Pourquoi l`apprentissage de l`électricité reste problématique
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Pourquoi l`apprentissage de l`électricité reste problématique
UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE 413 Pourquoi l’apprentissage de l’électricité reste problématique ? par Jean-Loup CANAL 12000 Rodez [email protected] RÉSUMÉ Nous mettons tout d’abord en évidence les difficultés que rencontrent les élèves dans l’apprentissage de l’électricité et leurs origines, et les obstacles pédagogiques liés aux programmes d’enseignement eux-mêmes. Par la suite, nous montrons comment une approche énergétique est de nature à résoudre ces difficultés. La représentation des phénomènes électriques dans un circuit simple n’est pas sans poser des problèmes à nos élèves. Les responsabilités paraissent multiples. Les ouvrages et articles sont-ils rigoureux dans leur écriture ? Les instructions des programmes permettent-elles une compréhension des grandeurs électriques, compréhension indispensable à une maîtrise de ce domaine ? Quel langage utilisons-nous en classe ? 1. OBSTACLES D’ORDRE EXTRINSÈQUE 1.1. Difficultés liées aux médias Il règne une grande confusion dans la dénomination des grandeurs électriques, dans le langage de tous les jours comme dans les revues de vulgarisation, dans les documents diffusés par EDF, parfois même dans les ouvrages d’enseignement. Cette pratique ne peut que jeter le trouble, inculquer des idées fausses. Si un mot en-soi n’est pas une explication, encore faudrait-il que les mots-clés, les mots qui recouvrent un concept fondamental, ne soient pas polysémiques ! Imprécision propre aux difficultés originelles de la construction des grandeurs dans l’histoire de l’électricité, propre à la difficile conceptualisation de ces grandeurs ? Quelques exemples pour illustrer ce manque de rigueur : ♦ Dans un numéro de Sciences & Avenir [1] : « Ils [les câbles électriques qui alimentent les rames TGV] sont conçus, selon les normes de l’époque, pour transporter du courant de 1500 volts, alors que sur les lignes nouvelles, les TGV reçoivent une puissance électrique de 2500 volts ». En quelques lignes, un courant puis la puissance s’expriment en « volts ». En quelle unité s’exprimera la tension ? Vol. 101 - Avril 2007 Jean-Loup CANAL 414 UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE ♦ Dans une autre revue de vulgarisation scientifique, Science & Vie [2] : « Les essais avec des volontaires portant des sacs de vingt à trente-huit kilos ont révélé que le courant produit peut atteindre les 7,4 W ». ♦ Autre exemple énigmatique dans un document EDF [3] : « Pour définir un flux électrique, il existe essentiellement trois unités de mesure : – le volt qui mesure la tension, soit la quantité de courant circulant dans un circuit ; – l’ampère qui mesure l’intensité, soit la quantité de courant consommé par un appareil ; – le watt qui mesure la puissance, c’est-à-dire sa capacité de remplir ses fonctions ». Les explications sur ces trois grandeurs multiplient la confusion. ♦ Parfois, ne sachant donner du sens aux grandeurs présentées, les auteurs utilisent un autre mot connu de tous, mais utilisé à contresens. L’identification de la tension à une force est fréquente et si son origine est due sûrement à l’expression « force électromotrice », elle ne saurait se justifier : – Dans un document Promotelec [4] : « Elle [la tension] est exprimée en volts (V) et représentée par la lettre U dans les formules. C’est la force avec laquelle les électrons sont mis en mouvement dans les fils électriques ». – Dans une encyclopédie [5] : « La tension mesure la force qui s’exerce sur l’électron ». – Dans une autre encyclopédie [6] : « La batterie fournit une force qui se mesure en unités appelées volts ». – Et dans ce même ouvrage, la tension se transforme en « puissance de la charge »… : « Un transformateur pousse le voltage (puissance de la charge électrique) jusqu’à des milliers de volts ». ♦ Ne sachant comment s’exprimer, les auteurs donnent l’illusion de proposer une explication qui est en fait un leurre. C’est souvent la grandeur « tension » qui embarrasse le plus : – « La tension entre deux points d’un circuit électrique est la ddp entre ces deux points » (Mémo encyclopédie, Larousse, 1993). Rien à dire si ce n’est qu’aucune explication n’est fournie pour définir la différence de potentiel. – « La tension électrique entre deux points mesure la différence entre les états électriques de ces deux points. Elle s’exprime en volts dont le symbole est V » (livre de sciences physiques, sixième, 1990). Comme nous le verrons au paragraphe 2, le libellé des programmes ne permet guère d’être plus explicite. Mais tout de même, que peut signifier cette expression classique ? Comment des élèves de onze ans peuvent-ils se représenter les états électriques de deux points, les distinguer des états de la matière ? Pourquoi l’apprentissage de l’électricité reste problématique ? Le Bup no 893 UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE 415 1.2. Difficultés liées à une mauvaise énonciation Quels intérêts à avancer des causalités qui ne se justifient guère même si elles sont fréquemment utilisées dans les ouvrages d’enseignement, des expressions courantes, mais erronées, des analogies qui vont développer des idées fausses ? ♦ « Le courant est dû… » La première concerne la définition du courant : « le courant est dû à une circulation de charges électriques », « les courants électriques sont causés par le mouvement des porteurs de charge » [7]. Il n’ y a pas de relation de cause à effet entre le courant et la circulation des charges. Or, le courant apparaît dans ces expressions comme une conséquence du déplacement des électrons alors qu’il est ce déplacement. ♦ « La différence de potentiel entre deux points, cause du mouvement des charges… ». Une deuxième causalité utilisée abusivement concerne l’origine de l’avancement des charges entre deux points d’un conducteur : « La différence de potentiel entre deux points d’un fil conducteur est la cause du mouvement des électrons dans ce conducteur », « si la tension est nulle entre deux points A et B d’une portion de circuit sans générateur, l’intensité du courant est nulle entre A et B » [8]. Or, la différence de potentiel dans un dipôle passif du circuit est la conséquence de la circulation des charges qui le traversent (1). Elle exprime simplement une « consommation d’énergie » entre ces deux points. En quoi, une dépense d’énergie peut-elle être la cause d’un avancement ? Un supraconducteur a une résistance nulle ; la différence de potentiel à ses bornes est donc nulle même s’il est parcouru par un courant d’intensité très élevée. ♦ Le transport du courant électrique L’expression « le transport du courant électrique » est si utilisée dans le langage de tous les jours que l’on n’y prend plus garde. Elle se rencontre dans les ouvrages d’enseignement, en titre de chapitre dans un ouvrage du supérieur [10]. Dans un autre ouvrage [11], c’est l’expression « transport du courant par les électrons » qui est employée. Le courant électrique n’a d’intérêt que dans la mesure où il s’accompagne d’un transfert d’énergie. Il ne se transporte pas, il circule et c’est l’énergie qui se transfère. En se permettant une analogie, imaginons la chaîne qui relie le pédalier au pignon arrière de la bicyclette. Il ne viendra à l’idée de personne de parler du transport de la chaîne : c’est de transport d’énergie dont il s’agit. L’expression « le transport du courant électrique » est un contresens. (1) Dans de nombreux ouvrages, l’avancement des charges est justifié par la présence du champ électrique dans le conducteur résistant qui exerce sur les charges une force qui est cause de l’avancement : « nous admettons que le responsable du mouvement des charges est un champ E… », « il existe une catégorie importante de conducteurs qui satisfont à une relation locale simple entre le champ E responsable du courant et la densité j de ce courant » [9]. L’analyse est exactement la même : l’existence du champ électrique dans cet élément conducteur est liée à une répartition de charges différentes entre l’entrée et la sortie de ce conducteur, différence due uniquement à la