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Réanimation (2008) 17, 28—35 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: http://france.elsevier.com/direct/REAURG/ MISE AU POINT La protéine des cellules de Clara (CC-16) : un nouveau marqueur pour le SDRA ? Clara cell protein (CC-16): A new marker for ARDS? M.-A. Leclair a, Y. Poulin a, A. Bernard b, O. Lesur a,c,d,∗ a Unité des soins intensifs médicaux, centre de recherche clinique, CHU de Sherbrooke, 3001, 12e avenue Nord, Sherbrooke QC, J1H 5N4, Canada b Unité de toxicologie industrielle et médecine du travail, université de Louvain, Bruxelles, Belgique c Axe soins critiques, réseau en santé respiratoire du FRSQ , Sherbrooke-Montréal-Québec QC, Canada d Centre de recherche clinique, centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, Sherbrooke QC, Canada Disponible sur Internet le 3 décembre 2007 MOTS CLÉS Syndrome de détresse respiratoire aigu,ë ; Cellule de Clara ; CC-16 ; Pneumoprotéines ; Outcome KEYWORDS Acute respiratory distress syndrome; Clara Cell; CC-16; Pneumoproteins; Outcome ∗ Résumé Le syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) demeure une entité au pronostic sombre. Divers marqueurs biologiques du SDRA ont été étudiés antérieurement, alors que, plus récemment, un intérêt particulier s’est porté vers les « pneumoprotéines » comme biomarqueurs spécifiques. La protéine des cellules de Clara (CC-16) est une de ces petites protéines épithéliales produites par le tissu pulmonaire. Les sites de sa synthèse, sa sécrétion, son élimination ainsi que ses fonctions anti-inflammatoires sont de mieux en mieux compris et connus. Plusieurs études semblent démontrer que la modification des niveaux sanguins et/ou alvéolaires de CC-16 pourrait être un élément prédictif fiable de mortalité et de défaillances d’organes dans le SDRA. Cet article fait le point sur les données cliniques et scientifiques connues jusqu’à présent à ce sujet. © 2007 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Summary High mortality is still associated with the acute respiratory distress syndrome (ARDS). Several biomarkers of clinical outcomes have been already described in patients with ARDS and markers of protein leakage, such as, lung epithelium-specific small proteins (called ‘‘pneumoproteins’’) were gaining interest in recent years. The Clara cell protein (CC-16) is one of these lung specific proteins and its secretion, elimination and anti-inflammatory activity are now better known and defined. CC-16 looks as a good prognostic marker of mortality and organ dysfunction in patients with ARDS. This article is a synopsis of current clinical and scientific knowledge on this topic. © 2007 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (O. Lesur). 1624-0693/$ — see front matter © 2007 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.reaurg.2007.11.010 La protéine des cellules de Clara (CC-16) : un nouveau marqueur pour le SDRA ? Introduction Le syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) de l’adulte, en tant qu’entité, a été décrit par Ashbaugh et al. en 1967 [1]. Depuis ce temps, la définition, la compréhension physiopathologique et le traitement du SDRA ont grandement progressé. Sa mortalité, même améliorée jusqu’à atteindre moins de 25 %, reste au quotidien entre 30 et 40 % dans la plupart des centres, hors sélection de patients [2]. Divers scores et marqueurs ont été décrits dans le but de stratifier le risque et le pronostic du SDRA. Les « pneumoprotéines » ou protéines spécifiquement issues de l’épithélium pulmonaire distal, ont été particulièrement étudiées au cours des dernières années et la protéine des cellules de Clara (CC-16) en est un exemple. Cette revue a pour but de familiariser le lecteur avec la protéine des cellules Clara en discutant ses propriétés structurelles et fonctionnelles et ses applications cliniques potentielles. Le SDRA Le SDRA est une condition critique fréquemment rencontrée dans les services de réanimation et de soins intensifs avec une incidence de cinq à 15 cas par 100 000 habitants par année dans les pays développés [3]. Les atteintes directes du poumon, essentiellement des pneumonies, sont les étiologies dominantes du SDRA dans deux tiers des cas et les causes indirectes (e.g. sepsis extrapulmonaire) complètent les causes. Historiquement, la mortalité du SDRA était de 60 % dans les premières années de description, les patients décédant moins fréquemment d’insuffisance respiratoire terminale que de sepsis et/ou de défaillances multiorganiques secondaires [4,5]. Depuis lors, la seule intervention ayant démontré un réel bénéfice de survie est une ventilation mécanique à faible volume courant [6], abaissant la mortalité à environ 25 % [7,8]. Il est postulé que cette amélioration de survie s’explique en partie par une diminution des dommages induits à la barrière alvéolocapillaire par une ventilation mécanique à haut volumes courants (principe du VALI ou ventilation-associated lung injury) [9]. En effet, une barrière altérée primairement (e.g. par un virus, une bactérie ou une inhalation de liquide gastrique) et subissant une ventilation inadéquate à haut volumes, favoriserait la translocation de cytokines inflammatoires, de bactéries et de toxines en provenance du poumon vers la périphérie, engendrant de façon systémique des dysfonctions multiorganiques secondaires (principe du biotraumatisme) [10]. Les marqueurs pronostiques du SDRA De façon générale, l’âge, les comorbidités, les divers scores de sévérité (e.g. score Apache II) et les dysfonctions organiques sont considérés comme prédictifs de mortalité dans le SDRA [11]. Cependant, ces scores sont souvent complexes et incomplets. Les marqueurs des liquides biologiques (sérum ou autre) ou « biomarqueurs » représentent une approche plus attrayante dans le but de stratifier le risque et le pronostic du SDRA. La majorité de ces marqueurs sont des cytokines ou des chimiokines, ayant un effet anti-inflammatoire (IL-6, IL-10, NO, sTNFR1, sTNFR2) ou proinflammatoire (TNF-alpha, IL-1 bêta, IL-6, IL-8, NO) [12]. 29 Quelques études ont aussi été menées sur des marqueurs cellulaires plus spécifiques endothéliaux ou hématologiques (e.g. IECA, vWf:ag, plaquettes) [12,13]. Cependant, le SDRA se caractérisant par un œdème d’hyper-perméabilité dans le cadre d’un dommage alvéolaire diffus, l’étude des protéines originaires du poumon comme marqueur(s) d’un agression, s’annonçait plus prometteuse. Les pneumoprotéines Les poumons assurent les échanges gazeux à travers une barrière alvéolocapillaire dont le versant non vasculaire est constitué d’un épithélium hétérogène mais continu. Alors que la surface alvéolaire est formée uniquement de pneumocytes cuboïdes de type I et de type II, plusieurs autres types cellulaires se retrouvent le long des voies aériennes : cellules ciliées, basales, caliciformes et cellules de Clara [14]. Lors d’une agression pulmonaire aiguë, on observe une accumulation intrapulmonaire de cellules et de médiateurs inflammatoires, ainsi que de ces cellules épithéliales, qui parfois décollent dans les espaces alvéolaires. Cela a classiquement été rapporté par l’analyse des liquides de lavage bronchoalvéolaire (LBA) et par les données histopathologiques. Parallèlement, il a été démontré que plusieurs protéines sécrétées par l’épithélium pulmonaire distal se retrouvaient à des concentrations faibles mais détectables dans le sang de sujets sains [15] et que leurs concentrations se trouvaient affectées par l’altération de la barrière alvéolocapillaire après une agression pulmonaire aiguë [15]. Cette présence dans le sang ne pouvait être expliquée que par une « fuite » de celles-ci en provenance de leur milieu de production vers la circulation sanguine [15]. L’altération pathologique à la base du SDRA est le dommage alvéolaire diffus (DAD), caractérisé par une perte de l’intégrité de la barrière alvéolocapillaire qui est accompagné d’un œdème de perméabilité avec fuite protéinique [15,16]. Il apparaît évident à la lumière des études récentes que cette fuite de protéines à travers la membrane alvéolocapillaire en SDRA est bidirectionnelle [15,16]. L’étude de la nature de ces fuites vers le milieu systémique