Electro, musique de la post

Transcription

Electro, musique de la post
Electro, musique de la postmodernité
La musique techno – née aux alentours des année 80 – fait
toujours l’objet de nombreuses critiques. Parfois considérée
comme simple bruit, on peut même lui ôter le statut de
« musique ». Par une utilisation abusive de la technique, elle
serait déshumanisée ou totalitaire – le terme « techno » étant
d’ailleurs un dérivé de « technologie ».
Cependant, ce style musical est né dans des lieux déshérités,
où la modernité industrielle est à l’agonie, où la technologie
semble avoir raté son œuvre, comme Detroit, Manchester ou
Berlin. Là, la musique est sommée de redonner du sens au réel.
Elle vient enchanter des usines vides et des régions
abandonnées. Comme le souligne Michel Moffesoli dans son
ouvrage Le temps des tribus, le déclin de l’individualisme de
la société de masse, elle participe à la re-tribalisation du
monde social contemporain.
Berlin – Kraftwerk
A l’heure où l’accélération du temps et le progrès social
tendent à la déconstruction du lien social et à l’indifférence
généralisée, la musique électronique permet la création d’une
communauté affective. C’est un phénomène observé dans les
rassemblements comme les concerts, les raves, les free
parties. La techno est une musique à vivre en commun, le
partage de sensation y est important. Elle détient en elle
l’espoir de recréer l’« effervescence collective » –
caractérisée par Durkheim – lorsque les individus d’un groupe
sont rassemblés pour communiquer « dans une même pensée et
dans une même action ». Le collectif créé par l’union des
passionnés voit se développer ce que Durkheim appelle les
« solidarités mécaniques », ces solidarités non utilitaristes
propres aux sociétés traditionnelles. La sociologue Béatrice
Mabilon-Bonfils écrit dans son ouvrage Dans la fête techno,
au-delà des raves: « la force de la musique fait sortir de soi
(ex-ister), pour participer au grand collectif ».
Le grand collectif se retrouve ici dans la danse et la transe
– parfois appuyée par la prise de spiritueux et de produits
psychotropes. On remarque à travers ce genre musical
l’importance de l’impact de la musique sur le corps. Comme le
souligne le musicologue Emmanuel Grynszpan, à la manière des
musiques traditionnelles bretonnes ou orientales, la techno
est d’abord une musique basée sur la RRP – Répétition
Régulière de la Pulsation. C’est cette répétition de la pulse
qui entraîne le corps.
Le parallèle avec les musiques traditionnelles est aussi
pertinent dans la manière de percevoir et de vivre la musique.
De fait, les danses traditionnelles – elles aussi basées sur
la répétition – ne sont pas loin des mouvements que génère la
techno chez ses auditeurs. De la même manière, il nous semble
que la comparaison entre les concerts, les raves et les festnoz ne soit pas dénuée de sens. En témoigne le festival Dunes
Electroniques en Tunisie qui mélange musique traditionnelle et
électronique. Il se déroule au coeur des anciens décors
utilisés pour modéliser la planète désertique Tatooine dans
Star Wars.
Paul Kalkbrenner
La proximité entre musiques traditionnelles d’une part et
électroniques d’autre part, a conduit à la ré-appropriation de
sonorités particulières d’autres genres de musiques via les
processus de remix et de sampling. On remarque ainsi
l’utilisation croissante de sons propres aux musiques
traditionnelles dans les productions contemporaines. Ainsi,
Guido Minisky et Hervé Carvalho, Acid Arab, jouent sur le
mélange entres les sonorités proches de l’acid et des musiques
orientales. Leur LP sorti sur Versatile Records le 18 novembre
contient par ailleurs de nombreuses collaborations – dont une
avec Omar Souleyman, le musicien syrien à l’origine du très
connu Warni Warni. De la même manière, on peut noter le
recours à l’accordéon sur trois pistes de l’album Self de
l’allemand Paul Kalkbrenner ou la version samba du titre
Strandbar de Todd Terje.
Comme nous l’avons vu, la répétition des cellules rythmiques
est constitutive de la musique techno. C’est néanmoins, une
barrière de plus en plus franchie en raison de l’apparence de
pauvreté qu’elle peut créer. E. Grynszpan fixe la date des
premières cassures de la RRP aux alentours de 2003. Le jeu sur
les changements de rythmes – ou sur leur éviction totale – a
donné naissance à des styles de musique parents de la techno
comme, à l’extrême, l’ambient – musique dominée par des nappes
de sons et dénuée de pied. La profusion de musiques
différentes regroupées sous l’intitulé « musique
électronique » rend désormais très difficile toute
catégorisation définitive. Toutefois, on peut remarquer qu’audelà de la techno, d’autres genres se ré-approprient de la
même façon certains codes des musiques traditionnelles.
Les productions de hip-hop instrumental beatmakers caennais
Superpoze et Fakear s’imprègnent des influences africaines
pour l’un et asiatiques pour l’autre. Ils constituent deux
exemples de sons qui appellent au voyage, à l’évasion et qui
nous mènent à penser que la musique électronique n’a pas fini
de nous transporter.
Pour
conclure,
il
nous
semble
que
ce
métissage
entre
électronique et tradition ne peut être apparenté à un simple
retour en arrière, une décadence. C’est plutôt un bond en
avant qui tente de pallier aux problèmes inhérents à la
modernité, par le biais de la ré-introduction d’humanité dans
un environnement désespérément technique. C’est à ce titre que
l’on peut considérer la musique électronique comme une musique
de la postmodernité.