"Sic aut non". - Heinrich-Heine

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"Sic aut non". - Heinrich-Heine
"Sic et non" sive "Sic aut non".
La méthode des questions chez Abélard et la stratégie de la recherche
Lutz Geldsetzer
La méthode des questions est bien connue et documentée dans l'histoire de la
philosophie scolastique. Elle régnait dans l'enseignement des écoles monastiques et des
universités médiévales. Elle était - en parallèle avec la "lectio", la lecture des textes et de son
exégèse - la méthode de la discussion de problèmes qui se posaient dans l'entendement des
textes et en outre. On les publiait en forme de "quaestiones disputatae" et "quaestiones de
quolibet", et cette forme entra dans les dispositions des matières des grandes sommes, comme
p. e. la "Summa theologica" de Thomas d'Aquino. Les règles que l'on a établi pour ce but sont
les suivantes:
1. Constitution de la question ou du problème (an sit....?). Le problème par sa nature
même s'articule logiquement en alternative: Y-a-t-il quelque chose ou non? Peut on affirmer
quelque proposition ou non? Quelque' un a dit telle proposition. Est-elle vrai ou non ?
2. Recueillement des contre-instances (videtur quod non...). Commencer avec les contreinstances se recommande à cause de l' "epoché" et sous le principe de la parsimonité inscrites
dans toute recherche. Si l' on peut trouver forts arguments négatifs on épargne très souvent
beaucoup de travail. Le problème pourrait disparaître simplement si les contre-instances se
montrent convaincants.
3. Recueillement des instances positives (sed contra dicendum...). Cela implique le travail
normal de trouver avec une certaine complétude les arguments soutenants la thèse qui est
incluse dans la problématique. Cela présuppose naturellement une certaine érudition dans la
discipline, qui semble devenue rare aujourd'hui. Le manque de cette érudition au profit de la
spécialisation me semble la cause majeure pour le fait que la méthode des questions est
tombée dans la désuétude dans les temps modernes. Le chercheur préfère de proférer des
thèses et de les arguer, et il laisse le travail de les critiquer et peut-être les renverser par des
contre-arguments à ses collègues. Les scrupules médiévales de se soulever en personne des
contre-arguments bloque normalement l'élan de la production de textes et des thèses qui sont
si importants dans les carrières des chercheurs modernes. On peut aussitôt dire, que si la
méthode des questions était actuellement en vigueur et obligatoire, la production littéraire serait
certainement diminuée considérablement.
4. La réponse ou la solution du problème ou de la question (Conclusio). Elle ne peut être
qu' une déduction logique a partir des prémisses ramassés positives ou négatives.
5. La révision et l'évaluation des arguments positives et négatives (ad unum, ad
secundum etc.) qui était encore recommandé par Descartes dans ses Règles de la méthode
peut s'ajouter ou non, lorsqu'elle n'a pas déjà été faite dans les étapes antérieures.
En présentant la méthode des questions de telle manière, je l'ai formulé sous la forme
de l'alternative logique. Et si je me ne trompe pas, aussi les juristes et les scolastiques dans leur
majorité l'ont compris ainsi. La question se pose alors, pourquoi depuis Abélard elle fut appelé
2
"Sic et non"? et non "Sic aut non?". Car on peut bien supposer que la distinction entre
l'alternative et la contradiction logique était suffisamment connue chez les "dialecticiens"
scolastiques. D'ailleurs l'appellation "méthode des questions" est sans doute elle-même
l'expression de cet entendement de la méthode comme constitution logique d'alternatives,
puisque chaque problème est normalement compris comme alternative.
Evidemment cela ne vaut pas pour les contradictions qui sont logiquement formalisées
sous la forme du "Sic et non" d'Abélard. Les propositions contradictoires sont comprises
depuis l'antiquité comme expression logique du faux ou même de "l'absurde". Je m'en doute
qu' Aristote lui-même a été l'auteur de cet entendement, parce qu'il n'affirme nulle part dans
ses écrits qu'une contradiction serait simplement fausse ou dénué de sens. Ce qu'il constate
explicitement c'est qu'il y a des contradictions conceptuelles "in adjecto" ou "in terminis" qui
n'ont rien à voir avec la fausseté et la vérité. D'autre part, en parlant des propositions, il
constate que la contradiction consistant en une proposition positive et une autre conjuguée
avec celle-là qui dénie la proposition positive ne peuvent pas être vraies toutes les deux ni
fausses toutes les deux en même temps, et cela dans le cas normale d'un jugement sur les
choses existantes.1 Ce qui insinue le fait, que l'un des jugements conjuguées en contradiction
doit être vrai et l'autre faux. Mais Aristote ne dit pas cela expressément. Puisque de telles
jugements contradictoires ne sont pas vrais ni faux (ensembles) il conseille de les éliminer de la
logique des bi-valeurs logiques. Et il use la dite "reductio ad absurdum" comme méthode de
démonstration qu'un jugement est contradictoire et ainsi infructueux pour la considération dans
la science. Mais Aristote constate une exception bien connue de cette règle dans le cas des
"possibilia futura", c'est-à-dire des choses qui sont possibles.2 Il affirme que dans le cas de ces
possibles futures, une proposition contradictoire peut effectivement être composée de deux
jugements vrais.
