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Réanimation (2008) 17, 28—35
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: http://france.elsevier.com/direct/REAURG/
MISE AU POINT
La protéine des cellules de Clara (CC-16) : un
nouveau marqueur pour le SDRA ?
Clara cell protein (CC-16): A new marker for ARDS?
M.-A. Leclair a, Y. Poulin a, A. Bernard b, O. Lesur a,c,d,∗
a
Unité des soins intensifs médicaux, centre de recherche clinique, CHU de Sherbrooke, 3001, 12e avenue Nord,
Sherbrooke QC, J1H 5N4, Canada
b
Unité de toxicologie industrielle et médecine du travail, université de Louvain, Bruxelles, Belgique
c
Axe soins critiques, réseau en santé respiratoire du FRSQ , Sherbrooke-Montréal-Québec QC, Canada
d
Centre de recherche clinique, centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, Sherbrooke QC, Canada
Disponible sur Internet le 3 décembre 2007
MOTS CLÉS
Syndrome de détresse
respiratoire aigu,ë ;
Cellule de Clara ;
CC-16 ;
Pneumoprotéines ;
Outcome
KEYWORDS
Acute respiratory
distress syndrome;
Clara Cell;
CC-16;
Pneumoproteins;
Outcome
∗
Résumé Le syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) demeure une entité au pronostic sombre. Divers marqueurs biologiques du SDRA ont été étudiés antérieurement, alors que,
plus récemment, un intérêt particulier s’est porté vers les « pneumoprotéines » comme biomarqueurs spécifiques. La protéine des cellules de Clara (CC-16) est une de ces petites protéines
épithéliales produites par le tissu pulmonaire. Les sites de sa synthèse, sa sécrétion, son élimination ainsi que ses fonctions anti-inflammatoires sont de mieux en mieux compris et connus.
Plusieurs études semblent démontrer que la modification des niveaux sanguins et/ou alvéolaires
de CC-16 pourrait être un élément prédictif fiable de mortalité et de défaillances d’organes
dans le SDRA. Cet article fait le point sur les données cliniques et scientifiques connues jusqu’à
présent à ce sujet.
© 2007 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits
réservés.
Summary High mortality is still associated with the acute respiratory distress syndrome
(ARDS). Several biomarkers of clinical outcomes have been already described in patients with
ARDS and markers of protein leakage, such as, lung epithelium-specific small proteins (called
‘‘pneumoproteins’’) were gaining interest in recent years. The Clara cell protein (CC-16) is one
of these lung specific proteins and its secretion, elimination and anti-inflammatory activity are
now better known and defined. CC-16 looks as a good prognostic marker of mortality and organ
dysfunction in patients with ARDS. This article is a synopsis of current clinical and scientific
knowledge on this topic.
© 2007 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits
réservés.
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (O. Lesur).
1624-0693/$ — see front matter © 2007 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.reaurg.2007.11.010
La protéine des cellules de Clara (CC-16) : un nouveau marqueur pour le SDRA ?
Introduction
Le syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) de
l’adulte, en tant qu’entité, a été décrit par Ashbaugh
et al. en 1967 [1]. Depuis ce temps, la définition, la
compréhension physiopathologique et le traitement du SDRA
ont grandement progressé. Sa mortalité, même améliorée
jusqu’à atteindre moins de 25 %, reste au quotidien entre
30 et 40 % dans la plupart des centres, hors sélection de
patients [2]. Divers scores et marqueurs ont été décrits
dans le but de stratifier le risque et le pronostic du SDRA.
Les « pneumoprotéines » ou protéines spécifiquement issues
de l’épithélium pulmonaire distal, ont été particulièrement
étudiées au cours des dernières années et la protéine des
cellules de Clara (CC-16) en est un exemple. Cette revue
a pour but de familiariser le lecteur avec la protéine des
cellules Clara en discutant ses propriétés structurelles et
fonctionnelles et ses applications cliniques potentielles.