résistance du conducteur. Vol. 101 - Avril 2007 Jean-Loup CANAL 416 UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE ♦ L’image d’une chute d’eau L’image d’une chute d’eau pour symboliser la grandeur « tension » est intéressante, mais encore faut-il l’envisager sous certaines conditions. Dans les trois cas des figures 1, 2 et 3, le parcours suivi par l’eau s’effectue à l’air libre : c’est exclure l’effet rétroactif de ce que contient le parcours pour moduler le débit. Il faut que la circulation d’eau s’effectue à l’intérieur d’une tuyauterie pour que tout obstacle agisse sur le débit comme c’est le cas dans le circuit électrique. L’image proposée par Sciences & Vie Junior suggère en outre une proportionnalité immédiate entre la tension et le débit. Tension électrique Figure 1 : Un site extraordinaire : les chutes de l’Iguaçu, au Brésil. Elles sont parmi les plus impressionnantes du monde. Le mot tension fut inventé par AMPÈRE au début du XIXe siècle pour désigner une grandeur physique qui, pour un circuit électrique, présente une grande analogie avec la hauteur de chute d’une cascade (Physique, classe de seconde, Nathan, 1997). Figure 2 : Elle peut être comparée à la pression de Figure 3 : Article « Poursuite à 100 000 volts », l’eau qui est fonction de la hauteur de chute : plus Sciences & Vie Junior, 1991, n° 30. cette hauteur est grande, plus il y a un risque d’être assommé (« Savoir vivre avec l’électricité », Promotelec, 2002). Pourquoi l’apprentissage de l’électricité reste problématique ? Le Bup no 893 UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE 417 1.3. Des difficultés liées à certaines conceptions ♦ La « vitesse » du courant « À quelle vitesse circule le courant ? ». Voilà une question que soulèvent souvent les élèves du collège. D’autant que la question se complique quand il faudra imaginer que toutes les charges dans un circuit élémentaire n’ont pas une même vitesse alors que leur débit est constant ! Dans le fonctionnement du circuit, la question initiale est sans grande importance pour la gestion des résultats des grandeurs électriques. Mais elle est présente dans l’esprit des élèves. L’analogie qu’ils établissent avec le courant d’eau les conduit immanquablement à s’interroger d’autant qu’ils sont convaincus de la réponse : « Cela va vite ! La preuve ? Dès qu’on appuie sur l’interrupteur, les effets sont immédiats, la lampe brille ». Cette conception est fréquente et s’ajoute à cela la confusion qui apparaît dans certains documents entre la vitesse effective de ces « particules électriques » et la vitesse du déplacement de l’énergie. Par exemple, voici ce qui est écrit dans un document Promotélec [12] : « L’énergie électrique provient du déplacement à très grande vitesse (la même vitesse que celle de la lumière) des grains électrons qui s’entrechoquent ». Introduire les chocs entre les électrons au lieu d’introduire leur faible vitesse moyenne ne facilite guère la compréhension de ce qui se passe. Pour les lecteurs de ce document, un seul résultat : les électrons se déplacent à la vitesse de la lumière… ♦ « Plus la résistance est grande, plus elle chauffe » C’est une conception bien ancrée. Elle est fréquente dans l’esprit des élèves, mais aussi dans les écrits de certains vulgarisateurs anciens et modernes : – Dans un ouvrage contemporain [13] : « La propriété par laquelle un matériau transforme une part de l’énergie électrique en chaleur s’appelle sa “résistance” - plus l’énergie transférée aux atomes est importante, plus la résistance du matériau est élevée ». Outre l’affirmation contestable, logiquement il aurait fallu inverser les « plus », le premier étant la conséquence du deuxième. – Dans un document ancien [14] : « Plus la résistance du fil au passage de l’électricité est considérable, plus grand est le développement de chaleur ». Si les générateurs étaient des générateurs de courant, les deux phrases auraient été correctes : l’intensité du courant serait constante et dans ce cas particulier, plus la résistance est grande plus l’effet Joule le serait. Dans le cas de figure envisagé par les auteurs, les résistances sont alimentées par un générateur de tension. La puissance dissipée est alors inversement proportionnelle à la résistance. Par contre quand deux résistances sont en série dans un circuit, à la plus forte correspond l’effet Joule le plus élevé. 