du phénix, qui est intégré au symbolisme religieux comme exemple de la
possibilité de la résurrection des corps, puis par assimilation, comme figure du Christ et allégorie de
la survie de l'âme.
À l'époque moderne, si les mythologies antiques connaissent une extraordinaire diffusion,
devenant une connaissance indispensable à l'honnête homme, les prises de positions à leur égard
demeurent contrastées. Certains, comme Fontenelle, assimilent la fable antique, essentiellement
ovidienne, à une forme de tromperie, dessinant l’espace imaginaire sans apporter de connaissances
réelles. D'autres comme Fénelon, pour rendre tout son effet au récit antique et toute sa signification
au mythe, transforment le retour à la fable en une quête de richesse morale, une aspiration à une
simplicité de vie ; de nouvelles perspectives s'ouvrent pour l’usage et l’interprétation du mythe, qui
est réhabilité en tant qu’élément de culture. Aussi, malgré l'apparition progressive de l'esprit critique
et l’émergence de nouvelles disciplines comme la zoologie, de nombreuses références à des
animaux imaginaires, tel le phénix, demeurent.
Marque au phénix de Giovanni Padovano et Venturino Ruffinelli
Dicta notabilia – Venise : Giovanni Padovano et Venturino Ruffinelli, 1534 (Poitiers, Bibliothèque universitaire, Fonds ancien, XVI 195-02)
Dans le clergé chrétien, si certains comme Patrick Young se posent sérieusement la question de
l'existence du phénix, son image surtout est abondamment utilisée afin de faire admettre et comprendre la résurrection de la chair. Le phénix permet à l’imagerie de la Contre-Réforme de célébrer
ses meilleurs représentants, tel Ignace de Loyola. Puis, les prédicateurs du XVIIe siècle, dont les ouvrages bénéficient d'un grand succès, l'associent à la devise « ut vivat », qui souligne la volonté de
- 103 -
gloire immortelle et la foi héroïque, ou le mettent en relation avec le sujet de Marie-Madeleine, afin
de symboliser l'âme pécheresse. C'est le cas de Pierre de Bérulle, qui fait par ailleurs du phénix « le
plus parfait modèle du chrétien ». Malgré le développement progressif de l'esprit critique, la valeur
d'un animal étant plus liée à sa capacité d’enseigner la religion qu’à sa véracité, tout animal riche de
signification symbolique reste en faveur : ainsi, afin de faciliter la prédication, Étienne Binet résume
toutes les connaissances relatives au phénix.
Au XVIe siècle, les phénix, griffons, centaures, n'étant pas plus suspects que la girafe, rarement
observée, foisonnent également chez les scientifiques, qui n'osent pas encore remettre en cause les
écrits des Anciens, s'efforçant de retrouver dans la nature ce qui est dans les livres et non l'inverse,
avec pour conséquence la prévalence de propos erronés et contradictoires. Ainsi Pierre Belon et
Ulisse Aldrovandi admettent-ils l'existence du phénix, mais si le premier croit retrouver le phénix
dans l’Apus, en fait un paradisier, le second l'en distingue. De même Ambroise Paré put-il contempler un des vrais phénix qui étaient supposés circuler. Le phénix restera aussi présent jusqu'au
XVIIIe siècle chez la plupart des clercs naturalistes, qui croient en une nature, et par derrière elle en
un Dieu, créant des animaux fantastiques et des monstres.
Le phénix, enfin, appartient aux emblèmes de l'alchimie et de l'héraldique, à l'iconographie,
notamment comme marque d'imprimeurs-libraires, avant de devenir la métaphore du feu de l'amour
chez les poètes, Shakespeare entre autres. Cela sans oublier le papillon et le palmier de l'histoire
naturelle, la constellation de l'hémisphère sud qu'il désigne en astronomie, ou le nombre phénix,
nombre cyclique en mathématiques, ainsi nommé du fait du phénomène récurrent produisant de
l'invariant qu'incarne la permanence de l'oiseau.
Peu à peu, sous l'influence d'auteurs tels que Pierre Le Brun, l'esprit critique devient la norme et,
après 1730, les histoires fabuleuses disparaissent des ouvrages religieux et scientifiques. Le phénix
continue cependant à fasciner et son image reste populaire, en particulier dans la littérature.
Aurélie Mattelon
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La Grand’Goule de Poitiers
Animal fantastique représenté sous la forme d’un dragon ailé, la Grand’Goule tient une place
privilégiée dans l’imaginaire et le bestiaire poitevins. La tradition populaire l’associe généralement
au culte de sainte Radegonde (v. 519-587). La bête aurait vécu au VIe siècle dans les eaux du Clain
et dévorait toutes les sœurs qui s’aventuraient dans les souterrains de l’abbaye Sainte-Croix. La
sainte aurait alors combattu l’animal à l’aide d’une croix, d’eau bénite et de prières.
En réalité, sans que l’on sache exactement à quand remonte cette légende, les origines probablement païennes - et l’histoire de la Grand’Goule restent encore obscures, de même que
celles de toutes les figures monstrueuses de ce genre (Tarasque de Tarascon, Gras-ouilli de Metz,
gargouille de Rouen, guivre de Milan, etc). Les premières mentions textuelles attestées proviennent
du XVe siècle. Dans deux actes datés de 1466 et 1496, on apprend que le mardi et le mercredi des
Rogations (les trois jours précédant l’Ascension), les chanoines de Sainte-Radegonde portent en
procession dans toute la ville plusieurs objets de l’abbaye Sainte-Croix, dont une bannière
précisément appelée le Dragon. Cette manifestation est une des plus populaires de la ville jusqu’à la
Révolution. Si bien qu’en 1677, à la demande des sœurs de l’abbaye Sainte-Croix, Jean Gargot
(maître-sculpteur à Poitiers ayant vécu entre 1655 et 1691) réalise une sculpture de la Goule en bois
polychrome (L. 1,85 m, l. 0,77 m, h. 0,57 m) à porter en procession au bout d’un long bâton. Cette
œuvre, aujourd’hui conservée au Musée Sainte-Croix, est le seul témoignage visuel connu parvenu
jusqu’à nous. Le corps de l’animal, entièrement annelé, est doté d’ailes de chauve-souris, d’une
épine dorsale, de deux pattes ressemblant à des serres d’aigles et d’une longue queue terminée en
pince de scorpion dentelée. Sa tête est pourvue de gros yeux enfoncés, d’une gueule grande ouverte
munie de multiples dents pointues, d’un bec d’aigle et d’une longue langue à l’extrémité fourchue.
La Grand’Goule d’abord considérée comme l’image de la victoire du Christ sur le Mal devient,
au fil des siècles, l’un des objets les plus vénérés lors des processions. La bête est en effet décorée
de banderoles de tissus de couleurs diverses, sa queue de rosettes et on jette dans sa gueule des
cerises et des pâtisseries poitevines appelée casse-museaux. Les femmes frottaient leur chapelet
contre son corps en criant « Bonne sainte veurmine (venant de « vermine » nom donné à tous les
animaux venimeux), priez pour nous ». Figure protectrice et symbole de Poitiers, la Grand’Goule a
depuis donné son nom à une revue littéraire poitevine, dont elle illustre l’en-tête de 1929 à 1934, et
à une discothèque de la ville. Utilisée à des fins publicitaires, comme pour le logo de la mutuelle du
Poitou, elle est également l’emblème du Stade poitevin.
Pascale Brudy
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