Fondation Konrad Adenauer
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Discours de Bruno LE MAIRE Fondation Konrad Adenauer Berlin - 26 octobre 2011 Monsieur le Président, cher Günther KRICHBAUM, Monsieur le Secrétaire Général de la Fondation Konrad Adenauer, cher Gerhard Wahlers, Mesdames et messieurs, chers amis, • C’est pour moi une grande joie et un grand honneur que de pouvoir m’exprimer ce soir devant la Fondation Konrad Adenauer, qui fait figure de modèle pour les think tanks français. • Vous savez déjà bien sûr combien j’aime l’Allemagne et Berlin. o Certes, je n’ai pas de racines allemandes, ni de parents allemands. o Mais mon père, qui avait été très marqué par la guerre, a toujours affirmé que ses enfants devaient apprendre l’allemand. Pour lui, la réconciliation entre la France et l’Allemagne était le grand défi. Et cette réconciliation signifiait : maîtrise de la langue du voisin, amitié pour le pays et relations avec ses habitants. o C’est ainsi que j’ai découvert l’Allemagne. C’est ainsi que j’ai appris à apprécier et à aimer l’Allemagne. • C’est pour cette raison que depuis le début de ma carrière politique je suis soucieux de travailler en accord avec l’Allemagne. o Ma première grande expérience politique de coopération avec l’Allemagne remonte à la crise irakienne de 2003, quand j’ai rencontré Joschka FISCHER, à l’époque Ministre fédéral des Affaires étrangères, et qu’ensemble, nous avons mené des négociations sur cette crise mondiale. L’Ambassadeur Maurice GOURDAULT-MONTAGNE se souvient bien de cette époque et il sait combien la relation francoallemande a été importante pour la résolution de cette crise en Europe. o Ma deuxième grande expérience est la constitution de deux groupes de travail pour l’énergie et l’industrie automobile en 2009, quand j’étais Secrétaire d’Etat aux Affaires Européennes. Pourquoi ? Car dans ces domaines industriels essentiels pour nos deux pays, nos modèles sont complémentaires. Car nous avons trouvé ensemble une bonne méthode de coopération. Et non pas parce que je suis fou de voitures allemandes ! (ou pas seulement). Je roule en Audi et cela me vaut souvent des critiques dans ma circonscription. • Nous vivons une période difficile : pendant que je fais ce discours ici à Berlin, des négociations décisives sur l’avenir de l’euro ont lieu à Bruxelles. o J’aimerais souligner ici ma ferme conviction : rien n’est possible en Europe sans accord entre l’Allemagne et la France, car le dépassement de nos différences nous rapproche d’autant plus et renforce notre compréhension mutuelle. o Si les intérêts nationaux sont importants, l’avenir de l’Europe importe davantage pour Angela MERKEL et Nicolas SARKOZY. Et tu l’as très bien expliqué, cher Günther, lorsque tu as dit que les Allemands étaient conscients du coût financier d’un accord. C’est pourquoi je suis certain que cette nuit nous parviendrons à un accord. Cela montre que nous sommes capables de faire un pas les uns vers les autres et de surmonter nos différences nationales. Permettez-moi de citer ici trois exemples : La diplomatie : on affirme souvent que la France est davantage tournée vers l’espace méditerranéen, et l’Allemagne davantage vers la partie orientale de l’Europe et vers la Russie. Nous devons en profiter pour enrichir mutuellement nos diplomaties respectives. Les affaires sociales : nos deux pays voient dans la question sociale un sujet primordial. Mais nos approches diffèrent, car elles sont profondément ancrées dans nos histoires respectives. Nos deux approches font figure de modèles l’une pour l’autre. Voici deux exemples concrets : • Le salaire minimum, qui constitue en France un filet de sécurité pour les employés. L’Allemagne ne veut pas de salaire minimum à l’échelle nationale, elle l’a toutefois fait adopter dans certaines branches. • Le dialogue social entre employés et employeurs en Allemagne, qui profite à l’ensemble de la société car les compromis constituent la base de la prospérité. En France, il y a encore trop de conflits et de rapports de force entre les deux « camps ». Je suis persuadé que l’exemple allemand d’une bonne coopération