Contribution de la FNCC sur les aspects concernant la création et le

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Contribution de la FNCC sur les aspects concernant la création et le
Fédération Nationale des Collectivités Territoriales pour la Culture
Contribution de la FNCC
sur les aspects concernant la création et le spectacle vivant de la
loi Liberté de création, architecture et patrimoine (LCA
à l'attention du sénateur Jean-Pierre Leleux
De manière générale, le projet de loi LCAP constitue un apport législatif estimable qui a surtout
vocation à susciter un large débat au niveau de la représentation nationale sur l'ensemble des
principaux enjeux culturels.
Pour autant, pour ce qui est de sa partie concernant la création, on peut noter qu'il s'agit
essentiellement d'une loi portant sur la création professionnelle et non sur la création en tant
que force vive de la nation à laquelle contribue l'ensemble de nos concitoyens. De ce point de
vue, la loi apparaît comme un état des lieux de l'existant, animé d'une volonté légitime de
consolider une structuration et une vitalité culturelle nées de 50 ans de politiques actives de la
part de l'Etat et des collectivités.
L'élaboration de la loi LCAP a été d'une grande complexité, fusionnant deux lois à l'origine
conçues séparément mais aussi des préconisations du rapport Lescure ainsi que, plus
récemment, du rapport Schwarz sur la musique en ligne. D'où un foisonnement qui parfois
laisse échapper, dans le nombre des détails, des éléments importants comme par exemple
l'enseignement initial ou la question des amateurs. Face à ce texte complexe, les députés ont
largement enrichi la version initiale de la loi. Les remarques qui suivent concernent le texte en
son état après adoption en première lecture à l'Assemblée nationale.
Enfin, les dramatiques attentats du 13 novembre reposent avec une acuite encore plus intense
la question de la légitimité du rôle des arts et de la culture dans notre société et leur
irremplaçable fonction de vecteur de diffusion et d'illustration des valeurs républicaines. A ce
titre, le retour de cette loi au Sénat en décembre prend une signification d'une très grande densité
et correspond à une attente non seulement des milieux professionnels mais la société en son
ensemble. La liberté artistique est lumineusement apparue comme une qualité essentielle de
notre manière de vivre. C'est elle qui a été visée par deux fois cette année.
On ne peut lire aujourd'hui comme hier un texte législatif concernant des activités et des acteurs
dont notre démocratie a besoin plus que jamais.
Bouleversés par ce surgissement de violence, les élu-e-s de la FNCC n'ont pas encore pu
mesurer l'ampleur de ses conséquences politiques et philosophiques. En tant qu'élus militants
pour la culture, notre responsabilité est désormais autre : plus vive, plus urgente, différente.
Nous devons construire et non seulement préserver. Les débats du Sénat sur la loi LCAP seront
un moment décisif dans cette voie.
Quelques points identifiés par la FNCC comme pouvant donner lieu à des amendements :
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L'article 2, considérablement augmenté par les députés, développe le décret de 1959 inscrivant
les missions du ministère de la Culture (démocratisation culturelle, rayonnement) et les assigne
au même titre aux collectivités territoriales.
Sur cet article, quatre remarques peuvent être faites.
1. Son premier alinéa identifie les acteurs des politiques publiques : « L’État, à travers ses
services centraux et déconcentrés, les collectivités territoriales et leurs groupements, ainsi que
leurs établissements publics, définissent et mettent en œuvre une politique de service public en
faveur de la création artistique. »
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De son côté la loi NOTRe impose à ces mêmes acteurs une obligation d'action à l'horizon
suivant (article 103) : « La responsabilité en matière culturelle est exercée conjointement par
les collectivités territoriales et l’État dans le respect des droits culturels énoncés par la
Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles du 20
octobre 2005. »
La cohérence législative exigerait une harmonisation entre l'article 103 de la loi NOTRe et
l'article 2 de la loi LCAP car, quel que soit le type de responsabilité envisagée (l'article 2 de la
loi LCAP en liste plus d'une quinzaine), elle sera directement impactée par la perspective du
respect des droits culturels. Cette dernière notion, en effet, ajoute au principe pour ainsi dire
''descendant'' de la démocratisation culturelle celle de la reconnaissance de la dignité culturelle
de chaque individu et de chaque groupe (dans le respect de celle des autres) et donc impose la
prise en compte par la puissance publique de l'intégralité des expressions artistiques quel que
soit leur statut et leur origine.
Cette harmonisation des deux lois est absente, comme si la loi LCAP mettait à distance la loi
NOTRe. La simple référence à l'article 103 de cette dernière suffirait, pour ce qui est des
fondements de la liberté de création – la liberté de création se justifie si tous en bénéficient. Audelà, cette double référence à la liberté de création et à la reconnaissance de la dignité de toutes
les cultures et de ceux qui les portent engagerait d'autres inflexions importantes (dont quelquesunes sont évoquées ci-dessous).