Il est bien connu que la contradiction fut largement discuté dans l'antiquité. On savait
qu'elle se trouve ingénieusement investi dans les paradoxes. Les paradoxes de Zénon, le
"menteur" d' Euboulides, le paradoxe de l'honoraire de Protagoras sont fameux depuis ces
temps, et l'on cherche toujours à trouver ce qu'il y a de faux en eux et en tant d'autres
paradoxes plus modernes.
Si l'on comprend les paradoxes comme problèmes, comme ils est certainement le cas
dans la logique classique et dans l'application de celle-ci, on doit nécessairement les formuler
en alternative: "La flèche de Zénon se meut-elle ou non?", "le Crète - menteur invétéré - en
disant qu'il ment, ment-il ou non?", Protagoras ou son disciple, qui a droit à l'honoraire, l'un ou
l'autre?" En les comprenant de telle manière alternative on doit attendre une solution qui
consisterait dans une seule réponse définitive. Mais on n'en a pas trouvé. Par sa forme
contradictoire même le paradoxe entraîne nécessairement deux réponses, l'une positive et
l'autre négative: "La flèche de Zénon se meut et ne se meut pas" etc. Cela montre que les
paradoxes ne peuvent pas être de problèmes dont il y a une seule solution.
On peut aussi formaliser les paradoxes en forme de concepts, p. e en les exprimant
par deux caractères qui s'excluent. La flèche de Zénon est alors "une flèche se mouvant en
1
2
V.: J. M. Bochenski, Formale Logik, 3. éd. Freiburg-München 1970, p. 71.
Aristote, Herméneutique 9, 18a 39 - 19a 39-b4; v.: J. M. Bochenski, ibid. p. 73.
3
repos". Comme concepts ils ne peuvent pas être vrais ou faux, les concepts n'ayant rien à voir
avec ces valeurs logiques.3
Comme la contradiction dans un concept est sans doute une forme logique, on ne
s'étonne pas qu'elle fut usée dans un sens très efficace dans l'argumentation. Héraclite, les
Pythagoriciens, même Platon l'ont usé, et il semble qu'aussi Aristote a conçu son concept de
"possibilité" (dynamis, dynamei on) en forme logique d'une contradiction conceptuelle,
notamment de ce qui existe et n’existe pas en même temps. J'ai montré que les concepts
géométriques et arithmétiques axiomatiques d'Euclide dans les "Elements" étaient de ce type.4
Pourquoi alors les philosophes métaphysiciens et les théologiens n'auraient-t-ils pas usé ces
concepts contradictoires pour exprimer ce qu'ils voulaient dire, mais ce qu'ils ne pouvaient pas
dire en forme logique normale dans des termes en forme non-contradictoire?
On trouve les exemples de cette conception contradictoire des dogmes chrétiens chez
Tertullien, qui était un Stoï cien et juriste et devait avoir la connaissance intime de la logique
stoï cienne. Il savait certainement comme étant vrai qu' un dieu n'est pas homme, et qu' un
homme n'est pas dieu. Mais il affirmait la conception d'un Dieu-homme - ou d'un mortressuscité ou d'une mère-vierge - comme conception à croire.5 Ce que l'on peut et doit
croire, parce qu'on ne peut pas le savoir, fut appelé l'"absurde". Ainsi on désigne la conception
tertulienne de la foi sous la devise: "Credo quia absurdum".