entre les syndicats et le patronat peut être un modèle pour nous. Et je le dis en tant que responsable du programme de l’UMP pour 2012. La politique et les institutions : j’aimerais souligner aujourd’hui à quel point nos deux systèmes sont différents. En tant que Ministre français qui passe beaucoup de temps en Allemagne, je peux parler d’expérience : • En France nous avons l’habitude que la ligne politique soit fixée par le Président de la République. Le Parlement approuve. • En Allemagne, c’est le Bundestag qui a le rôle principal. (Et ce n’est pas Günther KRICHBAUM qui me contredira !) : Angela MERKEL est intervenue cet aprèsmidi pour la deuxième fois devant le Bundestag et a demandé une autorisation pour sa politique de l’euro. Les Français l’ignorent, il est même difficile pour eux de se représenter une telle situation. Napoléon a laissé des traces... • • Mais nous nous dirigeons vers un renforcement du rôle du Parlement. Par exemple, il se prononce dorénavant sur la prolongation d’engagements militaires à l’étranger. Nous avons besoin plus que jamais de la force franco-allemande. L’avenir de l’Europe dépend aujourd’hui des Allemands et des Français. o Tout le monde est conscient de vivre, en Europe, dans notre histoire commune, une expérience unique et dramatique : C’est la première fois depuis des siècles que l’Europe n’a plus le monopole de l’initiative politique et des idées politiques, car les pays émergents que sont l’Inde, le Brésil et la Chine, confrontent l’Europe à de nouveaux défis. Voilà la réalité de la mondialisation. C’est la première fois depuis des siècles que l’Europe se retrouve dans de telles difficultés, la première fois que tout ce que nous avons accompli en cinquante ans se voit menacé. • L’avenir de l’Europe n’est plus assuré. • Le plus grand acquis politique de l’Europe, l’euro, est en danger. • Tous les Etats-membres, qui travaillent en ce moment d’arrache-pied pour parvenir à une solution, font face à ces défis. Nous assistons en outre à un regain de populisme, de nationalisme et de l’extrême-droite : cela représente un danger pour tous les pays. Je me permets d’évoquer mon expérience personnelle : dans ma région l’extrême-droite obtient 20 à 25% des voix. Et ces électeurs, que je rencontre, ne sont pas des fous : il s’agit des « Messieurs Tout le monde » qui en ont assez de la politique et des discours sur la mondialisation. C’est donc un danger pour tous les Etats européens. o Il nous faut faire face à ces défis. Permettez-moi d’énoncer trois messages politiques : La réponse à la crise actuelle n’est pas une fin en soi, mais un point de départ pour un renouvellement franco-allemand et européen. La responsabilité politique de la France et de l’Allemagne est engagée. Une chose est claire : ou bien nous trouvons des solutions communes et créons une convergence entre l’Allemagne et la France ou nous sombrons dans l’inconnu, c'est-à-dire dans l’isolement, le repli sur soi de nos pays. Avons-nous la volonté de rétablir un pouvoir politique européen, qui, confiant et fermement uni, puisse s’imposer face à la toute-puissance des marchés financiers ? C’est la politique franco-allemande qui doit redonner le ton, sans pour autant dicter ses choix. Et non les marchés financiers. o Pour cela, il nous faut avant tout comprendre les causes de la crise ainsi que les menaces qui pèsent sur l’euro : La crise s’explique essentiellement par le fait que nous avons créé une monnaie commune tout en renonçant dans le même temps à une politique économique commune. En conséquence, la monnaie a masqué nos différents niveaux de compétitivité. C’était le pêché originel : • Alors que les uns se sont enrichis, ont conquis des marchés, accumulé les excédents…, • Les autres ont connu une perte de compétitivité, ont vu leur industrie délocalisée, ont perdu des emplois et leurs déficits se sont creusés. Si nous examinons ce phénomène en France et en Allemagne en disant la vérité, même si celle-ci est difficile à entendre : • Alors que les Allemands réformaient leur marché du travail en toute confiance, nous avons introduit la semaine de 35 heures. C’est la plus