Conferences_files/Vieillesse conclusion Eric Fiat Mars09
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Conferences_files/Vieillesse conclusion Eric Fiat Mars09
Conclusion par Eric Fiat (avec son autorisation) de la conférence sur l’histoire de la vieillesse de J.P. Bois du 4 mars 2009 « …Marquise, si mon visage A quelques traits un peu vieux Souvenez vous qu’à mon âge Vous ne vaudrez guère mieux Le temps aux plus belles choses Se plait à faire un affront Il saura faner vos roses Comme il a ridé mon front Le même cours des planètes Règle nos jours et nos nuits On m’a vu ce que vous êtes Vous serez ce que je suis… » C’est le vieux Corneille à quelque jeune fille, ce à quoi la jeune fille devait répondre selon Tristan Bernard puis selon Georges Brassens : « Peut-être que je serai vieille, mon vieux Corneille Mais en attendant, j’ai 26 ans et je t’emmerde… » Que retenir de cet exposé magique qui, quoi qu’émanant d’un universitaire, nous a appris que le sérieux de l’esprit n’est pas l’esprit de sérieux et qu’un peu d’histoire permet de renoncer à nombre de faux mythes auxquels, parfois on a tendance à croire, notamment celui qui veut que jadis les vieillards aient été révérés et qu’aujourd’hui ils soient maltraités. Non, d’abord parce que longtemps les hommes ne savaient pas quel âge ils avaient et puis surtout parce que l’histoire occidentale de la vieillesse connût des époques contrastées, selon qu’on était en période de disette ou d’abondance, selon qu’on était en période d’épidémie ou pas, selon qu’on était en guerre ou pas et selon que la guerre était seigneuriale ou royale. Il fût des époques ou l’on brûlait les vieilles comme sorcières parce que jeteuses de sorts, des époques où on étouffait les vieux qui tardaient à mourir, ou pour toucher l’héritage on leur offrait un gâteau à l’arsenic, mais il fût des époques ou il faisait bon être vieux en occident. Notre époque a cette difficulté que, pour certaines raisons, elle a connu un prodigieux allongement de la vie, de sorte que coexistent à présent, souvent, 4 générations alors même que l’institution familiale se découpe. Alors, qu’est ce qu être vieux aujourd’hui ? Ce n’est plus ne pas travailler, ce n’est plus avoir un certain âge, c’est être dépendant. La vraie dichotomie, c’est la dichotomie qui opposerait les dépendants aux indépendants, et regardez un peu quelles sont les images, les représentations que l’on nous donne des vieux aujourd’hui, des représentations très clivées car, soit il y a de faux vieux (comme ceux des pubs SNCF avec un senior étonnement sexy et qui sourit de toutes ses dents…) soit alors il y a des vieillards grabataires qui attendent la mort dans une EHPAD, couverts d’urine et maltraités. La plupart des personnes que l’on dit « plus vraiment jeunes » ne relève ni d’une image ni d’une autre, il se trouve d’ailleurs qu’à la fin ce qui peut, peut-être aider, c’est que aujourd’hui être vieux c’est être dépendant, or je pense qu’il faut vraiment lutter contre l’emploi qu’on fait du mot « dépendant ». Quelle conception avez-vous de la dépendance si vous avez un grand parent en EHPAD et quelle conception avez-vous de la dépendance si vous avez reçu chez vous un courrier d’un assureur qui vous invitait à vous prévenir contre le risque de dépendance ? Eh bien vous avez l’idée que la dépendance est une mauvaise chose, qu’il ne faut pas être dépendant, et donc, moi qui n’ai besoin de personne pour marcher ou pour manger, moi, je serais indépendant ? C’est totalement faux et c’est là, je crois, qu’il est très important de dire que l’individualisation a des conséquences catastrophiques quand il s’agit de réfléchir à ce que c’est de vieillir. Parce que moi je ne suis pas indépendant. Dépendants, nous le sommes tous. Mon bonheur dépend de l’amitié de quelques uns, de l’amour de quelqu’une, de l’existence même de quelqu’un, s’il meurt, si elle ne m’aime plus, immédiatement mon bonheur disparaît, et puis notre présence ici nous rend dépendants, il a fallu que quelqu’un construise ces murs qui nous tiennent chaud. Donc, nous sommes tous dépendants, bien sûr celui qui ne peut pas marcher seul, manger seul, se laver seul, l’est plus que nous, mais je crois très important au fond, d’essayer de ne pas considérer que la dépendance est la seule affaire de ceux qu’on dit « dépendants ». Opposé à cet individualisme, jadis on lui opposait l’amour, aujourd’hui on lui oppose le respect, jadis c’était au nom du prochain qu’on s’occupait des vieux, aujourd’hui c’est au nom du respect, de la dignité, qu’on s’occupe des vieux. Au dessus du lit des malades on trouvait un crucifix et on parlait de l’amour du prochain et maintenant il y a une charte du patient hospitalisé où il est question du respect et de la dignité de la personne. Dans un même endroit an a enlevé les crucifix et repeint les murs et on est passé de l’amour au respect. Je crois qu’en un sens on a besoin des deux, puisse le respect, sinon l’amour, retisser les liens là ou le vieillissement a déchiré des mailles. « …Marquise si mon visage A quelques traits un peu vieux Souvenez vous qu’à mon âge Vous ne vaudrez guère mieux Le temps aux plus belles choses Se plait à faire un affront Il saura faner vos roses Comme il a ridé mon front… » La marquise répondait : « …Mon vieux Corneille J’ai 26 ans et je t’emmerde en attendant… » J’espère d’abord qu’elle ne fait pas que l’emmerder mais l’aide à se démerder. J’espère aussi que si elle n’est pas capable de lui dire « je t’aime » ce dont nous avons tous besoin, au moins elle sera capable de lui dire « qu’importe ton état, je te respecte », la perte des facultés n’est pas une perte de la dignité.