Le SDRA
Le SDRA est une condition critique fréquemment rencontrée
dans les services de réanimation et de soins intensifs avec
une incidence de cinq à 15 cas par 100 000 habitants par
année dans les pays développés [3]. Les atteintes directes
du poumon, essentiellement des pneumonies, sont les étiologies dominantes du SDRA dans deux tiers des cas et les
causes indirectes (e.g. sepsis extrapulmonaire) complètent
les causes. Historiquement, la mortalité du SDRA était de
60 % dans les premières années de description, les patients
décédant moins fréquemment d’insuffisance respiratoire
terminale que de sepsis et/ou de défaillances multiorganiques secondaires [4,5]. Depuis lors, la seule intervention
ayant démontré un réel bénéfice de survie est une ventilation mécanique à faible volume courant [6], abaissant la
mortalité à environ 25 % [7,8]. Il est postulé que cette amélioration de survie s’explique en partie par une diminution
des dommages induits à la barrière alvéolocapillaire par une
ventilation mécanique à haut volumes courants (principe du
VALI ou ventilation-associated lung injury) [9]. En effet, une
barrière altérée primairement (e.g. par un virus, une bactérie ou une inhalation de liquide gastrique) et subissant une
ventilation inadéquate à haut volumes, favoriserait la translocation de cytokines inflammatoires, de bactéries et de
toxines en provenance du poumon vers la périphérie, engendrant de façon systémique des dysfonctions multiorganiques
secondaires (principe du biotraumatisme) [10].
Les marqueurs pronostiques du SDRA
De façon générale, l’âge, les comorbidités, les divers scores
de sévérité (e.g. score Apache II) et les dysfonctions
organiques sont considérés comme prédictifs de mortalité
dans le SDRA [11]. Cependant, ces scores sont souvent
complexes et incomplets. Les marqueurs des liquides biologiques (sérum ou autre) ou « biomarqueurs » représentent
une approche plus attrayante dans le but de stratifier le
risque et le pronostic du SDRA. La majorité de ces marqueurs sont des cytokines ou des chimiokines, ayant un effet
anti-inflammatoire (IL-6, IL-10, NO, sTNFR1, sTNFR2) ou proinflammatoire (TNF-alpha, IL-1 bêta, IL-6, IL-8, NO) [12].
29
Quelques études ont aussi été menées sur des marqueurs
cellulaires plus spécifiques endothéliaux ou hématologiques
(e.g. IECA, vWf:ag, plaquettes) [12,13]. Cependant, le SDRA
se caractérisant par un œdème d’hyper-perméabilité dans le
cadre d’un dommage alvéolaire diffus, l’étude des protéines
originaires du poumon comme marqueur(s) d’un agression,
s’annonçait plus prometteuse.
Les pneumoprotéines
Les poumons assurent les échanges gazeux à travers une
barrière alvéolocapillaire dont le versant non vasculaire est
constitué d’un épithélium hétérogène mais continu. Alors
que la surface alvéolaire est formée uniquement de pneumocytes cuboïdes de type I et de type II, plusieurs autres
types cellulaires se retrouvent le long des voies aériennes :
cellules ciliées, basales, caliciformes et cellules de Clara
[14]. Lors d’une agression pulmonaire aiguë, on observe
une accumulation intrapulmonaire de cellules et de médiateurs inflammatoires, ainsi que de ces cellules épithéliales,
qui parfois décollent dans les espaces alvéolaires. Cela a
classiquement été rapporté par l’analyse des liquides de
lavage bronchoalvéolaire (LBA) et par les données histopathologiques. Parallèlement, il a été démontré que plusieurs
protéines sécrétées par l’épithélium pulmonaire distal se
retrouvaient à des concentrations faibles mais détectables
dans le sang de sujets sains [15] et que leurs concentrations se trouvaient affectées par l’altération de la barrière
alvéolocapillaire après une agression pulmonaire aiguë [15].
Cette présence dans le sang ne pouvait être expliquée que
par une « fuite » de celles-ci en provenance de leur milieu
de production vers la circulation sanguine [15].