2. OBSTACLES LIÉS AUX PROGRAMMES D’ENSEIGNEMENT Les ouvrages d’enseignement sont dans l’obligation de suivre les instructions des programmes. Voici quelques critiques relatives aux programmes du collège de 1999 (cf. [15]). Vol. 101 - Avril 2007 Jean-Loup CANAL 418 UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE Quant aux nouveaux programmes du collège, certaines des remarques suivantes restent encore valables, mais il faut signaler qu’une partie des obstacles est tombée. 2.1. Des imprécisions dans le libellé du texte ♦ Courant électrique Le titre même de la rubrique C classes de cinquième et quatrième peut surprendre : « le courant électrique » alors que c’est de circuits électriques dont il s’agit. Le titre d’un paragraphe qui suit interroge : que signifie « le courant électrique en circuit fermé » ? Existerait-il un courant électrique en circuit ouvert ? La suite du texte prouve que les auteurs veulent signifier que seront étudiés les effets électriques dans le cas d’un circuit électrique. ♦ Intensité Dans le paragraphe 2 de ce même chapitre, le mot « intensité » est employé en lieu et place de courant : « concepts d’intensité et de tension ». Ceci expliquerait les difficultés de lecture, « l’intensité » en lieu et place du « courant électrique » et « courant électrique » en lieu et place « d’électricité » ? Il faudrait définir exactement ce que recouvrent ces termes. Le courant électrique correspond à une circulation d’un très grand nombre de petits grains, de particules, d’électrons, de charges électriques (à choisir suivant le niveau d’approche). Le terme « intensité » ne devrait pas s’utiliser seul. Il s’applique à diverses grandeurs en définissant leurs valeurs (intensité d’une force, d’un champ électrique, magnétique, de gravitation, etc.) ou en définissant un flux (intensité du courant électrique). Si dans un circuit simple comprenant un rhéostat on déplace son curseur, le courant existe toujours, l’intensité de ce courant varie. 2.2. Une non prise en compte des difficultés intrinsèques de l’électricité 2.2.1. Courant, tension, résistance, grandeurs liées Les textes spécifient que le courant électrique (en fait, c’est du circuit électrique simple dont il s’agit comme c’est spécifié au paragraphe précédent) est étudié en classe de cinquième et l’intensité du courant et la tension en classe de quatrième. Quant à la notion de résistance, son introduction est renvoyée à la classe de troisième. C’est croire que des grandeurs liées peuvent se construire successivement. Comment apprendre successivement les grandeurs électriques à des jours ou même une année d’intervalle ? Comprendre l’électricité c’est pouvoir établir des liens entre ces trois grandeurs. La stratégie adoptée est conforme au deuxième principe de DESCARTES « diviser chacune des difficultés en autant de parcelles qu’il se pourrait et qu’il serait requis pour les mieux résoudre ». Cette parcellisation appliquée à l’apprentissage de l’électricité serait à mon avis, une des causes des difficultés de son apprentissage. Il faudrait lui substituer dans ce cas celle de PASCAL : « Je tiens pour impossible de connaître les parties sans connaître le tout, non plus de connaître le tout sans connaître particulièrement les parties ». Pourquoi l’apprentissage de l’électricité reste problématique ? Le Bup no 893 UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE 419 Il faudrait définir avec la tension, la résistance et le courant ce que BACHELARD [16] dénomme « un corps de concepts, c’est-à-dire un ensemble de concepts qui se définissent corrélativement ». Vouloir les présenter successivement, c’est se priver de toute possibilité de compréhension. Étroitement dépendantes les unes des autres, ces grandeurs doivent se construire conjointement, elles forment un tout indissociable. Dans les nouveaux programmes, cet obstacle est