et leur potentiel pronostique a été un domaine de recherche actif depuis plus de dix ans. Plusieurs pneumoprotéines ont été étudiées dans le SDRA, parmi lesquelles on retrouve la protéine des cellules de Clara, trois protéines associées au surfactant (SP-A, SP-B et SP-D) et les antigènes associés aux mucines (KL-6) (Tableau 1). Ces protéines ont comme caractéristiques communes d’être sécrétées presque exclusivement au niveau du tractus respiratoire. Les facteurs principaux influençant leur passage systémique sont leur taille, leur charge électrostatique et les gradients de pression hydrostatique et oncotique [15]. Une barrière alvéolocapillaire intacte restreint normalement le passage des macromolécules de 10 à 20 kDa (expliquant les concentrations sériques minimes de CC-16 chez le sujet normal). Lors du SDRA, la perte de sélectivité de cette barrière augmente les niveaux sériques des pneumoprotéines. Les mécanismes régulateurs du passage de ses pneumoprotéines à travers la barrière alvéolocapillaire sont, cependant, complexes et mal élucidés. La sécrétion peut être régulée à la hausse ou à la baisse, les cellules épithéliales productrices peuvent être lysées ou dédiées à une apoptose et relâcher non spécifi- 30 M.-A. Leclair et al. Tableau 1 Principales caractéristiques des « pneumoprotéines ». Protéines Cellules productrices Poids moléculaire kilo-daltons (kDa), réduit Fonctions Études cliniques CC-16 Cellules de Clara (bronchioles) 8 Antiinflammatoire (inhibition de la phospholipase-2) Dosage sérique 15,8 (dimère) 78 patients avec un SDRA niveaux sériques précoces associés avec la mortalité, les défaillances d’organes et les jours de ventilation mécanique Dosage dans le LBA 26 patients avec un SDRA (et 35 à risque) augmentation non prédictive de SDRA chez les patients à risque augmentation des niveaux plus élevée chez les survivants SP-A Cellules Clara et alvéolaires de type II 28—36 Formation de myéline Références Lesur et al., 2006 [10] Jorens et al., 1995 [22]Geerts et al., 2001 [24] Geerts et al., 2001 [24] Dosage sérique Recyclage du surfactant 565 patients avec un SDRA (pas de contrôles) Défense de l’hôte pas de lien entre les niveaux et la mortalité, les jours sans dysfonction d’organes et les jours sans ventilation mécanique 41 patients avec SDRA (et 20 à risque) non prédictive de SDRA chez les patients à risque augmentation chez les patients avec SDRA mais non prédictive de mortalité Dosage dans le LBA 153 patients avec un SDRA diminution des niveaux versus contrôles 22 patients à risque et 41 avec un SDRA diminution des niveaux versus contrôles prédictive de SDRA chez les patients à risque Eisner et al., 2003 [33] Greene et al., 1999 [35] Gunther et al., 1996 [36] Greene et al., 1999 [35] La protéine des cellules de Clara (CC-16) : un nouveau marqueur pour le SDRA ? 31 Tableau 1 ( suite ) Protéines Cellules productrices Poids moléculaire kilo-daltons (kDa), réduit Fonctions Études cliniques SP-B Cellules Clara et alvéolaires de type II 5—8 Formation de myéline tubulaire Dosage sérique Adsorption du surfactant 54 patients avec une insuffisance respiratoire aiguë hypoxémique augmentation prédictive de SDRA chez les patients avec insuffisance respiratoire aiguë augmentation significative dans le SDRA versus contrôles et associée à une diminution du ratio PaO2/FiO2 et de la compliance pulmonaire Dosage dans le LBA 41 patients avec SDRA diminution des niveaux versus contrôles 153 patients avec un SDRA SP-D Cellules Clara et alvéolaires de type II 42 Défense de l’hôte Références Bersten et al., 2001 [34], Doyle et al., 1998 [21] Greene et al., 1999 [35] Gunther et al., 1996 [36] aucune différence entre les niveaux des SDRA et des contrôles Dosage sérique 565 patients SDRA (pas de contrôles) augmentation associée à la mortalité, à la baisse des jours sans ventilation mécanique et à la baisse des jours sans dysfonction organique. Le groupe ventilé à bas volume a des niveaux de SP-D sérique plus bas 41 patients avec SDRA (et 19 à risque) non prédictive de SDRA chez les patients à risque augmentation chez les patients avec SDRA mais non prédictive de mortalité Dosage dans le LBA 41 patients avec SDRA diminution associée à une augmentation de la mortalité versus contrôles Eisner et al., 2003 [33] Greene et al., 1999 [35] Greene et al., 1999 [35] 32 M.