L’altération pathologique à la base du SDRA est le dommage alvéolaire diffus (DAD), caractérisé par une perte de
l’intégrité de la barrière alvéolocapillaire qui est accompagné d’un œdème de perméabilité avec fuite protéinique
[15,16]. Il apparaît évident à la lumière des études récentes
que cette fuite de protéines à travers la membrane alvéolocapillaire en SDRA est bidirectionnelle [15,16]. L’étude de la
nature de ces fuites vers le milieu systémique et leur potentiel pronostique a été un domaine de recherche actif depuis
plus de dix ans. Plusieurs pneumoprotéines ont été étudiées
dans le SDRA, parmi lesquelles on retrouve la protéine des
cellules de Clara, trois protéines associées au surfactant
(SP-A, SP-B et SP-D) et les antigènes associés aux mucines
(KL-6) (Tableau 1). Ces protéines ont comme caractéristiques communes d’être sécrétées presque exclusivement
au niveau du tractus respiratoire. Les facteurs principaux
influençant leur passage systémique sont leur taille, leur
charge électrostatique et les gradients de pression hydrostatique et oncotique [15]. Une barrière alvéolocapillaire
intacte restreint normalement le passage des macromolécules de 10 à 20 kDa (expliquant les concentrations sériques
minimes de CC-16 chez le sujet normal). Lors du SDRA, la
perte de sélectivité de cette barrière augmente les niveaux
sériques des pneumoprotéines. Les mécanismes régulateurs
du passage de ses pneumoprotéines à travers la barrière
alvéolocapillaire sont, cependant, complexes et mal élucidés. La sécrétion peut être régulée à la hausse ou à la
baisse, les cellules épithéliales productrices peuvent être
lysées ou dédiées à une apoptose et relâcher non spécifi-
30
M.-A. Leclair et al.
Tableau 1
Principales caractéristiques des « pneumoprotéines ».
Protéines
Cellules
productrices
Poids moléculaire
kilo-daltons
(kDa), réduit
Fonctions
Études cliniques
CC-16
Cellules de Clara
(bronchioles)
8
Antiinflammatoire
(inhibition de la
phospholipase-2)
Dosage sérique
15,8 (dimère)
78 patients avec un SDRA
niveaux sériques précoces
associés avec la mortalité, les
défaillances d’organes et les
jours de ventilation mécanique
Dosage dans le LBA
26 patients avec un SDRA (et 35
à risque)
augmentation non prédictive
de SDRA chez les patients à
risque
augmentation des niveaux
plus élevée chez les survivants
SP-A
Cellules Clara et
alvéolaires de
type II
28—36
Formation de
myéline
Références
Lesur et al.,
2006 [10]
Jorens et
al., 1995
[22]Geerts
et al., 2001
[24]
Geerts et
al., 2001
[24]
Dosage sérique
Recyclage du
surfactant
565 patients avec un SDRA (pas
de contrôles)
Défense de l’hôte
pas de lien entre les niveaux
et la mortalité, les jours sans
dysfonction d’organes et les
jours sans ventilation
mécanique
41 patients avec SDRA (et 20 à
risque)
non prédictive de SDRA chez
les patients à risque
augmentation chez les
patients avec SDRA mais non
prédictive de mortalité
Dosage dans le LBA
153 patients avec un SDRA
diminution des niveaux versus
contrôles
22 patients à risque et 41 avec
un SDRA
diminution des niveaux versus
contrôles
prédictive de SDRA chez les
patients à risque
Eisner et
al., 2003
[33]
Greene et
al., 1999
[35]
Gunther et
al., 1996
[36]
Greene et
al., 1999
[35]
La protéine des cellules de Clara (CC-16) : un nouveau marqueur pour le SDRA ?
31
Tableau 1 ( suite )
Protéines
Cellules
productrices
Poids moléculaire
kilo-daltons
(kDa), réduit
Fonctions
Études cliniques
SP-B
Cellules Clara et
alvéolaires de
type II
5—8
Formation de
myéline tubulaire
Dosage sérique
Adsorption du
surfactant
54 patients avec une
insuffisance respiratoire aiguë
hypoxémique
augmentation prédictive de
SDRA chez les patients avec
insuffisance respiratoire aiguë
augmentation significative
dans le SDRA versus contrôles et
associée à une diminution du
ratio PaO2/FiO2 et de la
compliance pulmonaire
Dosage dans le LBA
41 patients avec SDRA
diminution des niveaux versus
contrôles
153 patients avec un SDRA
SP-D
Cellules Clara et
alvéolaires de
type II
42
Défense de l’hôte
Références
Bersten et
al., 2001
[34],
Doyle et
al., 1998
[21]
Greene et
al., 1999
[35]
Gunther et
al., 1996
[36]
aucune différence entre les
niveaux des SDRA et des
contrôles
Dosage sérique
565 patients SDRA (pas de
contrôles)
augmentation associée à la
mortalité, à la baisse des jours
sans ventilation mécanique et à
la baisse des jours sans
dysfonction organique. Le
groupe ventilé à bas volume a
des niveaux de SP-D sérique
plus bas
41 patients avec SDRA (et 19 à
risque)
non prédictive de SDRA chez
les patients à risque
augmentation chez les patients
avec SDRA mais non prédictive
de mortalité
Dosage dans le LBA
41 patients avec SDRA
diminution associée à une
augmentation de la mortalité
versus contrôles
Eisner et
al., 2003
[33]
Greene et
al., 1999
[35]
Greene et
al., 1999
[35]
32
M.-A. Leclair et al.