Les deux tendances de retenir d'une part la contradiction en termes ou d'autre part de
chercher à les éliminer au profit des concepts non-contradictoirs se tiennent debout dans la
théologie chrétienne. L'une, la tradition de la logique aristotélique et stoï cienne, veut savoir et
comprendre sans contradiction ce que signifient les dogmes. Et elle s'efforce d'analyser les
contradictions et paradoxes dogmatiques en montrant qu'ils ne sont pas des contradictions
véritables, mais seulement des contradictions semblantes. L'autre tradition, associée aux
Néoplatoniciens et au mystiques, insiste sur le caractère contradictoire des dogmes. Les
dogmes sont à croire et on les distingue du savoir profane non-contradictoire.
La formule "Sic et non" d'Abélard ne semble pas avoir trouvé l'intérêt des logiciens. J'ai
l'impression que l'on suppose qu'elle n'est qu'une expression un peu non-technique pour
l'alternative. Mais en regardant plus près on ne trouve guère d'exemples pour une vraie
alternative logique d'arguments dans les 158 chapitres du texte du "Sic et non". Les instances
de la bible, des pères de l'église et des philosophes paï ens, qui sont ramassés dans le texte,
varient certainement dans leurs articulations, mais il sont définitifs en affirmant les concepts
dogmatiques de la foi chrétienne.
Le texte offre comme introduction dans les chapitres une seule phrase qui traduit
l'opinion du rédacteur - qui ne pouvait pas être Abélard lui-même - que les instances seraient
des semblants de contradictions mais en réalité des non-contradictions: "Incipiunt sententiae
3
Sur la construction des concepts contradictoires voir L. Geldsetzer, Logik, Aalen (Scientia Verlag) 1987,
p. 94 - 98.
4
L. Geldsetzer, Website de la Heinrich-Heine-Universität Düsseldorf: "Grundriß der pyramidalen Logik mit
einer logischen Kritik der mathematischen Logik", 2000.
5
Voir R. Seeberg, Lehrbuch der Dogmengeschichte, Vol. I, Erlangen et Leipzig 1895, p. 85 –87.
4
collectae ab eodem, quae contrariae videntur. Pro qua contrarietate hanc collectionem
sententiarum ipse Sic et Non appellavit"6.
Quelles sont donc les possibilités qui s'offrent pour l'entendement de la formule "Sic et non"?
1. La première est donc l'alternative logique qui détermine le schématisme de la
méthode des questions et sera maintenue dans la méthode scolastique. En fait on peut lire le
texte en s'attendant à une telle contraposition de citations de la bible, des saints et des
philosophes. C'est ce qu'ont certainement fait les adversaires d'Abélard et l'église officielle de
son temps. Mais puisque la plupart de ses citations sont prises dans la bible et des saints qui
ne pouvaient pas être que les témoins de la vérité même, on devait penser qu' Abélard voulait
dénoncer la fausseté de quelques édictes de ces témoins en les sous ordonnant sous le "non"
ou le "contra".
Si Abélard avait voulu cela il aurait facilement trouvé des contre-arguments en masse
chez les hérétiques célèbres et chez les philosophes de tout poil. Mais visiblement il n'en use
pas. Et même dans le cas ou il cite un hérétique notoire comme Arius, il laisse voir qu'il tient
son édit pour vrai: "Arius dit que le fils est différent du père et il veut que le père le faisait
différent de lui-même, parce qu'il n'était pas en état de le produire comme semblable à luimême" (v. chapitre XI: "Quod divinae personae ab invicem differunt, et contra"): 7
D'ailleurs il faut remarquer que la formule d'Abélard, le "Sic et non", ne pose pas une
question en sens stricte. La méthode des questions scolastique laisse ouvert deux possibilités
en demandant: "An sit...aut non sit..."? Et l'un ou l'autre doit être la réponse vraie. Abélard en
contraste avec ceci constate sous le "Sic" une affirmation: "Quod sit.." et sous le "Non" une
autre déniant la première: "Quod non sit...". Avec cela il ne laisse pas le choix, mais il invite à
accepter tous les deux propositions ou définitions.
Donc, il ne peut pas s'agir dans le "Sic et non" (or le "Sic et contra") d'une alternative
logique qui induit comme stratégie de recherche à l'élimination des contre-arguments et au
soutien de vrais arguments pour une thèse.
2. Il reste alors la seule possibilité que le "Sic et non" désigne effectivement une
contradiction. Affirmer cela en vue du texte du canon des écritures saintes et des saints pères
et le provocation pour l'église. Et cela d'autant plus que l'entendement usuel des contradiction
chez les logiciens ou "dialecticiens" était telle qu'il s'agirait là de pures faussetés. Cela pouvait
bien inviter ses adversaires à lui supposer l'opinion que la bible et les édictes des saints
contenaient des erreurs et des faussetés manifestes. En fait, c'est devenue après Abélard
l'attitude des adhérents de la théorie de la double vérité qui affirmait: Ce qui est vrai
logiquement et vrai dans les sciences est faux dans la foi, et ce qui est vrai dans la foi est faux
dans les sciences et dans la logique.