-A. Leclair et al. Tableau 1 ( suite ) KL-6 Cellules alvéolaires de type II 200 et plus Formation du glycocalyx Dosage sérique Défense de l’hôte 35 patients avec un SDRA niveaux élevés associés à la mortalité 28 patients avec un SDRA Ishizaka et al., 2004 [31] Sato et al., 2004 [32] niveaux élevés associés à la mortalité et à des pressions ventilatoires hautes Les principales études cliniques de validation rapportant l’intérêt du dosage de pneumoprotéines dans le sang ou le LBA comme marqueur(s) diagnostique ou pronostique sont référées. quement leur contenu, certaines de ces pneumoprotéines (celles associées au surfactant) peuvent même être recyclées à l’intérieur des cellules épithéliales survivantes ou des macrophages, l’ensemble pouvant contribuer à réguler le passage dans la circulation sanguine indépendamment de la nature et du degré d’altération de la barrière alvéolocapillaire [10,15,16]. Une autre protéine épithéliale non sécrétée mais issue de la membrane apicale des pneumocytes de type I (HTI56) et relâchée lors de l’insulte du revêtement pulmonaire, a été décrite il y a une dizaine d’années et a fait l’objet d’une étude préliminaire la mesurant augmentée dans le sérum et le liquide d’œdème de patients atteints d’agression pulmonaire aiguë ou de SDRA [17]. Les données sont, cependant, trop limitées pour tirer des conclusions définitives quant à son intérêt potentiel comme biomarqueur pronostique du SDRA. La protéine des cellules de Clara ou CC-16 Synthèse et sécrétion La cellule de Clara est une cellule non ciliée localisée surtout au niveau des bronchioles terminales préalvéolaires (Fig. 1) Figure 1 Déterminants des concentrations de la « protéine des cellules de Clara » (CC-16) dans les liquides biologiques. La CC-16 est sécrétée ou relâchée dans les voies respiratoires distales [(1) mesurable dans les expectorations ou dans un LBA], elle peut traverser la membrane alvéolocapillaire proportionnellement à l’altération de sa perméabilité [(2) mesurable dans le sérum], elle est éliminée dans les urines avec une vitesse et une efficacité dépendantes du taux de filtration glomérulaire et de la fonction tubulaire (et à un moindre degré d’un processus de sécrétion postrénale) [(3) mesurable dans les urines]. : protéine des cellules de Clara. La protéine des cellules de Clara (CC-16) : un nouveau marqueur pour le SDRA ? [18]. La production de la protéine des cellules de Clara a été décrite pour la première fois en 1980 par Singh et al. [19]. Il s’agit d’un homodimère de 70 acides aminés d’orientation antiparallèle et reliés par deux ponts disulfures. Elle a été dénommée de différentes façons : protéine des cellules de Clara 16 kDa (CC-16), protéine de la cellule de Clara 10 kDa (CC-10), utéroglobine, protéine-1 humaine, ou polychlorinated biphenyl-binding protein. Son poids moléculaire est de 15 840 daltons, d’où l’abréviation CC-16. Le gène de la CC-16 se trouve sur le chromosome 11 p12—q13, dans une région occupée par différents autres gènes impliqués dans la régulation de l’inflammation. La CC-16 est aussi sécrétée à un moindre niveau par les cellules non ciliées trachéobronchiques et par le tractus urogénital masculin (prostate), ce qui explique une excrétion urinaire différente entre les sexes [15]. Élimination La demi-vie sérique de la CC-16 est de moins de 18 minutes [15,20]. La CC-16 diffuse passivement à travers la barrière alvéolocapillaire dans la circulation sanguine systémique et suivant un gradient de concentration (Fig. 1). Comme les autres protéines de petits poids moléculaires, la CC-16 est rapidement éliminée par filtration glomérulaire rénale, puis est réabsorbée au niveau tubulaire (Fig. 1). En conséquence, plus le taux de filtration glomérulaire diminue, plus les niveaux sanguins de CC-16 augmentent [15,20]. Cela peut s’avérer important dans le SDRA lorsque la fonction rénale est compromise