Tableau 1 ( suite )
KL-6
Cellules
alvéolaires de
type II
200 et plus
Formation du
glycocalyx
Dosage sérique
Défense de l’hôte
35 patients avec un SDRA
niveaux élevés associés à la
mortalité
28 patients avec un SDRA
Ishizaka et
al., 2004
[31]
Sato et
al., 2004
[32]
niveaux élevés associés à la
mortalité et à des pressions
ventilatoires hautes
Les principales études cliniques de validation rapportant l’intérêt du dosage de pneumoprotéines dans le sang ou le LBA comme
marqueur(s) diagnostique ou pronostique sont référées.
quement leur contenu, certaines de ces pneumoprotéines
(celles associées au surfactant) peuvent même être recyclées à l’intérieur des cellules épithéliales survivantes ou
des macrophages, l’ensemble pouvant contribuer à réguler le passage dans la circulation sanguine indépendamment
de la nature et du degré d’altération de la barrière alvéolocapillaire [10,15,16]. Une autre protéine épithéliale non
sécrétée mais issue de la membrane apicale des pneumocytes de type I (HTI56) et relâchée lors de l’insulte du
revêtement pulmonaire, a été décrite il y a une dizaine
d’années et a fait l’objet d’une étude préliminaire la mesurant augmentée dans le sérum et le liquide d’œdème de
patients atteints d’agression pulmonaire aiguë ou de SDRA
[17]. Les données sont, cependant, trop limitées pour tirer
des conclusions définitives quant à son intérêt potentiel
comme biomarqueur pronostique du SDRA.
La protéine des cellules de Clara ou CC-16
Synthèse et sécrétion
La cellule de Clara est une cellule non ciliée localisée surtout
au niveau des bronchioles terminales préalvéolaires (Fig. 1)
Figure 1 Déterminants des concentrations de la « protéine des cellules de Clara » (CC-16) dans les liquides biologiques. La CC-16
est sécrétée ou relâchée dans les voies respiratoires distales [(1) mesurable dans les expectorations ou dans un LBA], elle peut
traverser la membrane alvéolocapillaire proportionnellement à l’altération de sa perméabilité [(2) mesurable dans le sérum], elle
est éliminée dans les urines avec une vitesse et une efficacité dépendantes du taux de filtration glomérulaire et de la fonction
tubulaire (et à un moindre degré d’un processus de sécrétion postrénale) [(3) mesurable dans les urines].
: protéine des cellules
de Clara.
La protéine des cellules de Clara (CC-16) : un nouveau marqueur pour le SDRA ?
[18]. La production de la protéine des cellules de Clara a été
décrite pour la première fois en 1980 par Singh et al. [19].
Il s’agit d’un homodimère de 70 acides aminés d’orientation
antiparallèle et reliés par deux ponts disulfures. Elle a été
dénommée de différentes façons : protéine des cellules de
Clara 16 kDa (CC-16), protéine de la cellule de Clara 10 kDa
(CC-10), utéroglobine, protéine-1 humaine, ou polychlorinated biphenyl-binding protein. Son poids moléculaire est
de 15 840 daltons, d’où l’abréviation CC-16. Le gène de la
CC-16 se trouve sur le chromosome 11 p12—q13, dans une
région occupée par différents autres gènes impliqués dans
la régulation de l’inflammation. La CC-16 est aussi sécrétée
à un moindre niveau par les cellules non ciliées trachéobronchiques et par le tractus urogénital masculin (prostate),
ce qui explique une excrétion urinaire différente entre les
sexes [15].
