Un Roi sans divertissement (1947)
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Un Roi sans divertissement (1947)
Un récit composite !" Bien qu’Un roi sans divertissement mette en scène un personnage principal récurrent, Langlois, et que l’intrigue se déroule selon un ordre chronologique linéaire, l’œuvre peut être divisée en trois récits, chacun ayant une autonomie et un dénouement propres : • la première partie s’intéresse aux disparitions inexpliquées, à l’affaire de l’assassin de Chichiliane, M.V. et à l’enquête de Langlois ; • la deuxième partie s’articule autour du retour de Langlois au village et de la battue au loup qu’il organise ; • la troisième partie focalise sur l’analyse psychologique du personnage de Langlois et le récit de son suicide. Cette structure singulière permet à l’auteur de ne pas fournir une grille de lecture « clé en main » des agissements et motivations des protagonistes de l’histoire et incite ainsi le lecteur à s’interroger. II. Une œuvre pessimiste sur l’homme Un contexte d’écriture sombre !" • Commencée en 1943 puis achevée en 1946, l’écriture d’Un roi s’inscrit dans un contexte historique et social bouleversé par les atrocités de la 2nde guerre mondiale. • La carrière littéraire de Giono est compromise par les soupçons injustifiés de collaboration qui pèsent sur lui. Emprisonné puis finalement libéré, il ne peut plus publier jusqu’en 1947. Une réflexion sur le mal et l’ennui !" • La mort, la violence, la cruauté et la fascination du sang sont omniprésents dans le roman ; ces thèmes sont rendus plus troublants encore par le contraste créé avec leurs pendants, la fête et le divertissement. • Giono développe dans son récit le thème majeur de l’ennui. La dernière phrase, empruntée aux Pensées de Pascal éclaire le titre et l’enjeu de l’œuvre : « Un roi sans divertissement est un homme plein de misères ». • Pour Pascal, fuir l’ennui de l’existence par l’amusement est une attitude négative qui éloigne l’homme de Dieu. Pour Giono à l’inverse, le divertissement est un dérivatif nécessaire à l’ennui qui ronge l’homme, ce qui explique la quête effrénée de Langlois pour se distraire. • Mais cette recherche du plaisir, qui peut aller jusqu’au meurtre, s’avère au final inefficace pour lutter contre les tourments de la condition humaine. Réalisant cela, Langlois préfère se donner la mort plutôt que de devenir un assassin. Date : Avril 2005 ISSN : 1762-5920 Expert : Jacques Ménigoz Une alternance temporelle et énonciative !" L’originalité de l’œuvre réside pour partie dans le système d’alternance entre le temps de l’intrigue et le temps de la narration, cette dernière étant en outre assurée par différents narrateurs. • Les événements qui composent l’intrigue du roman se succèdent dans le temps sur une période de 5 ans, de l’hiver 1843 à l’automne 1848. • Ils sont rapportés à quatre époques ultérieures et selon une multiplicité de points de vues : − le personnage de Frédéric II rapporte la traque de M.V. quelques semaines seulement après les faits ; − le récit de la battue au loup est pris en charge par d’autres personnages du roman, les vieillards du village, en 1916 ; − le personnage de Saucisse raconte les autres épisodes de la deuxième partie du récit (le mariage, la fête, la brodeuse et le sang de l’oie), vers 1868 ; − la voix du narrateur vient ouvrir et clôre le récit au temps de l’écriture, soit en 1946. Editeur : MemoPage.com SA © Auteur : Laure Hutchings Un genre ou des genres ? !" • Un Opéra Bouffe : ce terme, d’origine italienne et initialement choisi par Giono pour qualifier son récit, désigne un spectacle musical qui oscille entre la tragédie et la comédie. L’œuvre réunit à la fois des éléments du registre tragique (les morts violentes, la fascination pour le crime, la cruauté) et d’autres du registre grotesque (le langage oral et pittoresque, les descriptions burlesques de personnages comme Saucisse, le comique de certaines situations, etc.). • Une chronique : Giono avait le projet de composer un ensemble de courts récits, intitulé « Chroniques ». Dans ce genre particulier, des faits divers fictifs sont mis en scène dans un ancrage temporel et géographique bien précis. L’intrigue et l’importance accordée à la psychologie des personnages servent de cadre à l’analyse de la nature humaine. • Un roman policier : dans la première partie du récit, les disparitions inexpliquées de Marie-Chazottes, de Bergues, de Callas Delphin et de Dorothée, l’agression de Georges Ravanel, l’enquête policière menée par Langlois ou la peur qui règne sur le village sont autant de motifs et d’éléments qui permettent d’affilier l’œuvre au registre de l’intrigue policière. • Un roman moral : la fascination progressive du personnage de Langlois pour le meurtre et les tourments qui l’habitent placent enfin le récit dans une perspective morale ; Giono invite ainsi le lecteur à s’interroger sur la question du mal universel et inhérent à la nature humaine. I. Une œuvre narrative plurielle Un Roi sans divertissement (1947)