levé en partie. La notion de résistance est abordée en classe de quatrième. Regrettons que l’étude des associations de résistances soit spécifiée hors programme. Dans le texte du programme de cinquième constatons que le mot « courant » est employé douze fois et le mot « tension » jamais… 2.2.2. L’électricité, c’est avant tout de l’énergie Au point de vue pratique, l’électricité, c’est avant tout de l’énergie. Et c’est ainsi qu’elle est perçue par les élèves. Quelle est la place de l’énergie dans les instructions ? Dans l’étude de l’électricité ? ♦ L’énergie dans les instructions de 1999 La primauté est donnée à l’étude du courant. Or, comme le signalent très justement ces instructions, les élèves font la « confusion entre la notion de courant électrique (circulations d’électrons) et une image mentale intuitive (circulation “ d’énergie électrique ”) ». Enfin, les élèves, comme nous le verrons dans les énoncés de leurs représentations (cf. [17]), font souvent référence à cette notion de transfert d’énergie. Or une conceptualisation de l’énergie faciliterait, à mes yeux, la construction des grandeurs électriques. L’énergie est introduite, tardivement, en classe de troisième de façon diffuse sur des situations peu évidentes : – « le terme chaleur désigne un transfert d’énergie sous forme microscopique désordonnée » (p. 141) ; – « la mise en œuvre d’un fusible est une première occasion de constater la conversion d’énergie électrique sous forme thermique » (p. 146) ; – « on commence sous cette rubrique [installations électriques domestiques] à donner une signification quantitative au concept d’énergie en mentionnant l’unité d’énergie et en reliant l’énergie électrique à d’autres grandeurs physiques » p. 149 ; – « on évoquera le foyer et la distance focale à propos de la concentration de l’énergie émise par une source éloignée » (p. 150). Ces situations ne peuvent répondre qu’en partie à la demande du législateur (p. 154) : – oui, on introduit le vocabulaire relatif à l’énergie ; – non, on n’apprend pas à l’utiliser à bon escient. ♦ Apprendre l’électricité sans référence à l’énergie apparaît comme une véritable gageure Toute l’histoire de l’humanité est fondée sur la recherche d’une énergie disponible, pas chère, commode. L’énergie animale, dès la domestication de certains animaux, a été utilisée. Cette pratique se perpétue (cf. les attelages de bœufs pour les labours en Vol. 101 - Avril 2007 Jean-Loup CANAL 420 UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE Europe jusqu’au milieu du XXe siècle et ailleurs dans le monde jusqu’à nos jours). Dans l’Antiquité, la pratique de l’esclavage empêcha de développer des techniques basées sur les énergies naturelles. L’exploitation de l’énergie humaine perdura, malheureusement chez nous, jusqu’au milieu du XIXe siècle (cf. figure 4). Puis, après l’usage du charbon pour produire un travail sur le lieu même de sa combustion, vint l’électricité dont l’usage permit de répondre à deux avantages inestimables : – celui de dissocier le lieu de mise à disposition de l’énergie (le site source, le générateur) de son lieu d’utilisation (un ou plusieurs sites dissipateurs, les récepteurs) ; – celle de mise à disposition d’une énergie en quantité, facile à utiliser. Figure 4 : Reconstitution pour le film « Oliver ! » (2) d’un moulin mû par des enfants au tout début du XIXe siècle. Remarque : On passera ici sous silence le rôle que joue l’électricité dans tout ce qui se rapporte à la transmission et au traitement de l’information. Constatons simplement que sa participation est indispensable comme énergie nécessaire pour assurer ces tâches, l’information étant la donnée centrale. Constatons qu’il en a été toujours ainsi. L’annonce de la victoire des athéniens sur les perses ne fut connue dans la cité d’Athènes que par l’effort du soldat Phidippidès au terme d’une course épuisante. Les courriers à cheval qui allaient de relais en relais furent longtemps le seul mode de transport des lettres entre les diverses provinces. De même, le télégraphe aérien de CHAPPE n’a pu transmettre ses informations qu’à partir des hommes qui