Élimination
La demi-vie sérique de la CC-16 est de moins de 18 minutes
[15,20]. La CC-16 diffuse passivement à travers la barrière
alvéolocapillaire dans la circulation sanguine systémique et
suivant un gradient de concentration (Fig. 1). Comme les
autres protéines de petits poids moléculaires, la CC-16 est
rapidement éliminée par filtration glomérulaire rénale, puis
est réabsorbée au niveau tubulaire (Fig. 1). En conséquence,
plus le taux de filtration glomérulaire diminue, plus les
niveaux sanguins de CC-16 augmentent [15,20]. Cela peut
s’avérer important dans le SDRA lorsque la fonction rénale
est compromise par une atteinte multiorganique associée ou
consécutive.
Fonction
Les fonctions précises de la CC-16 sont mal définies.
Plusieurs évidences postulent pour qu’elle ait un rôle
immunosuppresseur et anti-inflammatoire. La CC-16 inhibe
l’activité de la phospholipase-A2 [21,22], enzyme importante de la cascade de l’inflammation. Elle prévient du fait
même la dégradation du surfactant et inhibe la migration
des polynucléaires neutrophiles et des fibroblastes [21—23],
ce qui peut avoir un impact significatif sur l’histoire naturelle du SDRA. L’activité et la formation d’interferon gamma
par les cellules périphériques sont aussi affectées par l’ajout
de CC-16 ce qui affecterait ses effets antiviraux et antiphagocytaires [24]. Son rôle anti-inflammatoire est d’ailleurs
bien représenté par le fait que l’instillation de CC-16
recombinante intratrachéale semble réduire l’inflammation
pulmonaire [25] et que les souris déficientes en CC-16
démontrent une sensibilité accrue à une ventilation hyperoxique ou à l’ozone [26]. À ce sujet, la conformation
tridimentionnelle de la CC-16 démontre une cavité centrale
hydrophobique séquestrant divers polluants ou autres substances délétères se déposant dans le tractus respiratoire.
Concentration dans les liquides biologiques (hors
SDRA)
La protéine des cellules de Clara a désormais l’avantage
d’être mesurable à l’aide de tests Elisa commerciaux.
33
Les concentrations de CC-16 retrouvées dans le LBA sont
variables chez le sujet sain, entre 0,5 et 1,5 mg/L en
moyenne [15]. Elle représente environ 2 % des protéines
totales du LBA, ce qui en fait une des protéines les plus
abondantes de l’espace alvéolaire [15]. La cause de la
grande dispersion des concentrations de CC-16 observée est
inconnue mais suggère une variabilité interindividuelle dans
sa synthèse et sa sécrétion, qui semblent connaître une
variation nycthémérale [27]. Les concentrations de CC-16
retrouvées dans le sang sont au moins 50 fois plus basses
que dans le LBA et à la limite de la détection chez les sujets
sains [10,15]. Les déterminants majeurs de sa concentration
sanguine systémique sont le taux de filtration glomérulaire, la concentration en CC-16 du LBA et l’intégrité de
la barrière alvéolocapillaire. Des niveaux élevés de CC-16
alvéolaire sont aussi observés chez les travailleurs exposés à l’amiante tandis qu’une diminution est observée chez
les fumeurs actifs, dans la bronchopneumopathie chronique
obstructive ; l’asthme et la fibrose pulmonaire idiopathique
[15].
Application clinique de la mesure de CC-16 dans le
SDRA
Quelques études cliniques se sont intéressées à l’utilité de
la CC-16 comme marqueur pronostique du SDRA. Les premières données sur le sujet proviennent des observations
de Jorens et al. [21] et Geerts et al. [23], chez un petit
nombre de patients atteints ou à risque de SDRA. Les deux
études constatèrent des niveaux de CC-16 augmentés dans
le LBA en association avec la mortalité des SDRA, cependant, ces niveaux sont aussi élevés chez les patients à risque,
sans pour autant prédire la survenue du syndrome [21,23].
En revanche, dans la première série, les survivants du SDRA
avaient en moyenne des concentrations de CC-16 dans le LBA
supérieure par rapport aux non survivants [21] laissant suspecter, soit une translocation pulmonaire moindre, soit une
production/sécrétion ou relâche accrue(s) dans le poumon.
