Éloge de la faute d`orthographe
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Éloge de la faute d`orthographe
Éloge de la faute d’orthographe « Errare humanum est » (Sénèque le jeune, peutêtre) « Pour ce que rire est le propre de l’homme » (Rabelais, très certainement ; Aristote probablement auparavant) Conclusion : rions de nos erreurs, si nous sommes des hommes ! (votre serviteur) Alors qu’à mon habitude, je me lamentais sur la déplorable orthographe de nos concitoyens, de nos enfants, de nos journalistes et, plus généralement, de mes contemporains, le philosophe pessimiste, mon ami, me reprit gentiment, affirmant non seulement qu’on exagérait beaucoup la gravité des fautes d’orthographe, mais surtout qu’elles étaient utiles, nécessaires, et pour tout dire indispensables à notre survie, enfin tout au moins à la survie de la littérature et de bien des personnes, en somme. On s’en doute bien, je manifestai la plus vive réprobation et commençai à reprendre mes lamentations 9 en m’apprêtant à les argumenter. Peine perdue : il me coupa la parole, ce qui n’était pas vraiment dans ses habitudes, et me dit : « Stop, je connais tout cela, et je sais ce que vous allez me dire. Vous avez bien raison. L’orthographe est une chose très importante mais… — Mais quoi ? — Mais, dites-moi, comment aurait fait Marcel Pagnol, dans ses souvenirs d’enfance, pour nous attendrir sur Lili, s’il n’avait pas repris les fautes d’orthographe de sa lettre ? Et comment Jean-Paul Sartre aurait-il fait pour nous persuader de son amour de la littérature sans son « lapen çovache » des « Mots » ? — Évidemment, j’en conviens, lui répondis-je. Dans ce genre de situation, la faute d’orthographe a son intérêt dans la mesure où elle s’oppose justement à une orthographe correcte de la personne instruite ou de l’adulte par rapport à l’enfant qui apprend à lire. Cependant, vous avouerez qu’il s’agit là d’un cas bien particulier. Et que la faute n’est ici reprise qu’en tant que citation, entre guillemets, en italiques ou signalée par un « sic » rigolard. — Attendez, il n’y a pas que cela. Parfois la faute d’orthographe est absolument nécessaire. Imaginez quelqu’un qui voudrait écrire un texte amusant et en jouant sur les doubles sens. Par exemple quelqu’un qui raconterait l’histoire d’un accordeur d’orgues au travail comme s’il s’agissait d’une histoire torride entre un homme et une, ou plusieurs femmes. Vous me suivez ? — Euh… Pas vraiment. 10 Le livre absolu. Je l’ai eu entre les mains. Je l’ai lu. Je peux vous en parler, le décrire même… Stéphane Mallarmé et tant d’autres en ont rêvé… Rêvé de l’écrire ou rêvé de le lire… Et c’est à moi, simple H-L M., que cela a échu. Oh ! d’autres peut-être l’ont vu, l’ont parcouru, l’ont délaissé, sans se rendre compte du trésor inestimable qu’ils détenaient là. C’est en effet bien souvent le sort des trésors inestimables que d’être incompris, invisibles aux yeux ordinaires, rejetés dans l’anonymat des trésors simplement estimés. Oui, vous savez, il a eu un prix d’estime… C’est un estimable ceci, un estimable cela… On voit ça tout le temps. De l’estime sans intérêt, sans passion, sans amour tout simplement. Seulement un peu de consolation. Et voilà que sans que j’y prisse d’abord garde, il fut. Entre mes mains ! Sous ma lampe et mes yeux ! LE livre parfait, absolu, indépassable ! LE livre par excellence ; pas un excellent livre mais celui après lequel toute littérature est absolument 47 Les ultra-spécialistes L’art de la futurologie n’est pas plus compliqué pour le prophète que, pour un mathématicien chevronné, trouver le résultat de 2 + 2. Il s’agit simplement de tirer les conséquences logiques, inéluctables, inexorables et irréfutables des données connues aujourd’hui et de leur histoire passée. Rien de difficile à cela. Nostradamus, qui l’avait bien compris, a voulu cacher cette évidence par un langage abscons qui donnait le sentiment qu’il fallait être supérieurement intelligent pour le comprendre. En réalité ses fameux quatrains ne sont que d’aimables plaisanteries destinées à lancer les avenirs sur de fausses pistes. Arrivé là, mon lecteur se dira peut-être qu’il faut être bien prétentieux pour proférer de telles affirmations dont l’insolence arrogante n’a d’égale que la vaine gratuité. Il pourrait me mettre au défi de prouver cette allégation. Il me faudra donc, pour le dissuader d’un tel jugement trop rapide, prendre un exemple parmi cent autres possibles pour le confondre 65 Le cadeau La nouveauté qu’apportèrent les envahisseurs était infime et personne n’y prêta attention de prime abord. On savait pourtant qu’ils possédaient une science du langage exceptionnelle et qu’ils arrivaient à exprimer dix fois plus de nuances et de concepts que n’importe quel lettré européen ou basque, arabe ou persan, voire chinois ou khirguise. La langue des extra-terrestres était néanmoins définitivement hors de portée de l’entendement humain. Probablement à cause d’un appareil phonatoire tellement dissemblable que les sons émis ne possédaient aucune caractéristique commune avec les langues de la Terre. Eux nous comprenaient, un peu à la manière dont nous croyons comprendre les jappements des chiens dans les diverses circonstances de leur vie canine. Ils arrivaient à communiquer avec nous, pauvrement mais réellement. En nous donnant des ordres que nous nous empressions d’exécuter tellement ils nous donnaient le sentiment d’être supérieurs ainsi. Au bout du compte, nos plus éminents linguistes comprirent 89 Le revenant « Dites-moi, ai-je l’air d’un fou ? —…? — d’un insensé ? C’est avec cette entrée en matière que le philosophe pessimiste m’aborda, pas plus tard que ce matin. Vous comprendrez mon étonnement ; cet homme-là n’est pas toujours drôle et sa compagnie est parfois déprimante, mais c’est bien la dernière personne qu’on pourrait taxer de folle tant ses propos sont d’ordinaire mesurés et frappés au coin du bon sens malgré tout, même dans ses plus grands emportements. Pressé donc de me prononcer, je le rassurai tout de suite et lui demandai la raison de son étrange interpellation et d’en venir au fait. « Figurez-vous, me répondit-il alors, figurez-vous qu’il est revenu ! — Mais qui donc ? Qui donc est revenu ? — Peut-être même sont-ils plus nombreux qu’on ne le croit à revenir ainsi ! — Vous m’inquiétez. 105 Table des matières Livres de ma bibliothèque.....................................7 Éloge de la faute d’orthographe.............................9 Obsession............................................................21 Phraseur...............................................................29 Le livre le plus court............................................33 Jésus est-il ballot ?...............................................39 Anglo-saxon(ne)..................................................43 Le livre absolu.....................................................47 Succès imprévisible.............................................57 C’est un jeu..........................................................61 Les ultra-spécialistes............................................65 La fin du monde…....................................................71 L’anguille ou « comment écrire une nouvelle »...73 Le bibliomane (D’après Gustave Flaubert)..........77 Les répondeurs....................................................81 Le cadeau.............................................................89 L’homme-livre.....................................................95 Les livres montagnes...........................................99 Le revenant........................................................105 Le manuscrit......................................................109 Les langues étrangères.......................................119 La plume et le pinceau.......................................121 Lire Dante ?.......................................................125 Métamorphoses..................................................145 Lettre ouverte à François Bon............................149 159