Vers une bibliothèque verte

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Vers une bibliothèque verte
La bibliothèque verte : écologie et durabilité dans la construction
de bibliothèques
Wolgram Henning, professeur à l’École nationale supérieure des médias de Stuttgart
Traduction : Suzanne Rousselot, BDP du Haut-Rhin
Je remercie l’ADBDP pour son invitation. J’ai été jusqu’à présent professeur à l’École
nationale supérieure des médias de Stuttgart, autrefois École supérieure des bibliothécaires,
où j’étais responsable des projets de construction. J’ai pris ma retraite il y a quelque temps
mais je reste consultant pour de nombreuses bibliothèques qui ont des projets de
construction en Allemagne. Un important directeur de projet allemand a dit très récemment
que la construction verte avait tendance à se généraliser. L’Ifla vient de publier un document
Green building management and sustainable maintenance et, dans le cadre de ces journées,
nous avons eu un atelier sur les bibliothèques vertes. Cette tendance se renforce donc de
plus en plus. Mon intervention s’articulera, à titre d’exemple, autour de la présentation de
trois bibliothèques récentes.
Avant de vous montrer des exemples, je voudrais revenir sur le rapport technique de l’Institut
de normalisation allemand, le DIN, intitulé « Programmations architecturale et fonctionnelle
de bibliothèques et services d’archives ». Cet institut ne se contente pas de publier des
réglementations, il émet aussi des recommandations fortement suivies, élaborées
conjointement avec des experts des domaines concernés. Depuis plus de 20 ans, ce rapport
DIN1 est un instrument de travail important pour les bibliothèques en Allemagne : important
pour les bibliothécaires, les architectes et les maîtres d’ouvrage. C’est pourquoi cela
représente une avancée significative. La 13e édition, publiée fin 2009, comporte tout un
chapitre sur la durabilité dans la construction des bibliothèques et des services d’archives. Il
s’agit de réduire l’empreinte écologique, c’est-à-dire les effets négatifs pour l’environnement
et les ressources naturelles provoqués par la construction et le fonctionnement des
bibliothèques. Dans ce rapport, l’accent est mis sur l’énergie électrique, le chauffage et les
énergies renouvelables. L’énergie électrique est le principal poste de consommation dans
une bibliothèque car elle est utilisée pour l’éclairage, la technologie informatique, la
climatisation et la ventilation. L’éclairage doit pouvoir être piloté selon les besoins : un
pilotage de la lumière naturelle peut contribuer au fait que l’éclairage artificiel ne s’ajoute
vraiment qu’en cas de besoin : des éclairages pilotés manuellement aux places des usagers
économisent l’électricité mais augmentent la facture de remplacement des ampoules. La
ventilation et la climatisation doivent contribuer à une atmosphère agréable dans la
1
Équivalent de l’ISO en France (note de la traductrice).
1
bibliothèque. Des mesures de protection contre l’ensoleillement limitent le besoin de
rafraîchissement de l’air. Des productions de chaleur dues aux appareils électriques et à
l’éclairage doivent être minimisées. Une aération par ouverture de fenêtres doit rester
possible et les grandes surfaces vitrées sont censées être problématiques mais j’y reviendrai
au cours des exemples présentés. L’énergie nécessaire pour le chauffage peut être réduite
en abaissant les températures la nuit et le week-end. Dans le cas d’une réhabilitation, il ne
faut pas limiter les coûts nécessaires pour la réfection des façades afin d’arriver à des
niveaux acceptables. Dans les bâtiments nouveaux, une séparation climatique des espaces
nécessitant des températures différentes peut être envisagée. En ce qui concerne les
énergies renouvelables, le rapport préconise que des mesures comme le photovoltaïque, les
capteurs solaires, les sondes géothermiques soient intégrées à temps dans la description
technique du bâtiment pour éviter les coûts liés à des travaux ultérieurs. Pour protéger les
ressources naturelles, les matériaux choisis doivent être envisagés en fonction de leur
capacité à être recyclés. Les bois exotiques sont proscrits car ils ne proviennent pas d’une
économie forestière durable et parce que les systèmes de certification actuels ne sont pas
fiables. Les installations qui permettent de transformer l’eau de pluie récupérée en eau
utilisable dans le bâtiment doivent être fortement recommandées.