2. L'alinéa 4 de l'article 2 est rédigé ainsi : la politique culturelle publique doit « favoriser la
liberté dans le choix par chacun de ses pratiques culturelles et de ses modes d’expression
artistique ». Cette rédaction, qui veut prendre en compte les expressions citoyennes, se limite
cependant assurer à chacun la possibilité du libre choix de ses pratiques sans envisager que ces
pratiques puissent porter en elles-mêmes une dimension et une valeur créatrice, relevant ellesaussi de l'article 1 : « La création est libre. »
Sans aucunement mettre en doute la prééminence du travail des professionnels, force est de
reconnaître que les artistes n'ont pas l'apanage de la création et que, tout au contraire, la
reconnaissance de la légitimité des expressions citoyennes (en amateur mais aussi celles
d'esthétiques qui ne fonctionnent pas sur l'opposition professionnels/amateurs, notamment dans
le cadre des arts de tradition orale) est indispensable au dialogue et à la cohérence sociale. Elles
aussi participent de l'essor des valeurs de liberté et de tolérance portées par les arts et la culture.
Une modification de cet alinéa pourrait prendre la forme suivante : la politique culturelle
publique doit « favoriser les pratiques et les expressions artistiques de chacun et contribuer à
leur partage public », c'est-à-dire assurer, à leur juste place, leur présence dans l'espace public
et dans les équipements culturels.
3. L'alinéa 5 de l'article 2 impose de « développer l’ensemble des moyens de diffusion de la
création artistique, garantir la diversité de la création en mobilisant notamment le service
public des arts, de la culture et de l’audiovisuel ».
Sans doute conviendrait-il de préciser le contenu de cette notion de ''service public des arts, de
la culture et de l'audiovisuel''. En effet cette formulation semble évoquer essentiellement les
services de diffusion, scènes et médias. Or, en particulier dans le cadre de la réflexion
actuellement en cours au CCTDC sur l'enseignement artistique initiale (''plan conservatoires''
du PLF 2016), il est presque unanimement mis en avant la fonction d'acteur culturel à part
entière des conservatoires (c'est là une constante de l'approche de la FNCC) et, à ce titre, une
fonction d'artiste tant de la part des professeurs que des grands élèves (tout en veillant à ne pas
concurrencer l'offre professionnelle de spectacle : il s'agit plutôt d'en amplifier l'impact, par
exemple en coordonnant certains choix pédagogiques avec les saisons effectives). Quoi qu'il en
soit, un établissement d'enseignement artistique, initial comme professionnel, représente une
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présence à demeure sur un territoire donné d'un nombre remarquable d'artistes-enseignants (une
double fonction qui est assumée par près de 80% des musiciens professionnels).
A ce titre, cet alinéa de l'article 2 pourrait être complété ainsi : « ...en mobilisant notamment le
service public des arts, de la culture et de l’audiovisuel tant dans leurs moyens de diffusion que
de transmission ».
4. Enfin, la question des amateurs n'est évoquée (article 11A) que sous l'aspect du cadrage de
leurs activités et d'éventuels conflits que pourraient entraîner leur participation à des spectacle
''mixtes'' (professionnels + amateurs). D'une manière plus positive, une loi sur la création en
son ensemble (et non une loi s'en tenant aux pratiques professionnelles) semble difficilement
pouvoir s'affranchir de la reconnaissance et donc du soutien aux pratiques en amateur dans leur
participation à faire vivre et diffuser la création. Par exemple, le théâtre en amateur joue un rôle
non négligeable dans la diffusion de l'écriture dramatique contemporaine. Là encore, ce même
alinéa 5 pourrait citer les amateurs, sans bien entendu confondre les rôles respectifs de chacun.
Certes l'alinéa 5ter évoque la nécessité du soutien aux amateurs. La puissance publique doit
ainsi « favoriser, notamment au travers des initiatives territoriales, les activités de création
artistique pratiquées en amateur, sources de développement personnel et de lien social ». On
peut noter que la finalité de ce soutien se limite à des apports extra-artistiques (épanouissement
personnel, lien social) des pratiques en amateur. Ce qui constitue une approche contraire au
principe des droits culturels, car ils imposent l'égale dignité (mais non forcément qualité) de
l'ensemble des expressions artistiques.