par une atteinte multiorganique associée ou consécutive. Fonction Les fonctions précises de la CC-16 sont mal définies. Plusieurs évidences postulent pour qu’elle ait un rôle immunosuppresseur et anti-inflammatoire. La CC-16 inhibe l’activité de la phospholipase-A2 [21,22], enzyme importante de la cascade de l’inflammation. Elle prévient du fait même la dégradation du surfactant et inhibe la migration des polynucléaires neutrophiles et des fibroblastes [21—23], ce qui peut avoir un impact significatif sur l’histoire naturelle du SDRA. L’activité et la formation d’interferon gamma par les cellules périphériques sont aussi affectées par l’ajout de CC-16 ce qui affecterait ses effets antiviraux et antiphagocytaires [24]. Son rôle anti-inflammatoire est d’ailleurs bien représenté par le fait que l’instillation de CC-16 recombinante intratrachéale semble réduire l’inflammation pulmonaire [25] et que les souris déficientes en CC-16 démontrent une sensibilité accrue à une ventilation hyperoxique ou à l’ozone [26]. À ce sujet, la conformation tridimentionnelle de la CC-16 démontre une cavité centrale hydrophobique séquestrant divers polluants ou autres substances délétères se déposant dans le tractus respiratoire. Concentration dans les liquides biologiques (hors SDRA) La protéine des cellules de Clara a désormais l’avantage d’être mesurable à l’aide de tests Elisa commerciaux. 33 Les concentrations de CC-16 retrouvées dans le LBA sont variables chez le sujet sain, entre 0,5 et 1,5 mg/L en moyenne [15]. Elle représente environ 2 % des protéines totales du LBA, ce qui en fait une des protéines les plus abondantes de l’espace alvéolaire [15]. La cause de la grande dispersion des concentrations de CC-16 observée est inconnue mais suggère une variabilité interindividuelle dans sa synthèse et sa sécrétion, qui semblent connaître une variation nycthémérale [27]. Les concentrations de CC-16 retrouvées dans le sang sont au moins 50 fois plus basses que dans le LBA et à la limite de la détection chez les sujets sains [10,15]. Les déterminants majeurs de sa concentration sanguine systémique sont le taux de filtration glomérulaire, la concentration en CC-16 du LBA et l’intégrité de la barrière alvéolocapillaire. Des niveaux élevés de CC-16 alvéolaire sont aussi observés chez les travailleurs exposés à l’amiante tandis qu’une diminution est observée chez les fumeurs actifs, dans la bronchopneumopathie chronique obstructive ; l’asthme et la fibrose pulmonaire idiopathique [15]. Application clinique de la mesure de CC-16 dans le SDRA Quelques études cliniques se sont intéressées à l’utilité de la CC-16 comme marqueur pronostique du SDRA. Les premières données sur le sujet proviennent des observations de Jorens et al. [21] et Geerts et al. [23], chez un petit nombre de patients atteints ou à risque de SDRA. Les deux études constatèrent des niveaux de CC-16 augmentés dans le LBA en association avec la mortalité des SDRA, cependant, ces niveaux sont aussi élevés chez les patients à risque, sans pour autant prédire la survenue du syndrome [21,23]. En revanche, dans la première série, les survivants du SDRA avaient en moyenne des concentrations de CC-16 dans le LBA supérieure par rapport aux non survivants [21] laissant suspecter, soit une translocation pulmonaire moindre, soit une production/sécrétion ou relâche accrue(s) dans le poumon. Dernièrement, Lesur et al. ont attribué un rôle pronostique au taux de CC-16 sanguin initial dans le SDRA. Les niveaux sériques de CC-16 s’élèvent en moyenne autour de 15 mg/L dans la phase aiguë du SDRA, et une médiane de groupe plus haute de 20 mg/L est observée chez les non survivants par rapport à moins de 10 mg/L chez les survivants, peu importe la fonction rénale [10]. Une concentration sérique précoce de CC-16 plus élevée dans le SDRA est aussi associée à une durée prolongée de ventilation mécanique et à un plus grand nombre de défaillances organiques à distance (Fig. 2) [10]. Il peut sembler paradoxal à première vue qu’un niveau sérique élevé de cette protéine réputée anti-inflammatoire soit associé à un plus grand nombre de défaillances organiques. En fait, le niveau sérique de CC-16 est probablement un marqueur indirect du passage au niveau de la barrière alvéolocapillaire, de médiateurs inflammatoires beaucoup plus agressifs tel que l’interleukine-1 bêta et le TNF-alpha, qui sont d’ailleurs de poids moléculaire similaire. De fait, il est de plus en plus reconnu par des observations cliniques in vivo et ex vivo que la surproduction de médiateurs inflammatoires au niveau pulmonaire peut, par translocation être responsable d’une apoptose cellulaire accrue et de défaillances organiques conséquentes. Il est facile de 34 M.