Les visions vertes de l’Ifla vont encore au-delà de ce rapport puisqu’elles commencent avec
le choix du terrain et l’emplacement de la bibliothèque et prennent, aussi, en compte dans la
vie quotidienne de la bibliothèque le choix, par exemple, des produits de nettoyage.
Les exemples qui vont suivre datent d’avant les préconisations du rapport. Elles démontrent
d’autant plus la tendance en Allemagne vers la bibliothèque verte.
La bibliothèque centrale d’Ulm, entre Stuttgart et Munich, a été construite en 2005 par
l’architecte Gottfried Böhm. Ulm est une ville ancienne, située dans le sud de l’Allemagne.
Elle se caractérise par un nombre important de bâtiments historiques dans la vieille ville. La
construction de la nouvelle bibliothèque a suscité beaucoup d’émoi parce que c’est une
pyramide en verre. Cependant, la forme du bâtiment ne convient pas si mal à la ville
ancienne car on reconnaît des formes déjà existantes dans le bâti ancien. Le contraste avec
la cathédrale, en gothique tardif, de la ville peut être considéré comme intéressant. Un grand
escalier en spirale traverse les neuf étages de la bibliothèque sur une surface utile de
3 600 m2. Les étagères et les places de travail sont installées en parallèle. Les places
informatisées ont été disposées le long de l’escalier central ce qui pose quelques problèmes
acoustiques pour les personnes qui travaillent à cet endroit.
L’espace des périodiques au dernier étage laisse voir que l’enveloppe vitrée à partir du
troisième étage constitue une double façade. Cette double façade, ou « double peau » en
français, fonctionne de la manière suivante : la surface extérieure est en verre à contrôle
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solaire qui laisse entrer la chaleur en hiver et la réfléchit en été. Ce système est associé à
une protection solaire textile mobile qui minimise elle aussi le rayonnement solaire. C’est
doublé encore à l’intérieur par un vitrage isolant.
La ventilation ne se fait pas dans l’espace entre les façades, mais par le plafond dans lequel
ont été implantés des tuyaux d’eau. L’objectif assigné à l’architecte était que la température
dans le bâtiment ne dépasse jamais 27° même aux jou rs les plus chauds de l’été. Le
système de climatisation a été développé avec l’Institut scientifique de physique du bâtiment,
l’institut Fraunhofer de Stuttgart.
Quelques particularités de ce système de climatisation (ou de rafraîchissement) : la
présence de clapets de ventilation de grande surface pour éviter les surchauffes en été, un
rafraîchissement partiel du bâtiment grâce à l’air frais de la nuit, puisé de façon naturelle ou
avec une pompe à chaleur et qui permet de restituer l’air frais capté durant la nuit dans la
journée. Dans tous les bureaux, la température peut être réglée individuellement par
rafraîchissement d’air. Il existe, par ailleurs, un système de climatisation-rafraîchissement
automatique programmable.
En ce qui concerne l’éclairage, chaque étage est divisé en 13 zones, pilotées
automatiquement selon la lumière naturelle. Une gestion manuelle est également possible :
le personnel peut allumer ou diminuer l’éclairage des différentes zones. Pour piloter
l’éclairage et la protection solaire, il existe un écran tactile.
La nouvelle bibliothèque municipale d’Augsburg, ouverte en juin 2009, a été construite par le
cabinet d’architectes Schrammel, père et fils. Augsburg est la ville natale de Berthold Brecht
et se situe à une demi-heure en train de Munich. C’est, tout comme Ulm, une vieille ville
allemande avec beaucoup de bâtiments historiques. Le contexte était donc semblable à celui
d’Ulm : une construction neuve dans un environnement ancien. Une particularité politique : la
construction a été réalisée grâce aux pressions d’un comité de citoyens alors que la ville
d’Ausburg berçait la population et le personnel de promesses depuis plus de 20 ans. Le
bâtiment comporte un peu moins de 5 000 m2 de surface utile pour 250 000 habitants.
On arrive à la bibliothèque, également très vitrée, en traversant une place nouvellement
créée. Une aile latérale du bâtiment abrite l’administration. Les couleurs gaies de la façade
se prolongent à l’intérieur.