manipulaient les « bras » au sommet des tours. On ressent l’embarras des concepteurs des suggestions pédagogiques de ne pouvoir s’appuyer sur l’énergie dans l’exploitation de l’analogie des ouvriers poussant les wagons : « L’analogie est ensuite faite entre la tension aux bornes de la pile et l’activité des pousseurs ». ♦ Mon approche de l’énergie Le concept d’énergie pourrait jouer un rôle intégrateur fondamental. C’est l’option que j’ai choisie. Mais, le concept d’énergie étant, comme l’affirme FEYNMAN [18] « un concept extrêmement difficile à bien saisir », la difficulté serait-elle simplement déplacée ? (2) Produit par John WOOLF, Columbia, 1968. Pourquoi l’apprentissage de l’électricité reste problématique ? Le Bup no 893 UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE 421 Tout dépend des caractéristiques de l’énergie dont on a besoin. Plusieurs d’entre elles, faciles à mettre en œuvre, seraient suffisantes. En voici quelques-unes, incomplètes, pas entièrement satisfaisantes sur le strict plan de la physique, mais qui permettent de faire les premiers pas dans un domaine complexe : – L’énergie, c’est quelque chose qui permet d’effectuer un travail : modifier un mouvement, échauffer, produire de la lumière. – L’énergie, c’est quelque chose qui peut prendre différentes formes ; ce n’est pas nécessairement de la matière comme l’envisagent les élèves quand ils pensent aux sources d’énergie (pétrole, gaz, charbon…). Il est important de leur proposer des situations intégrant une énergie potentielle de pesanteur ou élastique et une énergie cinétique. – L’énergie, c’est quelque chose qui peut se garder, avec plus ou moins de facilité, en attendant de l’utiliser. – L’énergie, c’est quelque chose qui se consomme. – L’énergie, c’est quelque chose qui coûte [19]. Comment dans les exercices conduits avec des élèves du CM ou des professeurs d’école stagiaires avons-nous intégré ces caractéristiques ? Nous avons fait plusieurs types d’étude. Voici quelques exemples : – étude du carillon des anges (moulin à bougies) ; – construction de petits objets élémentaires qui bougent mus par divers systèmes (une pile, la chute d’un lest, la torsion d’un élastique) ou qui produisent de la lumière (une petite lampe à pétrole) ; – description de l’automobile qui nécessite de l’essence pour avancer ; – l’observation d’une voiture à ressort, d’une voiture à friction qui en lançant un disque permet de pressentir l’énergie cinétique. Ce sont les analyses de leur fonctionnement qui permettent de construire l’idée d’énergie. C’est ce que souligne Jean PERRIN [20] quand il écrit : « Des hommes tels que GALILÉE ou CARNOT, qui possédaient à un degré extraordinaire cette intelligence des analogies, ont ainsi créé l’Énergétique par généralisations progressives, prudentes et hardies tout ensemble, de relations expérimentales et de réalités sensibles. Ils ont observé non seulement qu’un objet tombe si on le lâche, mais aussi qu’une fois par terre il ne remonte pas tout seul. Il faut payer pour faire monter un ascenseur, et payer d’autant plus cher que cet ascenseur est plus lourd et monte plus haut. Bien entendu, le prix véritable n’est pas une somme d’argent, mais la répercussion réelle extérieure (abaissement d’une masse d’eau combustion de charbon, modification chimique dans une pile), dont cet argent n’est que le signe ». 2.3. Des choix didactiques discutables 2.3.1. Mesurer une grandeur pour la conceptualiser ? Il est écrit, dans le chapitre relatif à la classe de troisième : « les notions de circuit, de tension, d’intensité et de dipôle ont été introduites au cycle central ». Comment la Vol. 101 - Avril 2007 Jean-Loup CANAL 422 UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE tension est-elle effectivement introduite ? Pour l’essentiel, c’est à la mesure qu’est assumée la mission de donner du sens à cette grandeur. Comment croire que la mesure d’une grandeur inconnue permet de la conceptualiser ? À nos yeux, c’est attribuer à l’acte de mesure un pouvoir qu’il n’a pas : ce n’est pas l’usage intensif du voltmètre qui donnera du sens à la tension. Comment la