6
Voir le texte de l'édition J.-P. Migne, Petri Abaelardi Opera Omnia, in Patrologiae Latinae t. 178, Tournholt
s. a., coll. 1349/1350.
7
"Arius dicit esse dissimilem, et vult, ut Pater (Filium) dissimilem genuerit sui, quasi impotens qui generare
sibi similem non potuerit" (Migne, 178, coll. 1367/1368).
5
Mais évidemment ce n'est pas l'intention d'Abélard. Déjà dans son prologue il évoque
les moyens traditionnels logiques solvant les contradictions par la démonstration qu'ils ne sont
que semblants. Les juristes en ont établis pour faire la concordance des édictes des jurisperiti
des Digestes de Justinien et les canonistes du droit canonique les ont repris. Martin Grabmann
remarque que Bernold de Konstanz (+ 1100) les a largement usé8 . Il remarque même les
parties parallèles et presque de coï ncidences verbales ("nahezu wörtliche Anklänge", S. 239)
chez les deux auteurs.
Abélard commence son Prologus avec la sentence: "Cum in tanta verborum
multitudine nonnulla etiam sanctorum dicta non solum ab invicem diversa, verum etiam invicem
adversa videantur, non est temere de his iudicandum, per quos mundus ipse iudicandus est".
(coll. 1139). Notons qu'il parle ici seulement des "verborum sanctorum" et non des édictes de
la bible elle-même. Dans ces "dictis sanctorum" on élimine la contradiction en se rendant
compte qu'il s'y peuvent trouver des corruptions du texte: "falsa tituli inscriptione vel scripturae
ipsius corruptione fallamur" (coll. 1341). Et cela peut être aussi le cas dans la tradition des
textes bibliques: "Quid itaque mirum, si in Evangeliis quoque nonnulla per ignorantiam
scriptorum corrupta fuerint, ita et in scriptis posteriorum Patrum, qui longe minoris sunt
auctoritatis, nonnumquam eveniat?" (coll. 1341). Les "retractationes", c’est-à-dire les autocorrections des pères et surtout d'Augustine de leurs édictes par des édictes postérieures aussi
jouent un rôle considérable ici. Grabmann nous donne la liste de ces moyens de concordance
d'Abélard (I, S. 211/212). Mais il souligne qu'Abélard n'a pas mentionné la plus importante
règle, c'est-à-dire la compréhension du texte par le contexte, la situation dans le temps,
l'intention de l'auteur et surtout les lieux parallels.9
Voilà ce qui donne a penser. Abélard pouvait-il négliger un canon herméneutique
tellement fameux et important, ou c'est Grabmann qui s'égare ici?
Nous arrivons avec ceci à la question fondamentale: Veut Abélard faire une concordance en
éliminant les contradictions semblantes ou non? Tous les arguments jusqu'ici ramassés
démontrent qu'il suit la méthode des concordances traditionnelle et qu'il la recommande au
lecteur.
Mais il y a plus. Et cela fut toujours méconnu comme il me semble. Il présuppose en
fait, que les concepts de la théologie chrétienne, les dogmes, sont dans la plupart eux-mêmes
contradictoires et ne se laissent du tout manier par la manière concordante. Pour souligner
ceci, il use une formule, qui ne se trouve que dans les lieux ou cela est manifeste. Abélard dit
dans ces cas: "Quod si difficile intelligitur, mens fide purgetur" (p. e. ch. 66, coll. 1434 et
1436).
En fait Abélard suit une double stratégie dans son "Sic et non". D'une part il veut
défendre le texte biblique, les édictes des saints et des quelques philosophes chrétiens avant la
8
"Wir bemerken mithin bereits bei Bernold von Konstanz jene äußere Technik der scholastischen
Arbeitsweise, als deren erster Vertreter bisher Peter Abälard in seiner Schrift 'Sic et non' galt", Martin
Grabmann, Geschichte der scholastischen Methode I, Freiburg i. Br. 1909, ND. 1957, S. 235.
9
"Abälard hat die wichtigste Interpretationsregel schwieriger Vätertexte nicht angeführt, nämlich die
Erklärung solcher Texte aus dem Zusammenhang, aus Zweck und Zeit der Schrift, aus der Herbeiziehung
von Parallelstellen" I, S. 212.