-A. Leclair et al. Conclusion Le SDRA est une condition critique dont le pronostic reste sombre. Les pneumoprotéines sont des biomolécules sensibles et spécifiques du tissu pulmonaire qui démontrent de plus en plus leur intérêt pronostique comme marqueurs dans ce syndrome. Parmi celles-ci, la CC-16 est facile à mesurer, a un rôle anti-inflammatoire et est un marqueur fiable de mortalité, de défaillances d’organes et de durée de ventilation mécanique dans le SDRA. Des études de plus grandes envergures seront nécessaires pour confirmer son utilité. Références Figure 2 Association entre les concentrations sanguines initiales de la « protéine des cellules de Clara » (CC-16) dans les deux premiers jours du SDRA et le nombre d’organes vitaux défaillants durant l’évolution du tableau clinique. Les défaillances d’organes sont définies selon le score de Sofa et incluent (en gris) ou non (en noir) la défaillance rénale [de Lesur O et al. [10], avec permission]. présumer que cette translocation est entretenue par une ventilation mécanique inadéquate [16] et que l’approche exploitée par le ARDS network vise, entre autre, à réduire ce phénomène [28]. Enfin, un polymorphisme fréquent de la CC-16 a été étudié chez 117 patients atteints de SDRA et 373 témoins, ne révélant pas de lien avec la survenue ou le pronostic du syndrome [29]. D’autres pneumoprotéines citées dans le Tableau 1 ont aussi été étudiées afin de prédire le devenir des patients atteints de SDRA, et sont aussi spécifiques et produites au niveau du tissu pulmonaire. Ainsi, des études ont démontré que des niveaux sériques élevés de KL-6 et de SP-D [30—32], mais pas de SP-A ni de SP-B, avaient une bonne valeur prédictive de mortalité dans le SDRA [32—35]. De plus, la SP-D est exprimée de façon plus ubiquitaire, notamment, dans le tube digestif et sa translocation lors d’un état de stress n’est peut être pas toujours spécifiquement d’origine respiratoire [32]. La KL-6 pour sa part est une protéine plus grosse dont seule une partie diffuserait à travers la barrière alvéolocapillaire et qui n’a été validée que sur des cohortes de patients très limitées [30,31]. Nous pensons que la CC-16 est un meilleur marqueur pronostique chez les patients en SDRA pour les raisons suivantes : • • • • elle est plus spécifique aux poumons que la SP-D ; elle est plus facile à mesurer que le SP-B ; elle est plus fiable que le SP-A ; elle est plus sensible et d’un poids moléculaire plus petit que la KL-6. Toutefois, son élimination est dépendante du taux de filtration glomérulaire et la variabilité intra- et interindividuelle de ses niveaux sériques peut compliquer l’interprétation des résultats au cas par cas. [1] Ashbaugh DG, Bigelow DB, Petty TL, Levine BE. Acute respiratory distress in adults. Lancet 1967;2:319—23. [2] Poulin Y, Leclair MA, Lauzier F, Berthiaume Y, Skrobik Y, Lesur O. Outcome issues of mechanical ventilator settings in ARDS patients from Québec ICUs after the 2000 ARDS network trial. J Organ Dysf 2008, 3: in press. [3] Atabai K, Matthay MA. Acute lung injury and acute respiratory distress syndrome: definitions and epidemiology. Thorax 2002;57:452—8. [4] Bernard GR, Artigas A, Brigham KL, Carlet J, Falke K, Hudson L, et al. The American-European Consensus conference on ARDS: definitions, mechanisms, relevant outcomes, and clinical trial coordination. Am J Respir Crit Care Med 1994;149: 818—24. [5] Montgomery AB, Stager MA, Carrico CJ, Hudson LD. 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