grande faute politique des 20 dernières années. • Alors que cette année l’excédent commercial allemand s’élève à 175 milliards d’euros, le déficit français est quant à lui de 75 milliards d’euros. • Je viens de lire dans l’avion un article du Spiegel qui explique : « la compétitivité française a chuté de façon dramatique. Les entreprises ne sont plus compétitives en France. » Je trouve cela un peu trop pessimiste : il n’y a pas d’une côté une bonne politique et de l’autre une mauvaise politique. Il y a des expériences, des succès, des échecs, qui ensemble peuvent constituer un modèle de réussite pour toute l’Europe. • La France a longtemps fait preuve d’orgueil en croyant mener la bonne politique. Quand la France prenait la parole, c’était la bonne parole. L’Allemagne ne fait pas encore preuve d’un tel orgueil, et je connais assez bien l’Allemagne pour savoir qu’elle ne succombera pas à cette tentation. o Bref, nous ne pouvons tout simplement plus nous permettre un tel décalage au sein de l’Europe entre une politique monétaire commune et de tels écarts de compétitivité. • Maintenant que nous sommes en pleine crise. Comment pouvons-nous en sortir ? o Il s’agit d’abord de régler la crise : c’est l’objectif du sommet européen de ce soir. Comme je l’ai déjà dit, je suis certain que nous parviendrons à un accord. o Pourtant, les défis d’aujourd’hui et de demain ne consistent pas à trouver des solutions techniques à la crise, mais bien des solutions politiques. Il ne s’agit pas seulement du renforcement du FESF ou de l’ampleur de la réduction de la dette grecque, mais aussi de questions telles que l’harmonisation fiscale, la gouvernance économique, ou encore la défense de notre industrie. Autrement dit, nous devons refonder l’Europe. Cela veut dire réformes et solidarité. Il y a encore beaucoup à faire pour améliorer la situation économique de l’Europe. o Chaque citoyen, en France comme en Allemagne, doit s’efforcer de réaliser cet objectif. Cela veut dire plus de réformes, en particulier en France. L’Allemagne les a déjà faites. C’est tout l’enjeu pour la France. Nous avons beaucoup à faire pour améliorer notre situation économique mais nous y arriverons. Nous allons prendre dans les jours qui viennent un certain nombre de nouvelles décisions et de nouvelles mesures. o En ce qui concerne la France, j’aimerais mettre en lumière quatre piliers de cette refondation : une politique budgétaire ambitieuse, la compétitivité, l’innovation et l’éducation. Nous avons un objectif premier : il faut remettre de l’ordre dans les comptes publics. C’est ce qu’ont fait le Président de la République et le Premier Ministre avec un engagement sans réserve : les déficits vont nettement diminuer. Nous voulons stimuler notre compétitivité. C’est pour moi une priorité : en tant que Ministre de l’agriculture, j’ai ouvert la voie pour davantage de compétitivité en France. Et cela fonctionne : depuis le début de l’année, les excédents commerciaux agricoles et agroalimentaires ont augmenté de 17%. La France a les moyens de réussir dans tous les domaines. L’innovation, la pierre angulaire de toute politique industrielle. Dans le domaine agricole grâce à la « chimie blanche ». Dans l’industrie automobile grâce à l’électromobilité. En tant que Ministre chargé de l’aménagement du territoire, je voudrais étendre les nouvelles technologies à tout le territoire. L’éducation : la base de cette refondation. Et nous devons mettre l’accent sur la formation professionnelle, en suivant l’exemple de l’Allemagne. Nous sommes conscients que cette politique est le fondement de la préservation de notre crédibilité économique et politique. o J’aimerais en outre ajouter qu’après le règlement de la crise, la question des institutions européennes et de la démocratie européenne restera ouverte. o Dans ce contexte, la France mise également sur l’Allemagne d’un point de vue politique. Nous pouvons faire des efforts en vue d’un renforcement de l’Europe, à condition que l’Allemagne se joigne à nous. Un exemple : pendant vingt mois, j’ai élaboré avec mon homologue et amie Ilse AIGNER une position franco-allemande commune sur