La cage d’escalier est ouverte et traverse un puits central qui passe par tous les étages.
L’architecte est fier de ce qu’il appelle ses « trompettes lumineuses », terme inventé pour
désigner des puits de lumière, dont les surfaces réfléchissantes découpent la lumière
naturelle qui entre. En fonction de la lumière entrante, les reflets colorés changent dans toute
la bibliothèque.
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Les politiques de tutelle d’Ausburg avaient à cœur de mettre en œuvre un projet strictement
écologique avec un concept énergétique très efficace. Un objectif absolu fixé par le
programme était que la température du bâtiment ne devait jamais dépasser 26 %. Pour
reprendre les propos de l’architecte, « des propositions absurdes comme le renoncement à
des surfaces vitrées ont été formulées par des groupes d’intérêt. Si bien qu’on avait
l’impression que les personnes n’avaient aucune importance dans la bibliothèque. Or,
l’objectif, clairement formulé dans le programme, était aussi de mettre l’homme au centre ».
Le processus de planification dans le domaine du design d’ambiance auquel ont été, dès le
début, associés tous les corps de métier (l’architecte, les responsables de la technologie
domestique, les responsables de la planification lumineuse) s’est révélé très utile, selon
l’architecte.
Pour revenir sur le concept énergétique du bureau d’ingénierie associé à la programmation,
rappelons les objectifs : utilisation massive de l’énergie solaire, utilisation optimale de la
lumière naturelle (d’où aussi les « trompettes lumineuses », évoquées précédemment),
ventilation naturelle, pas plus de 100 kWh au m2 d’énergie primaire et, bien sûr, jamais plus
de 26°.
Le bâtiment utilise beaucoup la lumière naturelle : la façade en courbe a un double système
de vitrage isolant. La protection solaire intérieure en lamelles sert également à diriger la
lumière entrante.
Un système mécanique vient en complément de la ventilation naturelle : on extrait de la
chaleur de l’air vicié, on la rajoute à l’air frais et, de ce fait, l’air a moins besoin d’être chauffé
les jours froids (c’est ce qu’on appelle la ventilation double flux).
Le chauffage intégral par le sol peut être réglé pour chaque espace et le rafraîchissement se
fait par un plafond rafraîchissant dans lequel circulent des tuyaux d’eau. Pour ne pas être
visible, il est doublé par le plafond acoustique en plâtre et en carton troué. La chaleur est
évacuée du bâtiment à travers l’eau froide qui circule dans les tuyaux du plafond.
Des simulations thermiques, réalisées avant l’ouverture, ont démontré que, même par de
très hautes températures estivales, une température à 26 % pouvait être maintenue.
Toutefois, lors de ma visite, la technique de climatisation n’étant pas encore opérationnelle,
je ne peux pas tirer de conclusion définitive.
En Suisse, la bibliothèque cantonale du canton de Bâle-Campagne, située à Liestal, est un
bâtiment réhabilité en 2005 par l’équipe d’architectes Liechti - Graf - Zumsteg. Il s’agit de la
réhabilitation d’un bâtiment de l’ère pré-écologique, même si la durabilité est un concept du
XVIIIe siècle. Ce projet devait être un projet exemplaire pour toute la Suisse en matière de
construction écologique.
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La petite commune de Liestal ne compte que 13 000 habitants mais elle est le siège
administratif du canton de Bâle-Campagne qui lui compte 280 000 habitants. La bibliothèque
d’une surface de 3 500 m2 est localisée dans un ancien entrepôt de vin datant des années
1920. Les architectes ont décidé de garder la structure à colombages et de lui adjoindre un
aménagement interne moderne. Ils jouent sans arrêt sur le contraste du vieux et du neuf.
Le bâtiment est surmonté d’une lanterne qui brille dans la nuit suisse. Sur le toit, les lettres
« À LA » sont évidemment un hommage à Marcel Proust, le reste du titre du livre de Marcel
Proust se trouve au fond du puits de lumière dans un espace avec de l’eau dans laquelle les
lettres se promènent et le lecteur est invité à reconstituer la suite du titre ! Pour des esprits
plus simples, nous avons deux autres symboles, sur la gauche du bâtiment, des vers pour
rappeler le « bücher wurm » ou « book worm », le « ver du livre » qui est l’équivalent du « rat
de bibliothèque ».