De ce point de vue, la référence à la définition de l'artiste telle que proposée par la
Recommandation relative à la condition de l'artiste (Unesco, Belgrade 1980), pourrait, dans
son esprit sinon dans sa lettre, animer la loi LCAP : « On entend par “artiste” toute personne
qui crée ou participe par son interprétation à la création ou à la recréation d’œuvres d'art, qui
considère sa création artistique comme un élément essentiel de sa vie, qui ainsi contribue au
développement de l'art et de la culture, et qui est reconnue ou cherche à être reconnue en tant
qu'artiste, qu'elle soit liée ou non par une relation de travail ou d'association quelconque. »
Article 2bis : les CTAP culture. L’article 2bis stipule qu’« au moins une fois par an, il [le
Conseil territorial de l'action publique] inscrit à l’ordre du jour un débat sur la politique en
faveur de la création et de la diffusion artistiques ». A quoi on pourrait ajouter la transmission.
Pour sa part, la FNCC aurait souhaité une disposition plus significative, qui n'exclut
aucunement, bien au contraire, la tenue au moins annuelle d'un débat culturel en séance plénière
des CTAP : la création d'une commission culture spécifique, parfois appelée ''CTAP Culture''.
En effet, les enjeux culturels sont nombreux et il est à craindre que beaucoup restent ignorés.
Par ailleurs, les choix de politique culturelle ne peuvent guère s'envisager sans une concertation
étroite avec les professionnels, avec le secteur associatif...
Enfin, les politiques culturelles sont par définition, en tant que compétence partagée, des
politiques s'appuyant sur la concertation entre certaines collectivités, notamment pour ce qui
est de l'action de proximité.
Pour toutes ces raisons, une commission spécifique, avec sa vie propre, paraîtrait pertinente.
A quoi il faut ajouter que l'absence de représentation de l'Etat dans les CTAP (telle que voulu
par la loi MAPAM) convient mal aux politiques culturelles qui se sont construites, depuis plus
de 50 ans, par une action conjointe de l'Etat et des collectivités. Sans se prononcer sur d'autres
champs, sa présence serait nécessaire dans la perspective de CTAP culture (et/ou de réunions
culturelles annuelles en plénière).
Le CCTDC. Il est aussi une question qui mériterait d'être débattue au Sénat à l'occasion de la
loi LCAP (elle l'avait été pour la loi NOTRe, mais ce présent texte est peut-être plus adéquat).
Le Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel (CCTDC) – instance
unique de concertation entre onze associations nationales de collectivités territoriales et le
ministère de la Culture – a fait la preuve de sa capacité à fonctionner et à contribuer à solidariser
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l'ensemble des natures de collectivités sur les enjeux culturels. D'une certaine manière, une
CTAP culture s'apparente (comme c'est déjà le cas en Pays-de-la-Loire) à un CCTDC
territorialisé, avec cette différence qu'il a vocation à réunir des exécutifs et non des associations.
Pour autant, il semble que la loi LCAP soit l'occasion d'inscrire dans la loi (peut-être à la suite
de l'article 2bis) l'existence du CCTDC car, pour l'heure, ce Conseil n'est que faiblement
institutionnalisé, via un simple arrêté, et reste donc, à ce titre, tributaire de la volonté des
ministres de la culture successifs.
Article 11A (nouveau) : les amateurs. Un amendement gouvernemental a remis dans la loi la
question des amateurs et surtout celle des conditions de leur participation à des spectacles avec
des professionnels. Sur ce point, l’article ouvre la possibilité de leur participation « sans être
tenues de les rémunérer, dans la limite d’un nombre annuel de représentations défini par voie
réglementaire, et dans le cadre d’un accompagnement de la pratique amateur ou
d’actions pédagogiques et culturelles ». Lors de la séance d'examen parlementaire par les
députés de la commission culture, la ministre a estimé que la durée (et donc le nombre) de
spectacle mixtes ainsi autorisé serait vraisemblablement de trois semaines, soit la durée
maximal de certains festivals réalisés avec des amateurs (mais aussi une durée bien supérieur à
celle de beaucoup de spectacles).
Un autre point de l'amendement adopté prévoit la possibilité d'une billetterie payante : « Le
cadre non lucratif n’interdit pas la mise en place d’une billetterie payante. La part de la recette
attribuée à l’artiste amateur ou au groupement d’artistes amateurs sert à financer leurs
activités et, le cas échéant, les frais engagés pour les représentations concernées. » Cette
formulation suppose implicitement qu'outre « la part de la recette qui sert à financer les
activités » des amateurs, il peut en exister une autre dont la destination serait également autre,
par exemple une réhabilitation patrimoniale, une action caritative... mais l'absence de précision
peut aussi laisser entendre des usages moins directement en prise avec l'intérêt général (on aurait
pu imaginer un cadrage équivalent à celui ouvrant droit au mécénat...).