6
lettre contre le reproche qu'ils contiennent des contradictions propositionnelles. Et pour cela il
s'efforce de montrer selon les règles logiques usuels que les sentences et propositions ne sont
que des contradictions semblantes. D'autre part, il retient les conceptions théologiques
centrales, voire les dogmes, comme conceptions contradictoires - et mêmes paradoxales. Ces
concepts dogmatiques n'ont donc rien à voir avec les critères logiques de la vérité ou de la
fausseté. On peut seulement dire qu'ils offrent une difficulté spéciale pour la compréhension et
l'entendement logique normale puisqu'ils ne sont pas de concepts normales. Il sont élevés audessus les concept logiques par leur nature spirituelle même. C'est la foi et non la pensée
logique qui amène à leur entendement. Et ce que Tertullien et les logiciens ont appelé "absurde"
est exactement ce qu'on doit et peut croire.
Le problème de la foi dans sa relation avec la raison, on le sait bien, est à la base des
controverses d'Abélard avec les théologiens. Son opinion là-dessus lui a valu la critique de
Bernard de Clairvaux et la condamnation de la synode de Sens. Abélard, qui voulait se
profiler en philosophe, logicien et théologien en même temps, propose que la foi et la raison
doivent aller ensemble. Migne cite quelques propos d'Abélard qui avaient été repris par
Bernard de Clairvaux dans son accusation de Sens: "La foi doit être dirigé par la lumière
naturelle: car la marque d'un esprit léger est de croire trop facilement. Or, celui-là croit trop
facilement, qui fait marcher la foi avant la raison. De quoi sert-il, en effet, de professer ce
qu'on ne peut expliquer, et d'enseigner une doctrine qu'on n'est pas en état de rendre sensible à
ceux qui nous écoutent?"10 Sur cette base se comprend facilement qu'Abélard commence
même son oeuvre "Sic et non" avec le chapitre: "Quod fides humanis rationibus sit astruenda,
et contra" (ibid. coll. 1349)
Abélard cite de la "Vita sancti Sylvestri": "Rationi humanae non est committenda fides"
et aussi deux fois le prophète Isée, précurseur d'une longe tradition de la devise "Credo ut
intelligam": "Nisi credideritis, non intelligetis". Naturellement Augustine est son témoin préféré
ici, qui dit: "priusquam intelligamus, credere debemus", et puis Ambrosius, qui accentue la
distinction entre raison et foi en disant "Si ratione convincor, fide abnuo". Mais c'est la part du
"Sic". Et Abélard de continuer avec les témoignages du "Contra" chez Hilarius, Hieronymus,
Paulus et Beda. Son opinion à la fin du chapitre, il faut l'avouer, est très circonspecte. Il dit:
"Duobus modis de spe et fide nostra rationem poscentibus reddere debemus, ut et iustas spei
ac fidei nostrae causas omnibus intimemus, sive fideliter sive infideliter quaerentibus, et ipsam
fidei ac spei nostrae professionem illibatam semper teneamus etiam inter pressuras
adversantium"" (coll. 1353). Je résume tout cela dans une seule phrase qui exprime sa
structure logique contradictoire: "Il faut croire pour comprendre, mais on croit seulement ce
qu'on comprend".
10
J. P. Migne, éd.: Petri Abaelardi abbatis rugensis opera omnia, in: Patrologiae Latinae T. 178, Tournholt s.
a., p. 34/44.
7
Ce qu'il confirme aussi dans sa célèbre confession de foi à Héloï se, dans laquelle il dit:
"Nolo sic esse philosophus, ut recalcitrem Paulo. Non sic esse Aristoteles, ut secludat a
Christo" (Epistola XVII) 11
Le résultat de mes analyses me conduit à nier que le "Sic et non" d'Abélard serait un membre
de la chaîne dite "méthode des questions" ou "méthode scolastique". Il appartient plutôt à la
grande tradition de la pensée dialectique, dont nous avons déjà cité Tertullien, et qui se
prolonge à Nicolas de Cues et puis dans la théologie et la philosophie dialectique des temps
modernes.
11
J. P. Migne, ibid. coll. 375. Citation reprise aussi par L. M. de Rijk, Petrus Abaelardus, Dialectica, Assen
1970, p. XCV en témoignage de "Abailard's position all through his life, though it was written after the
Concil of Sens".

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