lecture de valeurs numériques sur un cadran à aiguille ou numérique va-t-elle permettre de conceptualiser la grandeur « tension » ? D’autant que rien ne ressemble plus à un voltmètre qu’un ampèremètre ; l’utilisation d’un électroscope pour comparer les différences de potentiel permettrait de mieux distinguer la tension du courant, il est regrettable qu’il ne dévie qu’avec des tensions élevées. La connaissance du mot désignant une grandeur et la valeur de sa mesure n’apportent rien à la construction de son concept. C’est bien ce que signale Thom [21] quand il écrit : « Il me semble que l’on ne peut observer que ce dont on a préalablement le concept ». Construire le concept, c’est bien ce que proposent les analogies qui sont proposées dans les suggestions pédagogiques des programmes (p. 98). Il est regrettable que ces analogies soient essentiellement destinées à donner du sens au courant électrique et non à la tension. Or c’est, souvent cette dernière qui pose la plus grande difficulté de conceptualisation. Les nouveaux programmes en classe de quatrième prévoient « d’introduire les lois du courant continu à partir de relevés d’intensité et de tension par les élèves eux-mêmes dans le cadre d’une démarche d’investigation » et même si cette partie « prolonge l’approche qualitative des circuits vue à l’école primaire et en classe de cinquième », les concepts d’intensité de courant et de tension ne seront pas construits par ces seules mesures. Les projets des nouveaux programmes de troisième semblent tenir compte de cette difficulté et suggèrent des situations d’enseignement permettant de détruire cet obstacle. 2.3.2. Besoin de comprendre ♦ Comment accepter d’en rester au phénoménologique ? La démarche scientifique ne se satisfait pas du comment. Elle a besoin de rechercher le pourquoi. « Susciter la curiosité des élèves », montrer que « le monde est intelligible » (deux recommandations de ces programmes) passent par la recherche d’explications sur les phénomènes découverts. ♦ Comment se contenter de constater que l’adjonction d’un résistor en série dans un circuit électrique provoque la diminution de l’intensité du courant ? ♦ Comment se contenter du constat de l’augmentation de l’intensité du courant dans le circuit principal d’un montage en dérivation avec le nombre de récepteurs en dérivation ? En effet, l’étude des associations de résistances n’est pas au programme. ♦ Comment se contenter d’utiliser la relation P = U # I ? Comment cette relation quantitative est-elle construite ? Comment se contenter d’imposer que W = P # t ? Si l’énergie est une grandeur construite, la puissance se définit aisément. ♦ Les textes demandent d’« effectuer des prévisions qualitatives sur des circuits avec Pourquoi l’apprentissage de l’électricité reste problématique ? Le Bup no 893 UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE 423 dipôles en série et en parallèle, ouverts ou fermés ». Pourquoi en rester au constat des échecs des prévisions ? En rester à l’observation des résultats expérimentaux ne satisfait pas. S’apercevoir qu’ils contredisent les prévisions engendre des interrogations, des questions et l’obligation de fournir un début de justification qui doit répondre au besoin légitime de « comprendre ». En analysant la façon dont sont proposés ces concepts physiques, on est obligé d’adhérer à ce qu’écrit Gérard FOUREZ : « ils sont présentés comme des concepts divins ou plutôt comme des concepts de la Nature, expression qui est la traduction laïque de la précédente ». La formulation des représentations et leur non-conformité avec la réalité génèrent des besoins d’explications qui devraient passer souvent par la construction de modèles explicatifs. Que ces représentations soient formulées ou non, si elles ne sont pas remises en question, elles restent profondément ancrées et des lois, même mémorisées, ne sauraient les détruire. Donner le nom d’une chose n’est pas construire la chose. Donner le nom de ce qu’on étudie ne construit pas le concept correspondant à ce nom. Comme le dit Richard FEYNMAN [22] : « Il y a une différence entre le nom d’une chose et