De nombreux professionnels considèrent cet article 11A avec beaucoup d'inquiétude, car il
ouvre selon eux la voie à la possibilité d'une exploitation commerciale des amateurs. A leurs
yeux, il faut reconnaître et favoriser les pratiques en amateurs (comme dans le dispositif des
''cafés-culture'' qui sécurise juridiquement les concerts ou spectacle d'amateur dans les bars tout
en optimisant les conditions de rémunération des professionnels, avec l'aides des collectivités
et des professionnels de la brasserie) mais respecter intégralement la présomption de salariat.
Les professionnels avaient fait savoir que cette possibilité de dérogation à la présomption de
salariat pouvait constituer une menace pour leur emploi dans le cadre des spectacles mixtes et
une concurrence directe pour les spectacles d'amateurs munis d'une billetterie (le cas existe de
plusieurs producteurs qui commercialisent de tels spectacles en amateur). Ils ajoutent enfin que
cet article mettra à bas la jurisprudence admise et efficace pour les cas de spectacles avec des
enfants.
Pour sa part, la FNCC, qui a reçu à plusieurs reprises les représentants tant des milieux
professionnels que des milieux amateurs, ne prétend détenir la solution d'un problème d'une
grande complexité. Elle estime cependant qu'il conviendrait de prendre en compte la position
commune à laquelle la CGT-Spectacle et la COFAC ont réussi à aboutir. Et elle est consciente
que, de ce point de vue, les collectivités doivent pleinement assurer leurs responsabilités vis-àvis de l'emploi artistique tout autant que de la valorisation des pratiques en amateur.
L'un des éléments de l'article 11A mériterait sans doute une réflexion particulière. Il est en effet
noté que les structures « dont les missions prévoient l’accompagnement de la pratique amateur
et la valorisation des groupements d’artistes amateurs peuvent faire participer des artistes
amateurs et des groupements d’artistes amateurs à des représentations en public d’une œuvre
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de l’esprit sans être tenues de les rémunérer ». Il semblerait que la présence de subventions
publiques pourrait, de ce point de vue, constituer l'un des éléments de la réflexion.
Article 17A : les cycles d’orientation professionnelle de l’enseignement artistique. L’ajout
de cet article a une portée majeure. Il modifie de Code de l’Education en y inscrivant
l’obligation d’instaurer à l’échelle régionale des cycles d’orientation professionnels, anciens
CEPI rebaptisés par les députés « enseignements préparant à l’entrée dans les établissements
d’enseignement supérieur de la création artistique dans le domaine du spectacle vivant ».
Cet enseignement préprofessionnel qu’a institué, jusqu’à présent en vain (deux régions
exceptées) la loi de décentralisation d’août 2004 sera financé avec “la participation” des régions
(et non intégralement par elles) dans le cadre de PRDF (plans régionaux de formation).
Un article qui appelle plusieurs remarques.
1. L'abandon du terme de CEPI (cycle d'enseignement professionnel initial) ou de celui de de
COP (cycle d'orientation professionnel) au profit d'une notion de ''classes prépa'' est à
contresens de l'esprit de la loi de décentralisation d'août 2004. Les CEPI constituaient un temps
d'orientation, c'est-à-dire que si la volonté de se diriger vers une professionnalisation était
avérée, en revanche, la voie précise restait à identifier, ce qui était l'objet même du cycle. En
revanche, une classe ''prépa'' (avec toute la charge sémantique que porte ce terme) signifie
l'exact inverse : on choisit d'abord pour se préparer après à un métier précis.
2. Sur le terrain de la professionnalisation, ensuite, on peut remarquer le peu d''incidence de la
loi LCAP alors que la mutation structurelle mais non implicite de l'enseignement professionnel
dans le spectacle vivant, notamment en musique, pose de nombreuses interrogations que la loi
laisse sans réponse. Par exemple, l'absorption des Cefedem (enseignement professionnalisant
de la pédagogie) dans les ''pôle supérieurs d'enseignement artistique'' présente un risque lourd
de régression dans la formation des professeurs sur la voie d'un retour à la stricte excellence
instrumentale. Ici, les collectivités perdraient des professeurs aptes à s'ancrer réellement sur la
vie des territoires. D'autres interrogations s'imposent notamment sur l'essor des cursus de
musiques actuelles dans l'enseignement supérieur et sur leur articulation avec l'enseignement
associatif. Etc.
2. De manière générale, la part de la loi LCAP consacrée à l'enseignement artistique, fondement
de la vitalité créatrice de notre pays, paraît bien mince au regard de l'importance des enjeux. Et
ici aussi, que ce soit pour l'enseignement initial ou professionnel, l'horizon du respect et de la
prise en compte des droits culturels devrait avoir une incidence réelle. Ce qui n'est pas le cas.
Florian Salazar-Martin, président
et les membres du Bureau de la FNCC
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