El-Bulli-Globe-Waite..

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El-Bulli-Globe-Waite..
GLOBE WAITER Jouer sur le contraste plus encore que sur l'accord…C'est par
la petite porte que je suis arrivée en Espagne. Tant d'années ailleurs, d'endroits où
les bouteilles sont de coûteux jeux de hasard ou les décors de table d'une gentry
revenue de tout. Puis, ce Tour du Monde, des vins du Monde; un sac à dos, les yeux
grands ouverts (eyes wide open), pas d'a priori. Que dire de plus? Si, jeunes gens,
n'hésitez pas! Changez de pays comme on change de peau, comme on change
d'avis. Passez Le Cap comme d'autres sautent à l'élastique. Découvrir, voyager,
apprendre; mes humbles universités (humanités?) ne sont que des tampons, des
visas sur mon passeport. Quand je vais déjeuner à El Bulli, en juin 2000, avec mon
frère Christophe, missionnaire es grands crus, et tous nos amis londoniens. Je viens
en fait de revenir sur terre: finis les jetons de pourboire à £10000 tombés d'une
Bentley, je suis simple serveuse à Barcelone au Tragaluz. Rien de grave quand on
est née dans une affaire de famille, juste au sud de la Loire, à une poignée de
kilomètres de Saumur, Bourgueil et Chinon. Baptisée au bienheureux pays du travail,
des tâches quotidiennes, où le potager nourrit la cuisine, où l'on appelle un chat un
chat, dans un bistrot où l'on vend aussi bien des graines de tomate que du cabernet
de comptoir. J'apprends l'espagnol. Là, à El Bulli, au cours de ce repas, le hasard fait
bien les choses: Juli Soler, l'ombre de Ferran Adriá, me propose de devenir
Sommelière, Cala Montjoi, dans ce lieu qui, à l'époque, tend à devenir central dans la
gastronomie des années 2000. Rapidement, j'ai réalisé que j’avais à faire à des
fous ! Mais, trop tard, j’en faisais partie. L’adrénaline, les tensions, l'excès. Et surtout,
cette énergie créative qui avait fait péter les portes des cuisines! Une sorte de
machine infernale. L'été à Rosas devenait une fantasmagorie (Dali, le Rachdingue et
les Surréalistes étaient des voisins…), alimentée par les expériences, les tentatives,
les pruebas tentées hors-saison au Taller. Parce qu'évidemment, l'hiver, j'ai continué
l'aventure dans cet atelier, au cœur de La ville des Prodiges, laboratoire d'une façon
très particulière d'imaginer la cuisine. À El Bulli, je dois reconnaître que,
personnellement, je prenais du plaisir en regardant l’expression des visages à
l’arrivée des mets; avant même d'introduire le vin, mon rôle consistait à éveiller les
sens, à introduire, à (littéralement) vaporiser des « ambiances », des parfums: sousbois, fleur d’oranger… Couleurs, formes, textures… Vagues de thon sur le riz,
pipettes d'essence de têtes de gambas…Vous comprenez bien que, finalement,
devant cette débauche d'effets, de sensations, de surprises (imaginez la tête de
quelqu'un à qui on offre une patte de poulet désossée et frite en guise d'amusegueule!), il n'était pas évident (voire incongru?) de servir du vin, de le mettre en
scène.
« Ô Service - des talents de demain », 11 rue Marbeuf - 75008 Paris - France
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Surtout face à un public qui (peut-être) venait là d'abord pour assister à un spectacle.
Cela étant, sûrement à cause de ce spectacle, la plupart des clients, réceptifs,
captivés, se laissaient guider, accompagner dans un dédale olfactif et
organoleptique, à la bouteille comme au verre. En l'occurrence, le vin devait agir
comme un repère en terre inconnue. Je me souviens pour autant de connaisseurs
aux idées arrêtées: « que du rouge! », « Champagne! », c'est la vie…J'enfonce une
porte ouverte, mais le plus important est de tenter de faire le lien entre le plat et le vin
(ce qui au Bulli nécessitait un peu de réflexion, euphémisme!). Pardon! De faire le
lien entre le plat, le vin et le client! Parce que, nous le savons tous, un Sommelier est
d'abord un psychologue, l'accoucheur attentif du désir de celui qui cherche une soif à
la mesure de sa faim. Pas de place pour les besogneux qui récitent leurs leçons! À
Cala Montjoi, dans cette crique étrange, parfois, l’accord était là. Tant mieux! Je
prenais et prends toujours un très grand plaisir à faire des accords en travaillant sur
le contraste, éventuellement sur le choc ou encore la surprise, en proposant par
exemple des grands vins Andalous qui sont des trésors d'une authentique et noble
culture. Depuis ce temps, je suis d'ailleurs (à la ville comme à la scène) tombée
amoureuse de ces vins nobles, véritables Grands d'Espagne. Et, si je devais vous
faire une confidence, moi, petite paysanne du Haut-Poitou, je dirais, en forçant un
peu le trait, que le seul, l’unique diplôme (amical, certes) qui rehausse mon CV est
celui d’Ambassadrice, qui m'a été décerné par le Consejo Regulador de Jerez. Je
dois aussi reconnaître que j'avais la chance de m'appuyer sur une belle carte des
vins dont l'architecture avait été conçue par Agustí Peris qui a ensuite passé le relais
à d’autres Sommeliers pour enfin arriver à moi. Nous sommes Sommeliers dans
l'âme, guidés par l’humilité. Vous imaginez bien que ces années inoubliables
constituent un visa indélébile sur mon passeport professionnel !
Professionnelle Isabelle Brunet
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