l’avenir de la PAC. Cela a été laborieux et parfois difficile. Mais grâce à ces négociations, nous sommes parvenus à un compromis idéal : • • Le budget de la PAC a été maintenu. Cette position commune est maintenant le point de départ de négociations européennes. Un autre exemple : le G20. Pendant 12 mois j’ai travaillé avec les Allemands sur la question de la volatilité des prix des matières premières. Et nous sommes parvenus à une position commune, base des travaux au G20. Là aussi, cela témoigne de notre capacité à trouver des accords. o Chaque fois que l’Allemagne montre qu’elle a une vision pour l’Europe, ses partenaires lui font confiance : Je me souviens du discours que Joschka Fischer a tenu en 2000 devant l’Université Humboldt qui a ouvert le chemin difficile vers le Traité de Lisbonne. Je souhaite aussi rappeler l’engagement sans faille d’Angela MERKEL pour l’Europe et le rôle que cela joue dans l’opinion publique française. Pour tous les hommes politiques français de droite comme de gauche, ce signal politique est fondamental. Nous constatons avec satisfaction que l’idée européenne reste très vivante en Allemagne. Ursula VON DER LEYEN s’est exprimée clairement en faveur des Etats-Unis d’Europe. C’est important pour la France. Et quand Günther KRICHBAUM affirme qu’il veut aussi refonder l’Europe, c’est aussi important pour les Français. Je souhaite ardemment que Günther vienne s’exprimer en France sur le sujet, sur sa vision de l’Europe, le rôle de l’Allemagne en Europe. D’une manière générale, nous avons besoin en France d’entendre les autorités allemandes sur leur vision de l’Europe. o En résumé : Nous misons sur votre capacité politique à faire bouger les choses en Europe, quand bien même nos positions de départ sont différentes. Un autre exemple de cette situation : le programme alimentaire pour les démunis. Ce programme de l’Union Européenne qui permet la distribution de repas à 18 millions de démunis en Europe a été créé en 1987 par Jacques Delors et le célèbre humoriste français Coluche. Il faut que vous compreniez l’importance de ce programme aux yeux des Français. En Allemagne, il n’a pas la même importance politique. J’en suis conscient. Et je l’explique aux Français. L’Allemagne dépense beaucoup d’argent pour un programme qui ne lui est d’aucune utilité. Et je peux comprendre ses réserves. J’ai donc pensé que dans ce cas nous devrions faire appel à la méthode franco-allemande : • J’ai expliqué les raisons de l’importance de la PEAD à de nombreux décideurs allemands. • Nous avons élaboré un compromis avec la Commission européenne : 1/ nous maintenons le programme pour les années 2012 et 2013. 2/ A l’ avenir, nous sommes prêts à • • y renoncer et à le refonder en tenant compte des positions allemandes. De cette façon, nous espérons que l’Allemagne fasse un geste politique à notre égard. C’est le seul moyen de parvenir à un compromis solide et efficace. Permettez-moi enfin de réitérer mon message politique : je suis venu ici pour vous dire : o La France est prête à jouer son rôle dans la refondation et le renforcement de l’Europe. o Nous misons plus que jamais sur la participation de l’Allemagne. o Au-delà de la France et de l’Allemagne, la crise nous contraint à remettre en cause et à repenser tous nos dogmes européens et toutes nos idées européennes. Bien sûr, l’amitié franco-allemande ne suffit pas, mais elle n’en reste pas moins incontournable. C’est de cette façon que nous renforcerons l’Europe, à condition que nous réussissions à refonder la relation franco-allemande. o Notre responsabilité va au-delà de la crise actuelle, quelles que soient son ampleur et sa gravité. Nous déterminons en ce moment même les vingt-cinq prochaines années de l’Europe. Ni les Français ni les Allemands ne peuvent déterminer cet avenir seuls. o Nous, Français et Allemands, avons décidé de faire face aux défis de la crise et de nous montrer à la hauteur, c’est ce que prouvent une fois de plus Angela MERKEL et Nicolas SARKOZY ce soir. Ensemble et pour l’Europe, nous devons continuer d’être à la hauteur de ces grandes attentes et de ces exigences. Je vous remercie.