ce que l’on y met dessous. Bien sûr, il est nécessaire d’apprendre le nom des choses. Mais ce n’est pas de la science, ce qui ne veut pas dire pour autant qu’il ne faut pas enseigner les définitions… Il est bon de savoir faire la différence entre ce qui est enseignement des outils de la science (les définitions par exemple), et ce qui est de la science proprement dite ». Ce besoin de comprendre devrait passer par un modèle explicatif, adapté au public, modèle qui devrait être précisé dans les programmes. Or dans ceux de la classe de quatrième, il est annoncé que « l’approche des deux grandeurs intensité et tension est opératoire. De façon qualitative puis quantitative, on amène les élèves à identifier deux grandeurs… ». Mais ces deux grandeurs sont-elles réellement identifiées, construites ? Et comment le seraient-elles sans images, sans analogies ? Uniquement par des résultats expérimentaux mêmes s’ils sont mesurés ? En outre, la démarche d’investigation telle qu’elle est décrite ne peut se satisfaire de la seule formulation de conjectures et d’hypothèses et d’un suivi d’une confrontation avec les observations des expériences. Le désaccord fréquent qui apparaît doit être levé à partir de modèles explicatifs. CONCLUSION L’incompréhension des phénomènes qui se produisent dans un circuit électrique s’explique en partie par le laisser-aller de notre langage, la primauté que nous attachons au quantitatif, la non-prise en compte du besoin de comprendre. Souvent, nous nous réfugions derrière des mots comme si leurs emplois suffisaient à construire les concepts qu’ils recouvrent. Suggérons de ne les employer qu’après en avoir construit leurs sens. N’en faisons pas des titres, mais des conclusions. N’hésitons pas à rechercher des modèles sous forme d’analogies [23], de mécanismes [17] qui aideront à donner du sens, même si leurs constructions sont longues et leurs champs de validation limités (ce qui est Vol. 101 - Avril 2007 Jean-Loup CANAL 424 UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE inhérent à tout modèle, mais la recherche des limites du modèle permet de mieux définir le domaine étudié). Appuyons-nous sur l’énergie qui est le fondement de l’électricité. L’acte d’enseigner comporte une part importante de vulgarisation, même s’il ne se réduit pas à cela. Il est indispensable de proposer un minimum de compréhension d’un phénomène nouveau que l’on veut étudier. L’enseignant va devoir choisir : la vulgarisation implique des simplifications. L’art d’enseigner consiste à choisir ces simplifications et à prévoir des remises en cause. Vouloir enseigner sans simplification, c’est se résigner à ne rien faire. Cela étant admis, il faut, bien entendu, convenir qu’il existe plusieurs niveaux de vulgarisation et plusieurs niveaux dans la rigueur. La charge du professeur est lourde. Il doit maîtriser largement le sujet d’étude, découvrir les représentations correspondantes des élèves et adapter son enseignement afin que les simplifications qu’il va introduire ne risquent pas d’induire des idées fausses ou des erreurs. Les programmes anciens, en classe de seconde, introduisaient la tension en électrocinétique après son introduction en électrostatique. Le passage était mystérieux : où se trouvaient les charges électriques qui provoquaient tous les champs électriques dans les éléments successifs du circuit ? Le rapport établi sous la présidence de Jean-François BACH qui préfigure les futurs programmes du collège ne répond pas entièrement aux attentes précédentes, il reconduit et perpétue certaines des difficultés présentées ci-dessus. Les programmes de 1999 soulignent que « l’électricité est présente dans la plupart des actes quotidiens » : il est urgent d’expérimenter de nouvelles entrées d’apprentissage de l’électricité (non pas en l’incluant immédiatement dans un programme, mais en l’expérimentant à une échelle significative). Sinon ce domaine fondamental va disparaître de notre enseignement et deviendra encore plus mystérieux et incompréhensible. BIBLIOGRAPHIE [1] « La vitesse et la gloire ». 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