L’intérieur repose sur le contraste permanent entre les poutrages anciens et les interventions
modernes en jaune fluo et en vert.
Le canton de Bâle-campagne, maître d’ouvrage, a demandé que le bâtiment soit construit
selon le standard « Minergie ». C’est un standard concernant l’énergie utilisée et qui fixe un
maximum de consommation énergétique au m22. Cette norme de construction non obligatoire
fixe une gestion de l’énergie rationnelle, une utilisation optimale des énergies renouvelables
et une limitation de l’empreinte écologique négative. Ce standard oblige les réalisateurs à ce
que le coût de l’opération ne dépasse pas 10 % de plus qu’un projet standard. Parmi les
mesures destinées à la performance écologique de cet ancien entrepôt de vin, il faut citer
l’éclairage économe en énergie, la ventilation par puits canadien qui rafraîchit l’air renouvelé
en été et le préchauffe en hiver. Les puits canadiens sont des tuyaux, serpentant
horizontalement sous la terre, qui extraient de la chaleur ou du froid. Le chauffage au sol
fonctionne grâce à la chaleur restituée, complétée par un chauffage central pour la
commune, qui se trouve à distance, et l’eau de pluie est récupérée pour les besoins du
bâtiment. Un point critique : pendant les grosses chaleurs, l’air chaud emmagasiné ne peut
être suffisamment évacué par le système de refroidissement interne.
En résumé
L’écologie et la durabilité sont aujourd’hui un sujet pour le monde international des
bibliothèques. On peut citer de plus en plus d’exemples de réalisations. Ainsi, la bibliothèque
publique d’Amsterdam a obtenu, en 2008, le premier prix pour le bâtiment le plus durable de
la ville d’Amsterdam. Le prix récompensait essentiellement les critères suivants : énergie,
matériaux, plantes vertes, eaux, déchets et transport.
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Intermédiaire entre notre HQE et le BBC (note de la traductrice).
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Les bibliothécaires ne sont pas des ingénieurs. Nous n’irons pas loin si nous voulons
proposer des solutions précises aux hommes de l’art. Nous allons parler de double vitrage et
les ingénieurs vont nous dire que le triple vitrage est plus efficace. Mais nous pouvons faire
entendre
nos
exigences
professionnelles
et
poser
les
bonnes
questions ;
les
recommandations de l’Ifla et, pour les Allemands, le rapport DIN peuvent aider. Il nous faut
nous associer à temps au processus de planification et discuter avec les hommes de l’art du
plan d’éclairage, de la technologie domestique, etc. Un jour, on m’a demandé si le
bibliothécaire doit vraiment être là à toutes les réunions de programmation et j’ai répondu :
« oui, il le faut ».
Il est possible que les tutelles ou des groupes d’intérêt exercent des pressions sur les
bibliothécaires. Tout à coup, on entend dire que les grandes surfaces vitrées sont trop
énergétivores ou que les oiseaux n’arriveront pas à survoler un bâtiment de bibliothèque de
10 mètres de haut qui doit être construit sur un pont traversant un fleuve3. Il nous faut alors
nous centrer sur nos missions fondamentales, veiller à des bâtiments de bibliothèque qui ont
un emplacement adéquat, qui soient attrayants à l’extérieur, beaux et fonctionnels à
l’intérieur, afin que nos usagers s’y attardent longtemps à la recherche… peu importe de
quoi !
Questions
Didier Guilbaud
J’ai trouvé extrêmement intéressant les exemples qui nous ont été présentés et notamment
le caractère inventif de la lumière ; cela oblige les architectes à repenser entièrement le
traitement de celle-ci.
Alain Duperrier
Est-ce que, en Allemagne, ces bibliothèques écologiques bénéficient d’aides financières
particulières émanant des Länder ou de l’État ? Sont-elles valorisées par les tutelles ?
Wolgram Henning
Il n’y a pas de subventionnement du Land, c’est vraiment une volonté de la ville qui est le
seul financeur.
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Ce projet de construction existe réellement en Allemagne (note de la traductrice).
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