Dernièrement, Lesur et al. ont attribué un rôle pronostique
au taux de CC-16 sanguin initial dans le SDRA. Les niveaux
sériques de CC-16 s’élèvent en moyenne autour de 15 mg/L
dans la phase aiguë du SDRA, et une médiane de groupe
plus haute de 20 mg/L est observée chez les non survivants
par rapport à moins de 10 mg/L chez les survivants, peu
importe la fonction rénale [10]. Une concentration sérique
précoce de CC-16 plus élevée dans le SDRA est aussi associée
à une durée prolongée de ventilation mécanique et à un plus
grand nombre de défaillances organiques à distance (Fig. 2)
[10]. Il peut sembler paradoxal à première vue qu’un niveau
sérique élevé de cette protéine réputée anti-inflammatoire
soit associé à un plus grand nombre de défaillances organiques. En fait, le niveau sérique de CC-16 est probablement
un marqueur indirect du passage au niveau de la barrière
alvéolocapillaire, de médiateurs inflammatoires beaucoup
plus agressifs tel que l’interleukine-1 bêta et le TNF-alpha,
qui sont d’ailleurs de poids moléculaire similaire. De fait,
il est de plus en plus reconnu par des observations cliniques in vivo et ex vivo que la surproduction de médiateurs
inflammatoires au niveau pulmonaire peut, par translocation être responsable d’une apoptose cellulaire accrue et
de défaillances organiques conséquentes. Il est facile de
34
M.-A. Leclair et al.
Conclusion
Le SDRA est une condition critique dont le pronostic reste
sombre. Les pneumoprotéines sont des biomolécules sensibles et spécifiques du tissu pulmonaire qui démontrent
de plus en plus leur intérêt pronostique comme marqueurs
dans ce syndrome. Parmi celles-ci, la CC-16 est facile à
mesurer, a un rôle anti-inflammatoire et est un marqueur
fiable de mortalité, de défaillances d’organes et de durée
de ventilation mécanique dans le SDRA. Des études de plus
grandes envergures seront nécessaires pour confirmer son
utilité.
Références
Figure 2 Association entre les concentrations sanguines initiales de la « protéine des cellules de Clara » (CC-16) dans
les deux premiers jours du SDRA et le nombre d’organes
vitaux défaillants durant l’évolution du tableau clinique. Les
défaillances d’organes sont définies selon le score de Sofa et
incluent (en gris) ou non (en noir) la défaillance rénale [de Lesur
O et al. [10], avec permission].
présumer que cette translocation est entretenue par une
ventilation mécanique inadéquate [16] et que l’approche
exploitée par le ARDS network vise, entre autre, à réduire
ce phénomène [28]. Enfin, un polymorphisme fréquent de
la CC-16 a été étudié chez 117 patients atteints de SDRA et
373 témoins, ne révélant pas de lien avec la survenue ou le
pronostic du syndrome [29].
D’autres pneumoprotéines citées dans le Tableau 1 ont
aussi été étudiées afin de prédire le devenir des patients
atteints de SDRA, et sont aussi spécifiques et produites au
niveau du tissu pulmonaire. Ainsi, des études ont démontré
que des niveaux sériques élevés de KL-6 et de SP-D [30—32],
mais pas de SP-A ni de SP-B, avaient une bonne valeur prédictive de mortalité dans le SDRA [32—35]. De plus, la SP-D
est exprimée de façon plus ubiquitaire, notamment, dans
le tube digestif et sa translocation lors d’un état de stress
n’est peut être pas toujours spécifiquement d’origine respiratoire [32]. La KL-6 pour sa part est une protéine plus
grosse dont seule une partie diffuserait à travers la barrière
alvéolocapillaire et qui n’a été validée que sur des cohortes
de patients très limitées [30,31]. Nous pensons que la CC-16
est un meilleur marqueur pronostique chez les patients en
SDRA pour les raisons suivantes :
•
•
•
•
elle est plus spécifique aux poumons que la SP-D ;
elle est plus facile à mesurer que le SP-B ;
elle est plus fiable que le SP-A ;
elle est plus sensible et d’un poids moléculaire plus petit
que la KL-6.
Toutefois, son élimination est dépendante du taux de
filtration glomérulaire et la variabilité intra- et interindividuelle de ses niveaux sériques peut compliquer
l’interprétation des résultats au cas par cas.
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